Négation du sexe et idéologie de l’identité de genre (par Jane Clare Jones)

Négation du sexe et idéologie de l’identité de genre (par Jane Clare Jones)

Le texte sui­vant est une tra­duc­tion d’un cha­pitre du livre Sex and Gen­der : A Contem­po­ra­ry Rea­der paru en août 2023, chez Rout­ledge, sous la direc­tion d’A­lice Sul­li­van et Seli­na Todd. Jane Clare Jones est cer­tai­ne­ment une des per­sonnes les plus éru­dites et les plus lucides concer­nant le phé­no­mène trans, ses ori­gines, ses impli­ca­tions, et la manière dont il s’im­brique avec la mou­vance et l’i­déo­lo­gie « queer ».


Le mou­ve­ment contem­po­rain pour les droits des per­sonnes trans est appa­ru au début des années 1990 des deux côtés de l’At­lan­tique, grâce à un mélange d’ac­ti­visme juri­dique et de théo­ri­sa­tion uni­ver­si­taire (Jones 2020). Le mou­ve­ment actuel se dis­tingue par un sys­tème de croyances que nous appel­le­rons ici « idéo­lo­gie de l’i­den­ti­té de genre » ou « idéo­lo­gie trans », dont l’af­fir­ma­tion cen­trale sti­pule qu’être un homme ou une femme est affaire d’i­den­ti­té de genre plu­tôt que de sexe bio­lo­gique. Ste­phen Whit­tle, « homme trans », juriste et cofon­da­teur de Press for Change — le pre­mier grand groupe de lob­bying trans­genre au Royaume-Uni — a expri­mé cette idée en affir­mant que « [l]e fait d’être un homme ou une femme est conte­nu dans l’i­den­ti­té de genre d’une per­sonne » (Whit­tle [1999] 2002, 6). Cette idée est éga­le­ment résu­mée dans le slo­gan cen­tral du tran­sac­ti­visme contem­po­rain : « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes. »

Si l’af­fir­ma­tion « les femmes trans sont des femmes » est vraie, alors le concept de « femme » doit se réfé­rer à autre chose qu’au sexe bio­lo­gique, étant don­né que les « femmes trans » ne sont, par défi­ni­tion, pas des femelles. Étant don­né que la loi bri­tan­nique défi­nit une « femme » comme « une femelle de tout âge » (Equa­li­ty Act 2010, s.212), cela consti­tue une redé­fi­ni­tion radi­cale du concept. Au cours des deux der­nières décen­nies, le mou­ve­ment pour les droits des per­sonnes trans a effec­ti­ve­ment pro­pa­gé cette redé­fi­ni­tion au sein des ins­ti­tu­tions publiques du monde anglo­phone et au-delà, par le biais d’un pro­ces­sus de « cap­ture des ins­ti­tu­tions poli­tiques » (Mur­ray et Black­burn 2019). Cela a eu pour effet de sys­té­ma­ti­que­ment rem­pla­cer les men­tions du sexe bio­lo­gique par des caté­go­ries liées à l’identité de genre dans le droit, le lan­gage, les poli­tiques publiques, la col­lecte de don­nées et l’or­ga­ni­sa­tion de l’es­pace public. J’ai appe­lé ce pro­ces­sus « l’ef­fa­ce­ment poli­tique du sexe » (Jones et Mac­ken­zie 2020).

L’ob­jec­tif de ce cha­pitre consiste à exa­mi­ner le déve­lop­pe­ment intel­lec­tuel et la per­ti­nence de la néga­tion du sexe [l’ensemble d’idées qui pré­tend que le sexe est une construc­tion sociale, NdT] qui a sous-ten­du ce pro­ces­sus d’ef­fa­ce­ment poli­tique. Dans la dis­cus­sion qui suit, je fais la dis­tinc­tion entre le sexe (bio­lo­gique et immuable), le genre (rôles et com­por­te­ments construits socia­le­ment et poli­ti­que­ment) et l’i­den­ti­té de genre (l’i­dée selon laquelle chaque être humain aurait un sens inné de son propre genre).

L’i­dée selon laquelle « l’i­den­ti­té de genre l’emporte sur le sexe » repose sur deux croyances fon­da­men­tales. La pre­mière, que nous appel­le­rons « essen­tia­lisme de l’i­den­ti­té de genre », pré­tend que les êtres humains ont une « iden­ti­té de genre » innée : un sen­ti­ment interne d’être un homme ou une femme, qui n’est pas déter­mi­né par leur sexe et peut ne pas être ali­gné avec celui-ci. L’es­sen­tia­lisme de l’i­den­ti­té de genre repose sur une ana­lo­gie avec l’in­néi­té géné­ra­le­ment accep­tée de l’ho­mo­sexua­li­té. Une grande par­tie du suc­cès du dis­cours sur les droits des per­sonnes trans repose sur l’at­trait intui­tif de l’i­dée selon laquelle les gens devraient être libres d’ex­pri­mer leur moi « authen­tique » inné. Le groupe de lob­bying Sto­ne­wall (2022), par exemple, a pour slo­gan : « Nous ima­gi­nons un monde où toutes les per­sonnes LGBTQ+ sont libres d’être elles-mêmes ». Bien que ce sen­ti­ment soit louable à bien des égards, il convient de sou­li­gner qu’en ce qui concerne l’i­den­ti­té trans­genre contem­po­raine, l’ex­pres­sion « être soi-même » implique une affir­ma­tion du pri­mat de l’i­den­ti­fi­ca­tion de genre sur le sexe.

La deuxième croyance qui sous-tend la convic­tion tran­si­den­ti­taire selon laquelle l’i­den­ti­té de genre devrait l’emporter sur le sexe peut être qua­li­fiée de « néga­tion (ou déni) du sexe ». Il s’agit de l’idée que le sexe bio­lo­gique n’est pas un phé­no­mène maté­riel signi­fi­ca­tif et que les caté­go­ries « mâle » et « femelle » sont des construc­tions sociales ou his­to­riques. Ce cha­pitre s’at­tache à exa­mi­ner l’é­vo­lu­tion des argu­ments de la néga­tion du sexe et à les sou­mettre à la cri­tique. La pre­mière sec­tion pré­sente trois des argu­ments les plus cou­rants uti­li­sés par les pro­mo­teurs de l’i­den­ti­té de genre en vue de contes­ter la réa­li­té maté­rielle du sexe en retra­çant leur l’his­toire intel­lec­tuelle. La deuxième par­tie éva­lue la soli­di­té de ces argu­ments et pro­pose une cri­tique de la néga­tion du sexe de mon point de vue de fémi­niste maté­ria­liste radicale.

Les arguments de la négation du sexe

La néga­tion du sexe pré­tend démon­trer que le phé­no­mène natu­rel du sexe bio­lo­gique serait en fait une construc­tion cultu­relle au ser­vice des inté­rêts du « pou­voir ». À cet égard, le déni tran­si­den­ti­taire du sexe est appa­rem­ment conforme à la cri­tique clas­sique de l’i­déo­lo­gie, ce qui peut expli­quer pour­quoi il trouve un écho auprès de nom­breux uni­ver­si­taires et de per­sonnes qui se consi­dèrent comme « pro­gres­sistes ». Selon la cri­tique mar­xiste clas­sique, l’« idéo­lo­gie » pré­sente des phé­no­mènes socia­le­ment construits comme s’ils étaient « natu­rels » ou « don­nés par Dieu ». Ain­si, l’idéologie laisse accroire qu’ils ne peuvent être modi­fiés. Cette idée a influen­cé de nom­breux mou­ve­ments de défense de droits humains au XXe siècle, notam­ment la cri­tique du « déter­mi­nisme bio­lo­gique » for­mu­lée par les fémi­nistes de la deuxième vague, selon laquelle les rôles « mas­cu­lins » et « fémi­nins » ne découlent pas « natu­rel­le­ment » du sexe bio­lo­gique, mais consti­tuent plu­tôt des construc­tions sociales qui servent les inté­rêts mas­cu­lins en exploi­tant le corps et le tra­vail des femmes.

La généa­lo­gie des concepts est une méthode employée afin de démon­trer qu’un phé­no­mène pré­ten­du­ment natu­rel est en fait his­to­ri­que­ment construit. « Généa­lo­gie » est un terme impor­tant, parce qu’une grande par­tie de la néga­tion contem­po­raine du sexe a été influen­cée par l’af­fir­ma­tion de Michel Fou­cault selon laquelle « la notion de “sexe” » sert à « regrou­per », dans une « uni­té arti­fi­cielle » ou « fic­tive », une varié­té de phé­no­mènes autre­ment dis­pa­rates, y com­pris « des élé­ments ana­to­miques, des fonc­tions bio­lo­giques, des conduites, des sen­sa­tions, des plai­sirs » (1978, 154). La méthode généa­lo­gique de Fou­cault (1994) met l’ac­cent sur « la filière com­plexe de la pro­ve­nance » des concepts et sug­gère qu’ils n’ex­priment pas une réa­li­té empi­rique fon­da­men­tale mais résultent plu­tôt d’« acci­dents » his­to­riques (374). Selon Judith But­ler (1990) — l’hé­ri­tière la plus influente de Fou­cault — la généa­lo­gie fou­cal­dienne récuse le carac­tère « natu­rel » de nos concepts de sexe et de genre et s’ef­force de « démon­trer que les caté­go­ries fon­da­men­tales de sexe, de genre et de désir sont les effets d’une cer­taine for­ma­tion du pou­voir » (1990, xxxi). C’est dans cette veine que la socio­logue bri­tan­nique Sal­ly Hines a récem­ment sou­te­nu que les caté­go­ries de sexe et de genre devraient être « his­to­ri­ci­sées ». Hines (2020) s’ap­puie sur les tra­vaux de Fou­cault concer­nant « la façon dont les corps naissent à tra­vers des pro­ces­sus his­to­riques » (704), sur des études anthro­po­lo­giques indi­quant « une grande diver­gence his­to­rique » dans la com­pré­hen­sion des concepts de « mâle » et de « femelle » (700), et sur les cultures pré­sen­tant un troi­sième genre pour étayer l’af­fir­ma­tion selon laquelle « plu­tôt que la bio­lo­gie, ce sont les fac­teurs sociaux, cultu­rels, poli­tiques et éco­no­miques qui donnent nais­sance à des façons dis­tinctes de com­prendre le sexe, le genre et leur rela­tion » (701).

