On ne compte plus le nombre de fois où la célèbre hyperbole de Simone de Beauvoir (« on ne naît pas femme, on le devient ») a été détournée par des idéologues trans pour lui faire dire tout autre chose que ce qu’elle dit en réalité. Selon les militants trans, Simone de Beauvoir aurait voulu dire par là que « femme » serait un état ou une sorte de statut social que n’importe qui pourrait atteindre ou adopter, à volonté, et non pas une réalité matérielle, biologique. Dernière falsification en date : Mathieu Magnaudeix pour Médiapart.
Dans « Le Deuxième sexe », Simone de Beauvoir note que « la femme a des ovaires, un utérus » : « […] le fait est qu’elle est une femelle ». Son livre ne s’appelle pas « Deuxième sexe » pour rien. Mathieu Magnaudeix falsifie minablement la pensée de Simone de Beauvoir. pic.twitter.com/iHBaoCdZOd
— Nicolas Casaux (@casauxnicolas) November 23, 2022
Dans une émission de télévision diffusée le 6 avril 1975, interrogée par Jean-Louis Servan Schreiber, Simone de Beauvoir donne des éclaircissements sur cette célèbre formule, « on ne naît pas femme, on le devient », tirée de son essai intitulé Le Deuxième sexe, publié en 1949. De Beauvoir explique à Servan Schreiber que ce qu’elle veut dire par là, c’est que la socialisation de la jeune femme dans la société patriarcale (« l’histoire de son enfance ») instille en elle « ce qu’on a appelé quelques fois l’éternel féminin, la féminité », et qui constitue l’image de la femme en général, générique, dans le patriarcat.
Autrement dit, la formule de De Beauvoir constitue ce qu’on appelle une hyperbole, une figure de style « consistant à exagérer l’expression d’une idée ou d’une réalité, le plus souvent négative ou désagréable, afin de la mettre en relief ». De Beauvoir emploie le mot « femme » pour évoquer l’image de la femme à laquelle les femmes sont tenues de se conformer dans le patriarcat. Ce qu’elle veut dire, c’est que les enfants nées de sexe féminin, les filles (personne ne naît femme, on naît bébé fille ou bébé garçon), sont ensuite conditionnées afin de se conformer au stéréotype sexiste que constitue l’image ou l’idée de la femme dans notre société patriarcale. En bref, et pour la paraphraser : aucune fille ne naît destinée, par nature, à incarner le stéréotype patriarcal de la femme.
Mais il est évident pour De Beauvoir que les enfants naissent tous sexués et que l’humanité comprend deux sexes (d’où le titre de son livre !) auxquels renvoient les termes homme et femme. Les idéologues trans qui utilisent la formule de De Beauvoir afin de suggérer que le mot femme n’a rien à voir avec une réalité biologique, corporelle, mais est une construction sociale que l’on pourrait choisir d’incarner, lui font dire l’exact inverse de ce qu’elle affirme.
Simone de Beauvoir soutenait que les femmes n’avaient pas par nature à incarner (ou devenir) une certaine construction sociale, un ensemble de stéréotypes (ceux qui constituent la « féminité », l’image de la femme fabriquée par le patriarcat, ou ce qu’elle nomme « l’éternel féminin »), que la femme n’était pas par nature cet ensemble de stéréotypes, cette construction sociale. À l’inverse, les idéologues trans soutiennent que la femme est un ensemble de stéréotypes, une construction sociale (un « genre »). Pour Simone de Beauvoir et les féministes radicales critiques du genre, la femme n’est pas naturellement (n’a pas à être) le « genre féminin » socialement (patriarcalement) construit. Pour les transactivistes, la femme est précisément ce genre féminin et rien d’autre — selon le glossaire de « l’association nationale transgenre » (ANT), une « femme » est une « personne définie par la société de genre féminin (sans considération de son sexe) ».
Voici un extrait de l’interview de Simone de Beauvoir par Jean-Louis Servan Schreiber :
J‑L S.S. : « Les différences biologiques [entre l’homme et la femme], qui sont évidentes, vous considérez qu’elles ne jouent pas de rôle dans le comportement ultérieur éventuel de l’individu ? »
SB : « Je pense qu’elles peuvent en jouer un, si, elles en jouent un certainement, mais l’importance qui leur est accordée, l’importance que prennent ces différences vient du contexte social dans lesquels elles se situent. Je veux dire que, bien entendu, c’est très important qu’une femme puisse être enceinte, avoir des enfants tandis que l’homme ne le peut pas ; ça fait une grande différence entre les deux, mais ce n’est pas cette différence qui fonde la différence de statut et l’état d’exploitation et d’oppression auquel est soumise la femme. C’est en quelque sorte un prétexte autour duquel est construite la condition féminine, mais ce n’est pas cela qui détermine cette condition. »
Simone de Beauvoir était en effet très claire sur le fait qu’être femme se rapporte — évidemment — à la biologie. Voici le passage dont est tirée la fameuse hyperbole de Simone de Beauvoir :
« On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. »
Dans Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir note en outre que « la femme a des ovaires, un utérus » : « […] le fait est qu’elle est une femelle ». Sachant que :
« Mâles et femelles sont deux types d’individus qui à l’intérieur d’une espèce se différencient en vue de la reproduction ; on ne peut les définir que corrélativement. »
De Beauvoir ajoute :
« Ces données biologiques sont d’une extrême importance : elles jouent dans l’histoire de la femme un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de sa situation : dans toutes nos descriptions ultérieures, nous aurons à nous y référer. Car le corps étant l’instrument de notre prise sur le monde, le monde se présente tout autrement selon qu’il est appréhendé d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi nous les avons si longuement étudiées ; elles sont une des clefs qui permettent de comprendre la femme. Mais ce que nous refusons, c’est l’idée qu’elles constituent pour elle un destin figé. Elles ne suffisent pas à définir une hiérarchie des sexes. »
De Beauvoir estimait d’ailleurs « qu’aucune femme ne peut prétendre sans mauvaise foi se situer par-delà son sexe ». Mince alors !
Simone de Beauvoir était manifestement terriblement « transphobe » ! De même que tous les écrits féministes et, plus généralement, de même que tous les livres ayant été écrits depuis la naissance de l’écriture il y a plusieurs millénaires et jusqu’aux environs de l’année 2015 !
Audrey A. et Nicolas Casaux
Source: Lire l'article complet de Le Partage