Anne Michèle Meggs a été directrice de la planification et de la reddition de comptes au ministère de l’Immigration, la Francisation et l’Intégration, directrice de la recherche et de l’évaluation, Office québécois de la langue française et autrice du livre L’immigration au Québec : comment on peut faire mieux (Éditions du Renouveau québecois) juin 2023.
Original soumis le 11 août 2023
Résumé
Ce mémoire aborde les fondements de la planification de l’immigration au Québec pour démontrer que cette planification n’est pas inévitablement restreinte à l’immigration permanente. Il explique que l’immigration permanente ne représente plus la majorité des personnes nouvellement arrivées au Québec et que le nombre de personnes arrivant avec un statut temporaire est beaucoup plus grand que celui des personnes qui ont obtenu leur visa de résidence permanente pendant la même période. Il explore ensuite divers enjeux présentés dans le document de consultation et la place importante que joue l’immigration temporaire dans ces enjeux, notamment la langue française, l’économie, la régionalisation et la capacité d’accueil. L’autrice souligne la pénurie de données pertinentes à la planification et conclut que le gouvernement serait bien avisé de prendre en considération l’ensemble de l’immigration et l’ensemble des leviers de contrôle à sa disposition dans l’élaboration de ses orientations en immigration.
Le 25 mai dernier le gouvernement a déposé le Cahier de consultation pour la Planification de l’immigration au Québec pour la période 2024-2027. Cet exercice est une obligation législative qui devait avoir lieu en 2022 puisque la dernière période de planification couvrait la période 2020 à 2022, mais la planification a été prolongée d’un an et les consultations sur les nouvelles orientations ont ainsi été sagement reportées ce qui a permis d’éviter un débat sur ce sujet névralgique et complexe pendant une campagne électorale.
Ce mémoire fera un bref retour sur les fondements de l’exercice de planification pluriannuelle, ainsi que sur l’éléphant dans la pièce, l’immigration temporaire, et sa place dans des enjeux et orientations présentés dans le document de consultation.
Fondements de la planification pluriannuelle de l’immigration
Il y a lieu de revenir sur les fondements constitutionnels et législatifs de cet exercice.
Le fondement constitutionnel du gouvernement du Québec en matière d’immigration est l’entente de 1991 intitulée Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains qui partage les responsabilités de cette juridiction concurrente de l’article 95 de la Constitution de 1867 entre les deux ordres de gouvernement. Cet Accord a découlé de l’Entente Cullen-Couture de 1978 et de l’Accord de Lac Meech, qui incluaient l’immigration temporaire parmi les responsabilités partagées avec le Québec.
L’Entente Cullen-Couture ne faisait pas référence à la question du nombre de personnes immigrantes à prévoir. Pourtant, en 1982, la Cour suprême du Canada a jugé que le Québec ne possédait pas de droit de veto sur les amendements constitutionnels. La formule générale de modification de la Constitution rapatriée est devenue l’adoption par les assemblées législatives d’au moins sept provinces représentant au moins 50 % de la population de toutes les provinces. À partir de ce moment, la question de la protection du poids démographique du Québec au sein du Canada a pris tout son sens et on trouve l’enjeu des volumes d’immigration dans les accords suivants.
Quant à la Loi sur l’immigration au Québec, l’article 1 précise qu’elle « a pour objets la sélection de ressortissants étrangers souhaitant séjourner au Québec à titre temporaire ou s’y établir à titre permanent… ». Les articles 3 et 4 font référence à une planification pluriannuelle d’immigration dont les orientations ayant « notamment pour objets la composition de l’immigration et le nombre prévu de personnes admises » sont « déposées à l’Assemblée nationale pour une consultation générale tenue » en commission parlementaire. L’article 3 définit les éléments à prendre en considération dans la planification, notamment la politique québécoise en matière d’immigration, la demande d’immigration, les besoins du Québec, dont ceux de ses régions, ainsi que sa capacité d’accueil et d’intégration.
La planification n’est aucunement restreinte juridiquement à l’immigration permanente, contrairement à l’affirmation à la page 9 du document de consultation que « la planification des volumes d’admission ne concerne que l’immigration permanente ».