Deux obser­va­tions s’im­posent à pro­pos des argu­ments comme celui de Hines. Pre­miè­re­ment, si l’i­déo­lo­gie trans fait sou­vent appel à Fou­cault pour étayer l’af­fir­ma­tion selon laquelle le « sexe » serait une construc­tion his­to­rique, elle n’ap­plique pas l’his­to­ri­cisme rela­ti­vi­sant de Fou­cault à son propre dis­cours. Hines (2020) observe que « le cœur des débats actuels » entre les tran­sac­ti­vistes et les fémi­nistes cri­tiques du genre réside dans « des com­pré­hen­sions diver­gentes de l’on­to­lo­gie des caté­go­ries de “sexe” et de “genre” » (700). Cepen­dant, elle ne consi­dère mani­fes­te­ment pas son onto­lo­gie comme une pos­si­bi­li­té par­mi d’autres et accuse ses oppo­sants, qu’elle asso­cie au camp « conser­va­teur », de par­ti­ci­per à des « paniques morales trans­genres » (Hines 2020, 699) et de faire preuve de « sec­ta­risme » (Hines 2019). Cette croyance en une onto­lo­gie « juste » vs. « fausse » est indé­fen­dable dans une pers­pec­tive fou­cal­dienne stricte, qui nie­rait jusqu’à l’existence de la moindre réa­li­té empi­rique à pro­pos de laquelle il serait pos­sible d’avoir rai­son ou tort. Il est d’ailleurs iro­nique qu’en dia­bo­li­sant les cri­tiques qui leur sont adres­sées, les pro­mo­teurs de l’i­den­ti­té de genre pro­pagent un « régime régle­men­taire » fou­cal­dien per­met­tant de dis­ci­pli­ner la pen­sée vers une unique conclu­sion nor­ma­ti­ve­ment approuvée.

On observe un second para­doxe fou­cal­dien dans la rela­tion entre les aspects « essen­tia­lisme de l’i­den­ti­té de genre » et « néga­tion du sexe » de l’i­déo­lo­gie trans contem­po­raine. En contra­dic­tion directe avec la pen­sée fou­cal­dienne selon laquelle les concepts sont des construc­tions du pou­voir his­to­ri­que­ment arbi­traires, l’es­sen­tia­lisme de l’i­den­ti­té de genre for­mule de grandes asser­tions sur la nature uni­ver­selle et intem­po­relle de l’i­den­ti­té trans. L’ap­pli­ca­tion sélec­tive de l’his­to­ri­cisme fou­cal­dien est donc une stra­té­gie poli­tique déli­bé­rée de l’i­déo­lo­gie trans. Celle-ci ne pré­tend pas qu’il n’existe pas de réa­li­té sous-jacente aux dis­cours, mais plu­tôt que le sexe ne pos­sède pas de réa­li­té empi­rique, tan­dis que l’i­den­ti­té de genre serait réelle, innée et aurait « tou­jours exis­té ». Cet essai sou­tient que l’inverse est vrai : le sexe est une réa­li­té empi­rique, tan­dis que l’i­den­ti­té de genre est un concept his­to­rique récent — de même que la néga­tion du sexe. Ce cha­pitre retrace la généa­lo­gie intel­lec­tuelle de la néga­tion du sexe afin de démon­trer com­ment a été construite, au cours des cin­quante der­nières années, l’idée selon laquelle le sexe serait une construc­tion his­to­rique. Pour ce faire, j’examinerai trois des prin­ci­paux argu­ments de la néga­tion du sexe : « le sexe est un conti­nuum » [ou « un spectre », NdT], « le genre construit le sexe » et « le colo­nia­lisme a créé la bina­ri­té de genre ».

L’ar­gu­ment selon lequel « le sexe est un conti­nuum » a été déve­lop­pé pour la pre­mière fois dans le contexte de l’ac­ti­visme juri­dique trans­genre au début des années 1990. En août 1992, Mar­tine Roth­blatt, « femme trans » [homme qui se dit femme, NdT], avo­cat et entre­pre­neur dans le domaine de la tech­no­lo­gie, a pro­non­cé un dis­cours lors de la pre­mière réunion annuelle de l’In­ter­na­tio­nal Confe­rence on Trans­gen­der Law and Employ­ment Poli­cy (ICTLEP, Confé­rence inter­na­tio­nale sur le droit et la poli­tique de l’emploi des per­sonnes trans­genres) à Hous­ton, au Texas. Ce dis­cours visait à pré­sen­ter le « para­digme émergent » de la loi sur la san­té des per­sonnes trans­genres, qui devait viser, selon Roth­blatt (1992), « à redé­fi­nir le sexe lui-même comme un conti­nuum de com­por­te­ments liés au style de vie » (246). Par « com­por­te­ment liés au style de vie », Roth­blatt enten­dait « le genre » ou la « clas­si­fi­ca­tion […] en mas­cu­lin et fémi­nin basée […] sur un com­por­te­ment de jeu de rôle » (252), et affir­mait donc que le « sexe » devait être redé­fi­ni juri­di­que­ment pour dési­gner des rôles de genre. Cepen­dant, une autre par­tie du dis­cours de Roth­blatt pro­po­sait une concep­tion dif­fé­rente du sexe, sug­gé­rant qu’il fal­lait le redé­fi­nir comme un « conti­nuum de carac­té­ris­tiques ana­to­miques […] et bio­lo­giques mâles et femelles » (263), une for­mu­la­tion qui se rap­proche de l’af­fir­ma­tion selon laquelle le sexe bio­lo­gique lui-même est un « continuum ».

C’est exac­te­ment ce qu’af­firme un an plus tard la bio­lo­giste Anne Faus­to-Ster­ling dans son célèbre texte inti­tu­lé « Les Cinq sexes » (1993), qui repré­sente une source majeure de l’af­fir­ma­tion tran­si­den­ti­taire désor­mais cou­rante selon laquelle le sexe serait un conti­nuum. Faus­to-Ster­ling y sug­gère que « le corps inter­sexe » signi­fie que « d’un point de vue bio­lo­gique, il existe de nom­breuses gra­da­tions entre la femelle et le mâle » et que « le sexe est un conti­nuum modu­lable à l’infini » (21). Plus tard, la même année, lors de la deuxième réunion annuelle de l’ICT­LEP, Roth­blatt (1993) cite expli­ci­te­ment la notion de Faus­to-Ster­ling d’un « conti­nuum modu­lable à l’infini » (A5‑5). L’an­née sui­vante, Roth­blatt (1994) affirme que « la science en arrive vrai­ment à la conclu­sion qu’il n’y a pas de ligne de démar­ca­tion natu­relle entre les sexes », que la dis­tinc­tion entre mâle et femelle est plu­tôt « un conti­nuum de dif­fé­rentes pos­si­bi­li­tés » et qu’en tant que tel, il n’y a « aucune rai­son logique, objec­tive […] d’é­ti­que­ter les gens en tant que mâles ou femelles » (110).

Cette affir­ma­tion a été rapi­de­ment reprise dans la lit­té­ra­ture aca­dé­mique. En 1996, s’ap­puyant à la fois sur Roth­blatt et Faus­to-Ster­ling, Ruth Hub­bard a sug­gé­ré que « les dif­fé­rences sexuelles ne sont pas si nettes » et a remis en ques­tion le « para­digme binaire selon lequel, d’un point de vue bio­lo­gique, il n’y a que […] deux sexes » (158). En 2002, Ste­phen Whit­tle a noté que « la méde­cine recon­naît un nombre crois­sant de syn­dromes inter­sexuels » (10) et que « les indi­vi­dus sont désor­mais scien­ti­fi­que­ment consi­dé­rés comme vivant sur un conti­nuum, avec des carac­té­ris­tiques femelles à un extrême et mâles à l’autre » (7). Au cours de la der­nière décen­nie, l’i­dée selon laquelle le sexe serait un conti­nuum a été cou­ram­ment affir­mée dans des publi­ca­tions plus popu­laires, en par­ti­cu­lier à la suite de l’ar­ticle de Claire Ains­worth paru en 2015 dans la revue Nature, inti­tu­lé « Sex Rede­fi­ned » (Le sexe redé­fi­ni). Dans un compte ren­du de l’ar­ticle d’Ains­worth publié dans The Guar­dian, on lit que « plu­tôt que d’être sim­ple­ment mâle ou femelle […], nous exis­tons tous à tra­vers plu­sieurs spectres d’i­den­ti­té sexuelle ». Selon l’autrice de l’ar­ticle, Vanes­sa Heg­gie (2015), aucun test por­tant sur une quel­conque dimen­sion du sexe ne don­ne­ra une « réponse binaire de type “mâle ou femelle” et “[l]es résul­tats dépen­dront tou­jours de […] seg­men­ta­tions arbi­traires ». Cette généa­lo­gie par­ti­cu­lière per­met de com­prendre com­ment les argu­ments de la néga­tion du sexe sont pas­sés du lob­bying poli­tique au dis­cours uni­ver­si­taire, puis à l’influence du dis­cours public.

