L’équivalent anglais du mot français « genre », c’est le terme « gender ». Une chose importante à savoir et à garder en tête, avant tout, c’est que dans la langue anglaise, le terme « gender » a commencé à être utilisé comme un synonyme du mot « sexe » dès le XVe siècle, ce dont attestent des dictionnaires d’époque. Le dictionnaire de Webster de 1828 propose, comme deuxième définition du terme « gender » : « un sexe, mâle ou femelle ». Comme l’explique l’Oxford English Dictionary (Dictionnaire d’anglais d’Oxford), « à mesure que le mot “sexe” devenait de plus en plus synonyme de “rapports sexuels”, le mot “genre” a commencé à le remplacer (dans un premier temps par euphémisme) ».
Ce n’est pas le cas dans la langue française. Le mot « genre » n’y a jamais officiellement été utilisé comme un synonyme de « sexe ». Cela dit, en français, le terme « genre » désigne depuis des siècles, sur le plan grammatical, « une manière de distinguer par l’expression, le sexe de l’homme de celui de la femme, et en général, ce qui est mâle ou femelle » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française (1787–1788)).
Et puis, au XXe siècle, des sexologues anglosaxons ont commencé à employer le mot « gender » pour désigner des caractéristiques et des rôles culturellement assignés aux hommes et aux femmes (mais que beaucoup considéraient en fait comme innés). Ce qui fait qu’en anglais, le terme « gender » s’est mis à désigner aussi bien le sexe que des caractéristiques —comportementales, esthétiques, etc. — et des rôles culturellement associés aux deux sexes.
Par la suite, dans les années 1960, 1970, les féministes ont utilisé le mot « genre » (et « gender » en anglais) pour désigner le système social qui assigne — impose — ces caractéristiques aux hommes et aux femmes, soulignant ainsi que ces caractéristiques et ces rôles n’ont, pour l’essentiel en tout cas, rien de « naturels », et qu’ils permettent d’organiser la subordination générale du sexe féminin au sexe masculin (en assignant la docilité, la passivité, le dévouement aux autres, etc., aux femmes, et l’agentivité, la gestion des affaires politiques, la rationalité, etc., aux hommes).
Malheureusement, après ça, les intellectuels et universitaires de la théorie « queer » ont commencé à semer partout une épaisse couche de confusion au sujet du sexe et du genre en débitant du charabia au kilomètre — comme ils savent si bien le faire. Judith Butler, triple ceinture noire de galimatias, a par exemple affirmé que « genre » et « sexe » sont une seule et même chose (« le sexe est, par définition, du genre de part en part », Trouble dans le genre, 1990), à savoir une construction sociale sans queue ni tête, arbitraire, issue de personne ne sait vraiment où, qu’il nous faudrait détruire et en même temps conserver, et même démultiplier — tu suis ?
Quelques temps après cet éclair de génie, les idéologues « trans » se sont mis à affirmer, peut-être encore plus confusément (ce qui n’était pas une mince affaire), que « sexe » et « genre » sont deux choses distinctes et en même temps une seule et même chose. Que le « genre » est en fait « inné » tandis que le « sexe » est « assigné ». Et aussi que le « genre » est le véritable « sexe », « sexe » qui d’ailleurs n’existe pas tout en étant assigné à la naissance, contrairement au genre inné. Et d’autres choses encore, tout aussi confuses et contradictoires. Ce qui les amène à promouvoir la mutilation chirurgicale et la médicalisation à vie comme moyen de résoudre un conflit (imaginaire) entre un corps sexué et une « identité de genre ». Comme moyen de conformer un corps sexué jugé inadapté à un esprit supposément doté d’une essence du sexe/genre opposé. Ou quelque chose comme ça, personne ne sait vraiment. Chacun l’explique à sa manière, toujours plus ou moins absurde, illogique, et toujours fondée sur l’idée — sexiste et irrationnelle — selon laquelle à un type de corps sexué devrait correspondre un type d’esprit, un type d’« identité de genre », c’est-à-dire un ensemble de goûts, d’attitudes, de préférences, d’attirances, un type de personnalité, en fait. Si bien que sous couvert de lutte contre les stéréotypes, l’idéologie trans renforce en réalité plus que jamais lesdits stéréotypes, en adhérant de manière particulièrement forcenée aux idées sexistes selon lesquelles les femmes sont comme ci et les hommes comme ça (une fille devrait avoir des goûts de fille, si elle aime le foot, le bleu et grimper aux arbres, c’est sans doute qu’elle a une « identité de genre » de garçon et qu’elle est en fait un garçon ! Vite, bloquons sa puberté ! Proposons-lui une excision de la poitrine et un pénis artificiel !)