Le document de consultation ne décrit pas les responsabilités accordées au Québec en matière d’immigration temporaire selon l’Accord. On souligne que « nous ne saurions faire abstraction [de l’immigration temporaire] dans le cadre de la planification pluriannuelle de l’immigration permanente puisque la capacité d’intégration du Québec n’est pas illimitée » (p. 8), que « l’analyse de la capacité d’accueil du Québec doit aussi tenir compte de l’immigration temporaire et des demandes d’asile » (p. 9), que « la capacité d’accueil, d’intégration et de francisation propre au Québec est prise en compte dans l’élaboration des seuils d’immigration » (p. 36), tout en affirmant que la planification actuelle ne concerne que l’immigration permanente et que la capacité d’accueil sera documentée ultérieurement. (Orientation 10b)
Beaucoup de chiffres, mais combien d’arrivées, qui, où et quand?
La planification pluriannuelle est essentiellement un exercice de court terme, généralement trois à cinq ans, mais dont les conséquences sont à long terme. Pour planifier en fonction de la capacité d’accueil sur le terrain dès l’arrivée des personnes immigrantes, il faut d’abord avoir une idée de quand elles vont arriver et en quel nombre.
Pourtant, il est important de comprendre que le nombre de personnes qui obtiennent leur résidence permanente chaque année, celles qui sont comptées dans les seuils d’immigration en discussion dans ces consultations, ne représente plus le nombre de personnes qui arrivent chaque année. Il était autrefois raisonnable de penser que c’était le cas, mais il y a plusieurs années les règles ont changé. Le gouvernement fédéral a retiré l’obligation générale, en application quand l’Accord Canada-Québec a été signé, de faire une demande d’immigration à partir de l’étranger. Depuis qu’une demande d’immigration peut se faire sur place, de plus en plus de visas de résidence permanente sont délivrés à des personnes déjà sur le territoire, parfois depuis plusieurs années.
Visas de résidence permanente contrôlés par la planification
Le nombre de personnes qui ont obtenu leur résidence permanence au Québec pendant les cinq premiers mois de cette année est 22 925, une baisse de 7,6 % par rapport à la même période l’année dernière. La plupart de ces personnes ont probablement fait leur demande de résidence permanente en 2021 ou au début de 2022.
En 2022 :
Presque la moitié de la sous-catégorie des travailleurs qualifiés (19 500 sur 40 345) était constituée des personnes qui avaient un permis d’études ou de travail temporaire au moment de l’obtention de la résidence permanente, voulant dire qu’elles sont arrivées au Québec au moins deux à quatre ans auparavant (2017 à 2019). Depuis le mois de mai 2022, des titulaires d’un CSQ à l’étranger sont admissibles à un permis de travail ouvert pour venir au Canada en attendant leur visa de résidence permanente. Ils arrivent donc sans être comptés parmi l’immigration permanente.
Un grand nombre de la catégorie humanitaire était déjà sur le territoire en tant que demandeur d’asile. Le traitement d’une demande de reconnaissance comme réfugié peut prendre minimalement entre deux et quatre ans, parfois plus.
Le gouvernement fédéral offre maintenant un permis temporaire à des conjointes et conjoints et membres de la famille acceptés dans la catégorie de réunification familiale leur permettant de venir au pays en attendant leur résidence permanente.
On peut s’attendre à ce que le nombre de personnes ayant obtenu leur résidence permanente au Québec à la fin de cette année sera autour de 50 000 parce que c’est le nombre prévu dans le Plan d’immigration du Québec pour 2023, mais une grande proportion sont sûrement déjà ici depuis quelques années.
Permis d’études et de travail pas contrôlés
Le nombre de permis dans les trois programmes temporaires (études, Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le Programme de mobilité internationale (PMI)) délivrés au Québec les cinq premiers mois de 2023, était 78 355, plus que le triple des visas de résidence permanente et une augmentation de 49 % par rapport à la même période en 2022. Pour toute l’année 2022, 152 670 permis étaient délivrés au Québec et, à la fin de 2022, il y avait 201 780 titulaires de permis des trois programmes au Québec.