L’ar­ticle de Heg­gie illustre bien la manière dont les argu­ments pré­ten­dant que « le sexe est un conti­nuum » fonc­tionnent. Ils sug­gèrent qu’il n’existe pas de dif­fé­rences de nature entre les hommes et les femmes et que les dif­fé­rences que l’on observe ne sont que des dif­fé­rences quan­ti­ta­tives de degré. C’est pour­quoi n’importe quelle ligne tra­cée sur le « conti­nuum » entre mâle et femelle serait sim­ple­ment « arbi­traire ». De là, il est facile d’en venir à croire que cette ligne « arbi­traire » est sim­ple­ment « construite socia­le­ment » ou pro­duite par des sys­tèmes de « pou­voir ». Dans le pre­mier cha­pitre de son livre Corps en tous genres, Faus­to-Ster­ling (2000a) affirme que la réa­li­té du « sexe du corps est tout sim­ple­ment trop com­plexe », avec trop de « nuances de dif­fé­rences » pour être « l’un ou l’autre », et qu’il s’en­suit que « le fait d’é­ti­que­ter quel­qu’un comme un homme ou une femme est une déci­sion sociale » (3).

Pour illus­trer cette thèse de la « déci­sion sociale », cer­tains sou­tiennent par exemple que c’est l’en­re­gis­tre­ment du sexe à la nais­sance qui crée un sys­tème de deux sexes, qui n’existe que dans l’in­té­rêt du pou­voir. En 1995, Roth­blatt écri­vait qu’« un apar­theid rigide du sexe » est créé par « la loi […] en com­men­çant par le cer­ti­fi­cat de nais­sance » (37), tan­dis que Faus­to-Ster­ling (1993) affir­mait que, bien que cela soit « au mépris de la nature », l’en­re­gis­tre­ment du sexe est requis par « les sys­tèmes juri­diques anglo-saxons modernes » afin de déter­mi­ner les ques­tions « d’hé­ri­tage, de légi­ti­mi­té, de pater­ni­té » (23). En 1998, Chris­tine Burns — une mili­tante clé du groupe de lob­bying tran­si­den­ti­taire bri­tan­nique Press for Change — appe­lait à l’é­li­mi­na­tion totale de l’en­re­gis­tre­ment du sexe à la nais­sance, arguant que « la qua­trième colonne de l’acte de nais­sance bri­tan­nique est à l’o­ri­gine des sys­tèmes de dis­cri­mi­na­tion les plus durables et les plus enra­ci­nés de la socié­té moderne ». En 2017, les Prin­cipes de Jog­ja­kar­ta Plus 10 — sou­vent consi­dé­rés comme les « meilleures pra­tiques » inter­na­tio­nales en matière de droits humains concer­nant l’o­rien­ta­tion sexuelle et l’i­den­ti­té de genre (SOGI, Sexual Orien­ta­tion and Gen­der Iden­ti­ty) — codi­fiaient cela en appe­lant à « mettre fin à l’en­re­gis­tre­ment du sexe et du genre de la per­sonne dans […] les cer­ti­fi­cats de nais­sance, les cartes d’i­den­ti­té, les pas­se­ports et les per­mis de conduire » (prin­cipe 31).

Les argu­ments qui nient l’exis­tence d’une « ligne de démar­ca­tion » claire entre les sexes sont étroi­te­ment liés à ceux qui s’in­té­ressent aux varia­tions au sein des caté­go­ries mâle et femelle. Ils sug­gèrent qu’en l’ab­sence d’une carac­té­ris­tique « essen­tielle » par­ta­gée par tous les membres de la caté­go­rie, les caté­go­ries sont arbi­traires ou socia­le­ment construites. La forme la plus cou­rante de cet argu­ment s’ap­puie sur le fait que cer­tains humains sont sté­riles pour affir­mer que le sexe ne peut pas se réfé­rer à la capa­ci­té de repro­duc­tion (Roth­blatt 1995, 36 ; Whit­tle [1999] 2002, 5). Récem­ment, Sal­ly Hines (2020) a affir­mé que comme « cer­tains hommes naissent sans tes­ti­cules et cer­taines femmes sans uté­rus ; cer­tains hommes ne pro­duisent pas de sperme et cer­taines femmes ne pro­duisent pas d’o­vules », aucun cri­tère « essen­tiel » ne peut défi­nir le sexe, qui est donc his­to­ri­que­ment construit (708).

Le deuxième groupe d’ar­gu­ments du cou­rant de la néga­tion du sexe repose sur l’i­dée que les idées sur le sexe sont « arbi­trai­re­ment » créées par « le pou­voir », et se concentre sur l’af­fir­ma­tion selon laquelle ce sont les normes de genre qui construisent le sexe. L’une des pre­mières sources de cet argu­ment, c’est le livre de Suzanne J. Kess­ler et Wen­dy McKen­na (1978) inti­tu­lé Gen­der : An Eth­no­me­tho­do­lo­gi­cal Approach. Leur ouvrage affirme que le genre pro­duit « un monde com­pre­nant deux “sexes” » (vii) plus d’une décen­nie avant que Judith But­ler (1990) ne fasse la même affir­ma­tion dans Trouble dans le genre. Kess­ler et McKen­na (1978) affirment que l’i­den­ti­fi­ca­tion du sexe chez les humains résulte du « pro­ces­sus d’at­tri­bu­tion du genre ». Elles notent que la plu­part des gens tendent à pen­ser que « les organes géni­taux sont l’in­signe essen­tiel du genre » (154), mais que la déci­sion de caté­go­ri­ser une per­sonne comme un homme ou une femme ne peut pas s’ap­puyer sur les organes géni­taux, parce qu’ils ne peuvent géné­ra­le­ment pas être vus. Au lieu de cela, sug­gèrent-elles, nous attri­buons aux indi­vi­dus des « organes géni­taux cultu­rels », c’est-à-dire qui sont « sup­po­sés exis­ter » (154). Elles rejettent l’i­dée qu’il s’a­git d’une infé­rence géné­ra­le­ment pré­cise faite sur la base des carac­té­ris­tiques sexuelles secon­daires, parce que les humains sont « loin d’être dicho­to­miques, du moins lorsque com­pa­rés à ces mar­queurs chez d’autres espèces (par exemple, le plu­mage chez les oiseaux) » (155–156). Selon Kess­ler et McKen­na, nous consi­dé­rons quel­qu’un comme un homme ou une femme sur la base des « signes socia­le­ment construits du genre », qui com­prennent « les vête­ments et les acces­soires, ain­si que les indices non ver­baux et para­lin­guis­tiques » (157). Nous n’ob­ser­vons donc pas le sexe bio­lo­gique, mais plu­tôt le sexe socia­le­ment construit.

Une autre série d’ar­gu­ments selon les­quels le genre construit le sexe repose sur le trai­te­ment des nour­ris­sons pré­sen­tant des dif­fé­rences de déve­lop­pe­ment sexuel (en anglais Dif­fe­rences of Sexual Deve­lop­ment, DSD) — que l’on appe­lait par­fois « inter­sexes » aupa­ra­vant (voir Hil­ton et Wright). Dans « The Medi­cal Construc­tion of Gen­der », Kess­ler (1990) exa­mine le pro­ces­sus d’in­ter­ven­tion chi­rur­gi­cale sur les bébés pré­sen­tant des organes géni­taux ambi­gus — pro­ces­sus aujourd’­hui sou­vent qua­li­fié de « muti­la­tion géni­tale infan­tile ». Kess­ler affirme que « l’i­dée même de genre » réside dans la concep­tion même de « deux types exclu­sifs : femelle et mâle » (25) et que le pro­ces­sus d’« assi­gna­tion » chi­rur­gi­cale d’un sexe aux nour­ris­sons « révèle le modèle de la construc­tion sociale du genre en géné­ral » (4). Dans Corps en tous genres, Faus­to-Ster­ling (2000a) s’est faite l’é­cho de Kess­ler en carac­té­ri­sant l’as­si­gna­tion d’un sexe aux enfants atteints de DSD comme une « his­toire lit­té­rale » de la « construc­tion sociale […] d’un sys­tème de sexe bipar­tite » (32). À cette époque, Faus­to-Ster­ling asso­ciait ses argu­ments selon les­quels « le sexe est un conti­nuum » à l’ar­gu­ment pro­ba­ble­ment plus influent encore selon lequel « le genre construit le sexe » : l’af­fir­ma­tion de Judith But­ler (1990) dans Trouble dans le genre selon laquelle le « sexe » est pro­duit par le « régime régle­men­taire » hété­ro­nor­ma­tif du genre. L’ap­pel de Faus­to-Ster­ling (2000a) à la pré­ten­due réa­li­té empi­rique du sexe en tant que conti­nuum est pour­tant incom­pa­tible avec le construc­ti­visme radi­cal de Trouble dans le genre. Faus­to-Ster­ling approuve néan­moins la pen­sée de But­ler selon laquelle la « maté­ria­li­té cor­po­relle » est « construite à tra­vers une matrice gen­rée » (22).

