Transidentité : de toujours plus nombreuses familles confrontées à de nombreuses inconnues (reportage Reuters)

Transidentité : de toujours plus nombreuses familles confrontées à de nombreuses inconnues (reportage Reuters)

Note du tra­duc­teur : si j’ai choi­si de tra­duire cet article ini­tia­le­ment paru, en anglais, le 6 octobre 2022 sur le site de Reu­ters, c’est parce qu’il est rare que des médias de masse publient des inves­ti­ga­tions de ce genre sur le sujet de la tran­si­den­ti­té. Non pas que cette enquête soit par­ti­cu­liè­re­ment excel­lente. Elle ne l’est pas. Sim­ple­ment, elle ne relève pas de la dés­in­for­ma­tion ter­ri­ble­ment gro­tesque et men­son­gère à laquelle on a habi­tuel­le­ment droit. Elle met en lumière de véri­tables pro­blèmes, des véri­tés qui dérangent, comme on dit. Tout en véhi­cu­lant les inep­ties et les absur­di­tés habi­tuelles de l’idéologie trans.


Dans tous les États-Unis, des mil­liers de jeunes font la queue pour rece­voir des soins d’« affir­ma­tion du genre ». Mais lorsque les familles décident de suivre la voie médi­cale, elles doivent prendre des déci­sions concer­nant des trai­te­ments aux effets irré­ver­sibles, qui bou­le­versent l’existence, et dont la sécu­ri­té et l’ef­fi­ca­ci­té à long terme ne sont guère prou­vées scientifiquement.

BELPRE, Ohio — Pen­dant les deux heures de route du retour de l’hô­pi­tal, Danielle Boyer n’a ces­sé de se remé­mo­rer les ques­tions du méde­cin. Son enfant Ryace, alors âgée de 12 ans, enten­dait-elle des voix ? Pre­nait-elle des drogues illé­gales ? Avait-elle déjà été hos­pi­ta­li­sée pour un trai­te­ment psy­chia­trique ? S’é­tait-elle déjà mutilée ?

Danielle était encore sous le choc lors­qu’elle et Ryace sont arri­vées chez elles, dans cette petite ville nichée dans un méandre de la rivière Ohio. Le dîner devrait attendre. Elle devait par­ler à son mari. « Ils nous posaient ces ques­tions tristes et ter­ribles », dit-elle à Steve Boyer, avec qui elle était assise par terre dans leur garage ce soir d’août 2020. « Savais-tu que des enfants ont essayé de se suicider ? »

« Je n’en savais rien », a‑t-il répondu.

Ryace [pro­non­cez wraille-eusse] a été assi­gnée de sexe mas­cu­lin à la nais­sance, mais dès l’âge de 4 ans, il était clair pour ses parents qu’elle s’i­den­ti­fiait comme une fille [sauf cer­taines per­sonnes inter­sexuées, per­sonne ne se voit assi­gner un sexe à la nais­sance, notre sexe est sim­ple­ment consta­té ou obser­vé, NdT]. Elle se consi­dé­rait comme une fille. Elle vou­lait s’ha­biller comme une fille [sexisme ordi­naire, un gar­çon ou une fille doivent pou­voir por­ter les vête­ments qu’il ou elle désire, une affi­ni­té pour des vête­ments de telle ou telle sorte n’indique cer­tai­ne­ment pas qu’une per­sonne serait « née dans le mau­vais corps », NdT]. Mais ses parents crai­gnaient pour sa sécu­ri­té s’ils la lais­saient vivre ouver­te­ment comme une fille dans leur com­mu­nau­té rurale très unie. Ils ont donc trou­vé un com­pro­mis dif­fi­cile. À la mai­son, Ryace pou­vait être une fille, se maquiller et por­ter des robes [même chose, de même qu’il est sexiste d’associer nor­ma­ti­ve­ment le fait d’être une fille ou une femme au fait de se maquiller, il est sexiste — et absurde — de consi­dé­rer que le fait, pour un gar­çon ou un homme, d’aimer se maquiller ou por­ter des robes fait de lui une fille ou une femme, NdT]. À l’é­cole, en ville et sur les pho­tos de famille, Ryace res­te­rait un garçon.

[Les repor­ters de Reu­ters choi­sissent de se confor­mer à l’irréalité en uti­li­sant le pro­nom « elle » pour dési­gner ce gar­çon. Je sui­vrai leur choix pour res­ter fidèle à leur texte. Mais c’est absurde, et cela n’aide per­sonne à y voir clair face à la confu­sion idéo­lo­gique omni­pré­sente. (NdT)]

Ryace n’appréciait pas ces res­tric­tions. Lors­qu’elle est entrée au col­lège, elle a com­men­cé à s’in­quié­ter de plus en plus de ce que la puber­té allait lui appor­ter : des poils sur le visage, une pomme d’A­dam, une voix plus grave. C’est alors que Danielle a deman­dé de l’aide à l’hô­pi­tal pour enfants d’A­kron et à sa nou­velle cli­nique de genre, où on lui a expli­qué qu’il était pos­sible de pres­crire des médi­ca­ments blo­quant la puber­té et des hor­mones sexuelles à Ryace afin de faci­li­ter sa transition.

« C’est ce que j’ai tou­jours vou­lu », a décla­ré Ryace à sa mère tan­dis qu’elles quit­taient l’hô­pi­tal. Après quoi, ensemble, elles sont allées célé­brer ça en allant ache­ter des vête­ments de fille. Danielle était sou­la­gée. Après avoir lut­té pen­dant des années dans l’i­so­le­ment pour faire ce qu’ils pen­saient être le mieux pour Ryace, les Boyer béné­fi­ciaient désor­mais de l’aide experte de per­sonnes qui com­pre­naient leur situation.

DES NOUVELLES TANT ATTENDUES : Quand le per­son­nel de la cli­nique a dit à Ryace Boyer qu’il pou­vait l’ai­der à tran­si­tion­ner, elle a dit à sa mère : « C’est ce que j’ai tou­jours vou­lu. » REUTERS/Megan Jelinger

Mais la pre­mière consul­ta­tion avait sou­le­vé de nou­velles ques­tions trou­blantes. La méde­cin de la cli­nique d’A­kron avait expli­qué à Danielle et Ryace que les blo­queurs de puber­té pou­vaient affai­blir les os de Ryace. Leurs effets sur le déve­lop­pe­ment de son cer­veau et sa fer­ti­li­té n’é­taient pas bien com­pris. Le risque de l’i­nac­tion était encore plus alar­mant : sans trai­te­ment, avait dit la méde­cin, Ryace ris­quait de se suicider.

Cette évo­ca­tion du risque de sui­cide avait dra­ma­ti­que­ment aggra­vé l’enjeu. « Depuis com­bien de temps demande-t-elle à être une fille ? » deman­da Danielle à son mari cepen­dant qu’ils étaient assis à dis­cu­ter dans leur garage. « On n’arrête pas de lui dire non, et on lui fait du mal. S’ils peuvent nous aider, faisons-le. »

Ces der­nières années, les États-Unis ont connu une explo­sion du nombre d’en­fants qui s’i­den­ti­fient à un genre dif­fé­rent de celui qui leur a été assi­gné à la nais­sance [homme, femme, gar­çon et fille ne sont pas des « genres », mais des mots ser­vant à dési­gner une réa­li­té phy­sique, sexuelle, cor­po­relle ; gar­çon et homme dési­gnent des indi­vi­dus res­pec­ti­ve­ment enfants et adultes du sexe mas­cu­lin, tan­dis que fille et femme dési­gnent des indi­vi­dus res­pec­ti­ve­ment enfants et adultes du sexe fémi­nin ; une grande par­tie de l’absurdité nui­sible du trans­gen­risme découle de telles confu­sions ; si la socié­té tout entière n’assignait pas des rôles et des carac­té­ris­tiques rigides aux deux sexes, ces enfants ne souf­fri­raient sans doute pas, ils n’auraient pas l’impression de ne pas avoir le corps qui va avec les rôles et carac­té­ris­tiques qui les attirent (NdT)]. Des mil­liers de familles comme celle des Boyer doivent faire des choix extrê­me­ment lourds dans un domaine médi­cal à peine nais­sant, en recher­chant ce que l’on appelle des « soins d’af­fir­ma­tion de genre » pour leurs enfants.

Les soins d’af­fir­ma­tion de genre couvrent un large éven­tail d’in­ter­ven­tions. Il peut s’a­gir d’a­dop­ter le nom et les pro­noms pré­fé­rés de l’en­fant et de le lais­ser s’ha­biller en fonc­tion de son iden­ti­té de genre — ce qu’on appelle la tran­si­tion sociale. Ils peuvent enta­mer une thé­ra­pie ou d’autres formes de trai­te­ment psy­cho­lo­gique. Et, à par­tir du début de l’a­do­les­cence, cela peut inclure des inter­ven­tions médi­cales telles que le recours à des blo­queurs de puber­té, des hor­mones et, dans cer­tains cas, une inter­ven­tion chi­rur­gi­cale. Dans tous les cas, l’ob­jec­tif est de sou­te­nir et d’af­fir­mer l’« iden­ti­té de genre » de l’en­fant [c’est-à-dire d’affirmer son appar­te­nance à un ensemble de sté­réo­types sexistes, soit la mas­cu­li­ni­té, soit la fémi­ni­té, et de confor­mer son corps à ce qu’il devrait être selon cette logique sexiste : si tu es atti­ré par la fémi­ni­té, tu devrais avoir un corps de femme, si tu es atti­ré par la mas­cu­li­ni­té, tu devrais avoir un corps d’homme (NdT)].

Cette illus­tra­tion ne figure évi­dem­ment pas dans l’ar­ticle ori­gi­nal de Reu­ters. C’est bien dom­mage, étant don­né qu’elle résume assez bien l’ab­sur­di­té sexiste au fon­de­ment de l’i­dée de l’« affir­ma­tion de genre », au fon­de­ment du trans­gen­risme. (NdT)

Mais les familles qui choi­sissent la voie médi­cale s’a­ven­turent sur un ter­rain incer­tain, où la science doit encore rat­tra­per la pra­tique. Si le nombre de cli­niques de genre spé­cia­li­sées dans le trai­te­ment des enfants aux États-Unis est pas­sé de zéro à plus de 100 au cours des 15 der­nières années — et si les listes d’at­tente sont longues — les preuves solides de l’ef­fi­ca­ci­té à long terme de ce trai­te­ment res­tent maigres.

Les blo­queurs de puber­té et les hor­mones sexuelles n’ont pas reçu l’ap­pro­ba­tion de la Food and Drug Admi­nis­tra­tion (FDA) des États-Unis pour le trai­te­ment de genre des enfants. Aucun essai cli­nique n’a éta­bli leur inno­cui­té pour une telle uti­li­sa­tion (non-conforme) [ces médi­ca­ments ne sont pas pré­vus, pas homo­lo­gués pour cet usage (NdT)]. Les effets à long terme de ces médi­ca­ments sur la fer­ti­li­té et la fonc­tion sexuelle res­tent flous. En outre, en 2016, la FDA a ordon­né aux fabri­cants de blo­queurs de puber­té d’a­jou­ter un aver­tis­se­ment sur l’é­ti­quette de ces médi­ca­ments afin qu’il soit signa­lé qu’ils peuvent pro­vo­quer des pro­blèmes psy­chia­triques, après que l’a­gence a reçu plu­sieurs signa­le­ments de pen­sées sui­ci­daires chez des enfants qui en prenaient.

