Une rentrée sur fond de crise

Une rentrée sur fond de crise

Il y a quelque chose de franchement triste dans le spectacle de l’école en crise et en panique à quelques jours de la rentrée scolaire. Quelque chose de pernicieux aussi, car, à voir le premier ministre et le ministre de l’Éducation multiplier les appels à l’aide pour trouver un « adulte » par classe d’ici la semaine prochaine, on voit bien que le portrait de la situation n’a rien d’alléchant pour la relève potentielle. Qui, dans ce contexte de fin du monde, sera tenté par l’appel ?

Il y en aura. La profession d’enseignant compte plus que son lot de dévoués et de passionnés. En temps normal, les enseignants sont déjà des figures héroïques, pour tenir devant des classes dont la composition hétéroclite demande des efforts considérables afin de donner un enseignement digne de ce nom. Le contexte de crise qui couve déjà depuis quelques années, mais qui connaîtra vraisemblablement cette année un sommet, n’annonce rien de facile. Près de 8550 professeurs manquaient à l’appel, selon le bilan dévoilé par le ministre Bernard Drainville mercredi. Le gouvernement l’admet, jouant la carte de la transparence : il n’est pas certain que tous les enfants auront quelqu’un devant leur classe lors du premier jour de la rentrée.

Soudainement, dans une nouvelle hiérarchisation des urgences, la réussite scolaire est passée au second rang. Désormais, la priorité n’est plus la réussite pour tous. Nous voilà contraints de croiser les doigts pour qu’un adulte se présente en classe ; ce serait déjà une grande victoire.

On ne dira jamais assez que le Québec a couru à sa propre perte en ignorant les appels à la vigilance que les acteurs de l’éducation multiplient depuis le début des années 2000, voyant venir de loin ce grand marasme du recrutement. Les risques d’une pénurie possible de personnel enseignant ont été énoncés clairement au cours des vingt dernières années, avec pour conséquence dramatique potentielle la mise en péril de l’apprentissage des élèves.

Le Conseil supérieur de l’éducation a multiplié, au cours des années, les avis pointant un lien direct entre l’abaissement des exigences à la formation des maîtres et la qualité des apprentissages. Maintenant qu’il y a péril en la demeure, Québec songe à réduire la formation des enseignants.

Nécessité fait loi : François Legault et Bernard Drainville se sont présentés mercredi devant la presse comme des pompiers agitant les manoeuvres d’urgence. « Je ne suis pas un magicien », a dit le premier ministre, contraint d’utiliser une fois de plus sa formule d’appel à tous. « J’ai vraiment besoin de vous autres », a-t-il lancé aux enseignants. Le ministre de l’Éducation a fait face à un barrage de questions visant à comprendre la séquence fine de ce désastre et comment, en une semaine, on pourra faire éclore plus de 8000 vocations. « On travaille fort, on fait ce qu’on peut », a plus d’une fois indiqué le ministre Drainville.

Personne ne doute des efforts consentis, mais le gigantisme de la machine semble incapable d’absorber la demande. Le Devoir rapportait jeudi les récits déconcertants de deux enseignantes qualifiées totalement prêtes à travailler, mais n’arrivant pas à traverser le mur bureaucratique du centre de services scolaire pour se voir attribuer une tâche. L’une d’elles a reçu un appel du secteur privé. On connaît la suite.

Les futurs professeurs auront besoin, comme le Québec tout entier d’ailleurs, d’une vision et d’un plan d’action venant baliser la reconstruction de ce terrain fragile. Autour de la profession d’enseignant, qui a toujours souffert d’un manque de reconnaissance, il faut tracer un chemin de valorisation qui passera par des conditions d’exercice décentes. Un effort a été fait en matière d’augmentation salariale, mais il faudra sans doute faire plus. Québec, en revanche, a un urgent besoin de souplesse, et les négociations en cours avec les syndicats doivent permettre de dépoussiérer les pratiques, en révisant un processus d’affectation complètement contreproductif.

Mais c’est surtout du côté de la lourdeur de la tâche et de la composition de la classe que les actions les plus musclées doivent être entreprises. Le quart des élèves du Québec ont un profil qui nécessite une attention particulière en classe, mais les ressources manquent pour soutenir les professeurs, qui ne savent plus comment concentrer l’enseignement des matières avec des prouesses d’adaptation scolaire. Retournerons-nous à une ère de classes spéciales où se concentreront tous les profils particuliers ?

Enfin, dans son plan pour un réseau d’éducation plus fonctionnel et tourné vers la réussite, Québec ne pourra plus éluder longtemps le problème de l’école à trois vitesses. Il saigne les écoles des meilleurs éléments, qui se tournent vers le privé ou envahissent les programmes sélectifs. Dans un contexte de fin du monde, l’école privée devient nettement plus attractive, et pour les élèves et pour les enseignants. Ça n’est pas de bon augure pour la suite.

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À propos de l'auteur Le Devoir

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