L’af­fir­ma­tion cen­trale de Trouble dans le genre pré­tend que « le cadre de pen­sée binaire sur le genre » (But­ler 1990, xxx) construit le « dimor­phisme idéal, la com­plé­men­ta­ri­té hété­ro­sexuelle des corps, les idéaux et la règle de ce qui est pro­pre­ment ou impro­pre­ment mas­cu­lin et fémi­nin » (xxiv-xxv). Pour But­ler, le genre n’est pas seule­ment un sys­tème social qui attri­bue la « mas­cu­li­ni­té » et la « fémi­ni­té » à cer­tains corps sexués, c’est aus­si l’hy­po­thèse selon laquelle il existe deux ensembles « idéaux » de corps. Selon But­ler, cette hypo­thèse s’ap­puie sur une matrice « gen­rée » ou « hété­ro­nor­ma­tive » qui pro­duit ensuite la croyance en un sexe dicho­to­mique. Un tel argu­ment sub­sume le sexe sous le genre dans le cadre de l’idée aujourd’­hui com­mu­né­ment appe­lée « bina­ri­té de genre ». Comme l’é­crit But­ler (2000a), « l’institution d’une hété­ro­sexua­li­té obli­ga­toire et natu­ra­li­sée a pour condi­tion néces­saire le genre et le régule comme un rap­port binaire » (31), et « les caté­go­ries “femelle” et “mâle”, “femme” et “homme” sont éga­le­ment pro­duites dans ce cadre binaire » (32).

Pour But­ler (2000a), il convient donc de contes­ter « le carac­tère immuable du sexe » et de se deman­der si « ce que l’on appelle “sexe” est une construc­tion cultu­relle au même titre que le genre ; en réa­li­té, peut-être le sexe est-il tou­jours déjà du genre et, par consé­quent, il n’y aurait plus vrai­ment de dis­tinc­tion entre les deux » (9–10). Bien que But­ler soit l’intellectuelle la plus sou­vent citée à l’appui de l’i­déo­lo­gie trans, il est remar­quable que ni Faus­to-Ster­ling ni Roth­blatt ne fassent réfé­rence à But­ler dans leurs pre­miers argu­ments visant à dénier la réa­li­té du sexe. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que Faus­to-Ster­ling et But­ler ont com­men­cé à être asso­ciées par d’autres cher­cheurs dési­reux de pro­mou­voir l’i­dée que le sexe ne serait pas une réa­li­té maté­rielle et que les caté­go­ries « bipo­laires » mâle et femelle devraient être com­prises comme « l’ef­fet de l’hé­té­ro­sexua­li­té obli­ga­toire » ou de normes gen­rées (Bem 1995, 59).

Le troi­sième groupe d’ar­gu­ments de la néga­tion du sexe repose éga­le­ment sur l’i­dée que le sexe est construit par « le pou­voir » et vise à démon­trer que la « bina­ri­té de genre » a été créé par le colo­nia­lisme. Comme nous venons de le voir, la bina­ri­té de genre est un concept issu de la pen­sée de But­ler selon laquelle le genre construit le sexe. En tant que tel, il confond sexe et genre et sug­gère que la per­cep­tion de la dif­fé­rence sexuelle humaine est créée par l’exis­tence de rôles binaires de genre. La pre­mière ver­sion de l’ar­gu­ment concer­nant le rôle du colo­nia­lisme dans la construc­tion du sexe est appa­rue dans le pam­phlet poli­tique Trans­gen­der Libe­ra­tion de Les­lie Fein­berg (1992). L’a­na­lyse de Fein­berg était cen­trée sur sa réa­li­sa­tion du fait que les cultures amé­rin­diennes recon­nais­saient des per­sonnes « bis­pi­ri­tuelles » et hono­raient un type de diver­si­té « sexe/genre » qui a été détruit par la colo­ni­sa­tion euro­péenne. Fein­berg tra­vaillait en même temps que Roth­blatt et Faus­to-Ster­ling et les remer­cie pour leur sou­tien dans son livre Trans­gen­der War­riors (Guer­riers trans­genres) publié en 1996.

Une autre source impor­tante de cet argu­ment est l’ar­ticle de Maria Lugones (2007) « Hete­ro­sexua­lism and the Colonial/Modern Gen­der Sys­tem » (L’hétérosexualisme et le sys­tème de genre colonial/moderne), qui affirme que la « natu­ra­li­sa­tion […] de la dif­fé­rence sexuelle » est un pro­duit du sys­tème qu’elle appelle la « colo­nia­li­té du pou­voir » (195). Le récit de Lugones s’ap­puie sur d’im­por­tantes études qui expliquent com­ment les sys­tèmes de genre patriar­caux occi­den­taux ont été impo­sés aux com­mu­nau­tés autoch­tones au cours de la colo­ni­sa­tion. Cepen­dant, sa pré­ten­tion selon laquelle il s’a­gis­sait d’im­po­ser un « dimor­phisme sexuel » repose sur la sub­somp­tion du sexe au genre via la concep­tion but­le­rienne de la bina­ri­té de genre. Nous en voyons une autre illus­tra­tion dans un récent article qui exa­mine « l’im­po­si­tion d’un sexe/genre binaire dans le cadre du pro­jet colo­nia­liste euro­péen » (Cos­tel­lo 2020, nous sou­li­gnons). S’il existe mani­fes­te­ment des cultures pré­sen­tant quelque « troi­sième genre », rien ne prouve que ces socié­tés ne com­prennent pas que les humains sont divi­sés en deux sexes (Joyce 2021, 63)[1]. Une telle lec­ture est pro­duite en pro­je­tant la notion contem­po­raine de l’i­den­ti­té trans — conjoin­te­ment à l’idée selon laquelle le genre construit le sexe — sur d’autres cultures et d’autres his­toires. Elle est donc anhis­to­rique et cultu­rel­le­ment impérialiste.

Une critique féministe matérialiste radicale de la négation du sexe

Les cri­tiques expo­sées ici se fondent sur ma pers­pec­tive de fémi­niste maté­ria­liste radi­cale. Le fémi­nisme maté­ria­liste radi­cal syn­thé­tise une ana­lyse maté­ria­liste de l’ex­ploi­ta­tion des femmes avec une ana­lyse fémi­niste radi­cale de l’in­fra­struc­ture cultu­relle, psy­cho­lo­gique et onto­lo­gique de la domi­na­tion mas­cu­line. Le patriar­cat est ici com­pris comme un sys­tème d’op­pres­sion basé sur le sexe, dans lequel les hommes, en tant que classe, béné­fi­cient de l’ex­ploi­ta­tion du corps et du tra­vail des femmes, en tant que classe. Pour le fémi­nisme maté­ria­liste radi­cal, le patriar­cat est un sys­tème socio­cul­tu­rel qui s’est for­mé au cours de la tran­si­tion vers les socié­tés agraires et qui repose sur la conver­sion du corps et du tra­vail des femmes en une res­source exploi­table. L’op­pres­sion des femmes s’organise ini­tia­le­ment autour de leurs capa­ci­tés repro­duc­tives, étant don­né que ce sont ces capa­ci­tés qui per­mettent qu’elles soient trans­for­mées en res­source repro­duc­tive. L’op­pres­sion des femmes n’est cepen­dant pas déter­mi­née bio­lo­gi­que­ment par ces capa­ci­tés : le sys­tème socio­cul­tu­rel qui traite les femmes comme une res­source appro­priable n’est pas une néces­si­té mais une contin­gence his­to­rique. C’est pour­quoi le rejet du déter­mi­nisme bio­lo­gique n’implique pas d’af­fir­mer que l’op­pres­sion des femmes n’est pas liée au fait qu’elles sont des femelles (Jones 2021).

Mon ana­lyse maté­ria­liste radi­cale de l’in­fra­struc­ture cultu­relle, psy­cho­lo­gique et onto­lo­gique de la domi­na­tion mas­cu­line dérive d’une syn­thèse du fémi­nisme radi­cal et de l’é­co­fé­mi­nisme, ain­si que du fémi­nisme psy­cha­na­ly­tique et décons­truc­tion­niste fran­çais. Le genre patriar­cal est un sys­tème qui per­pé­tue la domi­na­tion mas­cu­line en pos­tu­lant un sujet mas­cu­lin par défaut, tan­dis que l’i­mage de la « femme en tant qu’autre » est créée par pro­jec­tion mas­cu­line, d’une manière qui sert les inté­rêts mas­cu­lins. Le sujet mas­cu­lin par défaut s’at­tri­bue toutes les carac­té­ris­tiques qu’il consi­dère comme « pro­pre­ment » humaines, et construit, en néga­tif, et en tant qu’autre, une pro­jec­tion gen­rée de ce qu’est la femme. La mas­cu­li­ni­té patriar­cale est ain­si asso­ciée à l’esprit/la raison/l’idée/la culture, tan­dis que les carac­té­ris­tiques déva­lo­ri­sées du corps/de l’émotion/de la matière/de la nature sont attri­buées au fémi­nin. Cette déva­lua­tion hié­rar­chique consti­tue un élé­ment essen­tiel de l’ap­pa­reil cultu­rel qui faci­lite l’ef­fa­ce­ment et l’ap­pro­pria­tion du corps des femmes et l’ex­ploi­ta­tion his­to­ri­que­ment conco­mi­tante de la terre. Selon Luce Iri­ga­ray et de nom­breuses pen­seuses éco­fé­mi­nistes, le posi­tion­ne­ment de la femme en tant qu’autre est donc lié à un sys­tème de pen­sée phi­lo­so­phique qui valo­rise l’es­prit au détri­ment du corps, l’i­dée au détri­ment de la matière et la culture au détri­ment de la nature.