Plus géné­ra­le­ment, aucune étude à grande échelle n’a sui­vi des per­sonnes ayant reçu des soins médi­caux liés au genre depuis leur enfance afin de déter­mi­ner com­bien d’entre elles sont res­tées satis­faites de leur trai­te­ment en vieillis­sant et com­bien ont fina­le­ment regret­té leur tran­si­tion. Même manque de clar­té en ce qui concerne la ques­tion contro­ver­sée de la détran­si­tion, qui désigne le fait qu’un patient arrête ou inverse son pro­ces­sus de transition.

L’a­gence gou­ver­ne­men­tale états-unienne res­pon­sable de la recherche médi­cale et de la san­té publique — les Natio­nal Ins­ti­tutes of Health ou NIH — a décla­ré à Reu­ters que « peu de choses sont éta­blies concer­nant les risques que ces trai­te­ments posent pour la san­té à court ou à long terme des ado­les­cents trans­genres et des autres ado­les­cents de genres divers ». Les NIH ont finan­cé une vaste étude visant à exa­mi­ner la san­té men­tale, entre autres para­mètres, d’environ 400 jeunes trans­genres trai­tés dans quatre hôpi­taux pour enfants aux États-Unis. Tou­te­fois, les résul­tats à long terme ne seront pas dis­po­nibles avant plu­sieurs années et pour­raient ne pas répondre à des pré­oc­cu­pa­tions por­tant par exemple sur la fer­ti­li­té ou le déve­lop­pe­ment cognitif.

On ne dis­pose pas depuis long­temps de don­nées natio­nales fiables sur le nombre d’en­fants qui reçoivent des soins pour « dys­pho­rie de genre » — laquelle cor­res­pond à un sen­ti­ment de détresse lié au fait de s’identifier à un genre dif­fé­rent de celui que l’on nous a assi­gné à la nais­sance. Afin d’estimer l’évolution de la pré­va­lence de ces cas, Reu­ters a deman­dé à la socié­té Komo­do Health Inc, spé­cia­li­sée dans les tech­no­lo­gies de la san­té, d’a­na­ly­ser sa base de don­nées de demandes de rem­bour­se­ment d’as­su­rance et d’autres dos­siers médi­caux concer­nant envi­ron 330 mil­lions d’États-uniens. L’a­na­lyse, la pre­mière du genre, a révé­lé qu’au moins 121 882 enfants âgés de 6 à 17 ans avaient reçu un diag­nos­tic de dys­pho­rie de genre au cours des cinq années pré­cé­dant la fin de 2021. Plus de 42 000 de ces enfants avaient été diag­nos­ti­qués sur la seule année 2021, soit une aug­men­ta­tion de 70 % par rap­port à 2020.

Bien que moins impor­tant, le nombre d’en­fants rece­vant des trai­te­ments médi­caux simi­laires à ceux que la cli­nique d’A­kron a pro­po­sé aux Boyer aug­mente éga­le­ment rapi­de­ment. Sur la période de cinq ans (2017–2021) étu­diée, le nombre d’en­fants ayant com­men­cé à prendre des blo­queurs de puber­té ou des hor­mones s’é­lève à 17 683, pas­sant de 2 394 en 2017 à 5 063 en 2021. Ces chiffres consti­tuent pro­ba­ble­ment une large sous-esti­ma­tion puis­qu’ils n’in­cluent pas les enfants dont le dos­sier ne pré­ci­sait pas l’existence d’un diag­nos­tic de dys­pho­rie de genre ou dont le trai­te­ment n’é­tait pas cou­vert par l’assurance.

FAIRE FACE À LA RÉALITÉ : Ryace s’est iden­ti­fiée comme une fille dès sa plus tendre enfance. Après son pre­mier ren­dez-vous à la cli­nique de genre de l’hô­pi­tal pour enfants d’A­kron, elle était impa­tiente de com­men­cer le trai­te­ment médi­cal de sa tran­si­tion. REUTERS/Megan Jelinger

Acceptation sociale

Ces chiffres en hausse reflètent en par­tie le suc­cès d’an­nées de défense des droits des per­sonnes trans­genres, qui, selon les méde­cins, ont per­mis à davan­tage d’en­fants et de familles d’oser sol­li­ci­ter de l’aide. Les enfants trans­genres sont tou­jours vic­times de dis­cri­mi­na­tion, d’in­ti­mi­da­tion et de menaces de vio­lence. Mais étant don­né que l’i­den­ti­té trans­genre est aujourd’hui plus visible dans la culture popu­laire, les enfants souf­frant de dys­pho­rie de genre ont faci­le­ment accès, à la télé­vi­sion et dans les médias sociaux, à des repré­sen­ta­tions posi­tives de jeunes gens ayant reçu des soins pro­fes­sion­nels d’af­fir­ma­tion du genre.

La prise en charge de la dys­pho­rie de genre chez les mineurs a gagné en légi­ti­mi­té lorsque des groupes médi­caux ont approu­vé cette pra­tique et com­men­cé à publier des direc­tives de trai­te­ment. La prin­ci­pale d’entre elles est l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle mon­diale pour la san­té des per­sonnes trans­genres (la WPATH), qui compte 4 000 membres à tra­vers le globe, com­pre­nant des pro­fes­sion­nels de la méde­cine, du droit, de l’en­sei­gne­ment et d’autres domaines encore. Au cours de la der­nière décen­nie, ses direc­tives (appe­lées « stan­dards de soins ») ont été reprises par des orga­nismes tels que l’A­ca­dé­mie amé­ri­caine de pédia­trie et l’En­do­crine Socie­ty (la Socié­té d’endocrinologie), qui repré­sente les spé­cia­listes des hormones.

Dans la der­nière ver­sion de ses stan­dards de soins, publiée en sep­tembre, la WPATH note la rare­té des recherches sou­te­nant l’ef­fi­ca­ci­té à long terme du trai­te­ment médi­cal des ado­les­cents souf­frant de dys­pho­rie de genre. Par consé­quent, ses stan­dards pré­cisent qu’« il n’est pas pos­sible de pro­cé­der à un exa­men sys­té­ma­tique des résul­tats du trai­te­ment chez les ado­les­cents ». L’En­do­crine Socie­ty, dans ses propres direc­tives, recon­naît la « faible » ou « très faible » valeur des preuves sou­te­nant ses recommandations.

Le gou­ver­ne­ment fédé­ral a faci­li­té le recours à ce trai­te­ment en 2016, lorsque l’ad­mi­nis­tra­tion du pré­sident Barack Oba­ma a inter­dit aux assu­reurs de san­té et aux pres­ta­taires médi­caux de limi­ter la four­ni­ture de soins en rai­son de l’i­den­ti­té de genre d’une per­sonne. Ce qui a per­mis une prise en charge par les assu­rances publiques et pri­vées des soins d’af­fir­ma­tion du genre, y com­pris pour les enfants, qui peuvent coû­ter des dizaines de mil­liers de dol­lars par an rien que pour les blo­queurs de puberté.

Aujourd’­hui, plus de la moi­tié des États financent les trai­te­ments de tran­si­tion de genre par le biais de Medi­caid, le pro­gramme d’as­su­rance mala­die gou­ver­ne­men­tal des­ti­né à des mil­lions de familles à faibles reve­nus. Neuf États excluent les soins de tran­si­tion de genre des jeunes de la cou­ver­ture de Medi­caid. La Flo­ride, dans son inter­dic­tion de rem­bour­se­ment des tran­si­tions de genre par Medi­caid, déclare que les trai­te­ments de la dys­pho­rie de genre « ne répondent pas à la défi­ni­tion de la néces­si­té médicale ».

Cette dis­pa­ri­té entre les États est symp­to­ma­tique de la façon dont les soins d’af­fir­ma­tion du genre sont deve­nus un sujet de ten­sions dans la poli­tique hau­te­ment pola­ri­sée de la nation.

De nom­breux conser­va­teurs les décrivent comme une forme de mal­trai­tance des enfants. « Vous ne défi­gu­rez pas des enfants de 10, 12, 13 ans sur la base d’une dys­pho­rie de genre », a décla­ré le gou­ver­neur de Flo­ride Ron DeSan­tis, un répu­bli­cain, lors d’une confé­rence de presse en août, quelques jours avant que son État n’in­ter­dise la cou­ver­ture par Medi­caid des soins de genre pour les enfants. L’A­la­ba­ma, l’Ar­kan­sas et le Texas ont adop­té des lois ou des poli­tiques visant à limi­ter lar­ge­ment l’ac­cès des enfants aux soins, toutes blo­quées depuis par les tri­bu­naux. Dans plus d’une dou­zaine d’autres États, dont l’O­hio, où vivent les Boyer, les légis­la­teurs ont pré­sen­té des pro­jets de loi visant à inter­dire ces soins ou à péna­li­ser les pres­ta­taires qui traitent les enfants.

Dans le même temps, au moins une dou­zaine d’É­tats, dont New York, la Cali­for­nie et le Mas­sa­chu­setts, se sont ali­gnés sur les défen­seurs des trans­genres et de nom­breux pres­ta­taires médi­caux en veillant à ce que les enfants béné­fi­cient d’un accès garan­ti aux soins. Et en juillet, l’ad­mi­nis­tra­tion Biden a pro­po­sé d’é­tendre les pro­tec­tions de l’ère Obama.

« Les soins d’af­fir­ma­tion du genre pour les jeunes trans­genres sont essen­tiels et peuvent sau­ver des vies », a décla­ré Rachel Levine, la secré­taire adjointe au minis­tère amé­ri­cain de la San­té et des Ser­vices sociaux, dans une inter­view accor­dée à Reu­ters. [Rachel Leland Levine est un homme, qui a vécu l’im­mense majo­ri­té de sa vie en tant que Richard Levine et a donc bâti sa car­rière sous cette iden­ti­té, et qui a déci­dé de « tran­si­tion­ner » et de deve­nir Rachel Levine en 2011 (NdT)]

Levine, pédiatre et femme trans­genre, a sus­ci­té un tol­lé de la part des oppo­sants conser­va­teurs à la prise en charge des soins de genre des enfants et de cer­tains pro­fes­sion­nels de la san­té plus tôt cette année lors­qu’elle a décla­ré à la Natio­nal Public Radio : « Il n’y a aucun débat par­mi les pro­fes­sion­nels de la méde­cine — pédiatres, endo­cri­no­logues pédia­triques, méde­cins spé­cia­listes de l’adolescence, psy­chiatres pour ado­les­cents, psy­cho­logues, etc.— sur la valeur et l’im­por­tance des soins d’af­fir­ma­tion du genre. »

PAS DE PROBLÈMES : La Dr Rachel Levine, secré­taire adjointe à la San­té des États-Unis, affirme que les craintes selon les­quelles les enfants amé­ri­cains sont pré­ci­pi­tam­ment trai­tés sont infon­dées et qu’au­cun enfant ne reçoit de médi­ca­ments ou d’hor­mones pour la dys­pho­rie de genre qui ne le devrait pas. Chris Smith/U.S. Depart­ment of Health and Human Services/Handout via REUTERS

Levine avait rai­son, dans la mesure où les pres­ta­taires de soins de san­té s’ac­cordent géné­ra­le­ment à dire que toute per­sonne souf­frant de dys­pho­rie de genre a droit à une assis­tance thé­ra­peu­tique, qu’il s’a­gisse de tran­si­tion sociale, de conseil, de thé­ra­pie psy­cho­lo­gique ou d’in­ter­ven­tions médi­cales. Mais son affir­ma­tion fait l’im­passe sur les pro­fonds désac­cords qui existent au sein de la com­mu­nau­té des pro­fes­sion­nels des soins de genre concer­nant l’é­vo­lu­tion de la manière de trai­ter la dys­pho­rie aux États-Unis, tan­dis que tou­jours plus de patients affluent dans les cliniques.

