L’Administration Trump donne des ailes aux covido-complotistes français

Au terme d’une demi-heure de prise de parole, Francis Lalanne adopte un ton solennel pour déclamer un poème de sa propre plume, dédié au droit constitutionnel. Avant de quitter la scène, il adresse de chaleureux remerciements à Carlo Alberto Brusa, fondateur de Réaction19 et organisateur de cette journée de conférences qui s’est tenue samedi 26 avril à Paris. Le thème ? Une fois de plus : le Covid-19, la « dictature sanitaire », les vaccins… Un refrain désormais bien connu.

L’événement, qui se tient au Transformateur, un tiers-lieu du 20ᵉ arrondissement, peine à mobiliser. Seule une soixantaine de participants ont répondu à l’appel. Cela n’a pas empêché plusieurs figures influentes du complotisme de prendre la parole. Parmi les têtes d’affiche annoncées : l’avocat Fabrice Di Vizio, le médiatique Mike Borowski, le chef du parti d’extrême droite Les Patriotes, Florian Philippot, ou encore l’ancienne chroniqueuse de Touche pas à mon poste (TPMP), Myriam Palomba. Conspiracy Watch aussi était présent. On vous raconte.

« Qui sème l’ARN récolte l’OGM »

Dans la salle, l’amertume liée à la crise du Covid-19 reste palpable. L’essentiel des interventions de la matinée portent sur les « discriminations » dont s’estiment victimes les récalcitrants aux mesures sanitaires adoptées pendant la pandémie. Sur l’une des nombreuses pancartes placardées aux murs du Transformateur, on peut lire : « Qui sème l’ARN récolte l’OGM ». Si les adhérents de Réaction19 semblent figés dans le souvenir des masques, des campagnes de vaccination et des pass sanitaires, leurs regards se tourne pourtant ce jour-là vers l’avenir. Leur nouvel espoir a pour nom Donald Trump. Son retour au pouvoir aux États-Unis et, avec lui, son cortège de ministres ouvertement complotistes est propre à galvaniser un public qui ne demande qu’à continuer à croire.

Le discours de Florian Philippot est particulièrement révélateur. « Grâce à nos efforts, se construit un chemin de vérité, prophétise-t-il. Il y a quatre ou cinq ans, quand on faisait les premières manifs, on regardait vers les États-Unis, même vers Berlin, parce qu’un certain Kennedy Jr était venu participer aux manifs pour la liberté. » Une onde de joie parcourt la salle lorsque le nom de Robert Francis Kennedy Jr, militant antivaccins et actuel Secrétaire à la Santé et aux Services sociaux des États-Unis, est évoqué. « Quatre ans plus tard, il est en train de lancer toute une série de batailles sur la santé, sur les vaccins et sur l’alimentation et je crois qu’on n’aurait pas pu le prédire », s’enhardit l’ancien numéro 2 du Front national.

« Notre ami Kennedy est en train de faire le boulot aux Etats-Unis »

Et conclut, sous un tonnerre d’applaudissements : « Notre devoir, c’est de lutter, tenir, résister, sans jamais rien lâcher. Parce qu’à la fin, c’est la victoire qui nous attendra. C’est le sens de l’Histoire, ça ne peut pas en être autrement. »

C’est au tour de l’oncologue retraitée Nicole Delépine de prendre le micro. Figure covido-complotiste, la médecin avait été sanctionnée en 2022 par l’Ordre national des médecins pour ses propos trompeurs sur le Covid et l’hydroxychloroquine. Elle aussi semble envisager l’avenir avec espoir. « Il faut qu’on soit d’autant plus optimiste que notre ami Kennedy est en train de faire le boulot aux États-Unis », lance-t-elle, avant d’insister sur le lien qui existerait prétendument entre autisme et vaccination – une intox pourtant réfutée à de nombreuses reprises. L’ex-médecin évoque également avec déférence Jay Bhattacharya. Ce professeur de médecine, opposé au confinement et au port du masque pendant la pandémie de Covid, appelle entre autres à suspendre les vaccins à ARN messager comme ceux de BioNTech-Pfizer ou de Moderna. Il a été nommé à la tête du National Institute of Health (NIH) par l’Administration Trump le 1er avril dernier. Et ce n’est pas un poisson d’avril.

Au cours de son intervention, Nicole Delépine brandit l’un de ses livres, Du cancer à la vie. Un ouvrage édité par la maison belge Marco Pietteur, refuge pour auteurs complotistes tels que RFK Jr ou Christian Tal Schaller. Les livres sont bien entendus mis en vente, aux côtés de ceux de Carlo Alberto Bruso et de Francis Lalanne, ainsi que de tee-shirts estampillés « Réaction19 ».