Et donc, aujourd’hui, sur le site web anglais de l’organisation ONU Femmes (UN Women), on trouve une rubrique intitulée « Gender Equality Glossary » (ce qui signifie littéralement « Glossaire pour l’égalité de genre », même si sur la version française du site, la même rubrique s’intitule « Glossaire d’égalité de sexes ») où figurent les définitions suivantes des termes « genre » et « identité de genre » :
« Genre [gender] : le genre fait référence aux rôles, comportements, activités et attributs qu’une société donnée, à un moment donné, considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. Outre les attributs sociaux et les opportunités associées au fait d’être un homme ou une femme et les relations entre les femmes et les hommes, les filles et les garçons, le genre fait également référence aux relations entre les femmes et aux relations entre les hommes. Ces attributs, opportunités et relations sont socialement construits et appris par le biais de processus de socialisation. Ils sont spécifiques à un contexte et à un moment donné et peuvent être modifiés. Le genre détermine ce qui est attendu, autorisé et valorisé chez une femme ou un homme dans un contexte donné. Dans la plupart des sociétés, il existe des différences et des inégalités entre les femmes et les hommes en ce qui concerne les responsabilités attribuées, les activités entreprises, l’accès aux ressources et leur contrôle, ainsi que les opportunités de prise de décision. »
« Identité de genre [gender identity] : l’identité de genre fait référence à l’expérience innée, profondément ressentie, interne et individuelle du genre d’une personne, qui peut ou non correspondre à sa physiologie ou à son sexe désigné à la naissance. Elle comprend à la fois la perception personnelle du corps, qui peut impliquer, si elle est librement choisie, une modification de l’apparence ou de la fonction corporelle par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres, et d’autres expressions du genre, notamment la tenue vestimentaire, le discours et les manières. »
(Sur la version française du site, « l’identité de genre » désigne « l’expérience intime, profonde et personnelle vécue par chaque individu, qu’elle corresponde ou non à sa physiologie ou au genre [et pas au sexe, comme dans la version anglaise] assigné à la naissance ».)
Le genre est donc à la fois une chose construite et apprise « par le biais de processus de socialisation », qui varie en fonction des endroits et des époques, ET une « expérience innée » et « interne » (sachant qu’une « expérience innée », c’est déjà une idée relativement confuse, étant donné qu’« expérience » désigne une forme de connaissance que l’on développe par la « pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde » — une chose peut-elle à la fois être « innée » ET une « expérience » ? Ça se discute ; vous avez trois heures).
Dans le « lexique trans » du Planning familial, le terme « genre » désigne une « Classe sociale construite culturellement. En occident, cela admet deux catégories, dont une dominée : les femmes ; et une dominante : les hommes. Genre est également utilisé en raccourci pour désigner l’identité de genre. » Peut-on faire plus confus/absurde ? (Comme si « femmes » et « hommes » désignaient des classes sociales et pas des catégories matérielles (biologiques) d’organismes ; comme s’il n’y avait qu’en Occident que les femmes sont soumises à la domination masculine ; etc.)
Bref, aujourd’hui, le terme « genre » est utilisé à toutes les sauces, en français et en anglais, pour désigner plus ou moins n’importe quoi. Et le terme « sexe » se porte à peine mieux, étant donné qu’on ne sait plus bien si le sexe existe, s’il est assigné ou désigné ou simplement une caractéristique naturelle de l’être humain, s’il en existe deux ou 3 ou 5 ou 48 ou une infinité. Tout ce capharnaüm arrange surtout ceux dont les revendications sont tellement lunaires qu’il leur fallait au préalable, en vue de les faire accepter, préparer le terrain en répandant de la confusion à la tonne, en veux-tu, en voilà.
Pour y voir clair, il faudrait repartir de la matérialité fondamentale.
L’espèce humaine fait partie des mammifères et se reproduit donc sexuellement, par le biais de la fusion de deux types de gamètes différents, produits par deux types d’organismes différents, les femelles et les mâles. Et c’est pour nommer ces deux types d’organismes impliqués dans la reproduction sexuée — en tout cas chez les mammifères — que le mot « sexe » a été inventé, plus de 600 ans avant J.B. (Judith Butler). Par ailleurs, dans le cadre de cette reproduction sexuée fondée sur deux sexes, il existe des formes d’« intersexuation », qui font partie des « désordres du développement sexuel », qui constituent des anomalies aux sens statistique et descriptif et s’accompagnent souvent de problèmes de santé plus ou moins graves — mais qui ne constituent pas un troisième rôle reproductif, un troisième ordre de phénotype sexuel, qui ne produisent pas de troisième type de gamète, bref, qui ne représentent ni un troisième sexe, ni un quatrième, etc.
Cette matérialité fondamentale, les sociétés humaines l’ont interprétée et utilisée de différentes manières. Les sociétés à domination masculine, patriarcales, ont imposé des caractéristiques et des rôles sociaux différents aux individus en fonction de leur sexe — des caractéristiques et des rôles qui facilitent la subordination des femmes aux hommes —, tout en tentant de faire passer ces rôles et ces caractéristiques pour naturelles, afin de faire passer la domination des hommes et la subordination des femmes pour naturelles.
Et le « genre » alors ? Eh bien, au vu de l’état calamiteux du débat public, de la confusion ambiante du discours, nous ferions peut-être mieux d’arrêter d’employer le mot « genre » et d’utiliser à la place des termes permettant de désigner de manière plus précise ce que nous souhaitons exprimer (ce qui nous ferait peut-être réaliser que certaines de nos idées sont bien moins claires que nous ne le pensions, et nous obligerait à affiner notre pensée).
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J’ai essayé de faire au plus simple. Celles et ceux qui veulent en savoir plus peuvent se procurer le livre que j’ai co-écrit avec Audrey A. sur le sujet :
Nicolas Casaux
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