Un nombre crois­sant de pro­fes­sion­nels des soins de l’i­den­ti­té de genre affirment que, dans l’ur­gence de répondre à une demande en constante aug­men­ta­tion, un trop grand nombre de leurs pairs poussent trop de familles à pour­suivre le trai­te­ment de leurs enfants avant même d’avoir entre­pris les éva­lua­tions appro­fon­dies recom­man­dées par les direc­tives professionnelles.

Selon ces pro­fes­sion­nels de la san­té, ces éva­lua­tions sont cru­ciales, car si le nombre de patients atteints de dys­pho­rie a aug­men­té en pédia­trie, il en va de même de ceux dont la prin­ci­pale source de détresse n’est pas néces­sai­re­ment une dys­pho­rie de genre per­sis­tante. Cer­tains sont « gen­der­fluid » (ou « genres-fluides »), avec une iden­ti­té de genre qui change avec le temps. Cer­tains ont des pro­blèmes de san­té men­tale qui com­pliquent leur cas. Pour ces enfants, disent cer­tains pra­ti­ciens, le trai­te­ment médi­cal peut poser des risques inutiles alors qu’une assis­tance psy­cho­lo­gique ou d’autres inter­ven­tions non médi­cales consti­tue­raient de meilleurs choix.

« Je crains que nous n’ob­te­nions des faux posi­tifs et que nous ne les sou­met­tions à des chan­ge­ments phy­siques irré­ver­sibles », déclare la Dr Eri­ca Ander­son, une psy­cho­logue cli­ni­cienne qui tra­vaillait aupa­ra­vant à la cli­nique du genre de l’U­ni­ver­si­té de Cali­for­nie à San Fran­cis­co. « Ces erreurs de juge­ment donnent du grain à moudre aux contes­ta­taires — aux per­sonnes qui veulent éra­di­quer ces soins. » Ander­son, une femme trans­genre qui traite encore des enfants atteints de dys­pho­rie de genre dans son cabi­net pri­vé, a démis­sion­né de la pré­si­dence de la sec­tion amé­ri­caine de WPATH l’an­née der­nière après que ses com­men­taires publics sur les soins « bâclés » ont inci­té l’or­ga­ni­sa­tion à publier un mora­toire tem­po­raire inter­di­sant aux membres du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de par­ler à la presse.

En Europe, la crainte que trop d’en­fants ne soient inuti­le­ment mis en dan­ger a inci­té des pays comme la Fin­lande et la Suède, qui ont pour­tant été les pre­miers à adop­ter les soins de genre pour enfants, à désor­mais en limi­ter l’ac­cès. Le Royaume-Uni est en train de fer­mer sa prin­ci­pale cli­nique de genre pour enfants et de rema­nier le sys­tème après qu’une étude indé­pen­dante a révé­lé que cer­tains membres du per­son­nel se sen­taient « pous­sés à adop­ter une approche affir­ma­tive inconditionnelle/irréfléchie ».

À l’opposé de celles et ceux qui conseillent la pru­dence, aux États-Unis, figurent des membres de la com­mu­nau­té des soins de genre qui affirment que refu­ser un trai­te­ment à tout enfant souf­frant de dys­pho­rie de genre est contraire à l’é­thique et dan­ge­reux. « Vous ne devriez pas avoir à sau­ter à tra­vers des cer­ceaux pour prou­ver votre propre tran­si­den­ti­té », déclare Dal­las Ducar [une « femme trans­genre », c’est-à-dire un homme (NdT)], infir­mière pra­ti­cienne en psy­chia­trie et pres­ta­taire de soins trans dans le Massachusetts.

De concert avec des cadres d’autres cli­niques, Ducar affirme que les listes d’at­tente dans de nom­breux éta­blis­se­ments montrent que les enfants sont déjà confron­tés à d’im­por­tants obs­tacles au trai­te­ment en rai­son d’une pénu­rie de pres­ta­taires et d’une stig­ma­ti­sa­tion per­sis­tante des trai­te­ments des patients trans­genres. « Si vous met­tez des bar­rières inutiles, nous savons que l’enfant conti­nue­ra d’être trans et qu’il conti­nue­ra à subir un stress psy­cho­lo­gique pro­fond qui aug­mente le risque de ten­ta­tives de sui­cide ou de sui­cide lui-même », déclare Ducar.

La Dr Mar­ci Bowers, une chi­rur­gienne spé­cia­li­sée [en réa­li­té, Mar­ci Bowers est un homme (NdT)] dans les pro­cé­dures trans­genres, deve­nue pré­si­dente de la WPATH en sep­tembre, affirme dans une inter­view que l’or­ga­ni­sa­tion tente de trou­ver un juste milieu entre « ceux qui vou­draient que les hor­mones et les opé­ra­tions chi­rur­gi­cales soient dis­po­nibles façon dis­tri­bu­teur auto­ma­tique, disons, et ceux qui pensent qu’il faut pas­ser par toutes sortes de pro­cé­dures et d’obstacles ».

Dans ses nou­veaux stan­dards de soins, la WPATH réitère sa recom­man­da­tion de longue date d’é­va­lua­tions com­plètes afin de déter­mi­ner si les ado­les­cents sont aptes à rece­voir un trai­te­ment médi­cal. « Il n’existe pas d’é­tudes sur les résul­tats à long terme des trai­te­ments médi­caux liés au genre pour les jeunes n’ayant pas subi d’é­va­lua­tion com­plète », notent les direc­tives. Sans de telles bases, ajoute le docu­ment, « la déci­sion de com­men­cer des inter­ven­tions médi­cales liées au genre peut ne pas être dans le meilleur inté­rêt à long terme de la jeune personne ».

Levine, la secré­taire adjointe à la San­té, affirme que les cli­niques pro­cèdent avec pru­dence et qu’au­cun enfant états-unien ne se voit pres­crire de médi­ca­ments ou d’hor­mones pour sa dys­pho­rie de genre qui ne le devrait pas. « Ce n’est pas comme si toute per­sonne qui arrive rece­vait auto­ma­ti­que­ment un trai­te­ment médi­cal », déclare-t-elle.

Un bon candidat

Belpre, Ohio, se trouve dans le com­té de Washing­ton, une com­mu­nau­té rurale com­po­sée d’exploitations agri­coles, de mobil-homes et d’é­glises, située au milieu de col­lines ver­doyantes. La région a accueilli des géné­ra­tions de Boyer. Danielle, 37 ans, tra­vaille dans l’en­sei­gne­ment. Steve Boyer, un plom­bier et tuyau­teur de 36 ans, a sié­gé au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion d’une foire locale, où Ryace et son frère aîné, Aiden, ont pré­sen­té des canards et des agneaux qu’ils avaient éle­vés. Les week-ends sont consa­crés au cam­ping ou aux concours hip­piques où Ryace, cava­lière accom­plie, par­ti­cipe aux courses de barils et aux épreuves de corde. « Tout le monde connaît les Boyer », explique Steve.

Steve et Danielle n’a­vaient aucune expé­rience directe des per­sonnes trans­genres lorsque Ryace est née. Vers l’âge de 4 ans, elle se consi­dé­rait comme une fille, jouait avec des filles chez ses amis et était fas­ci­née par les vête­ments fémi­nins et les bijoux [aucun doute ! c’est for­cé­ment une fille pié­gée dans un corps de gar­çon ! Tout le monde sait qu’ai­mer les bijoux et les vête­ments fémi­nins, c’est être une fille ou une femme, et que toutes les filles et les femmes qui n’aiment pas les bijoux et les vête­ments fémi­nins sont en réa­li­té des gar­çons ou des hommes (NdT)]. Le matin de Noël 2011, peu avant son qua­trième anni­ver­saire, Ryace a été ravie de rece­voir du Père Noël une grande par­tie de ce qu’elle avait sou­hai­té : des pou­pées Bar­bie, une mai­son de pou­pée et des jouets roses et violets.

Mais Danielle, crai­gnant que Ryace ne soit pas accep­tée en tant que fille trans­genre dans leur com­mu­nau­té conser­va­trice, vou­lait pro­té­ger son enfant des regards, des com­men­taires hai­neux et des rela­tions bri­sées qui s’ensuivraient inévi­ta­ble­ment. « L’ac­cord était le sui­vant : à la mai­son seule­ment », nous confie Danielle.

Ryace a constam­ment repous­sé les limites. Dès le début, lorsque les amis et les voi­sins la com­pli­men­taient en disant qu’elle était un joli petit gar­çon, elle les cor­ri­geait : elle était une fille. Danielle s’est alors sen­tie obli­gée de cor­ri­ger Ryace.

Danielle a cher­ché des com­pro­mis. À l’é­cole élé­men­taire, elles se sont sou­vent accor­dées pour que Ryace porte des leg­gings noirs neutres et des T‑shirts aux cou­leurs vives. Elle ache­tait des robes et des épingles à che­veux dans les vide-gre­niers et lais­sait Ryace les por­ter à la mai­son. Lors des dépla­ce­ments en ville, Danielle deman­dait à Ryace d’en­le­ver les robes qu’elle por­tait par-des­sus ses vête­ments de gar­çon et de les lais­ser dans la voiture.

À l’ap­proche du col­lège — et de la puber­té — Ryace a com­men­cé à appor­ter en cachette des sou­tien-gorge et du mas­ca­ra à l’é­cole. Elle envoyait régu­liè­re­ment des SMS à sa mère : « Quand vas-tu com­men­cer à me consi­dé­rer comme une fille ? ».