Encore une fois, ces données ne nous disent pas le nombre d’arrivées pendant l’année. Une personne va généralement passer d’un permis temporaire à un autre pendant quelques années avant de faire une demande de résidence permanente. Il est néanmoins évident qu’il y a beaucoup plus de personnes à statut temporaire arrivant en sol québécois chaque année que de personnes qui obtiennent leur statut de résidence permanente. Pour un grand nombre, les étudiantes et étudiants internationaux, on sait au moins quand elles vont arriver, c’est-à-dire au mois d’août au début de la session d’automne des établissements collégiaux et universitaires. Ces jeunes auront besoin d’un toit et seront à la recherche d’un emploi au moins à temps partiel.
Le document de consultation affirme que « le nombre de travailleuses et de travailleurs étrangers temporaires qui viennent au Québec dépend des besoins évolutifs des employeurs québécois ». C’est la même approche que celle adoptée par le gouvernement fédéral pour l’ensemble du Canada, mais ce n’est pas la seule approche possible et même pas la plus souhaitable pour de multiples raisons.
Demandeurs d’asile contrôlables au Canada uniquement par des visas sur les pays d’origine
Les données sur les demandeurs d’asile sont les seules qui présentent le nombre d’arrivées. Les cinq premiers mois de 2023, autour de 26 440 demandes d’asile ont été traitées à des points d’entrée aériens, terrestres, maritimes et internes au Québec. C’est toujours le Québec qui domine dans les données canadiennes, mais cela s’explique par les trois premiers mois de l’année avant la fermeture du chemin Roxham. Dupuis, les chiffres par voie terrestre pour le Québec sont moindres de ceux pour l’Ontario. Les points d’entrée aériens de Montréal et de Toronto sont devenus les plus importants au Canada. Il faudra suivre des données pour quelques mois encore pour déterminer si la tendance des derniers mois se maintient, avec le Québec largement en tête des demandes au Canada.
Les seuls mécanismes de contrôle de l’arrivée des demandeurs d’asile sont l’Entente sur les pays tiers sûrs le long de la frontière américaine, ainsi que les visas temporaires de toutes sortes délivrés par le gouvernement fédéral. Si les données sont présentées en termes de nombre de dossiers, il est important de se rappeler que ce sont les êtres humains, souvent des familles, qui ont les mêmes besoins sur le terrain que toute autre personne, parfois plus compte tenu des circonstances de leur arrivée. Les responsabilités du Québec en matière de services à ces personnes ne sont pas précisées dans l’Accord. Ces services sont détaillés dans un décret du gouvernement du Québec adopté en 1996. Il y aurait lieu de revoir ce décret puisque le contexte mondial a changé radicalement et la plupart des programmes mentionnés n’existent plus ou ont évolué avec de nouveaux critères et de nouvelles conditions. Particulièrement les programmes d’emploi.
Le nombre de personnes qui vont chercher au Canada une vie sans persécution, violence et catastrophes climatiques ne cessera de croître. Le Québec aura à se préparer à ce phénomène.
Fixer des seuils d’immigration uniquement en fonction du nombre de visas de résidence permanente est devenu déconnecté de la réalité locale, québécoise, canadienne et mondiale. Les personnes qui arrivent au Canada avec d’autres statuts s’ajoutent à la population québécoise et à la vie communautaire et de quartier. En fait, ce ne sont que les migrations internationales qui font croître la taille de la population du Québec et donc son poids démographique au sein du Canada. Le gouvernement serait bien avisé de prendre en considération l’ensemble de l’immigration et l’ensemble des leviers de contrôle à sa disposition dans l’élaboration de ses orientations en immigration.
Orientations teintées par l’immigration temporaire
La ministre caractérise les orientations comme un « Y » dont les deux branches sont l’économie et la langue. Cela étant dit, plusieurs autres enjeux sont également soulignés dans le document de consultation. Examinons quelques-uns d’entre eux.
Langue française
La ministre a beau signaler la langue comme une des deux branches de ses orientations, la question ne se trouve pas dans la liste des enjeux.