« Le peuple a le droit de faire appel à l’armée »

Bien que nombre de leurs prédictions sur le Covid, telles que le supposé « génocide vaccinal », ne se soient jamais réalisées, les adhérents de Réaction19 semblent résolument confiants. Fréquemment, durant les prises de parole, les orateurs appellent les participants à « éveiller » leur entourage, leurs voisins, proches et amis. Comme le dit Myriam Palomba lors de ses brèves prises de parole, « les mentalités changent, de plus en plus de monde commence à comprendre les choses ».

Un ancien Gilet jaune, qui reste obscur sur son identité, est plus virulent. Lui aussi dénonce la « manipulation » des médias et du gouvernement. Sur l’estrade, il s’emporte : « Je veux faire appel à l’armée pour que tout ça, ça s’arrête ! ». Selon lui, « le peuple a le droit de faire appel à l’armée » et la période s’y prête. Des mots qui semblent ne choquer personne, même si son discours ne semblent pas non plus susciter une franche adhésion, peut-être faute de notoriété.

Ce qui intéresse surtout le public, c’est la plainte contre X déposée par Réaction19 pour « homicide volontaire, tromperie aggravée et circonstance aggravante d’escroquerie en bande organisée » lors de la pandémie. « Ah c’est super ! », s’écrit une femme dans l’assemblée, à l’évocation du projet. L’avocat n’en est pas à son coup d’essai en termes de recours juridique douteux. Durant la crise sanitaire, il avait multiplié les plaintes collectives, sans grand succès, notamment pour intimider des dirigeants d’Ehpad et les dissuader de participer à la vaccination de leurs résidents.

Maître Brusa indique également qu’une action judiciaire est lancée contre Emmanuel Macron. La première audience est prévue le 11 septembre prochain. « Une date prémonitoire », s’amuse-t-il, provoquant quelques gloussements dans la salle. Comme les intervenants, les spectateurs baignent dans un écosystème informationnel où les théories du complot pullulent. Comment auraient-ils pu échapper au révisionnisme post-attentats du 11-Septembre ?

« Brigittologie », « matrice », pass JO…

En plein cœur de l’après-midi, Carlo Alberto Brusa appelle à la tribune l’écrivain Lionel Labosse. L’homme grimpe sur scène vêtu d’un tee-shirt arborant une fausse couverture du Time Magazine, figurant Brigitte Macron couronnée « Man of the Year ». Une provocation grinçante, clin d’œil appuyé aux rumeurs infondées, circulant dans certains milieux complotistes, qui accusent la Première dame de mentir sur son identité de genre.

L’avis de Lionel Labosse ne tarde d’ailleurs pas à se faire entendre sur le sujet. Il se revendique « expert en brigittologie », un sujet omniprésent sur son site altersexualite.com, et assène que « Brigitte Macron est un homme, né Jean-Michel Trogneux, et qu’elle usurpe l’identité d’une femme qui s’appelle Brigitte Trogneux depuis 1986 ». Le plumitif poursuit sa diatribe contre le président et son épouse : « La seule chose qui fera tomber ces gens-là, c’est la bite de Brigitte Macron ! » Aucune autre intervention ne provoquera d’applaudissements aussi nourris.

Fabrice Di Vizio, lui, reste fidèle à son cheval de bataille : la critique des mesures sanitaires mises en place durant la crise du Covid-19. Mais son discours s’étend désormais bien au-delà. L’avocat établit un lien direct entre le pass sanitaire et d’autres dispositifs qu’il juge liberticides, comme le « pass JO », les zones à faibles émissions (ZFE) ou encore la suspension de la chaîne RT France. Il dresse une liste hétéroclite où se mêlent, sans hiérarchisation, l’interdiction de la « désinformation en matière de santé », la lutte contre les passoires thermiques ou encore l’annulation des élections en Roumanie. Une manière pour lui de faire évoluer son discours covido-sceptique en l’ancrant dans une critique plus large des institutions et de l’État. Car c’est bien la lutte contre un système global qui est mise en avant par les divers intervenants. Pour les participants, il faut avant tout lutter contre Emmanuel Macron, qui n’est autre qu’une « marionnette » manipulée par « un pouvoir occulte », comme s’en agace Francis Lalanne lors de sa prise de parole.

Dans le public, deux femmes semblent ravies de ce qu’elles entendent. Lorsque les intervenants font passer des ouvrages dans le public, l’une d’elle se vante : « J’ai aussi le livre de Lalanne et de Denis Agret. » Sa voisine lui demande si elle a le temps de les lire. « Non ! », pouffe-t-elle.

Adblock test (Why?)

Source: Lire l'article complet de Conspiracy Watch