La télé­vi­sion et Inter­net ont ouvert les yeux de Ryace à de nou­velles pos­si­bi­li­tés. Elle a regar­dé I Am Jazz, l’é­mis­sion de télé-réa­li­té consa­crée à Jazz Jen­nings, une jeune fille trans­genre ayant effec­tué une tran­si­tion sociale à un âge pré­coce, pris des blo­queurs de puber­té et des hor­mones et été opé­rée. Elle a vu des jeunes sur You­Tube dis­cu­ter de la dys­pho­rie de genre et de leurs tran­si­tions, ain­si que les images avant-après qu’ils par­ta­geaient. Sur Ins­ta­gram, elle s’est mise à suivre Niki­ta Dra­gun [sic], une maquilleuse et man­ne­quin qui a fait son coming out trans­genre à l’a­do­les­cence et qui compte désor­mais 9 mil­lions d’a­bon­nés. [Niki­ta Dra­gun, c’est un gar­çon deve­nue la per­sonne que vous voyez dans la vidéo ci-des­sous, tirée de son compte Tik­Tok, qui compte plus de 14 mil­lions d’a­bon­nés (NdT)]

@nikitadragun

♬ LA DRAGONA IN RIO — Niki­ta Dragun

Ryace se sou­vient que c’est à ce moment-là qu’elle a com­men­cé à pen­ser : « Ça existe vrai­ment. Je peux vrai­ment le faire. »

PASSE-TEMPS PRÉFÉRÉ : Ryace est une pas­sion­née d’é­qui­ta­tion et elle par­ti­cipe régu­liè­re­ment à des concours hip­piques locaux. REUTERS/Megan Jelinger

Ryace cor­res­pond au type d’en­fant sur lequel les méde­cins des Pays-Bas se sont concen­trés dans le cadre de leur tra­vail pion­nier au début des années 2000 sur le trai­te­ment médi­cal des ado­les­cents atteints de dys­pho­rie de genre. Les cher­cheurs du centre médi­cal uni­ver­si­taire d’Am­ster­dam ont pro­cé­dé à une éva­lua­tion métho­dique de leurs sujets afin de s’as­su­rer qu’ils répon­daient à cer­tains cri­tères avant de leur pres­crire un trai­te­ment. Comme Ryace, ces ado­les­cents pré­sen­taient une dys­pho­rie de genre per­sis­tante depuis leur plus jeune âge, vivaient dans un envi­ron­ne­ment favo­rable et n’a­vaient pas de pro­blèmes psy­chia­triques graves sus­cep­tibles d’in­ter­fé­rer avec un diag­nos­tic ou un traitement.

Les éva­lua­tions duraient géné­ra­le­ment six mois, envi­ron. Après quoi, si elles étaient favo­rables, le trai­te­ment pou­vait com­men­cer. Les enfants rem­plis­saient une série de ques­tion­naires et les cli­ni­ciens leur par­laient fré­quem­ment pour s’assurer que leur dys­pho­rie de genre était per­sis­tante et qu’ils com­pre­naient les impli­ca­tions à long terme du trai­te­ment. Pour les patients qui pré­sen­taient des pro­blèmes psy­chia­triques, les cher­cheurs ont pro­lon­gé la phase d’é­va­lua­tion jus­qu’à plus de 18 mois avant d’en­vi­sa­ger un trai­te­ment médical.

En 2011, les Néer­lan­dais ont publié les résul­tats détaillés de leurs tra­vaux. Une de leurs études por­tait sur 70 ado­les­cents qui, après près de deux ans de prise de blo­queurs de puber­té, pré­sen­taient moins de pro­blèmes com­por­te­men­taux et émo­tion­nels et moins de symp­tômes de dépres­sion qu’au départ. Néan­moins, leurs sen­ti­ments d’an­xié­té et de colère étaient res­tés rela­ti­ve­ment inchan­gés. Tous les patients ont conti­nué à prendre des hor­mones. [Rien de tout ça ne signi­fie que ce trai­te­ment médi­cal consti­tuait le meilleur choix thé­ra­peu­tique pour ces jeunes (NdT)]

Les pays euro­péens et les États-Unis ont adop­té le modèle néer­lan­dais dans le domaine émergent des soins d’affirmation de genre pour les mineurs. La WPATH et d’autres groupes pro­fes­sion­nels ont publié des direc­tives recom­man­dant des éva­lua­tions psy­cho­lo­giques com­plètes avant d’o­rien­ter un enfant vers un trai­te­ment médical.

Plus récem­ment, cepen­dant, bon nombre des patients qui affluent dans les cli­niques ne répon­draient pas aux cri­tères des cher­cheurs néer­lan­dais. Cer­tains souffrent de pro­blèmes psy­chia­triques impor­tants, notam­ment de dépres­sion, d’an­xié­té et de troubles ali­men­taires. Cer­tains rap­portent des sen­ti­ments de dys­pho­rie de genre assez tar­di­ve­ment, autour du début de la puber­té ou après, selon les études publiées, les spé­cia­listes du genre et les direc­teurs de cli­niques. Ces patients néces­sitent une éva­lua­tion plus appro­fon­die afin que les autres causes per­met­tant poten­tiel­le­ment d’expliquer leurs détresses soient écartées.

Et pour des rai­sons qui res­tent incon­nues [pas si incon­nues que ça en véri­té, un cer­tain nombre de fémi­nistes ont four­ni une expli­ca­tion assez solide de ce phé­no­mène, que l’on pour­rait résu­mer par : il est plus insup­por­table d’être une femme qu’un homme dans la socié­té patriar­cale (NdT)], un nombre dis­pro­por­tion­né de ces patients sont assi­gnées femmes à la nais­sance [autre­ment dit : sont des femmes (NdT)]. Dans l’é­tude en cours des NIH sur les effets du trai­te­ment de genre, les mineurs dési­gnés de sexe fémi­nin à la nais­sance repré­sen­taient 61 % des ins­crits. La cli­nique de genre de l’hô­pi­tal pour enfants de Mil­wau­kee, dans le Wis­con­sin, a décla­ré que 65 % de ses patients avaient été assi­gnés femmes à la nais­sance. Cer­tains cher­cheurs et cli­niques affirment que les femmes trans­genres [les hommes qui se pensent/disent femmes (NdT)] sont moins sus­cep­tibles de cher­cher un trai­te­ment parce qu’elles sont davan­tage stig­ma­ti­sées par la socié­té. Les détrac­teurs des trai­te­ments de genre chez les enfants accusent la pres­sion des pairs, ren­for­cée par les médias sociaux, d’aug­men­ter le nombre d’hommes trans­genres [de femmes qui se pensent/disent hommes (NdT)] qui cherchent à se faire traiter.

La Dr Anne­lou De Vries, spé­cia­liste en psy­chia­trie de l’en­fant et de l’a­do­les­cent, est une des cher­cheuses néer­lan­daises dont les tout pre­miers tra­vaux ont éta­bli l’im­por­tance d’une éva­lua­tion rigou­reuse des patients avant de com­men­cer un trai­te­ment médi­cal. Si elle s’in­quiète du nombre crois­sant d’en­fants en attente de trai­te­ment, elle estime que le plus grave est de pré­ci­pi­ter le trai­te­ment alors que les blo­queurs de puber­té et les hor­mones ne sont peut-être pas appropriés.

« Le dilemme éthique exis­ten­tiel dans la prise en charge des trans­genres se situe entre, d’une part, le droit (de l’en­fant) à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion », affirme De Vries, « et d’autre part, le prin­cipe médi­cal du “d’abord ne pas nuire”. Ne sommes-nous pas en train d’in­ter­ve­nir médi­ca­le­ment dans un corps en déve­lop­pe­ment sans connaître les effets de ces inter­ven­tions ? » Aux États-Unis, en par­ti­cu­lier, dit-elle, « le droit de la per­sonne trans­genre ou de l’en­fant semble l’emporter ». De Vries a par­ti­ci­pé à la rédac­tion de la sec­tion sur les ado­les­cents de la der­nière ver­sion des stan­dards de soins de la WPATH. Elle s’est dit satis­faite que la par­tie insis­tant sur l’im­por­tance d’une éva­lua­tion rigou­reuse des patients ait été conservée.

Dans des inter­views accor­dées à Reu­ters, des méde­cins et d’autres employés de 18 cli­niques de genre à tra­vers le pays ont décrit leurs pro­ces­sus d’é­va­lua­tion des patients. Aucun d’entre eux n’a décrit un pro­ces­sus simi­laire aux éva­lua­tions de plu­sieurs mois que De Vries et ses col­lègues ont adop­tées dans le cadre de leurs recherches.

Dans la plu­part des cli­niques, une équipe de pro­fes­sion­nels — géné­ra­le­ment un tra­vailleur social, un psy­cho­logue et un méde­cin spé­cia­li­sé dans l’adolescence ou l’en­do­cri­no­lo­gie — ren­contre les parents et l’en­fant pen­dant deux heures ou plus pour apprendre à connaître la famille, ses anté­cé­dents médi­caux et ses objec­tifs de trai­te­ment. Les avan­tages et les risques des options de trai­te­ment sont éga­le­ment dis­cu­tés. Sept des cli­niques déclarent que lorsqu’elles ne constatent pas de signaux d’a­larme et que l’en­fant et les parents sont d’ac­cord, elles peuvent pres­crire des blo­queurs de puber­té ou des hor­mones dès la pre­mière visite, si l’âge de l’en­fant le permet.

« Pour ces enfants, il n’est pas utile d’at­tendre six mois pour faire des éva­lua­tions », affirme le Dr Eric Mei­nin­ger, méde­cin prin­ci­pal du pro­gramme de san­té de genre à l’hô­pi­tal pour enfants Riley d’In­dia­na­po­lis. « Ils ont fait leurs recherches, et ils com­prennent vrai­ment le risque. »

De nom­breux cli­ni­ciens s’in­surgent contre l’i­dée selon laquelle ils iraient trop vite et trai­te­raient les enfants avant de les avoir cor­rec­te­ment exa­mi­nés. Selon eux, des éva­lua­tions et des assis­tances qui s’étendent sur des mois au lieu d’un trai­te­ment médi­cal immé­diat mettent les enfants en dan­ger, les patho­lo­gisent et les privent de leur iden­ti­té fon­da­men­tale. Pour les mineurs souf­frant de pro­blèmes psy­chia­triques, le trai­te­ment médi­cal atté­nue sou­vent la détresse liée à la dys­pho­rie de genre et per­met aux pro­fes­sion­nels de s’oc­cu­per des autres problèmes.

« Être trans est une iden­ti­té, pas un diag­nos­tic, et les per­sonnes trans­genres veulent sim­ple­ment des soins qui affirment qui elles sont », affirme Ducar, qui pro­pose des soins trans dans le Massachusetts.

Ducar et d’autres ont été déçus que dans ses der­niers stan­dards de soins, la WPATH note que « l’in­fluence sociale » pou­vait avoir un impact sur l’i­den­ti­té de genre de cer­tains ado­les­cents. Ils sou­tiennent que l’i­dée d’une « conta­gion sociale » affec­tant les enfants véhi­cule une idée fausse et offen­sante selon laquelle être trans­genre serait une mode tou­chant les ado­les­cents impres­sion­nables par leurs amis et les médias sociaux, et occulte la stig­ma­ti­sa­tion, l’in­ti­mi­da­tion et la dis­cri­mi­na­tion dont sont vic­times les per­sonnes transgenres.

Le Dr Eli Cole­man, direc­teur de l’Ins­ti­tut pour la san­té sexuelle et de genre de la facul­té de méde­cine de l’U­ni­ver­si­té du Min­ne­so­ta, qui a super­vi­sé la mise à jour des stan­dards de soins de la WPATH, affirme : « Un cli­ni­cien infor­mé et com­pé­tent est en mesure de dif­fé­ren­cier une iden­ti­té de genre pro­fonde et durable d’une iden­ti­té poten­tiel­le­ment influen­cée par la société. »

La ques­tion des éva­lua­tions est com­pli­quée par une pénu­rie chro­nique de pro­fes­sion­nels de la san­té men­tale des enfants qui ne fait qu’empirer à mesure que les taux de dépres­sion, d’an­xié­té, de troubles de l’hu­meur et d’au­to­mu­ti­la­tion aug­mentent dans tout le pays.

« Nous n’a­vons pas assez de thé­ra­peutes et de psy­cho­logues ayant reçu une for­ma­tion adé­quate dans ce domaine pour suivre le rythme de l’aug­men­ta­tion du nombre de patients de genres divers font leur coming-out », explique le Dr Michael Irwig, pro­fes­seur asso­cié à l’école médi­cale de Har­vard et direc­teur de la méde­cine trans­genre au centre hos­pi­ta­lier uni­ver­si­taire de Beth Israel Dea­co­ness. « Nous allons pas­ser à côté de cer­taines per­sonnes n’ayant pas été exa­mi­nées de manière appro­priée ou n’ayant pas reçu les soins de san­té men­tale dont elles ont besoin. » Cela, remarque-t-il, pour­rait faire aug­men­ter le nombre de per­sonnes qui détran­si­tion­ne­ront ultérieurement.

Reu­ters a inter­ro­gé les parents de 39 mineurs ayant deman­dé des soins d’« affir­ma­tion de genre ». Les parents de 28 de ces enfants ont décla­ré qu’ils s’é­taient sen­tis pres­su­rés ou for­te­ment inci­tés à pro­cé­der au traitement.

Kate, une mère de 53 ans du New Jer­sey, se sou­vient qu’elle et son mari avaient été cho­qués en novembre 2020 lorsque leur enfant de 13 ans leur avait annon­cé qu’il était trans­genre. L’en­fant, assi­gné de sexe fémi­nin à la nais­sance [une fille, donc (Ndt)], avait tou­jours joué avec d’autres filles et ne s’é­tait jamais iden­ti­fié expres­sé­ment comme un gar­çon. Ils pen­saient sim­ple­ment que leur enfant était un « gar­çon man­qué ». Mais désor­mais, il avait choi­si un nom mas­cu­lin, vou­lait prendre des blo­queurs de puber­té et subir une opé­ra­tion d’a­bla­tion des seins.

Après une pre­mière consul­ta­tion indi­vi­duelle d’un peu plus d’une heure avec l’a­do­les­cent, un psy­chiatre a esti­mé qu’il était un bon can­di­dat pour les blo­queurs de puber­té, explique Kate. Un endo­cri­no­logue a for­mu­lé la même recom­man­da­tion après avoir par­lé avec la famille pen­dant 15 minutes. Kate et son mari ont éga­le­ment par­ti­ci­pé à un groupe de sou­tien aux parents orga­ni­sé par un thé­ra­peute de genre local. Par­tout, remarque Kate, « le mes­sage était de lais­ser votre enfant conduire le bus. Là où il vous mène, c’est là où vous devez aller. »

Kate, qui a deman­dé que seul son pré­nom soit uti­li­sé pour pro­té­ger l’i­den­ti­té de son enfant, s’é­tait ren­sei­gnée sur les blo­queurs de puber­té. Inquiète de cette uti­li­sa­tion non homo­lo­guée et des effets secon­daires pos­sibles, elle n’a pas accep­té le trai­te­ment. Elle sou­tient la tran­si­tion sociale de son fils, en uti­li­sant ses pro­noms pré­fé­rés et en lui ache­tant le ruban adhé­sif qu’il uti­lise pour atta­cher ses seins. Mais elle pense qu’il est trop jeune pour prendre des déci­sions rela­tives à des trai­te­ments médi­caux impli­quant un bou­le­ver­se­ment vital irréversible.

« Les enfants, à 13 ou 14 ans, sont par­fois des per­sonnes tota­le­ment dif­fé­rentes de celles qu’ils sont à 18 ou 19 ans », affirme-t-elle. À la suite de sa déci­sion, sa rela­tion avec son fils a été « frac­tu­rée », confie Kate. S’il choi­sit de pour­suivre une tran­si­tion médi­cale après ses 18 ans, son mari et elle le regret­te­ront, mais ils ne s’y oppo­se­ront pas non.

Le risque de suicide

L’entente fra­gile entre Ryace et ses parents — fille à la mai­son, gar­çon par­tout ailleurs — s’est effon­drée lorsque Ryace a com­men­cé l’é­cole intermédiaire.

En décembre 2019, Danielle a lais­sé Ryace, 11 ans à l’é­poque, se maquiller et por­ter un pan­ta­lon noir à clo­chettes pour aller à un match de bas­ket dans une école voi­sine. La mère de Danielle, Ruth Alden, était pré­sente au match. Après coup, elle a ser­mon­né Danielle. C’é­tait embar­ras­sant pour la famille, explique Ruth Alden, et les autres enfants vont « lui cas­ser la gueule ». Sa petite-fille pour­rait être pous­sée au sui­cide, prévient-elle.

MÈRE ET FILLE : Ryace dit qu’elle par­donne à sa mère, Danielle, de l’a­voir obli­gée à dis­si­mu­ler son iden­ti­té pen­dant si long­temps. REUTERS/Megan Jelinger

Danielle était furieuse — et décou­ra­gée. Elle se sen­tait pié­gée. Elle crai­gnait depuis long­temps de pous­ser Ryace au sui­cide en insis­tant pour que son iden­ti­té reste secrète. Cette nuit-là, Danielle a hur­lé sur sa propre mère : « Qu’est-ce que je dois faire, maman ? Quelle que soit ma déci­sion, je pour­rais avoir un enfant mort. »

Au début de la nou­velle année, Danielle, qui cher­chait déses­pé­ré­ment des conseils, a rejoint un groupe Face­book pour les parents d’en­fants trans­genres de l’O­hio. C’est ain­si qu’elle a été orien­tée vers l’hô­pi­tal pour enfants d’A­kron, à deux heures de route, où elle s’est ren­due le 6 août 2020 pour un ren­dez-vous avec la Dr Crys­tal Cole et son équipe. Cole, ori­gi­naire d’A­kron et spé­cia­liste de la méde­cine des ado­les­cents, a fon­dé le Centre d’af­fir­ma­tion du genre de l’hô­pi­tal en 2019. La cli­nique a accueilli 25 patients cette année-là. Elle traite désor­mais plus de 350 jeunes.

Au cours de leur ren­contre de deux heures, Cole a com­men­cé par des poser des ques­tions d’ordre géné­rale sur Ryace, sa famille et leurs anté­cé­dents médi­caux. Puis elle s’est concen­trée sur la san­té men­tale de Ryace et son apti­tude au trai­te­ment. Danielle a pous­sé un sou­pir de sou­la­ge­ment lorsque Ryace a répon­du qu’elle n’en­ten­dait pas de voix, ne pre­nait pas de drogues illé­gales et n’a­vait jamais essayé de se faire du mal.

Cole leur a ensuite expo­sé les options de trai­te­ment. Ryace pou­vait faire une tran­si­tion sociale. Elle pou­vait éga­le­ment choi­sir de rece­voir des conseils et une thé­ra­pie pour l’ai­der dans sa tran­si­tion. Et elle pou­vait entre­prendre une tran­si­tion médi­cale. À 12 ans, Ryace a fait le choix de prendre des blo­queurs de puber­té afin d’éviter la mas­cu­li­ni­sa­tion qu’elle redou­tait, avec les risques connus et incon­nus que cela implique.

Cole a ensuite évo­qué le dan­ger de l’i­nac­tion. « Le risque de ten­ta­tive de sui­cide chez les per­sonnes trans­genres est supé­rieur à 40 % », a‑t-elle décla­ré à Ryace et Danielle. « L’une des choses qui per­met de réduire ce risque est le soin d’affirmation [de « genre » (NdT)] et un envi­ron­ne­ment affirmatif. »

La sta­tis­tique à laquelle Cole fait réfé­rence pro­vient d’une enquête états-unienne de 2015 sur les per­sonnes trans­genres, un son­dage ano­nyme en ligne mené auprès de près de 28 000 adultes trans­genres par le Natio­nal Cen­ter for Trans­gen­der Equa­li­ty (Centre natio­nal pour l’égalité trans­genre), un orga­nisme à but non lucra­tif de défense des droits des trans. En contraste des 40 % de répon­dants qui ont décla­ré avoir ten­té de se sui­ci­der à un moment de leur vie, il faut savoir que le taux pour la popu­la­tion géné­rale des États-Unis était alors de 4,6 %, remarquent les auteurs de cette enquête de 2015.

Il s’a­git de l’une des quelques enquêtes que les pro­fes­sion­nels de la san­té citent lors­qu’ils conseillent les familles dont un enfant cherche à obte­nir des soins d’af­fir­ma­tion de genre. Le Tre­vor Pro­ject, un groupe à but non lucra­tif qui se concentre sur la pré­ven­tion du sui­cide chez les jeunes LGBTQ, en a réa­li­sé une autre. Dans son enquête ano­nyme de 2021, 52 % des répon­dants trans­genres et non binaires âgés de 13 à 24 ans ont décla­ré avoir sérieu­se­ment envi­sa­gé de se sui­ci­der. Plus de 13 000 répon­dants, soit 38 % de l’é­chan­tillon glo­bal, s’étaient iden­ti­fiés comme trans­genres ou non binaires.

Le Dr Jonah DeChants, cher­cheur membre du Tre­vor Pro­ject, affirme que les don­nées de l’en­quête du groupe « racontent une his­toire vrai­ment impor­tante sur l’im­pact sur la san­té men­tale du fait d’être une per­sonne LGBTQ et de vivre dans un monde qui vous dit que vous êtes mau­vais, que vous êtes une abo­mi­na­tion et qu’il n’est pas bon qu’on vous auto­rise à être en pré­sence d’autres enfants ».

De telles enquêtes en ligne sont deve­nues cou­rantes dans le domaine scien­ti­fique, mais les cher­cheurs affirment qu’elles peuvent ne pas être plei­ne­ment repré­sen­ta­tives de la popu­la­tion plus large étu­diée. Les auteurs de l’en­quête états-unienne de 2015 sur les per­sonnes trans­genres notent qu’il « n’est pas appro­prié de géné­ra­li­ser les résul­tats de cette étude à toutes les per­sonnes transgenres ».

Les experts en soins de genre affirment que des recherches plus spé­ci­fiques sont néces­saires pour déter­mi­ner si la tran­si­tion médi­cale en tant que mineur dimi­nue les pen­sées sui­ci­daires et les sui­cides en com­pa­rai­son du choix consis­tant à faire une tran­si­tion sociale ou à attendre avant de com­men­cer un traitement.

Cer­tains pro­fes­sion­nels des soins de genre déplorent que le risque de sui­cide soit trop sou­vent uti­li­sé pour faire pres­sion et même effrayer les parents afin qu’ils consentent au trai­te­ment. « Je pense qu’il est irres­pon­sable pour les cli­ni­ciens de faire cela », affirme Ander­son, l’an­cienne pré­si­dente de la sec­tion états-unienne de la WPATH. « En tant que psy­cho­logue cli­ni­cienne, je n’évalue pas le risque de sui­cide en fonc­tion de l’ap­par­te­nance à un groupe social. Le niveau de risque varie énor­mé­ment d’un indi­vi­du à l’autre. »

De Vries, la cher­cheuse néer­lan­daise, a décla­ré à Reu­ters que rien ne per­met d’affirmer que « le fait de four­nir des soins immé­dia­te­ment conduit à une baisse de l’au­to­mu­ti­la­tion ou pré­vient le suicide ».