Le document prend soin de ne pas suggérer que l’immigration peut renverser le déclin de l’utilisation du français au Québec. Au mieux le message de la ministre parle du « potentiel d’être une solution au déclin du français ». (p. 6) Il est bien d’être prudent sur l’effet réel de la politique d’immigration sur les projections pour le français. Le rapport du démographe Marc Termote, préparé à la demande du ministre Boulet, est très clair sur ce point.
Parlons plutôt de l’importance du français pour la personne immigrante. Une connaissance de la langue française est essentielle pour pouvoir participer pleinement à la vie publique de la société québécoise. De plus, même si le français n’est pas toujours la langue utilisée le plus souvent au travail, une bonne connaissance du français est généralement une condition éliminatoire pour le recrutement aux postes, surtout pour les emplois de l’avenir. L’intégration socioéconomique est donc également dépendante d’une cette compétence.
Le français est la langue d’intégration et d’inclusion au Québec; il est normal de proposer des mesures pour s’assurer que les personnes immigrantes puissent communiquer dans cette langue le plus tôt possible. De plus, les données présentées dans le document de consultation démontrent que ce sont les personnes qui déclarent connaître le français qui ont tendance à rester au Québec, favorisant ainsi un établissement durable. Une grande proportion de celles qui connaissent l’anglais en arrivant quittent le Québec après quelques années.
Le gouvernement propose donc de rendre un certain niveau de compétence en français obligatoire pour l’obtention d’un Certificat de sélection du Québec (CSQ), sauf pour le volet « Talents d’exception » du nouveau Programme de sélection des travailleurs qualifiés » et d’augmenter la proportion de personnes déclarant pourvoir communiquer en français dans l’immigration permanente. Il souligne également le rôle de Francisation Québec dans la francisation des personnes adultes qui ne connaissent pas le français.
Ces orientations en matière de sélection et de proportion sont légitimes. Toutefois, comme nous l’avons démontré, les personnes qui mettent pied au Québec pour la première fois sont surtout des personnes à statut temporaire. Le gouvernement n’applique pas de conditions linguistiques aux jeunes qui demandent un Certificat d’acceptation du Québec (CAQ) pour études. Le CAQ est le document qui atteste du consentement du Québec à l’admission de « tout étudiant étranger ». Ce consentement est la responsabilité du gouvernement québécois selon l’Accord Canada-Québec. Les exigences linguistiques, s’il y en a, découlent donc du programme d’études et de l’établissement post-secondaire.
L’Accord prévoit un tel consentement également pour l’admission de « tout travailleur étranger temporaire ». Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) ne délivre un CAQ-travail qu’aux personnes demandant un permis de travail dans le cadre du Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET). Il n’exerce pas son consentement sur les demandes de permis de travail dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI). Encore une fois, le MIFI n’applique pas de conditions linguistiques au CAQ délivré pour le travail. Ce sont les employeurs qui déterminent les exigences linguistiques selon les besoins pour l’emploi. Le gouvernement fédéral ne questionne pas les exigences linguistiques de l’employeur.
Nous avons mentionné qu’il est important que les personnes arrivant au Québec soient en mesure de communiquer en français le plus tôt possible. Ce constat est important non seulement pour les fins d’une intégration rapide, mais pour les orientations en matière de francisation. Une étude sur le parcours linguistique des allophones de la région de Montréal a démontré que la grande majorité des allophones qui adoptent le français dans leur vie quotidienne et à la maison le font dans les cinq années suivant l’arrivée. Cela crée un défi pour les services de francisation, particulièrement chez les personnes à statut temporaire chez qui le besoin est le plus fort.
Enfin, la multitude d’indicateurs qui servent à mesurer le progrès de la langue au Québec et en particulier le rôle de l’immigration, rend très difficile de mesurer les résultats des interventions gouvernementales de sélection et de francisation, autres qu’opérationnelles. Les définitions, les méthodologies et même les sources sont multiples, sont souvent mêlées et mal comprises et ne font pas toujours consensus, tant parmi les experts que dans la population. Un chantier pour s’entendre sur les indicateurs les plus pertinents, fiables et utiles à des fins de politiques publiques linguistiques et d’immigration permettrait de non seulement suivre l’évolution du dossier, mais aussi de clarifier les concepts en vue de faciliter la compréhension du public en général. Ce chantier tomberait sous la responsabilité des instances de la langue française en consultation avec le MIFI et Francisation Québec relativement aux indicateurs de résultats de ses interventions.