Ce type d’i­déa­lisme phi­lo­so­phique s’exprime de la manière la plus signi­fi­ca­tive dans la théo­rie pla­to­ni­cienne des formes, qui influence encore les hypo­thèses contem­po­raines de nom­breuses per­sonnes sur le fonc­tion­ne­ment des concepts. Dans l’essentialisme pla­to­ni­cien, les concepts dépendent de simi­li­tudes et de dif­fé­rences abso­lues. Les membres d’une caté­go­rie par­ti­cu­lière doivent tous par­ta­ger exac­te­ment les mêmes carac­té­ris­tiques « essen­tielles » et être abso­lu­ment dif­fé­ren­ciés des membres d’autres caté­go­ries. Si les argu­ments de la néga­tion du sexe se pré­tendent sou­vent « anti-essen­tia­listes », ils pré­sup­posent pour­tant que les concepts doivent fonc­tion­ner sur la base d’es­sences par­fai­te­ment iden­tiques et que, par consé­quent, par inver­sion, les ano­ma­lies ou les cas limites prouvent qu’un concept ne ren­voie à aucune réa­li­té empi­rique et consti­tue donc un arte­fact « arbi­traire » du pou­voir. Il s’a­git donc d’une croyance idéa­liste selon laquelle la caté­go­ri­sa­tion humaine maté­ria­lise le monde. En réa­li­té, vous pou­vez jouer avec les concepts de « mâle » et de « femelle » autant que vous le sou­hai­tez, les orga­nismes mâles et femelles conti­nue­ront d’exis­ter. L’as­su­jet­tis­se­ment de la réa­li­té maté­rielle à la sou­ve­rai­ne­té impé­rieuse des concepts humains repré­sente, dans une pers­pec­tive maté­ria­liste radi­cale, une simple expres­sion de la struc­ture de la domi­na­tion patriar­cale : une mani­fes­ta­tion des hypo­thèses onto­lo­giques idéa­listes qui faci­litent l’as­su­jet­tis­se­ment et l’ap­pro­pria­tion de la matière et de la terre, ain­si que l’ex­ploi­ta­tion du corps et des capa­ci­tés repro­duc­tives des femmes.

En gar­dant cela à l’es­prit, nous allons main­te­nant cri­ti­quer les dif­fé­rents argu­ments de la néga­tion du sexe. Comme nous l’a­vons vu, l’ar­gu­ment selon lequel le sexe serait un conti­nuum repose sur l’instrumentalisation des per­sonnes atteintes de condi­tions « inter­sexes » — on parle aus­si de DSD (Disor­der [ou Dif­fe­rence] of Sex Deve­lop­ment, soit « désordre [ou dif­fé­rence] du déve­lop­pe­ment sexuel »). Il est sou­vent étayé par des affir­ma­tions exa­gé­rées concer­nant l’in­ci­dence des DSD, que Faus­to-Ster­ling (1993, 21) a d’a­bord esti­mée à 4 %, puis rame­née à 1,7 % (Bla­ck­less et al. 2000), puis à 0,4 % (Hull et Faus­to-Ster­ling 2003). Comme Hil­ton et Wright l’ex­pliquent dans ce volume, l’in­ci­dence des DSD a été esti­mée à 0,018 % par Leo­nard Sax (2002). Hull (2005) a attri­bué la sur­es­ti­ma­tion de l’in­ci­dence des DSD par Faus­to-Ster­ling à une « phi­lo­so­phie […] trop enra­ci­née dans la décou­verte de taux rela­ti­ve­ment éle­vés de non-dimor­phisme sexuel » (68).

Faus­to-Ster­ling (2000b) s’in­ves­tit dans cette « décou­verte » parce qu’elle se consi­dère en lutte contre le « monde bio­lo­gique pla­to­ni­cien et idéa­li­sé », dans lequel « les êtres humains sont divi­sés en deux types : une espèce donc par­fai­te­ment dimor­phique » (19–20). Ce qui illustre et confirme le fait que des hypo­thèses pla­to­ni­ciennes sous-tendent l’idéologie de la néga­tion du sexe. Faus­to-Ster­ling s’imagine réfu­ter le pla­to­nisme, alors même que son argu­ment repose sur l’hy­po­thèse selon laquelle les dif­fé­rences empi­riques signi­fi­ca­tives entre « deux types » doivent se mani­fes­ter avec une régu­la­ri­té abso­lu­ment « par­faite ». La lit­té­ra­ture de la néga­tion du sexe est truf­fée d’affirmations telles que « la dis­tinc­tion phy­sique entre les hommes et les femmes n’est pas abso­lue » (Whit­tle [1999] 2002, 7) et de remarques comme quoi nous ne pou­vons pas « tra­cer une ligne de démar­ca­tion stricte entre les sexes » (Hines 2020, 709). Dans la réa­li­té, la plu­part des phé­no­mènes empi­riques pré­sentent des cas limites. Nous ne pou­vons pas « tra­cer une ligne par­faite » entre, par exemple, le jour et la nuit ou le chaud et le froid, mais nous n’en concluons pas pour autant qu’il n’existe pas de dis­tinc­tion signi­fi­ca­tive entre eux, que ces concepts ne ren­voient à rien, ou qu’ils ont été créés par « le pou­voir ». Les phé­no­mènes empi­riques pré­sentent géné­ra­le­ment des déli­néa­tions impré­cises. Et les concepts humains fonc­tionnent tou­jours par­fai­te­ment avec des contours flous.

En outre, il n’est pas vrai que, comme l’a affir­mé Whit­tle ([1999] 2002), le sexe humain est « un conti­nuum, avec des carac­té­ris­tiques femelles à une extré­mi­té et mâles à l’autre » (7). Une situa­tion dans laquelle plus de 99 % des per­sonnes se situent à l’un ou l’autre des « extrêmes » et où il n’existe qu’un nombre infime de cas ambi­gus ne cor­res­pond pas à un « conti­nuum ». Il s’a­git d’une dif­fé­rence phy­sique dicho­to­mique avec un petit nombre d’ir­ré­gu­la­ri­tés dues au fait que le sexe résulte d’un pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment com­plexe. En outre, si ces voies de déve­lop­pe­ment se carac­té­risent par un très faible degré d’ir­ré­gu­la­ri­té, le déve­lop­pe­ment sexuel humain ne com­prend que deux voies, ayant évo­lué en vue de pro­duire un orga­nisme capable de rem­plir l’une des deux fonc­tions repro­duc­tives. La dif­fé­rence entre les ovaires et les tes­ti­cules n’est pas une ques­tion quan­ti­ta­tive, de degré, mais une dif­fé­rence qua­li­ta­tive, de nature. Chaque struc­ture a évo­lué pour pro­duire l’un des deux types de gamètes néces­saires à la fécon­da­tion dans les règnes végé­tal et ani­mal (Hil­ton et Wright, 2020) .

Il est impor­tant de sou­li­gner ici que le concept de sexe désigne « les deux caté­go­ries prin­ci­pales (mâle et femelle) dans les­quelles […] de nom­breux […] êtres vivants sont divi­sés sur la base de leurs fonc­tions repro­duc­tives » (Oxford English Dic­tio­na­ry ; je sou­ligne). La dis­tinc­tion, chez l’être humain, entre la fonc­tion « peut pro­duire du sperme et insé­mi­ner » et la fonc­tion « peut pro­duire des ovules et tom­ber enceinte » n’est pas une dif­fé­rence de degré. Le sexe désigne la fonc­tion de repro­duc­tion, et la fonc­tion de repro­duc­tion est une dif­fé­rence de nature. La mor­pho­lo­gie sexuelle humaine a évo­lué pour rem­plir des fonc­tions repro­duc­tives par­ti­cu­lières. Le fait que cer­taines per­sonnes ayant une mor­pho­lo­gie par­ti­cu­lière ne puissent pas rem­plir cette fonc­tion en rai­son d’a­no­ma­lies du déve­lop­pe­ment, de mala­dies ou d’ac­ci­dents ne signi­fie pas qu’elles cessent d’appartenir à une des deux caté­go­ries ou qu’elles ne peuvent pas être iden­ti­fiées (Bogar­dus, 2022). Par ailleurs, les indi­vi­dus qui pré­sentent une ambi­guï­té dans leurs carac­té­ris­tiques sexuelles ne relèvent pas d’un troi­sième ou d’un qua­trième type de fonc­tion repro­duc­tive parce qu’il n’existe que deux pos­si­bi­li­tés. En d’autres termes, il n’y a pas « plus de deux sexes ».

Comme nous l’a­vons vu, cer­tains argu­ments de la néga­tion du sexe uti­lisent la sté­ri­li­té humaine pour affir­mer que le « sexe » ne désigne pas la fonc­tion de repro­duc­tion. Cet argu­ment relève éga­le­ment d’un essen­tia­lisme pla­to­ni­cien, c’est-à-dire de l’idée que chaque membre d’une caté­go­rie doit pré­sen­ter toutes les carac­té­ris­tiques essen­tielles de cette caté­go­rie et, par inver­sion, que les ano­ma­lies inva­lident fata­le­ment l’existence d’une caté­go­rie ou qu’elles ne peuvent être caté­go­ri­sées. C’est mani­fes­te­ment faux. Un zèbre albi­nos est un zèbre. Un mug dont l’anse est cas­sée reste iden­ti­fiable en tant que mug. Le fait que les humains soient bipèdes ne devient pas faux parce que cer­tains humains perdent une jambe. Et les uni­jam­bistes sont des êtres humains. Ce type d’er­reur cor­res­pond à une confu­sion entre d’une part des défi­ni­tions post hoc et des théo­ries sur la manière dont nous caté­go­ri­sons, et d’autre part l’exis­tence des choses en elles-mêmes et la manière dont nous caté­go­ri­sons réel­le­ment. Les humains sont remar­qua­ble­ment doués pour la caté­go­ri­sa­tion et remar­qua­ble­ment mau­vais pour expli­quer com­ment ils y par­viennent. Mais notre apti­tude à caté­go­ri­ser est mani­fes­te­ment beau­coup plus com­plexe qu’une simple his­toire pla­to­ni­cienne de dis­tinc­tions par­faites et de pro­prié­tés défi­ni­tion­nelles « essen­tielles ». Autre­ment, nous ne pour­rions pas iden­ti­fier les membres anor­maux des caté­go­ries — ce que nous fai­sons, avec une grande faci­li­té, tout le temps.

Les divers argu­ments selon les­quels le genre pro­duit le sexe amal­gament tous les dif­fé­rences sexuelles dicho­to­miques et les normes sociales liées au genre sous le cadre concep­tuel de la bina­ri­té de genre. Ces argu­ments reposent sur l’ef­fa­ce­ment des dif­fé­rences maté­rielles entre les hommes et les femmes et leur sub­somp­tion sous des normes sociales au moyen de la néga­tion du fait que les humains peuvent conce­voir la réa­li­té du sexe indé­pen­dam­ment du « cadre de pen­sée binaire sur le genre » (But­ler 1990, xxx). La plus frap­pante illus­tra­tion de ce phé­no­mène est le rejet sim­pliste par Kess­ler et McKen­na (1978) de la capa­ci­té humaine à déter­mi­ner le sexe d’autres humains avec un haut degré de fia­bi­li­té sur la base des carac­té­ris­tiques sexuelles secon­daires, au pré­texte que les humains ne seraient pas aus­si sexuel­le­ment dimor­phiques que, par exemple, les paons. L’assertion selon laquelle nous serions la seule espèce ani­male inca­pable de déter­mi­ner le sexe de ses congé­nères sans recou­rir à des indices cultu­rels consti­tue un déni absurde de notre évo­lu­tion bio­lo­gique et une forme poli­ti­que­ment sus­pecte d’ex­cep­tion­na­lisme humain. En outre, le fait que nous ayons déve­lop­pé des tech­niques chi­rur­gi­cales et que nous les ayons uti­li­sées de manière dou­teuse pour « assi­gner » un sexe à des enfants pré­sen­tant des organes géni­taux ambi­gus ne consti­tue pas, comme le pré­tend Faus­to-Ster­ling (2000a), une « his­toire lit­té­rale » de la « construc­tion sociale » de toute dési­gna­tion de sexe. Comme nous l’a­vons vu, la grande majo­ri­té des bébés humains naissent sans équi­voque de sexe mas­cu­lin ou fémi­nin. Leur sexe est alors consta­té sur la base de l’ob­ser­va­tion de leurs organes géni­taux, puis enregistré.

L’ar­gu­ment de But­ler (1990) repose fon­da­men­ta­le­ment sur un amal­game entre le sexe et le genre et, à la suite de Fou­cault, sur l’hypo­thèse selon laquelle le concept de sexe inclut « le sexe, le genre » et « le désir » (xxxi). Il est exact que la culture occi­den­tale patriar­cale n’a conçu, de manière nor­ma­tive, que deux rôles de genre, qui découlent « natu­rel­le­ment » du sexe et se conforment à l’un des deux rôles dans l’appariement hété­ro­sexuel. Mais cela ne signi­fie pas que le concept du sexe contient intrin­sè­que­ment des hypo­thèses patriar­cales et hété­ro­nor­ma­tives sur le genre ou que ces hypo­thèses sont bio­lo­gi­que­ment déter­mi­nées par l’exis­tence ou la connais­sance du sexe. S’il existe mani­fes­te­ment une zone limi­nale d’in­te­rac­tion entre le sexe et le genre, il s’a­git néan­moins de concepts ana­ly­ti­que­ment dif­fé­rents. Et s’il est tout à fait rai­son­nable de par­ler de la construc­tion des rôles de genre et de leur rela­tion avec la sexua­li­té, il est beau­coup moins rai­son­nable de sou­te­nir, comme le fait But­ler, que la régu­la­ri­té de la dif­fé­rence sexuelle humaine est « aus­si construite » que le genre. Dans Trouble dans le genre, But­ler (1990) ne four­nit aucun argu­ment cohé­rent à l’appui de cette asser­tion. Elle fonde son ana­lyse sur l’assimilation fou­cal­dienne entre bio­lo­gie, com­por­te­ment et sexua­li­té et, de là, se demande si le sexe n’est pas « tou­jours déjà du genre » et si, par consé­quent, « la dis­tinc­tion entre les deux » n’est pas caduque (9–10).

Il s’a­git de rhé­to­rique dégui­sée en démons­tra­tion phi­lo­so­phique (une tech­nique but­lé­rienne cou­rante) — et d’une idée mani­fes­te­ment cir­cu­laire. Par­tir du prin­cipe que le concept de sexe contient le concept de genre, ce n’est pas l’a­voir démon­tré. Dans Ces corps qui comptent, But­ler (1993) tente de jus­ti­fier son éli­sion de la maté­ria­li­té du corps en uti­li­sant le type d’ar­gu­ment pla­to­ni­cien dont nous avons déjà par­lé, qui sug­gère qu’une dif­fé­rence empi­rique signi­fi­ca­tive exige une déli­néa­tion par­faite. La « cri­tique modé­rée pour­rait admettre », écrit-elle, « qu’une par­tie du “sexe” est construite, mais qu’une autre ne l’est cer­tai­ne­ment pas, et se trou­ve­rait alors, bien sûr, dans l’o­bli­ga­tion de tra­cer la ligne entre ce qui est construit et ce qui ne l’est pas » (But­ler 1993, 11). Cette affir­ma­tion repose à nou­veau sur l’i­dée selon laquelle la limi­na­li­té inva­lide la pos­si­bi­li­té d’une dif­fé­rence signi­fi­ca­tive. De même que pour la dif­fé­rence entre les hommes et les femmes, je sou­tiens que tel n’est pas le cas (cf. Jones 2018).

Bien qu’il ait été inté­gré à l’argumentaire de la néga­tion du sexe, à l’origine, l’amalgame de But­ler entre sexe et genre est appa­ru dans le contexte de débats fémi­nistes sur la manière de com­prendre la rela­tion entre ces concepts clés. À par­tir des années 1980, les fémi­nistes se sont mon­trées de plus en plus divi­sées concer­nant la dis­tinc­tion entre sexe et genre. Pour cer­taines fémi­nistes socia­listes, la pers­pec­tive du fémi­nisme radi­cal, selon laquelle l’oppression patriar­cale se fonde sur le sexe, était « ahis­to­rique » et bio­lo­gi­que­ment déter­mi­niste. Cette pré­oc­cu­pa­tion a été relayée par des fémi­nistes post-struc­tu­relles telles que Joan Scott (1986), dont l’in­fluent article inti­tu­lé « Gen­der : A Use­ful Cate­go­ry of His­to­ri­cal Ana­ly­sis » (Le genre : une caté­go­rie utile d’a­na­lyse his­to­rique) reje­tait l’i­dée que le patriar­cat découle de « l’ap­pro­pria­tion par les hommes […] du tra­vail repro­duc­tif » au pré­texte que cela « repose sur la seule variable de la dif­fé­rence phy­sique » (34). Pour Scott, l’a­na­lyse fon­dée sur le sexe sup­po­sait « l’an­his­to­ri­ci­té du genre lui-même » et ne pou­vait rendre compte de sa « construc­tion sociale ou cultu­relle » (34).

Il s’a­git là d’un mal­en­ten­du fon­da­men­tal : le genre patriar­cal est un sys­tème de normes et de valeurs cultu­relles qui a été déve­lop­pé afin de per­mettre aux hommes de s’ap­pro­prier les femmes en tant que res­sources repro­duc­tives et sexuelles. En d’autres termes, le genre consti­tue un méca­nisme his­to­rique d’ex­trac­tion de res­sources. Ce méca­nisme ne découle pas par néces­si­té de l’exis­tence de la res­source, de même que le com­merce inter­na­tio­nal du pétrole n’avait pas à décou­ler fata­le­ment de l’exis­tence du pétrole. Ce qui ne signi­fie pas pour autant que le motif de l’ap­pro­pria­tion d’une res­source n’est pas lié à ses pro­prié­tés maté­rielles. Les hommes veulent contrô­ler le corps des femmes parce que les femmes sont des femmes et que les femmes pos­sèdent les capa­ci­tés repro­duc­tives dont les hommes ont besoin pour pro­duire une pro­gé­ni­ture. Le genre patriar­cal est le méca­nisme qui a été déve­lop­pé his­to­ri­que­ment pour per­mettre aux hommes de contrô­ler cette res­source (Jones 2021).

Les fémi­nistes fou­cal­diennes semblent l’i­gno­rer, par­tant du prin­cipe que si le sexe est lié au genre, alors il doit le déter­mi­ner de manière nor­ma­tive. Dans Sex, Gen­der and the Body, Toril Moi (2005) ana­lyse un entre­tien de 1993 dans lequel But­ler sou­tient que le fait d’affirmer la « maté­ria­li­té du corps » implique néces­sai­re­ment « l’imposition dis­cur­sive d’une norme » concer­nant « l’ins­ti­tu­tion sociale de la repro­duc­tion » (41). Toril Moi remarque que But­ler pense appa­rem­ment que si l’on consi­dère que la « dif­fé­rence sexuelle » est liée à « la fonc­tion repro­duc­tive poten­tielle du corps », c’est que l’on « adhère à une idéo­lo­gie sexiste répres­sive » (41). Il s’agit d’une hypo­thèse déter­mi­niste éga­le­ment expri­mée par l’idée selon laquelle croire « qu’il n’existe que deux sexes […] doit être hété­ro­sexiste » (38). Ce type d’hy­po­thèse se mani­feste aus­si dans l’af­fir­ma­tion tran­sac­ti­viste cou­rante selon laquelle qui­conque pense que les femmes sont des femelles est cou­pable de « bioes­sen­tia­lisme » et doit (aus­si) pen­ser que seules les per­sonnes de sexe fémi­nin peuvent se com­por­ter de manière « fémi­nine ». Nous avons semble-t-il affaire à une confu­sion entre l’i­dée phi­lo­so­phique selon laquelle les caté­go­ries humaines fonc­tionnent sur le mode des « essences » pla­to­ni­ciennes (ce qui est faux) et l’u­ti­li­sa­tion fémi­niste du terme « essen­tia­lisme » pour dési­gner le « déter­mi­nisme bio­lo­gique ». Comme l’é­crit Moi : « S’imaginant que par­ler de faits bio­lo­giques, c’est […] par­ler d’es­sences […] de nom­breux post-struc­tu­ra­listes croient que, pour évi­ter le déter­mi­nisme bio­lo­gique, il faut adhé­rer au nomi­na­lisme phi­lo­so­phique », ce qui est « mani­fes­te­ment absurde » (43). Toril Moi note en outre qu’il n’y a « aucune rai­son valable de sup­po­ser » que qui­conque affirme la réa­li­té maté­rielle du sexe fait preuve d’« essen­tia­lisme dans le mau­vais sens poli­tique du terme » (36). En effet, « pour évi­ter le déter­mi­nisme bio­lo­gique, il suf­fit de reje­ter l’idée selon laquelle les faits bio­lo­giques jus­ti­fient les valeurs sociales » (43).

Tou­te­fois, étant don­né que les fémi­nistes fou­cal­diennes partent du prin­cipe que les faits rela­tifs au sexe bio­lo­gique créent néces­sai­re­ment des normes sociales gen­rées, elles en concluent que le seul moyen d’é­vi­ter le déter­mi­nisme bio­lo­gique consiste à nier l’exis­tence de faits bio­lo­giques et à les sub­su­mer sous la construc­tion sociale du genre. Ce rai­son­ne­ment est mani­feste dans toute la lit­té­ra­ture de la néga­tion du sexe, qui sou­tient sou­vent très expli­ci­te­ment qu’elle a pour objec­tif l’effacement des conven­tions et des hié­rar­chies sociales liées au genre. Comme l’é­crivent Kess­ler et McKen­na (1978), « une fois qu’une dicho­to­mie phy­sique a été construite, il est presque impos­sible d’é­li­mi­ner les dicho­to­mies socio­lo­giques et psy­cho­lo­giques » (164). Elles pour­suivent, dans un pas­sage qui mérite d’être cité longuement :

« Tant que les caté­go­ries femelle et mâle se pré­sen­te­ront aux gens dans la vie quo­ti­dienne comme des faits phy­siques externes, objec­tifs, dicho­to­miques, il y aura des recherches scien­ti­fiques et naïves de dif­fé­rences et des dif­fé­rences seront trou­vées. Là où il y a des dicho­to­mies, il est dif­fi­cile d’é­vi­ter d’examiner l’une par rap­port à l’autre, ce qui consti­tue une base solide pour la dis­cri­mi­na­tion et l’op­pres­sion. Tant que le genre, dans toutes ses mani­fes­ta­tions, y com­pris phy­siques, ne sera pas consi­dé­ré comme une construc­tion sociale, il ne sera pas pos­sible d’a­gir pour chan­ger radi­ca­le­ment nos pro­po­si­tions incor­ri­gibles. Les gens doivent être confron­tés à la réa­li­té d’autres pos­si­bi­li­tés ain­si qu’à la pos­si­bi­li­té d’autres réa­li­tés. » (164)

Par « pro­po­si­tions incor­ri­gibles », le jar­gon eth­no­mé­tho­do­lo­gique désigne cer­taines hypo­thèses de base ou « axiomes incon­tes­tables » (4) sur le monde, dont la plus fon­da­men­tale, nous disent Kess­ler et McKen­na, est « la croyance que le monde existe indé­pen­dam­ment de notre pré­sence, et que les objets ont une réa­li­té indé­pen­dante et une iden­ti­té constante » (4). Il s’a­git là d’une admis­sion sur­pre­nante de la mesure dans laquelle le déni du sexe se fonde sur le rejet idéa­liste d’un monde maté­riel exis­tant par-delà notre propre cog­ni­tion. Bien qu’il s’a­gisse d’une forme absurde de solip­sisme nar­cis­sique, ce type de construc­ti­visme radi­cal a quelque chose d’ex­trê­me­ment sédui­sant. D’abord, aux yeux de certain·es, il peut paraître d’une extra­or­di­naire sophis­ti­ca­tion, par contraste avec la croyance pré­ten­du­ment « naïve » ou « sim­pliste » selon laquelle nos concepts sai­sissent des phé­no­mènes réels (à un degré ou à un autre). Ensuite, il semble offrir la pos­si­bi­li­té d’un chan­ge­ment social entiè­re­ment contrô­lé par les idéaux humains, affran­chi de toute limite natu­relle ou matérielle.

Faus­to-Ster­ling (2000a), par exemple, indique clai­re­ment que son enga­ge­ment à « remettre en ques­tion les idées concer­nant la divi­sion mâle/femelle » (79) est moti­vé par la vision d’un « monde où les sexes se sont mul­ti­pliés » et où « toutes ces oppo­si­tions […] seront dis­soutes au motif qu’elles sont sources de divi­sion » (1993, 24). De la même manière, les « pion­niers du genre » (gen­der­pio­neers) de Roth­blatt (1992) nous libé­re­ront de « la fic­tion per­ni­cieuse des classes sépa­rées de mâles et de femelles […] avec les rôles de genre sépa­rés qui y sont asso­ciés […] qui a été par­ti­cu­liè­re­ment injuste pour les femmes depuis des temps immé­mo­riaux » (268). But­ler dédie la pré­face de 1999 de Trouble dans le genre à la « lutte col­lec­tive » visant à mul­ti­plier « les pos­si­bi­li­tés de vivre leur vie pour celles et ceux qui vivent, ou essaient de vivre, leurs sexua­li­tés dans les marges » (xxviii). Sa pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale n’est donc pas l’op­pres­sion des femmes. Cela n’a rien de pro­blé­ma­tique en soi — cha­cun a le droit de s’in­té­res­ser aux causes poli­tiques qui lui tiennent le plus à cœur. Le pro­blème, c’est que cet ouvrage de But­ler est pro­ba­ble­ment le texte de réfé­rence du fémi­nisme de la troi­sième vague et qu’il a géné­ré une cen­sure nor­ma­tive mas­sive de l’a­na­lyse maté­ria­liste de l’op­pres­sion des femmes au sein du fémi­nisme.

En effet, toutes ces élu­cu­bra­tions ont des impli­ca­tions tota­li­taires. Car si le déni du sexe est le seul moyen de nous libé­rer des hié­rar­chies oppres­sives, alors toute per­sonne affir­mant la réa­li­té maté­rielle du sexe ne sau­rait être moti­vée que par le désir de per­pé­tuer cette oppres­sion. Dans les cercles « pro­gres­sistes », cela a contri­bué à la for­ma­tion du cadre dis­ci­pli­naire uti­li­sé pour jus­ti­fier la dif­fa­ma­tion géné­ra­li­sée des fémi­nistes cri­tiques du genre, qui sont sou­vent accu­sées, sans preuve, d’être des agents « pri­vi­lé­giés » du sta­tu quo. Ce que la plu­part des mili­tants de l’i­den­ti­té de genre refusent de réa­li­ser, c’est qu’il existe des per­sonnes hon­nêtes et sou­cieuses de jus­tice qui pensent sim­ple­ment que la néga­tion du sexe est une erreur, que le monde maté­riel existe et qu’il peut être connu avec un haut degré de fia­bi­li­té, et qui consi­dèrent qu’une inter­ven­tion poli­tique effi­cace devrait être basée sur la façon dont le monde fonc­tionne réel­le­ment plu­tôt que sur des sou­haits. Ce qui ne sera jamais admis non plus, c’est que de nom­breuses fémi­nistes sont véri­ta­ble­ment enga­gées dans une ana­lyse maté­ria­liste de l’op­pres­sion des femmes et ne sont pas dis­po­sées à aban­don­ner cette ana­lyse pour une théo­rie qui contre­dit le sens com­mun et qui ne résiste pas au moindre exa­men logique, qui n’est pas en mesure d’ex­pli­quer pour­quoi le genre existe en pre­mier lieu et qui exige que nous croyions tous que l’op­pres­sion patriar­cale s’évaporera dès que nous pré­ten­drons que le sexe n’est pas réel. D’ailleurs, le fait que l’i­déo­lo­gie de l’i­den­ti­té de genre ne résiste pas à l’in­ter­ro­ga­tion explique sans doute en grande par­tie pour­quoi ses défen­seurs s’acharnent tant à dia­bo­li­ser et cen­su­rer leurs critiques.

La der­nière série d’ar­gu­ments de la néga­tion du sexe que nous avons men­tion­née affirme que la bina­ri­té de genre a été créée par le pro­ces­sus de la colo­ni­sa­tion euro­péenne. Comme nous l’a­vons vu, le concept de la bina­ri­té de genre, qui s’est en réa­li­té déve­lop­pé à par­tir des argu­ments but­le­riens selon les­quels le genre construit le sexe, confond la per­cep­tion de la dif­fé­rence sexuelle humaine avec la struc­ture « binaire » du genre patriar­cal. Cet amal­game est un élé­ment néces­saire de ces argu­ments, car s’il est plus que plau­sible de sug­gé­rer que les conven­tions patriar­cales occi­den­tales ont modi­fié les rôles de genre, l’ac­cep­ta­tion de l’ho­mo­sexua­li­té et les struc­tures sociales rela­tives à la non-confor­mi­té au genre, rien ne per­met d’af­fir­mer que les socié­tés amé­rin­diennes, ou toute autre culture pré­sen­tant quelque troi­sième genre, ne per­ce­vaient pas les dif­fé­rences sexuelles bio­lo­giques. L’on pour­rait même consi­dé­rer que sug­gé­rer que les peuples colo­ni­sés étaient inca­pables de déter­mi­ner le sexe des êtres humains et ne com­pre­naient pas les méca­nismes de la repro­duc­tion sexuelle jus­qu’à l’ar­ri­vée des Blancs consti­tue une forme d’aveuglement his­to­rique et un arte­fact de la hié­rar­chie raciale entre peuples « civi­li­sés » et « primitifs ».

Le motif de cet argu­ment me semble en par­tie expli­cable par la struc­ture dis­ci­pli­naire de l’i­déo­lo­gie trans. Convaincre les gens que les humains ne sont pas sexués est assez dif­fi­cile. Si vous pou­vez les per­sua­der que le « sexe » est un arte­fact du supré­ma­cisme blanc et du colo­nia­lisme et qu’il est donc intrin­sè­que­ment raciste, vous ren­for­cez l’at­trait de votre argu­ment aux yeux des per­sonnes qui se consi­dèrent comme pro­gres­sistes. C’est éga­le­ment pour­quoi l’ex­pres­sion « le colo­nia­lisme a inven­té la bina­ri­té de genre » cir­cule dans le dis­cours tran­si­den­ti­taire, de concert avec l’i­dée selon laquelle la com­pré­hen­sion de la réa­li­té du sexe bio­lo­gique est carac­té­ris­tique du « fémi­nisme blanc » (voir par exemple Upadhyay 2021). Une asser­tion for­mu­lée en dépit du fait que de nom­breuses femmes noires rejettent éga­le­ment la néga­tion du sexe, qu’il s’a­gisse de célé­bri­tés comme Chi­ma­man­da Ngo­zi Adi­chie ou d’ac­ti­vistes notables de la cri­tique du genre comme Alli­son Bai­ley ou Raquel Rosa­rio Sán­chez. Ces récits ne prennent pas non plus en compte le fait que la cri­tique ori­gi­nale de bell hooks (1984) du « fémi­nisme blanc » était axée sur les capi­tu­la­tions des fémi­nistes libé­rales face au patriar­cat capi­ta­liste et n’a­vait abso­lu­ment rien à voir avec la capa­ci­té humaine à recon­naître le sexe.

Ces argu­ments sont éga­le­ment liés à l’in­ter­pré­ta­tion déli­bé­ré­ment erro­née du concept, issu du fémi­nisme noir, de l’« inter­sec­tion­na­li­té » qui per­met, à juste titre, de sou­li­gner la manière dont le fémi­nisme uni­ver­sa­lise l’ex­pé­rience des femmes blanches de la classe moyenne lors­qu’il ne tient pas compte des axes de la race et de la classe. Ce qui a mal­heu­reu­se­ment été inter­pré­té comme signi­fiant que le concept même de « femme » ne désigne que la « fémi­ni­té bour­geoise blanche » (un autre amal­game sexe/genre) et que les femmes noires ont été his­to­ri­que­ment exclues de la classe des femmes. Et ce qui a ensuite été uti­li­sé pour pré­tendre que si les femmes noires sont des femmes, alors il en va de même pour les « femmes trans­genres ». Bien qu’elle soit pré­sen­tée comme anti­ra­ciste, cette affir­ma­tion, qui ne signi­fie pas autre chose que « si les femmes noires sont des femmes, alors les hommes sont des femmes », évoque la mas­cu­li­ni­sa­tion his­to­rique des femmes noires et est, en fait, raciste. Les supré­ma­cistes blancs patriar­caux ont peut-être esti­mé que les femmes noires n’étaient pas suf­fi­sam­ment « fémi­nines » pour être consi­dé­rées comme des femmes, mais il n’y a aucune rai­son d’adhé­rer à leur logique. Les femmes noires sont des femelles, et le fait d’être une femelle est la seule qua­li­fi­ca­tion requise pour être une femme. Comme le sou­ligne Lugones, au cours de la colo­ni­sa­tion, les idées de genre ont été inex­tri­ca­ble­ment liées à la hié­rar­chie raciale. Mais « les femmes » ne sont pas « la fémi­ni­té bour­geoise blanche ». Les défi­nir comme telles per­pé­tue un sys­tème de pen­sée raciste, sexiste et classiste.

Conclusion

L’i­déo­lo­gie de l’i­den­ti­té de genre, appa­rue au début des années 1990, repose sur deux com­plexes de croyances : l’« essen­tia­lisme de l’i­den­ti­té de genre » et la « néga­tion du sexe ». Comme nous l’a­vons vu, la néga­tion du sexe repose sur une série d’ar­gu­ments, déve­lop­pés au cours des cin­quante der­nières années, qui pré­tendent que le sexe est un conti­nuum, qui confondent le sexe et le genre et qui consi­dèrent la per­cep­tion du dimor­phisme sexuel humain comme un arte­fact his­to­rique et oppres­sif du pou­voir. Nous avons explo­ré l’his­toire de la néga­tion du sexe pour com­prendre com­ment ces argu­ments tentent de repré­sen­ter le sexe comme une construc­tion his­to­rique et avons consta­té qu’ils ne résistent pas à un exa­men empi­rique ou logique. Tan­dis que la néga­tion du sexe contem­po­raine s’imagine conforme à la cri­tique tra­di­tion­nelle de l’i­déo­lo­gie en « dévoi­lant » la façon dont des normes his­to­riques se pré­sentent comme « natu­relles », elle en consti­tue en fait une inver­sion dis­tinc­tive visant à convaincre les gens qu’un méca­nisme bio­lo­gique évo­lué, vieux de plu­sieurs mil­liards d’an­nées, serait en fait une construc­tion his­to­rique récente, sus­ci­tée par des motifs poli­tiques clairs.

Les fémi­nistes maté­ria­listes radi­cales, en revanche, conservent la dis­tinc­tion éta­blie par le fémi­nisme de la deuxième vague entre la réa­li­té maté­rielle du sexe et la construc­tion cultu­relle du genre. Nous sou­te­nons que l’as­su­jet­tis­se­ment des femmes aux normes sociales et aux valeurs cultu­relles du genre patriar­cal est un déve­lop­pe­ment his­to­rique visant à conver­tir les capa­ci­tés repro­duc­tives et le tra­vail domes­tique des femmes en une res­source appro­priable. Si la manière dont les humains orga­nisent socia­le­ment la repro­duc­tion et le tra­vail repro­duc­tif au sens large est his­to­ri­que­ment contin­gente et sus­cep­tible d’être trans­for­mée, le sexe n’est pas un arte­fact his­to­rique. Étant don­né que les fémi­nistes maté­ria­listes radi­cales pensent que l’op­pres­sion des femmes est fon­dée sur l’ap­pro­pria­tion maté­rielle du corps et du tra­vail des femmes, nous ne pen­sons pas qu’elle puisse être cor­ri­gée en jouant sim­ple­ment avec nos concepts ou en décré­tant l’i­nexis­tence du sexe. Un monde plus juste pour les femmes exige plu­tôt une trans­for­ma­tion maté­rielle des condi­tions du tra­vail domes­tique et repro­duc­tif des femmes. La néga­tion du sexe entrave cette trans­for­ma­tion en effa­çant les concepts néces­saires pour décrire l’op­pres­sion des femmes et s’or­ga­ni­ser poli­ti­que­ment pour la com­battre. Elle n’est donc pas dans l’in­té­rêt maté­riel des femmes en tant que classe de sexe.

Jane Clare Jones

Tra­duc­tion : Nico­las Casaux


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  1. On sou­li­gne­ra que la concep­tion d’un « troi­sième genre » repose néces­sai­re­ment sur la com­pré­hen­sion du fait qu’il existe deux sexes. C’est parce qu’elles com­pre­naient très bien qu’il existe deux sexes et qu’elles assi­gnaient des attri­buts par­ti­cu­liers à cha­cun d’entre eux que ces cultures ont pu conce­voir des « troi­sièmes genres » : des per­sonnes d’un sexe adop­tant les attri­buts tra­di­tion­nel­le­ment assi­gnés à l’autre. NdT

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