DeChants, du Tre­vor Pro­ject, affirme qu’il ne vou­drait pas que les don­nées de l’or­ga­ni­sa­tion soient uti­li­sées pour faire pres­sion sur les gens : « Nous ne dirons jamais que les soins de san­té fon­dés sur l’af­fir­ma­tion du genre sont la seule façon d’a­bor­der le risque de sui­cide, mais c’est une option impor­tante que les jeunes, leurs méde­cins et leurs familles doivent pou­voir envisager. »

Après avoir éva­lué Ryace pen­dant deux heures, la Dr Cole et son équipe étaient convain­cus que Ryace souf­frait de dys­pho­rie de genre et était une can­di­date solide pour un trai­te­ment médi­cal. « Ryace est une jeune femme très dyna­mique et bien équi­li­brée qui s’est vue attri­buer le sexe mas­cu­lin à la nais­sance », a décla­ré le Dr Cole. Évo­quer la ques­tion du sui­cide lors de la pre­mière visite est effrayant pour beau­coup de parents, a‑t-elle ajou­té, mais « c’est une réa­li­té que nous devons aborder ».

Quelques semaines après sa visite à Akron, Danielle a annon­cé la tran­si­tion sociale de Ryace dans un mes­sage Face­book à sa famille et à ses amis. « Je vou­lais juste vous faire savoir que Ryace a com­men­cé le lycée en tant que femme », a‑t-elle écrit dans une publi­ca­tion en date du 19 sep­tembre 2020. « Elle peut enfin être qui elle a l’impression d’être. Une fille. Je pré­fè­re­rais par­fois que ce ne soit pas notre vie, mais ça l’est, c’est réel, et je dois lais­ser faire et être là pour ramas­ser les mor­ceaux quand le monde devient moche. Et ça arri­ve­ra, alors nous avons besoin de tout l’a­mour et de tout le sou­tien que nous pou­vons obtenir. »

De nom­breux parents et amis les ont sou­te­nus, y com­pris Alden, la mère de Danielle. D’autres ont ces­sé de par­ler aux Boyer. Cer­tains parents se sont plaints à l’é­cole de Ryace parce qu’elle uti­lise les toi­lettes des filles. Aupa­ra­vant, elle uti­li­sait les toi­lettes indi­vi­duelles. Le prin­ci­pal a sou­te­nu Ryace.

Ryace était impa­tiente de com­men­cer le trai­te­ment. « Qu’est-ce qu’on attend ? », a‑t-elle deman­dé à sa mère. En novembre 2020, Danielle a emme­né Ryace à un ren­dez-vous avec l’en­do­cri­no­logue pédia­trique de la cli­nique d’A­kron pour en savoir plus sur les blo­queurs de puber­té. L’en­do­cri­no­logue a pré­vu que Ryace reçoive sa pre­mière injec­tion en mars 2021.

[Apar­té du tra­duc­teur : lors d’une récente confé­rence en ligne don­née par des pro­fes­sion­nels membres de la WPATH, un méde­cin, l’en­do­cri­no­logue pédia­trique Daniel Metz­ger, de l’hô­pi­tal pour enfants de Colom­bie-Bri­tan­nique, a expli­ci­te­ment recon­nu que les enfants ne pos­sèdent pas les dis­po­si­tions cog­ni­tives néces­saires pour com­prendre les tenants et les abou­tis­sants des trai­te­ments médi­co-chi­rur­gi­caux dits d’af­fir­ma­tion de genre. C’est dans la vidéo ci-des­sous. Et c’est l’é­vi­dence même. Mais le fait que des membres de la WPATH l’ad­mettent en dit long sur l’in­sa­ni­té de cette organisation]

Des inconnues connues

Endo Inter­na­tio­nal plc et Abb­Vie Inc dominent le mar­ché amé­ri­cain des blo­queurs de puber­té. La seule uti­li­sa­tion de ces médi­ca­ments chez l’enfant approu­vée par la FDA consiste à trai­ter la puber­té pré­coce cen­trale, un trouble du déve­lop­pe­ment carac­té­ri­sé par l’ap­pa­ri­tion de chan­ge­ments puber­taires, avec le déve­lop­pe­ment de carac­tères sexuels secon­daires, une crois­sance et une matu­ra­tion osseuses accé­lé­rées, avant 8 ans pour les filles et 9 ans pour les gar­çons, en rai­son d’un dys­fonc­tion­ne­ment de l’hypophyse.

Par­mi les effets secon­daires obser­vés chez les enfants qui prennent ces médi­ca­ments, on trouve une dimi­nu­tion de la den­si­té osseuse, sou­vent trai­tée par des sup­plé­men­ta­tions en vita­mine D ou en cal­cium. Des études ont mon­tré que la den­si­té osseuse pou­vait reve­nir à la nor­male à la fin du trai­te­ment, mais aus­si que pour cer­taines filles trans­genres, ce n’était pas tou­jours le cas.

En sep­tembre, la FDA a publié une étude ne fai­sant état d’« aucune preuve d’un risque accru de frac­ture » chez les patients atteints de puber­té pré­coce qui prennent du leu­pro­lide, l’équivalent géné­rique du Lupron d’Abb­Vie et de médi­ca­ments simi­laires. Cepen­dant, l’é­tude de la FDA n’a pas exa­mi­né les cas d’en­fants ayant sui­vi ce médi­ca­ment dans le cadre d’un soin d’« affir­ma­tion de genre ».

Dans une étude de 2018 publiée dans la revue médi­cale Cli­ni­cal Pedia­trics, des cher­cheurs de l’u­ni­ver­si­té de Yale ont noté une forte aug­men­ta­tion de l’u­ti­li­sa­tion hors indi­ca­tion des blo­queurs de puber­té et ont fait remar­quer que ces médi­ca­ments n’avaient « pas été étu­diés en pro­fon­deur chez les popu­la­tions dont la puber­té se pro­duit au moment prévu ».

Au Texas, au début de l’an­née, des scan­ners osseux ont révé­lé qu’un enfant, âgé de 15 ans à l’é­poque, souf­frait d’os­téo­po­rose après 15 mois sous blo­queurs de puber­té. La mère de l’a­do­les­cente, qui a deman­dé à ne pas être iden­ti­fiée parce qu’elle tra­vaille à l’hô­pi­tal où son enfant a été trai­té, a décla­ré qu’elle pen­sait avoir tout fait cor­rec­te­ment lorsque son ado­les­cente avait fait son coming-out en tant que fille trans­genre. Mais après avoir consta­té les résul­tats de la scin­ti­gra­phie osseuse, exa­mi­nés par Reu­ters, elle a confié regret­ter d’a­voir pla­cé son enfant sous inhi­bi­teurs de puber­té. Elle a arrê­té ses injec­tions de Lupron et a refu­sé toute thé­ra­pie hormonale.

L’en­fant, qui avait effec­tué une tran­si­tion sociale, a d’a­bord été furieux contre elle et a mena­cé d’a­ban­don­ner le lycée. Mais leur rela­tion est désor­mais meilleure, explique-t-elle, bien que « nous ne par­lions pas de genre ».

Une autre pré­oc­cu­pa­tion concer­nant les blo­queurs de puber­té a émer­gé en 2016, lorsque la FDA a ordon­né aux fabri­cants de médi­ca­ments d’a­jou­ter un aver­tis­se­ment sur l’é­ti­quette des médi­ca­ments évo­quant les pro­blèmes psy­chia­triques qu’ils pou­vaient cau­ser chez les enfants atteints de puber­té pré­coce. Sur l’é­ti­quette du Lupron, Abb­Vie indique : « Des évé­ne­ments psy­chia­triques ont été rap­por­tés chez des patients » pre­nant des blo­queurs de puber­té. Ces évé­ne­ments com­prennent des symp­tômes émo­tion­nels « tels que des pleurs, de l’irritabilité, de l’im­pa­tience, de la colère et de l’agressivité ».

La FDA a deman­dé cette modi­fi­ca­tion du libel­lé du Lupron après avoir reçu 10 signa­le­ments, par le biais de son sys­tème de noti­fi­ca­tion des effets indé­si­rables, d’en­fants ayant eu des pen­sées sui­ci­daires, et d’une ten­ta­tive de sui­cide, selon un rap­port de l’a­gence du 5 décembre 2016 exa­mi­né par Reu­ters. Par­mi ces signa­le­ments figu­rait un patient de 14 ans qui pre­nait du Lupron pour une dys­pho­rie de genre. Dans son rap­port, la FDA note que les idées sui­ci­daires et la dépres­sion sont des « évé­ne­ments graves » et qu’il y a « suf­fi­sam­ment de preuves pour jus­ti­fier l’in­for­ma­tion des pres­crip­teurs, même en cas d’in­cer­ti­tude sur la causalité ».

L’a­gence a éga­le­ment deman­dé aux fabri­cants de médi­ca­ments de sur­veiller de près ces effets indé­si­rables et de lui trans­mettre des rap­ports plus détaillés. « La FDA pour­suit la sur­veillance des évé­ne­ments psy­chia­triques asso­ciés aux médi­ca­ments indi­qués pour le trai­te­ment des patients pédia­triques atteints de puber­té pré­coce cen­trale », sou­ligne l’agence.

Les signa­le­ments d’effets indé­si­rables éma­nant des pro­fes­sion­nels de la san­té, des consom­ma­teurs et des fabri­cants de médi­ca­ments aident la FDA à détec­ter les pro­blèmes de sécu­ri­té poten­tiels d’un médi­ca­ment pou­vant jus­ti­fier une enquête. Cepen­dant, l’a­gence ne reçoit pas de signa­le­ment pour chaque évé­ne­ment indé­si­rable, et rien ne garan­tit qu’un évé­ne­ment signa­lé ait été cau­sé par un médi­ca­ment. Les rap­ports peuvent conte­nir des erreurs, des don­nées incom­plètes ou des infor­ma­tions en double.

Reu­ters a trou­vé 72 signa­le­ments d’é­vé­ne­ments indé­si­rables sou­mis à la FDA entre 2013 et 2021, concer­nant des enfants sous blo­queurs de puber­té pré­sen­tant un com­por­te­ment sui­ci­daire, auto­mu­ti­lant ou dépres­sif. Ces enfants pre­naient ces médi­ca­ments pour trai­ter une puber­té pré­coce cen­trale ou une dys­pho­rie de genre, ou étaient sim­ple­ment iden­ti­fiés comme ayant moins de 18 ans.

Un signa­le­ment d’é­vé­ne­ment indé­si­rable adres­sé à la FDA le 17 décembre 2020 décrit un patient de 15 ans pre­nant du Lupron pour une thé­ra­pie de genre. Ce patient avait des anté­cé­dents de « trouble dépres­sif majeur » et des anté­cé­dents fami­liaux de dépres­sion. Il a connu une « dété­rio­ra­tion de sa san­té men­tale » alors qu’il était sous Lupron et a ten­té de se sui­ci­der à deux reprises. Abb­Vie affirme dans son rap­port à la FDA qu’il n’y a « aucune pos­si­bi­li­té rai­son­nable » que ces évé­ne­ments indé­si­rables soient liés au Lupron. La socié­té n’a pas sou­hai­té élaborer.

Le Dr Brad Mil­ler, direc­teur de la divi­sion d’en­do­cri­no­lo­gie pédia­trique de la facul­té de méde­cine de l’u­ni­ver­si­té du Min­ne­so­ta et de l’hô­pi­tal pour enfants M Health Maso­nic, s’est dit sur­pris par le nombre de signa­le­ments d’ef­fets indé­si­rables que Reu­ters a décou­verts. Il s’est dit par­ti­cu­liè­re­ment inquiet parce que les méde­cins pres­crivent des blo­queurs de puber­té aux enfants trans­genres, les­quels pré­sentent déjà un risque plus impor­tant de pro­blèmes de san­té mentale.

Mil­ler et plu­sieurs autres méde­cins ont décla­ré à Reu­ters avoir deman­dé à plu­sieurs reprises à Abb­Vie, Endo et à d’autres fabri­cants de blo­queurs de puber­té de deman­der à la FDA l’au­to­ri­sa­tion d’u­ti­li­ser ces médi­ca­ments pour trai­ter la dys­pho­rie de genre chez les enfants et de mener des essais cli­niques afin d’établir l’innocuité de ces médi­ca­ments dans ce contexte. Mais ces entre­prises ont tou­jours refu­sé. « Elles disent que l’ob­ten­tion de l’au­to­ri­sa­tion coû­te­rait très cher », explique Mil­ler. « Et elles ne sou­haitent pas enta­mer ces démarches parce que (le trai­te­ment des trans­genres) est très explo­sif sur le plan politique. »

Abb­Vie a refu­sé de faire des com­men­taires dans le cadre de cet article. Une porte-parole d’En­do a décla­ré que la socié­té ne pré­voyait pas de deman­der l’ap­pro­ba­tion régle­men­taire pour l’u­ti­li­sa­tion de son médi­ca­ment pour toute nou­velle indi­ca­tion. La socié­té n’a pas répon­du aux demandes de com­men­taires sup­plé­men­taires pour cet article.

Et cepen­dant que les pres­crip­tions d’in­hi­bi­teurs de puber­té aug­mentent pour des soins de genre non homo­lo­gués, les fabri­cants de médi­ca­ments rendent les alter­na­tives moins chères plus dif­fi­ciles à obtenir.

Le blo­queur de puber­té d’En­do est un implant qui se place dans la par­tie supé­rieure du bras et qui libère un médi­ca­ment pen­dant une période pou­vant aller jus­qu’à deux ans. Il y a envi­ron un an, la socié­té a infor­mé la FDA qu’elle avait aban­don­né un implant appe­lé Van­tas qui coû­tait envi­ron 4 600 dol­lars. Les méde­cins et les patients ont donc dû uti­li­ser un implant Endo simi­laire appe­lé Sup­pre­lin LA. Il coûte envi­ron 45 000 dol­lars, selon les don­nées sur les prix des médi­ca­ments ana­ly­sées par Reu­ters. Cer­taines familles béné­fi­ciant d’une assu­rance à fran­chise éle­vée pour­raient avoir à payer plu­sieurs mil­liers de dol­lars de leur poche.

Abb­Vie vend des ver­sions pour adultes et pour enfants du Lupron, admi­nis­tré par injec­tion tous les quelques mois. Selon des méde­cins, il n’y a pas de dif­fé­rence signi­fi­ca­tive entre les deux, mais ils pré­fèrent uti­li­ser la ver­sion pour adultes, moins chère, qui coûte envi­ron 4 700 dol­lars pour une dose de trois mois. Néan­moins, ces méde­cins expliquent que les assu­reurs insistent par­fois sur le recours à la ver­sion pour enfants, dont le prix dépasse les 10 000 dol­lars, lorsque la demande pré­cise que le patient est un enfant.

Cer­tains scien­ti­fiques et méde­cins disent éga­le­ment s’in­ter­ro­ger sur les éven­tuels effets neu­ro­lo­giques des blo­queurs de puber­té. Les hor­mones libé­rées pen­dant la puber­té jouent un rôle majeur dans le déve­lop­pe­ment du cer­veau. Cela étant, le fait de sup­pri­mer la puber­té entraîne-t-il une dimi­nu­tion des capa­ci­tés cog­ni­tives per­met­tant par exemple la réso­lu­tion de pro­blèmes ou la prise de décisions ?

Aux côtés de plu­sieurs autres cher­cheurs, le Dr John Strang, direc­teur de recherche du pro­gramme de déve­lop­pe­ment du genre à l’hô­pi­tal natio­nal pour enfants de Washing­ton, a écrit dans un article de 2020 que « la sup­pres­sion puber­taire peut empê­cher des aspects clés du déve­lop­pe­ment pen­dant une période sen­sible de l’or­ga­ni­sa­tion du cer­veau ». Strang notait éga­le­ment que « nous avons besoin de recherches de haute qua­li­té pour com­prendre les impacts de ce trai­te­ment — des impacts qui peuvent être posi­tifs à cer­tains égards et poten­tiel­le­ment néga­tifs à d’autres ». Il a tou­te­fois refu­sé de pré­ci­ser s’il menait de telles recherches ou s’il en assu­rait le financement.

Lors de leur pre­mière ren­contre à la cli­nique d’A­kron, la Dr Cole a été franche avec les Boyer au sujet des incer­ti­tudes liées aux inhi­bi­teurs de puber­té et au déve­lop­pe­ment du cer­veau. « Nous ne connais­sons pas les effets à long terme sur la fonc­tion cog­ni­tive. Cela pour­rait l’a­mé­lio­rer ou l’ag­gra­ver. Nous n’en avons aucune idée », leur a dit Cole. Mais elle a éga­le­ment pré­ci­sé qu’elle ne recom­man­de­rait pas ce trai­te­ment si elle ne consta­tait pas « un effet posi­tif sur les patients ».

De retour à la cli­nique sept mois plus tard, Ryace, 13 ans alors, sou­riait devant un tableau blanc où la date, 3–4‑21, était écrite au mar­queur vert. C’é­tait le jour de sa pre­mière injec­tion de Lupron. Une pho­to de Ryace datant de ce jour-là montre un petit pan­se­ment scin­tillant sur sa cuisse, visible à tra­vers son jean déchiré.

L’as­su­rance de la famille couvre presque tous les frais.

Au bout de quelques mois, Ryace s’est plainte de dou­leurs aux genoux. Elle a com­men­cé à prendre de la vita­mine D par pré­cau­tion, et sa dou­leur s’est dissipée.

Des questions sur la fertilité

Au début de cette année, la cli­nique d’A­kron a annon­cé aux Boyer qu’il était temps pour Ryace de pas­ser à l’é­tape sui­vante de son trai­te­ment, l’hor­mo­no­thé­ra­pie, pour l’ai­der à déve­lop­per les carac­té­ris­tiques fémi­nines cor­res­pon­dant à son iden­ti­té de genre. Ryace avait alors 14 ans.

GRANDS CHANGEMENTS : Depuis le début de l’an­née, Ryace prend des com­pri­més d’œs­tro­gènes pour l’ai­der à déve­lop­per les carac­té­ris­tiques sexuelles secon­daires cor­res­pon­dant à son iden­ti­té de genre. Ils pour­raient éga­le­ment réduire sa fer­ti­li­té plus tard dans la vie. REUTERS/Megan Jelinge

Dans ses nou­velles direc­tives, la WPATH ne recom­mande aucun âge mini­mal pour la prise d’hormones.

Depuis des décen­nies, l’hor­mo­no­thé­ra­pie consti­tue l’élé­ment cen­tral du trai­te­ment per­met­tant aux adultes d’effectuer leur tran­si­tion — œstro­gène pour les femmes trans­genres et tes­to­sté­rone pour les hommes transgenres.

Mais pour les enfants, le choix de prendre des hor­mones s’avère plus com­pli­qué. À l’image d’une grande par­tie de la méde­cine trans­genre, la recherche sur l’im­pact des hor­mones sur la fer­ti­li­té consiste en de petites études d’ob­ser­va­tion ou des enquêtes sur les adultes qui, selon les experts, pré­sentent des limites importantes.

De nom­breux méde­cins recon­naissent que l’hor­mo­no­thé­ra­pie à long terme peut dimi­nuer la fer­ti­li­té, et sou­lignent que les enfants qui reçoivent des blo­queurs de puber­té sui­vis d’hor­mones courent le plus grand risque. Mais en l’ab­sence de don­nées scien­ti­fiques défi­ni­tives sur les­quelles s’ap­puyer, les méde­cins laissent sou­vent la ques­tion en sus­pens lors­qu’ils parlent aux enfants et à leurs parents.

Un mar­di du début de cette année, Ethan S., 16 ans, et sa mère se sont retrou­vés dans une salle d’exa­men de la ban­lieue de Port­land pour par­ler de la thé­ra­pie basée sur la tes­to­sté­rone avec la Dr Kara Connel­ly, direc­trice de la cli­nique de genre Doern­be­cher de l’O­re­gon Health & Science Uni­ver­si­ty. Après avoir pas­sé en revue les anté­cé­dents médi­caux de la famille, Connel­ly, pro­fes­seure asso­ciée d’en­do­cri­no­lo­gie pédia­trique, a deman­dé à Ethan ce qu’il atten­dait de la tes­to­sté­rone. « Une voix plus grave, clai­re­ment, et des chan­ge­ments au niveau de la répar­ti­tion de ma graisse, par exemple. Et avec un peu de chance, une pilo­si­té faciale », a‑t-il répon­du. Selon Connel­ly, Ethan pou­vait s’at­tendre à ces chan­ge­ments et à d’autres encore liés à un pro­ces­sus de mas­cu­li­ni­sa­tion. La voix plus grave et l’altération de la pousse des che­veux seraient irréversibles.

Connel­ly a ensuite abor­dé la ques­tion de la fer­ti­li­té : presque tous les patients qui arrêtent de prendre de la tes­to­sté­rone recom­mencent à avoir des cycles mens­truels, leur a‑t-elle dit, et ils peuvent ensuite mener une gros­sesse ou faire uti­li­ser leurs ovules par quel­qu’un d’autre. « Nous ne pou­vons pas pré­dire avec 100% de cer­ti­tude que la tes­to­sté­rone n’au­ra aucun effet sur votre poten­tiel de fer­ti­li­té », a décla­ré Connel­ly. « Tout ce que nous savons, c’est ce qu’il se passe en géné­ral au sein d’une popu­la­tion, et il semble, d’a­près ces don­nées, que ce trai­te­ment ne soit pas aus­si nocif pour le poten­tiel de fer­ti­li­té que ce que nous pensions. »

Connel­ly basait ses com­men­taires sur une étude de 2014 publiée dans la revue Obs­te­trics & Gyne­co­lo­gy. Une étude elle-même basée sur un son­dage auprès de 41 hommes trans­genres ayant eu un bébé. Vingt-cinq d’entre eux avaient décla­ré avoir pris de la tes­to­sté­rone avant de tom­ber enceints. Cepen­dant, les cher­cheurs notaient que l’en­quête excluait les hommes trans­genres « qui tentent de tom­ber enceints et n’y par­viennent pas et ceux qui ne portent pas à terme ».