Économie
La ministre identifie l’économie comme l’autre branche du « Y » des orientations du gouvernement. Dans ce domaine en particulier, il est critique de faire la distinction entre l’immigration temporaire et l’immigration permanente, les objectifs à court terme et à long terme.
Le gouvernement a déjà annoncé une réforme majeure des programmes d’immigration permanente spécifiquement en fonction des besoins du marché du travail qui ne fait pas l’objet de ces consultations. La date de démarrage de cette réforme n’a pas encore été révélée, mais il est clair qu’un suivi de plusieurs années sera nécessaire pour en mesurer les résultats.
Comme avec la question du poids de l’immigration dans l’avenir du français au Québec, le document de consultation prend soin de ne pas exagérer le rôle de l’immigration comme solution au problème de pénurie de main-d’œuvre. (p.37) On l’ajoute tout simplement à la fin d’une liste d’autres leviers utiles pour pallier cet enjeu. Une sage décision parce que Pierre Fortin a d’ailleurs bien expliqué dans son rapport préparé l’année dernière à la demande du ministre Boulet que « le recours à l’immigration peut aider à soulager des pénuries de main-d’œuvre spécifiques au niveau de l’entreprise individuelle, mais malheureusement, au niveau macroéconomique, l’idée […] que l’immigration peut résoudre les pénuries parce qu’elle accroît la population en âge de travailler n’est rien d’autre qu’un gros sophisme de composition. » (p. 24) Le rôle de l’immigration est néanmoins associé à la pénurie de main-d’œuvre à plusieurs endroits dans le document. Il y a un chapitre complet sur le sujet. Les effets de l’immigration sur d’autres facteurs économiques ne sont pas documentés.
Quels sont en fait les objectifs économiques à court et à long terme du gouvernement et comment faudrait-il gérer l’immigration en fonction de ces objectifs? Le premier ministre a exprimé le souhait que les personnes immigrantes contribuent à l’économie québécoise en occupant des postes à haut salaire. Même sans avoir une expertise dans le domaine, on ne peut qu’appuyer un tel objectif. Ça représente une intégration socioéconomique réussie et durable pour les personnes qui choisissent le Québec. Plusieurs experts prônent d’ailleurs une immigration économique visant des personnes avec un niveau de scolarité permettant de combler des postes bien payés et que ces personnes soient intégrées au marché du travail le plus rapidement possible.
Les orientations présentées sur les enjeux économiques de l’immigration, comme pour les personnes connaissant le français, ne concernent pas les volumes, mais plutôt des proportions, spécifiquement la proportion de la catégorie économique et la proportion des personnes sélectionnées par le Québec dans l’ensemble de l’immigration permanente. Ces orientations sont légitimes. Les personnes sélectionnées dans cette catégorie se destinent immédiatement au marché du travail. Leur contribution à l’économie québécoise est plus immédiate et aide à contrebalancer le temps un peu plus long que ça peut prendre à celles des autres catégories pour réussir leur intégration économique. Ces autres catégories ne sont pas à négliger. Les conjointes et conjoints qui arrivent grâce à la réunification familiale, les personnes réfugiées, même les demandeurs d’asile en attente d’une décision sur leur dossier ont l’intention de s’insérer au marché du travail.
L’immigration permanente permet de viser des objectifs économiques à plus long terme basés sur les projections des besoins. Malheureusement, le document de consultation ne nous informe pas adéquatement sur le rôle économique important accordé par le gouvernement à l’immigration temporaire, spécifiquement en lien avec le marché du travail. Beaucoup des efforts de recrutement à l’étranger et d’accompagnement des entreprises en région visent l’immigration temporaire et plus particulièrement le PTET. Les ententes avec le gouvernement canadien étaient toutes en lien avec un allègement des conditions appliquées à ce programme, particulièrement pour les postes à bas salaire.
