Le remède de la Fed risque d’être pire que la maladie

Le remède de la Fed risque d’être pire que la maladie

Un méli-mélo de nouveaux programmes d’achat d’actifs va essentiellement nationaliser de larges pans des marchés financiers, et les conséquences pourraient être profondes.


Par Jim Bianco − Le 27 mars 2020 − Source Bloomberg Opinion

The Fed took unprecedented action to meet an unprecedented crisis. Is it dangerous?
La Fed a pris des mesures sans précédent pour faire face à une crise sans précédent. Est-ce dangereux ? Crédit photo: Olivier Douliery/Bloomberg

Le débat économique du jour porte sur la question de savoir si un arrêt économique comme remède est pire que la maladie virale. De même, nous devons nous demander si le remède de la Réserve fédérale qui s’est engagée si profondément dans les obligations d’entreprises, les titres adossés à des actifs, le papier commercial et les fonds négociés en bourse est pire que la maladie qui s’est emparée des marchés financiers. C’est peut-être le cas.

Au cours des dernières semaines, la Fed a réduit ses taux de 150 points de base pour les ramener à un niveau proche de zéro et elle a passé en revue l’ensemble de son manuel de crise 2008. Mais cela n’a pas suffi à calmer les marchés. La banque centrale a donc également annoncé 1 000 milliards de dollars pour les opérations de rachat et l’assouplissement quantitatif illimité, qui comprend un achat d’obligations, difficile à comprendre, de 625 milliards de dollars par semaine à l’avenir. À ce rythme, la Fed détiendra les deux tiers des bons Trésor dans un an.

Mais c’est le méli-mélo des nouveaux programmes qui mérite une attention particulière, car ils pourraient avoir de profondes conséquences à long terme sur le fonctionnement de la Fed et l’allocation des capitaux sur les marchés financiers. Plus précisément, il s’agit des programmes suivants :

  • CPFF (Commercial Paper Funding Facility) – achat de créances auprès de l’émetteur.
  • PMCCF (Primary Market Corporate Credit Facility) – achat d’obligations d’entreprises auprès de l’émetteur.
  • TALF (Term Asset-Backed Securities Loan Facility) – facilité de prêts pour les titres adossés à des actifs.
  • SMCCF (Secondary Market Corporate Credit Facility) – achat d’obligations de sociétés et d’ETF (FBN, ou Fonds Négociés en Bourse, NdT) obligataires sur le marché secondaire.
  • MSBLP (Main Street Business Lending Program) – Les détails sont à venir, mais la Fed prêtera aux petites et moyennes entreprises éligibles, en complément des efforts de l’Association des Petites et Moyennes Entreprises.

Pour dire les choses franchement, la Fed n’est pas autorisée à faire tout cela. La Banque Centrale n’est autorisée à acheter ou à prêter que contre des titres bénéficiant de la garantie de l’État. Il s’agit notamment des titres du Trésor, des titres adossés à des créances hypothécaires d’institutions financières et de la dette émise par Fannie Mae et Freddie Mac [les sociétés publiques de crédit hypothécaire à l’origine de la crise des sub-prime en 2008, NdT]. On peut avancer l’argument que les titres municipaux peuvent également être inclus, mais rien dans la liste ci-dessus.

Alors comment faire ? La Fed financera une structure ad hoc (SPV) pour chaque acronyme afin de mener ces opérations. Le Trésor, en utilisant le Fonds de stabilisation des changes, fera un investissement en actions dans chaque SPV et sera en position de « première perte ». Qu’est-ce que cela signifie ? En substance, c’est le Trésor, et non la Fed, qui achète tous ces titres et soutient les prêts ; la Fed agit en tant que banquier et fournit le financement. La Fed a engagé BlackRock Inc. pour acheter ces titres et gérer l’administration des SPV au nom du propriétaire, le Trésor.

En d’autres termes, le gouvernement fédéral nationalise de larges pans des marchés financiers. La Fed fournit l’argent nécessaire à cette fin. BlackRock se chargera des transactions [et d’encaisser les commissions, NdT].

Ce plan fusionne essentiellement la Fed et le Trésor en une seule organisation. Et bien, voici votre nouveau Président de la Fed, Donald J. Trump [ou, plus exactement, voici votre nouveau président de la République, Jerome Powell, NdT ]

En 2008, lorsque quelque chose de similaire a été fait, c’était à une plus petite échelle. Comme peu de gens le comprenaient, les administrations Bush et Obama ont cédé le contrôle total de ces programmes à Ben Bernanke, alors président de la Fed. Il s’en est débarrassé à la première occasion. Mais aujourd’hui, douze ans plus tard, nous comprenons beaucoup mieux leur fonctionnement. Et nous avons un Président qui a très clairement fait savoir à quel point il était mécontent que les banquiers centraux n’aient pas utilisé leur pouvoir considérable pour faire monter l’indice Dow Jones des valeurs industrielles d’au moins 10 000 points, ce dont il s’est plaint à maintes reprises avant que la pandémie ne s’installe.

Lorsque la Fed a été alarmée, à juste titre, par le dysfonctionnement actuel des marchés des titres à revenu fixe, elle a estimé qu’elle devait agir. C’était la bonne idée. Mais, pour obtenir l’autorité nécessaire à la stabilisation de ces marchés « privés », les banquiers centraux avaient besoin que le Trésor accepte de les nationaliser – donc de les posséder – afin qu’ils puissent fournir les fonds pour le faire.

En effet, la Fed donne au Trésor l’accès à sa planche à billets. Cela signifie qu’à l’extrême, l’Administration serait libre d’utiliser son contrôle, et non celui de la Fed, sur ces SPV pour ordonner à la Fed d’imprimer plus d’argent afin de pouvoir acheter des titres et accorder des prêts dans le but de faire grimper les marchés financiers plus haut à l’approche des élections. Pourquoi s’arrêter là ? Si Trump est réélu, il pourrait essayer d’utiliser ces SPV pour obtenir les 10 000 points de plus pour le Dow Jones que la Fed a, selon lui, refusés à tout le monde.

Si les programmes listés plus haut étaient utilisés abusivement comme je le décris, ils pourraient en effet forcer les marchés à atteindre des niveaux plus élevés que la valeur des garanties. Mais cela aurait un prix élevé. Les investisseurs seraient privés des signaux nécessaires qu’offrent les marchés de capitaux librement négociés pour aider à une spéculation allocation efficace du capital. Le « mauvais investissement » serait généralisé. Il pourrait également forcer les acteurs du secteur privé à partir, car la mainmise du gouvernement rendrait non rentable le fait d’opérer sur des marchés « contrôlés ». C’est ce qui s’est déjà produit sur le marché des fonds fédéraux américains et sur le marché des obligations d’État au Japon.

Le président de la Fed, Jerome Powell, doit en effet faire preuve de prudence pour s’assurer que son remède n’est pas pire que la maladie.

Jim Bianco

Note du Saker Francophone

Il est peut-être trop tôt pour dire que le Président et le Congrès sont en train de reprendre, ou tenter de reprendre, le contrôle de la Fed et donc de l'émission de la monnaie américaine et surtout du taux d'intérêt de son émission. Est-ce une stratégie à court-terme pour sa réélection, ou bien une tentative de remise en cause de l’État profond contrôlant la monnaie et donc la dette via la Fed, qui ne l'oublions pas est une banque privée détenue par d'autres banques privées. 

La Constitution américaine de 1787 stipule que l'émission de la monnaie est un droit imprescriptible du peuple américain (Art 1, section 8). Or ce droit a été bafoué par le vote du Congrès de 1913 établissant la création de la Fed. Depuis aucun Président n'a vraiment pu faire prévaloir ce droit, le dernier en date étant Kennedy (Executive Order 11110 du 4 juin 1963, par lequel la création de monnaie gagée sur les réserves d'or et d'argent du Trésor se ferait sans la Fed, donc sans le paiement d'intérêts). Le successeur de Kennedy, L.B. Johnson, a abrogé ce décret dans l'avion entre Dallas et Washington le 22 novembre 1963, date de l'assassinat de John Kennedy.

Traduit par Michel, relu par Hervé pour Le Saker Francophone

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