Ethan ne se pré­oc­cu­pait pas des effets secon­daires pos­sibles de la prise de tes­to­sté­rone. « Quand est-ce que je peux en avoir au plus tôt ? » a‑t-il demandé.

En Ore­gon, les ado­les­cents peuvent prendre des hor­mones sans le consen­te­ment de leurs parents dès l’âge de 15 ans. Une assis­tante sociale lui a ten­du un for­mu­laire qu’E­than s’est empres­sé de signer.

La mère d’E­than, Melis­sa, lui a appor­té son sou­tien. Elle a sou­li­gné qu’E­than avait déjà effec­tué une tran­si­tion sociale lors­qu’il avait com­men­cé à par­ler de tran­si­tion médi­cale il y a deux ans. Entre-temps, le père de Melis­sa, souf­frant d’al­coo­lisme et de dépres­sion, s’é­tait sui­ci­dé, en février 2021. Ethan avait été proche de son grand-père, et avec cette his­toire fami­liale, Melis­sa s’in­quié­tait encore plus pour son fils. « Il y a la peur de ce qui se passe si je le laisse faire la tran­si­tion et puis la peur de ce qui se passe si je ne le fais pas », a décla­ré Melis­sa après le rendez-vous.

Avant le trai­te­ment de genre, peu d’en­fants choi­sissent de faire pré­ser­ver leurs ovules ou leur sperme — une pra­tique qui consti­tue une sorte d’assurance au cas où ils déci­de­raient d’es­sayer d’a­voir des enfants plus tard dans leur vie. Le pré­lè­ve­ment d’o­vules, en par­ti­cu­lier, peut être coû­teux et inva­sif. Et pour les deux genres [on ne parle pas de « repro­duc­tion gen­rée » mais de « repro­duc­tion sexuée », il s’agit, là encore, de « sexes » et non de « genres », évi­dem­ment (NdT)], cela peut accroître la gêne qu’ils éprouvent vis-à-vis de leur corps.

La Dr Ange­la Kade Goep­ferd, pédiatre et direc­trice médi­cale du pro­gramme de san­té de genre à l’hô­pi­tal pour enfants du Min­ne­so­ta, demande par­fois aux parents d’é­crire une lettre à leur futur enfant adulte concer­nant la déci­sion de com­men­cer à prendre des médi­ca­ments sus­cep­tibles d’af­fec­ter leur fer­ti­li­té. Le point de vue d’un ado­les­cent sur le fait de fon­der une famille peut chan­ger avec le temps. L’ob­jec­tif est donc que l’en­fant se sou­vienne des conver­sa­tions qu’il aura eues et des choix qu’il aura effec­tués lors­qu’il était plus jeune, explique Goep­ferd, qui ajoute : « Je ne pense pas que ce soient des déci­sions faciles pour les familles. »

À Akron, la Dr Cole a essayé une approche simi­laire avec Ryace. Elle sug­gère à ses patients d’es­sayer de s’i­ma­gi­ner dans la peau d’une per­sonne de 35 ans et de réflé­chir à ce que cette per­sonne pour­rait vou­loir. « Les enfants, de par leur concep­tion, ont ten­dance à ne pas pen­ser aux consé­quences à long terme. Ce n’est pas ain­si que fonc­tionne leur cer­veau », explique Cole.

À la mai­son, Danielle a deman­dé à Ryace si la pos­si­bi­li­té de ne pas pou­voir avoir d’en­fants bio­lo­giques la déran­geait. Ryace a répon­du qu’elle adop­te­rait. De plus, une amie lui avait déjà pro­po­sé d’a­voir un bébé pour elle une fois qu’elles seraient adultes. « Ça pour­rait être triste, mais ça me convient », a dit Ryace à sa mère.

En avril de cette année, Ryace pre­nait des pilules d’œs­tro­gène et rece­vait régu­liè­re­ment des injec­tions de Lupron. L’en­do­cri­no­logue a com­men­cé à lui admi­nis­trer une faible dose d’œs­tro­gènes, en aug­men­tant pro­gres­si­ve­ment la quan­ti­té tout en sevrant Ryace du blo­queur de puber­té. Ryace voit aus­si régu­liè­re­ment un conseiller. La cli­nique d’A­kron, comme beau­coup d’autres aux­quelles Reu­ters s’est adres­sé, exige que la plu­part des ado­les­cents sous hor­mones reçoivent des conseils pour les aider à tra­ver­ser cette période, qui peut s’avérer phy­si­que­ment et émo­tion­nel­le­ment difficile.

« Ils font de leur mieux »

Ryace vit essen­tiel­le­ment sa vie comme n’im­porte quelle ado­les­cente. Mais, au fil de sa tran­si­tion, elle conti­nue de faire face à la désap­pro­ba­tion d’autres parents et de la communauté.

L’an­née der­nière, à la foire du com­té, des spec­ta­teurs ont râlé lorsque Ryace a été cou­ron­née prin­cesse des che­vaux. En ville, elle voit les gens lever les yeux au ciel et entend leurs com­men­taires déso­bli­geants. Lors d’une sor­tie sco­laire en mai, elle a écla­té en san­glots en voyant des élèves se moquer d’un gar­çon de 16 ans d’une autre école qui avait flir­té avec elle et avait deman­dé à lui envoyer des mes­sages en ligne.

Cer­tains patients qui reçoivent des trai­te­ments comme celui de Ryace décident fina­le­ment de subir une « chi­rur­gie du bas ». Pour les filles trans­genres, l’in­ter­ven­tion, appe­lée vagi­no­plas­tie avec inver­sion du pénis, consiste à créer un vagin et une vulve à par­tir du pénis et du scro­tum du patient. Par­fois, les tes­ti­cules sont éga­le­ment reti­rés. L’o­pé­ra­tion est irré­ver­sible, coû­teuse et peut entraî­ner de graves com­pli­ca­tions qui néces­sitent des pro­cé­dures de suivi.

Ini­tia­le­ment, les auteurs des nou­veaux stan­dards de soins de la WPATH envi­sa­geaient de ne pas recom­man­der la chi­rur­gie géni­tale avant l’âge de 17 ans, mais fina­le­ment, ils n’ont pas for­mu­lé de recom­man­da­tion à ce sujet. L’En­do­crine Socie­ty (la Socié­té d’endocrinologie) fixe cet âge à 18 ans. Dans sa récente décla­ra­tion de poli­tique géné­rale, l’ad­mi­nis­tra­tion Biden a décla­ré que les chi­rur­gies d’af­fir­ma­tion du genre étaient « géné­ra­le­ment uti­li­sées à l’âge adulte ou, au cas par cas, à l’adolescence ».

Les chi­rur­gies géni­tales pra­ti­quées sur des mineurs sont rares, mais les chi­rur­giens affirment que la demande est crois­sante. L’a­na­lyse de Komo­do des demandes d’as­su­rance a révé­lé 56 chi­rur­gies géni­tales, com­pre­nant des vagi­no­plas­ties et d’autres pro­cé­dures, chez des patients âgés de 13 à 17 ans ayant déjà reçu un diag­nos­tic de dys­pho­rie de genre entre 2019 et 2021. Cela ne tient pas compte des chi­rur­gies non cou­vertes par l’as­su­rance. Dans un article de recherche publié en 2017 dans lequel 20 chi­rur­giens amé­ri­cains affi­liés à WPATH étaient inter­ro­gés, des méde­cins ont décla­ré qu’il y avait eu « une nette aug­men­ta­tion du nombre de mineurs » deman­dant des infor­ma­tions sur la vagi­no­plas­tie ou étant orien­tés vers la chi­rur­gie par leurs pres­ta­taires de san­té mentale.

Les com­pli­ca­tions des chi­rur­gies géni­tales sont fré­quentes. Une étude cali­for­nienne a révé­lé qu’un quart des 869 patientes ayant subi une vagi­no­plas­tie, dont l’âge moyen était de 39 ans, avaient connu une com­pli­ca­tion chi­rur­gi­cale tel­le­ment grave qu’elles avaient dû être ré-hos­pi­ta­li­sées. Par­mi ces patientes, 44 % ont dû subir une nou­velle inter­ven­tion chi­rur­gi­cale afin de trai­ter la com­pli­ca­tion, qui consis­tait entre autres en des hémor­ra­gies et des lésions intestinales.

Pour les ado­les­centes en tran­si­tion vers le sexe fémi­nin, les blo­queurs de puber­té et les hor­mones peuvent com­pli­quer une éven­tuelle chi­rur­gie géni­tale. En effet, ces médi­ca­ments peuvent retar­der le déve­lop­pe­ment des organes géni­taux mas­cu­lins à par­tir des­quels sont construits le vagin et la vulve. En 2020, De Vries et d’autres cher­cheurs néer­lan­dais ont exhor­té les cli­ni­ciens à infor­mer les jeunes trans­genres et leurs parents de ce risque lors­qu’ils com­mencent à prendre des blo­queurs de puberté.

Bowers, la nou­velle pré­si­dente de la WPATH, qui est une femme trans­genre, a décla­ré qu’elle s’était inquié­tée du fait que cer­tains patients qui com­mencent à prendre des blo­queurs de puber­té à un jeune âge pour­raient ne jamais avoir d’or­gasme parce qu’ils n’en auront jamais eu avant de sus­pendre leur puber­té, qu’ils aient ou non recours à la chi­rur­gie. Elle affirme que les recherches en cours ont per­mis de dis­si­per bon nombre de ses inquié­tudes, et « il semble non seule­ment pro­bable mais vrai­sem­blable qu’il y ait réten­tion de la fonc­tion orgas­mique ». Elle déclare avoir encou­ra­gé les méde­cins à par­ler de ce risque avec les ado­les­cents avant qu’ils ne com­mencent à prendre des médicaments.

La cli­nique d’A­kron n’a pas encore dis­cu­té de chi­rur­gie géni­tale avec les Boyer. L’hô­pi­tal pour enfants d’A­kron ne pro­pose pas de chi­rur­gie d’af­fir­ma­tion du genre.

Dans l’en­semble, Ryace ne semble pas per­tur­bée par les impli­ca­tions à long terme du trai­te­ment. « Je me contente de faire avec, à peu près, » dit-elle.

Avec le recul, elle par­donne à sa mère de l’a­voir obli­gée à dis­si­mu­ler son iden­ti­té pen­dant si long­temps. « Par­fois, elle ne me pro­té­geait pas vrai­ment. Elle me fai­sait sim­ple­ment du mal. Mais je sais qu’elle ne le vou­lait pas », explique Ryace. « Je sais que beau­coup de parents font pro­ba­ble­ment ça, et ils pensent qu’ils font de leur mieux. »

Un repor­tage spé­cial de Reu­ters signé Chad Terhune, Robin Respaut et Michelle Conlin


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

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