Le PTET, au Québec comme au Canada, n’est plus utilisé pour les raisons pour lesquelles il a été créé. En principe, il s’agit d’un dernier recours lorsque l’employeur a tenté et a échoué à trouver de la main-d’œuvre locale. Il vise des postes temporaires, c’est-à-dire pour une durée déterminée. Non seulement de plus en plus des postes autorisés pour ce programme sont des postes permanents, le gouvernement fédéral le reconnaît en annonçant récemment la prolongation la période maximale des permis de ce programme et son intention de permettre aux titulaires de faire venir leurs conjointes ou conjoints et familles. De plus, puisqu’il n’y a pas de plafond établi, le programme est en croissance, surtout au Québec.
En revanche, les personnes à statut temporaire, peu importe le type de permis, sont souvent recrutées par les établissements post-secondaires, des agences et des employeurs avec la carotte de la résidence permanente canadienne. On peut donc s’attendre à une augmentation croissante dans le nombre de demandes de CSQ des personnes établies et bien intégrées au Québec depuis plusieurs années, qui ont même fait venir leurs familles, qui sont admissibles aux programmes du PSTQ et du PEQ. Est-ce que les niveaux d’immigration proposés tiennent compte de ce phénomène?
Des plus en plus d’études et de rapports sont publiés au Canada sur les effets néfastes économiques et sociologiques du recours massif à l’immigration temporaire, tant pour l’économie que pour les personnes immigrantes et leurs familles. Ces personnes vivent dans la précarité et la vulnérabilité pendant des années sans accès aux mêmes services et protections que les personnes à statut permanent, captives des bureaucraties de plus en plus complexes. Parallèlement, la pénurie de main-d’œuvre générale ne se résorbe pas, la productivité stagne et le PIB par habitant aussi.
Il est à se demander, dans ces circonstances, si le type d’immigration favorisé par le gouvernement pour résoudre les problèmes liés au marché du travail est le bon.
Régionalisation
Encore une fois, comme pour la question de l’économie, le document de consultation cache le principal levier utilisé par le gouvernement pour atteindre ses objectifs de régionalisation. Il s’agit du PTET. Le permis de travail accordé dans le cadre du PTET est souvent appelé « fermé ». Ce type de permis lie le titulaire à l’employeur qui l’a recruté et au poste pour lequel il a été embauché. Conséquemment, le titulaire est également lié à la région où se trouve l’emploi. Le Programme des étudiants étrangers peut avoir le même effet.
Il est important de souligner que ce n’est pas que le secteur privé qui a recours à ces programmes temporaires, le secteur public, surtout en santé, embauche de plus en plus par ces programmes.
L’Orientation 9 fait référence à un établissement durable sur tout le territoire du Québec et revient sur l’immigration comme une réponse aux besoins régionaux du marché du travail. Si l’objectif est un établissement durable, on présume qu’on favoriserait des personnes immigrantes avec un statut permanent. Il est cependant fréquent que l’employeur ne s’affaire pas à aider ses recrues titulaires d’un permis fermé à obtenir un CSQ parce qu’il craint la mobilité que cela leur offrirait.
Capacité d’accueil et intégration
Le document de consultation accorde d’entrée de jeu que l’évaluation de la capacité d’accueil concerne tant l’immigration permanente que temporaire et décrit bien pour la première fois l’ensemble des enjeux à prendre en considération sur le terrain en fonction de l’arrivée de ces personnes. En dépit de l’obligation législative de tenir compte de la capacité d’accueil dans la planification de l’immigration, l’Orientation 10 ne fait qu’une vague référence à l’effet que le MIFI veut offrir un leadership gouvernemental afin de documenter la capacité d’accueil.
Dans le passé, le concept est resté vague et il était généralement accepté qu’il faisait référence aux services d’intégration et de francisation du ministère responsable de l’immigration. Ces services étaient offerts spécifiquement aux personnes avec la résidence permanente pour des raisons administratives et surtout parce que, comme déjà expliqué, presque la totalité des personnes immigrantes arrivant pour s’établir obtenait leur résidence permanente avant l’arrivée. Les nombres étaient relativement stables.
Il y a quelques années, le gouvernement, reconnaissant l’ampleur grandissante de l’immigration temporaire parmi les personnes immigrantes arrivant sur le sol québécois, a ouvert les services d’intégration et de francisation à ces personnes. C’est sûr que ces personnes ont besoin d’un accompagnement surtout dans leurs démarches administratives d’immigration compte tenu de la complexité des systèmes bureaucratiques du fédéral et du Québec.
Cela étant dit, l’immigration temporaire pose ses propres défis de planification et de reddition de comptes. En particulier, il manque énormément d’information. En général, on ne sait pas combien de personnes vont arriver, quand, et où. Dans la plupart des cas, le MIFI ne connait pas leur profil. On n’a pas de chiffres ou d’analyse des caractéristiques des personnes qui risquent de faire une demande de CSQ. On ne se donne pas d’objectifs mesurables pour les services d’intégration. Il n’y a pas encore un système en place pour faire un suivi systématique des personnes immigrantes, peu importe leur statut, pour pouvoir déterminer leur progrès dans leur parcours d’intégration.
Un autre facteur à noter concerne l’apprentissage des valeurs. L’important avancement mis en place par le gouvernement dans son premier mandat d’une formation en matière des valeurs de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ne se fait qu’au moment de la demande d’immigration permanente. On comprend donc que les personnes à statut temporaire peuvent vivre au Québec pendant plusieurs années sans profiter de cette étape critique d’intégration.
Aujourd’hui le concept de capacité d’accueil s’étend bien au-delà des services gouvernementaux spécifiques aux personnes immigrantes, comme expliqué dans le document.
« À l’instar de tout autre groupe de la population, les personnes immigrantes utilisent des services publics (éducation, soins de santé, places en garderie subventionnée, transport, services d’intégration et de francisation, mesures d’aide à l’emploi, programme d’aide sociale ou de solidarité sociale) et doivent en plus se trouver un logement. » (p. 40)
Il est devenu critique de commencer à recueillir ces données et d’autres liées au marché du travail, ventilées par région et même sous-région, et de faire la planification d’immigration en fonction des arrivées plutôt que du statut.
Conclusion
Il est difficile de comprendre, compte tenu de tous les facteurs soulignés, comment une proposition de seuil optimal de l’immigration permanente peut être autre chose qu’arbitraire.
Il est essentiel de tenir compte de plusieurs facteurs qui ne sont pas élucidés dans le document de consultation. Dans beaucoup de cas, il faudrait recueillir les données qui n’ont pas encore été explorées ou exploitées. Il serait permis d’imaginer qu’un mandat soit donné à l’Institut de la statistique du Québec de proposer, recueillir et analyser les données et indicateurs nécessaires pour déterminer la capacité d’accueil. Dans d’autres cas, comme les services d’employabilité pour les demandeurs d’asile avec un permis de travail, les réflexions peuvent démarrer plus rapidement.
Nous avons aussi suggéré un chantier sur les indicateurs de la langue pour faciliter le débat sur l’influence de l’immigration dans ce domaine.
Essentiellement le temps est arrivé de sortir des façons traditionnelles de penser et de revoir de fond en comble comment on planifie l’immigration au Québec. Il est trop tard pour recommencer à nouveau à temps pour 2024. L’échéance pour le dépôt du Plan annuel d’immigration pour 2024 est le 1 novembre. Le ministère pourrait bien aller de l’avant avec les orientations actuelles, mais prévoir dans son nouveau plan stratégique – le dernier ayant expiré en mars dernier – d’entreprendre un vrai débat alimenté par tous les renseignements manquant en vue d’une nouvelle planification pluriannuelle à partir de 2025 pour l’automne prochain.
Le gouvernement serait bien avisé de prendre en considération l’ensemble de l’immigration et l’ensemble des leviers de contrôle à sa disposition dans l’élaboration de ses orientations en immigration.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal