Un extrait (pas mal) édité d’un entretien mené il y a quelques mois, et visible à l’adresse suivante.
Matthieu Delaunay : Sur le site partage-le.com, Nicolas Casaux développe un discours écologiste radical et propose une analyse résolument technocritique. Conversation autour du progrès et de ses méfaits, des « exigences des choses plutôt que les intentions des hommes », des écocharlatans, du transhumanisme et du transgenrisme, mais aussi de littérature, de nature et de la quête d’autonomie.
Sur quoi et pourquoi es-tu en train d’agir en ce moment ?
J’écris des textes et traduis des livres pour les Éditions Libre et sur le site Le Partage, pour essayer de participer au combat des idées, au combat culturel. J’essaye de mettre en valeur des réalités, des faits et des idées occultées ou simplement oubliées, qui ne sont pas entendues ni diffusées dans les grands médias. Le sous-titre du site Le Partage est « Critique socioécologique radicale », parce qu’il me semble crucial de lier ces aspects sociologiques et écologiques. C’est ce qui caractérisait le mouvement écologiste tel qu’il a été défini par ses précurseurs comme Bernard Charbonneau, Jacques Ellul, Alexandre Grothendieck ou Pierre Fournier. Bernard Charbonneau le formule dans son magnifique livre Le Feu vert réédité aux éditions l’Échappée : l’écologie est un mouvement qui combat à la fois pour la nature et la liberté. Il est absurde d’essayer de discuter l’une sans l’autre.
Pourquoi t’es-tu engagé dans la radicalité écologiste ?
Après une licence de géographie, j’ai commencé un master d’aménagement et écologie territoriale. On y enseignait toutes sortes de normes comme la haute qualité environnementale (HQE), associées à l’écologie dans les grands médias (les énergies vertes, les écoquartiers, les nouveaux types de construction, etc.). Je n’ai pas fini ce master parce que, dans le même temps, je découvrais la critique écologique portée par des gens comme Derrick Jensen aux États-Unis dont j’ai découvert le mouvement Deep Green Resistance. En France, je découvrais dans le même temps l’existence du courant « anti-industriel ».
Qu’est-il ?
Il remonte aux anarchistes naturiens, un courant qui de la fin du 19e et du début 20e siècle et qui s’opposait au machinisme, à l’industrie. Au 20e siècle, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau ou Alexandre Grothendieck vont, à leur manière, porter cette critique, qui nous permet de comprendre que tout ce qu’on nous raconte sur les énergies et technologies vertes, à quoi l’écologie est aujourd’hui associée — voire réduite —, ce sont autant de mystifications, de mensonges.
Pourquoi ?
Parce qu’aucune énergie (industrielle) n’est verte. Aucune technologie n’est verte. Beaucoup vont essayer de refuser, refouler ou nier ce fait, ou essayer de trouver diverses excuses pour ne pas prendre en compte cette réalité. N’étant pas particulièrement attaché à la civilisation industrielle, c’est quelque chose qui m’a immédiatement parlé. En réalité, la désillusion est une étape nécessaire.
Comment convaincre, désillusionner, les personnes, de plus en plus nombreuses, qui pensent qu’avec quelques énergies vertes nous allons rendre soutenable une façon de vivre insoutenable ?
D’abord, on entend dire que le mouvement écologiste aurait le vent en poupe. Or, même si on considère le mouvement climat comme une partie du mouvement écologiste, je ne suis pas sûr qu’il ait en le vent en poupe. Dans les années 70, il pouvait y avoir des manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes contre la construction d’une centrale nucléaire. Aujourd’hui, l’Écologie, même mainstream, peine à rassembler. Comparé à des mobilisations massives comme la Manif pour tous, ou les mobilisations sur les retraites, je ne pense pas que l’écologie soit vraiment une préoccupation majeure.
Pour revenir à la question, ce qui me semble important, c’est de revenir à la logique des choses. L’écologie — et je pense que la plupart des écologistes aujourd’hui seraient d’accord —, c’est la protection de l’environnement ou de la nature. Ensuite, il faut poser la question : si le but est de protéger la nature, d’empêcher ou d’arrêter sa destruction, en quoi le fait de fabriquer de nouvelles machines qui contribuent à cette destruction pourrait-il être une solution ? Il est assez étonnant que le mouvement écologiste soit devenu un mouvement dont les principales revendications consistent à produire davantage de machines. Panneaux solaires, éoliennes ou centrales à biomasse, ce sont des machines. Les écologistes veulent construire des machines pour produire de l’énergie pour alimenter d’autres machines, parce que tout ça, apparemment, ça va sauver la planète, mais… on a du mal à comprendre le lien avec la sauvegarde de l’environnement. L’électrification de tout comme moyen de sauver la planète, c’est franchement idiot. La plupart des gens se permettent de soutenir des choses dont ils ne comprennent ni ne connaissent les tenants et les aboutissants. Panneaux solaires photovoltaïques, éoliennes ou déploiement de telle ou telle autre technologie de production d’énergie dite « verte », peu savent ce qu’implique physiquement, réellement, ce dont ils se font les zélateurs, les promoteurs. Cette déconnexion est dramatique : on se fout de soutenir un truc dont on n’a aucune idée, tout ça parce qu’on nous a dit à la télévision que c’était moins polluant, que c’était mieux, que c’était vert.
En tenant les discours que tu tiens, tu prends aussi une forme de foudre médiatique parce que tu critiques la technologie en utilisant les outils technologiques. C’est l’arme de destruction massive envoyée sur les écologistes radicaux, qui justement ne seraient pas suffisamment cohérents pour se passer des machines qu’ils critiquent.
Les gens qui formulent ce genre de reproches occultent ou passent à côté du fait qu’on n’a pas vraiment le choix d’utiliser ces technologies, de la même manière qu’on n’a pas le choix d’avoir ou non une carte bancaire, un compte bancaire, une carte d’identité ou un passeport. La loi dit qu’on n’est pas obligé d’avoir une carte d’identité, mais il est aussi dit juste après que si on en n’a pas on va avoir des problèmes en cas de contrôle d’identité. C’est une manière insidieuse de rendre la chose obligatoire, sauf à avoir envie de passer sa vie à au commissariat. Pensons au Pass sanitaire, qui n’était pas obligatoire, sauf que dans la réalité ça l’était. Je vis dans un petit village, si je veux payer le loyer de mon appartement HLM, je ne peux pas le payer autrement que sur internet. La technologie est rendue obligatoire par le simple fait que s’en passer rend la vie quasi impossible.
Beaucoup de gens à gauche critiquent la propriété privée, le salariat, pourtant ils vont être salariés, parfois ont pu s’acheter leur logement ! Pour critiquer le salariat, il faudrait ne plus être salarié, sinon c’est l’hypocrisie. Et puis, à partir du moment où on se retrouve dans cette société de contrainte où la technologie est imposée et où la plupart de nos semblables se retrouvent à évoluer davantage dans le monde virtuel que dans le vrai monde, il serait absurde de se priver de la possibilité de communiquer avec eux, pour faire connaître nos analyses et nos idées.
La société de contrainte, adossée à la technologie, de quoi elle est constituée ?
C’est assez caractéristique de la novlangue moderne, plus on te retire ta liberté, plus on affirme que tu es libre. Il faut faire sortir les gens des illusions dans lesquelles ils sont enfermés par les systèmes médiatique, étatique et scolaire. Ceci dit, je pense qu’aujourd’hui la plupart des gens savent que le régime qu’on appelle démocratie n’est pas, en réalité, l’organisation sociale la plus garante de la liberté. Francis Dupuis-Déri, politologue québécois, creuse ce sujet depuis des années et a déjà sorti plusieurs livres sur le sujet, notamment Démocratie, histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France. Qualifier notre régime politique de démocratie, c’est de la propagande. Les dirigeants politiques (courant XIXe) ont estimé qu’il serait intéressant de parler de démocratie pour faire accepter le régime qu’ils instauraient. C’était une tactique démagogique pour continuer à obtenir l’assentiment des populations, tandis que, fondamentalement, rien ne changeait. La quasi-totalité des institutions qui constituent aujourd’hui l’État français sont hérités de régimes monarchiques et impériaux, donc tout sauf démocratiques.
L’anthropologie nous a permis de réaliser que les sociétés les plus libres et les plus égalitaires étaient celles de chasse-cueillette. Les gens avaient directement voix au chapitre et s’organisaient eux-mêmes. Quand il y avait un (ou une) chef, c’était souvent parce qu’ils et elles le toléraient, parce que cette personne avait été jugée suffisamment compétente, généreuse et dévouée. Elle avait les pouvoirs que ce que les gens voulaient bien lui confier, c’est à dire pas grand-chose. Le chef pouvait être destitué à n’importe quel moment, on pouvait ne pas lui obéir.
Si l’on souhaite défendre un projet écologique radical, pourquoi faut-il être rigoureux sur le discours anti technocratique ?
L’analyse anarchiste nous permet de comprendre pourquoi un état démocratique, c’est un oxymore. L’État, c’est la confiscation du pouvoir par quelques-uns à leur propre profit. C’est donc l’inverse de la démocratie directe. La démocratie directe, c’est les gens qui se gouvernent eux-mêmes sans passer par un intermédiaire, un représentant ou un élu. À partir du moment où l’on vit dans une société étatique, nous sommes soumis aux règles établies par un État. Le progrès technique a été permis par les contraintes et les structures sociales que l’État impose, qui permet une division importante du travail, une spécialisation du travail. Et l’État a donné naissance au capitalisme, puis au progrès technique. Plus la technologie progressait, plus les contraintes augmentaient et avec elles la puissance de l’État. Je pense que la plupart des gens peuvent s’en rendre compte de bien des manières.
Les animaux politiques de Pièces et main d’œuvre rappellent que « la technologie, c’est la continuation de la guerre par d’autres moyens ».
C’est exactement ça, le progrès technique, comme la science, est lié à la guerre. La technologie et la science ne progressent d’abord que pour la guerre, qui est leur moteur. Se libérer de ces contraintes, c’est évidemment « faire machine arrière », défaire, inverser toutes ces dynamiques.
Pourquoi le sujet de la décroissance n’est-il jamais posé sur la table ?
À toutes les époques, dans toutes les civilisations, dans tous les États, les idées dominantes sont celles de ceux qui détiennent le pouvoir, qui contrôlent l’appareil productif, et donc la production des idées (comme l’avaient noté Marx et Engels). Ce sont donc leurs idées qu’on retrouve machinalement dominer, diffusées dans les principaux organes de diffusion d’idées que sont les médias de masse.
Parlons des écocharlatans à qui tu te confrontes régulièrement, j’imagine que ces personnes à la base étaient de bonne foi. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Étaient-elles de bonne foi… vaste question…
Pourquoi serais-tu de meilleure foi qu’eux ?
Ce n’est pas une question de foi, mais de savoir si ce que je dis est vrai ou pas. Est-ce que ce qu’ils disent est vrai ou pas ? Ensuite, c’est à chacun d’essayer de répondre à cette question en essayant d’examiner tous les éléments qu’il est possible d’examiner pour y répondre. Cyril Dion prétend par exemple que les panneaux solaires ou les éoliennes « produisent de l’énergie verte, propre et renouvelable », je le conteste : tous les impacts négatifs sur la nature peuvent être listés. Le combat que je mène se situe entre le mensonge et la vérité.
Comment vis-tu le fait de recevoir une avalanche de critiques, souvent ad hominem ? C’est aussi un grand problème des réseaux sociaux qui laisse la place à des volumes d’insultes et de menaces rares.
Au début c’est un peu déroutant, parce qu’on n’a pas l’habitude, mais elle finit par venir. Pour l’instant personne n’a réussi à me convaincre que ce que je disais était faux. Beaucoup dénoncent le ton que j’emploie, mais si personne n’a rien redire sur le fond de mes arguments dans ce cas-là, je continue. C’est aussi une question de détermination. Si tu comptes essayer de faire changer les choses, mais que tu n’es pas prêt à te faire quelques ennemis, il vaut mieux arrêter tout de suite.
C’est vrai que ton langage est assez fleuri. Tu parles de « crétin », « d’imbécile », alors que nous vivons plutôt à l’époque de la bienveillance doucereuse. Est-ce que tu penses que tu ne te fais pas des ennemis en employant ces termes-là. Est-ce à dessein ?
La qualité du débat écologique dans les années 70–80 montre qu’il était à la fois bien meilleur sur le fond et, mais aussi que sa forme était très différente. Ce n’était pas rare de voir des expressions sous la plume d’un Pierre Fournier, ça ne posait pas problème et n’empêchait pas le débat. Aujourd’hui, le moindre mot un peu trop haut est très mal vu. Partout, on remarque que la propagande du pouvoir cherche à s’effacer lui-même : effacer le pouvoir. Franck Lepage en parle très bien : on ne dit plus exploité, on dit un collaborateur… Tout doit être propre, on est tous copains, « tous dans le même bateau ». « Il n’y a pas d’ennemi, pas de camps, l’État, c’est nous, c’est toi, c’est moi, c’est Macron, on est tous frères ou sœurs »… Ce mythe pervers est à l’avantage de ceux qui détiennent le pouvoir. Or, ils ne sont pas nos amis : ce qu’ils cherchent, c’est garder le pouvoir. Quand je qualifie quelqu’un de crétin, d’abruti ou d’imbécile, c’est parce que je pense que c’est vrai. Ceux qui ont des problèmes avec ça, c’est souvent les mêmes qui ne parviennent pas à comprendre que l’on n’est pas dans le même camp, que l’on ne veut pas la même chose. Mais c’est plus simple de se voiler la face.
On entend ou lit souvent : « Nicolas Casaux ne fait que critiquer ceux qui essaient de faire des choses ». Ta réponse est laconique : « vous n’appréciez pas ma critique parce que je critique ce que vous aimez ». Peux-tu pousser un peu cette réflexion ?
Comme pour la critique sur mon ton, celle-ci est un sophisme : tu ne réponds pas sur le fond, préférant esquiver le problème soulevé en t’attaquant à l’accessoire. La question que je me pose est : est-ce que ces gens-là essayent de nier la réalité ? Peut-être. Ce que je crois surtout, c’est qu’ils sont misérablement attachés au monde que je critique dans son intégralité, comme bien d’autres avant moi : PMO, les éditions La Lenteur, Bernard Charbonneau et tous les écologistes véritables. Nous considérons et expliquons que ce monde n’est pas viable, ne le sera jamais ; qu’il n’en existe pas de version verte, ni écologique, de version propre, durable ou équitable, démocratique. Une civilisation hautement technologique et démocratique, ça n’existe pas. Ces gens sont très attachés à ce monde et considèrent comme inimaginable de se passer de réfrigérateur, de médecine hautement technologique, d’internet, alors que c’est quelque chose qui existe depuis quelques dizaines d’années. Ils préfèrent nier la critique plutôt que de l’affronter et de la regarder en face. Ces réactions de rejet ne disent rien d’intéressant, sinon sur la psychologie de la personne et le fait qu’elle rejette totalement ce que tu essaies de dire.
Tu écris, avec d’autres, sur le transgenrisme. Pourquoi s’attaquer à ce qui est considéré par beaucoup comme une nouvelle forme d’émancipation ?
S’émanciper de quoi ? Quand on parle de genre et de sexe, l’important à dire — et c’est ce que disent les féministes depuis déjà très longtemps — c’est que nous vivons dans une société patriarcale (ou phallocratique, si l’on tient à être très précis). 100% des institutions qui composent l’État français ont été conçues par et pour des hommes. Il y a quelques décennies, le terme de « genre » a été développé pour qualifier les rôles sociaux assignés aux deux sexes, aux hommes et aux femmes, et les féministes ont ajouté à cette analyse le fait que ces rôles participent à maintenir une hiérarchie entre les deux sexes : les femmes sont subordonnées aux hommes, qui sont considérés comme des êtres supérieurs, qui peuvent exploiter les femmes en toute tranquillité. S’émanciper, ce serait abolir les rôles sociaux sexuels et la hiérarchie qui les accompagne. C’est ce pour quoi militent beaucoup de féministes depuis longtemps, mais on se demande en quoi le mouvement transgenre pourrait participer de cette émancipation. Il ne remet pas vraiment en question ces rôles sociaux sexuels (il se fonde dessus), et sa principale contribution est plutôt d’avoir détruit le sens du mot « femme ». Or, dans une perspective d’émancipation des femmes, si on ne peut plus parler des femmes, impossible d’aller plus loin.
Le terme de « femmes » n’a déjà plus cours dans certaines sphères militantes et politiques ?
Non, parce que dans la perspective du mouvement trans, les mots femme et homme ne disent plus aucune réalité biologique, matérielle, physique. Femme ou homme, c’est un sentiment, une sensation qui se définit de manière subjective. Si tu penses que tu es une femme, tu es une femme. La raison, on n’a pas à te la demander. Mais en y regardant de près, on voit que les hommes qui se disent femmes dans le mouvement transgenre sont très souvent des hommes qui adhèrent aux stéréotypes de la femme dans la société patriarcale. On se rend compte qu’ils continuent d’adhérer au genre, au rôle social, aux stéréotypes. Il est désormais considéré comme transphobe de dire qu’une femme c’est un « être humain de sexe féminin ». C’est pourtant la seule définition logique (non-sexiste) du terme, et aussi la définition qu’on trouve dans n’importe quel dictionnaire.
Une féministe états-unienne, une démocrate — donc de gauche — Kara Danski qui a écrit un livre intitulé The Abolition of sex, qui n’a pas (encore) été traduit en français, montre comment le mouvement transgenre tend à abolir la réalité du sexe dans le discours, la loi et la société en général. Le sexe biologique doit être considéré comme une chose purement culturelle, construite, n’ayant plus aucun rapport avec la réalité.
Dans quel intérêt ?
Il y a plusieurs facteurs derrière l’essor du transgenrisme. Il y a diverses paraphilies masculines, un fétichisme de la féminité chez certains hommes, notamment chez ceux qu’on appelle autogynéphiles. Historiquement, le mouvement transgenre commence (je ferais ici comme s’il avait une histoire qui se tient, comme s’il avait connu un développement linéaire depuis des décennies, c’est une chose discutable, mais pour les besoins de la discussion, je simplifie), il commence donc avec des travestis. Des hommes qui aiment s’habiller « en femmes », mais qui savent qu’ils sont des hommes. Et au fur et à mesure des décennies, on observe une radicalisation des fantasmes masculins, jusqu’à aujourd’hui où des hommes affirment qu’ils ont toujours été des femmes à l’intérieur, qu’on doit les considérer comme des femmes, utiliser le pronom féminin (sous peine de procès), etc. Un autre motif, c’est faire de l’argent et encourager l’altération technologique de l’être humain. C’est une manière d’ouvrir de nouveaux marchés : chirurgie, santé, médication, hormones, etc. Il se trouve qu’il y a aussi une convergence entre le mouvement transgenre et le transhumanisme. Ces deux mouvements se basent sur ce postulat selon lequel nous ne sommes pas notre corps, mais de purs esprits. C’est ce qui fait que dans le mouvement transgenre on considère qu’on peut « naître dans le mauvais corps ». Tu peux dire que tu n’es pas ton corps, que tu es né dans une mauvaise enveloppe, dans une mauvaise machine. Cette machine, il faut donc la changer. Cela colle parfaitement avec le transhumanisme qui considère aussi qu’on devrait pouvoir se placer dans une machine.
Un personnage majeur à la fois du mouvement transgenre et du mouvement transhumaniste incarne ce lien : Martin Rothblatt devenu Martine Rothblatt, un millionnaire états-unien, PDG de plusieurs entreprises, notamment Revivicor. Cette entreprise élève des porcs transgéniques en vue de faire des transplantations sur des humains. Elle a fait parler d’elle récemment, parce qu’une greffe d’un cœur de porc sur un être humain a été réussie aux États-Unis. Ce porc venait de l’élevage de Revivicor. Martine Rothblatt doit aujourd’hui être juridiquement considérée comme une femme alors qu’il n’est pas un être humain de sexe féminin. On y revient : ne plus pouvoir appeler un chat un chat. Aussi vrai que les énergies vertes ne sont pas vertes, un homme n’est pas une femme. Pourtant, on veut nous obliger à dire que si et qu’il est désormais possible de changer de sexe avec une opération chirurgicale en hôpital ou en clinique. Mais on ne peut pas changer de sexe : toutes nos cellules corporelles possèdent cette sexuation. En réalité, on change l’apparence d’organes génitaux, ou d’autres parties du corps, c’est tout. Aucun changement de sexe.
Revenons à Martin Rottblath, qui est l’auteur d’un livre important du mouvement trans : From Transgender to Transhuman : A Manifesto On the Freedom Of Form.
Oui, en fait, ce livre est initialement paru en anglais sous le titre The Apartheid of Sex : A Manifesto on the Freedom of Gender (« L’apartheid du sexe : manifeste sur la liberté de genre ») en 1995. Et puis, en 2011, Rothblatt l’a réédité, mais sous le titre From Transgender to Transhuman : A Manifesto On the Freedom Of Form. En français, ça donne « De transgenre à transhumaniste, un manifeste sur la liberté de forme ». Dans ce livre, il explique le lien qu’il y a entre transgenrisme et transhumanisme : dissociation entre corps et esprit, nous ne sommes pas notre corps. Nous devrions pouvoir à volonté passer d’homme à femme, être opérés. Rothblatt espère aussi qu’on parviendra à devenir des esprits évoluant dans le cybermonde. Il faut aussi savoir que Martine Rottblath a fait fabriquer un robot de sa femme. Si elle meurt, il aura une copie de remplacement. Il fait partie des 6 personnes – que des hommes d’ailleurs – qui ont écrit l’un des premiers documents juridiques importants pour le mouvement transgenre : l’International Bill of Gender Rights, la charte internationale sur les droits du genre. Un texte rédigé par six hommes donc plusieurs se disent femmes.
Y‑a-t-il un plaisir à chroniquer quotidiennement l’avancée du délabrement du monde ? Que veut Nicolas Casaux comme modèle de société et par quoi selon lui commencer ?
Il n’y a aucun plaisir à critiquer des gens. Ce n’est pas drôle, c’est même chiant. Je fais ce que je fais parce que je trouve ça important et parce que je trouve indécents les mensonges proférés à longueur de journée. On nage tellement dans le mensonge, les illusions et l’incompréhension que malheureusement on a besoin de beaucoup de réflexions et de critiques pour comprendre l’ampleur de ce qui pose problème dans le monde actuel sur les plans sociaux et écologiques.
Les seuls types de sociétés viables, donc soutenables sur le plan écologique et potentiellement démocratiques, sont des sociétés à très petite échelle. Une question de taille, d’Olivier Rey, en discute ; comme The Breakdown of nations de Leopold Kohr, traduit en français aux éditions R&N, L’Effondrement des puissances. Rousseau disait dans un projet de constitution pour la Corse que la démocratie est un régime qui correspond bien à une petite ville, mais dès qu’on passe à l’échelle d’une nation, on doit forcément élire des représentants. De démocratique, le régime devient aristocratique. Ce que nous appelons démocratie aujourd’hui lui, il l’a appelé aristocratie élective, d’autres parlent d’oligarchie. La démocratie a pour condition une société de petite taille, et n’est donc compatible qu’avec des technologies très rudimentaires. Dans « Techniques autoritaires et techniques démocratiques », Lewis Mumford distingue deux types de technologies ou de techniques. Un premier type, autoritaire, qui implique nécessairement d’avoir une société où le pouvoir est centralisé, une société stratifiée en classe avec des élites et des travailleurs. De l’autre, il y a les techniques démocratiques, qui requièrent simplement qu’un petit nombre de personnes s’organisent entre elles, sans représentants ni intermédiaire. Ted Kaczynski dit un peu la même chose dans La Société industrielle et son avenir. En France, cette question de la taille et de la technologie a même été évoquée dans un numéro du Nouvel Obs dans les années 1970 !
À cette époque, on avait compris que, bien qu’on prétende le contraire, la technologie n’est pas neutre.
Non, car elle appelle un certain ordre social, une certaine configuration sociopolitique. On n’a pas besoin des mêmes matériaux, des mêmes savoir-faire pour construire un panier en osier ou une centrale nucléaire. Aucune technologie n’est neutre dans la mesure où chaque technologie a des implications sociales et matérielles, des exigences en matière de conception et de production. Ensuite, chaque technologie a des effets : quand tu possèdes une technologie tu ne vois plus le monde de la même manière. Quand tu as une voiture à ta disposition, ta perception du monde va changer. En 1946, George Orwell estimait que l’anarchie n’était pas compatible avec la haute technologie et prenait en exemple l’avion : tout ce qu’il faut d’opérations techniques pour construire un avion appelle nécessairement un pouvoir centralisé et donc une force de répression, etc.
N’est-ce pas une régression de vivre à basse technologie ?
On a très bien vécu avec des basses technologies, durant 99% de notre histoire. En gros, c’est depuis qu’on a la technologie qu’on détruit tout et que c’est la catastrophe à peu près à tous les niveaux. On a vécu sans téléphone portable jusqu’à la première décennie des années 2000 et ça allait à peu près, on arrivait à s’y retrouver !
Sauf erreur, dans Le Quai de Wigan, Orwell écrit aussi qu’il y a une incompatibilité fondamentale entre liberté et efficacité. Dans une société aujourd’hui qui survend, surjoue cette notion, sa pensée est d’autant plus intéressante.
Efficace pourquoi, en quoi ? Les hautes technologies ne sont pas du tout efficaces : elles ne nous permettent pas de vivre, et n’optimisent absolument pas nos libertés. Le pass sanitaire était un exemple flagrant.
Quelles auteures ou autrices lire pour découvrir un pan immense de l’écologie radicale ?
Toutes les femmes qui participent du courant qu’on appelle l’écoféminisme, dont je trouve l’analyse excellente : Quotidien Politique de Geneviève Pruvost, est une sorte de tour d’horizon de ce qu’est l’écoféminisme. Et puis il y a bien sûr Ecofeminisme de Maria Mies et Vandana Shiva. Arundhati Roy et son Capitalisme : une histoire de fantôme est vraiment très bon, notamment sur ce qu’elle appelle l’ONGisation de la résistance : le fait que l’opposition dans nos sociétés industrielles se réduit de plus en plus au travail d’ONG depuis déjà quelques décennies. Le Coût de la vie dans lequel elle parle de barrages en Inde qui ont généré le déplacement de plusieurs millions de personnes est saisissant : pour construire des barrages et faire de l’électricité, des vallées entières ont été inondées, des rivières complètement bouleversées, des écosystèmes détruits. En France, Extractivisme d’Anna Bednik relie beaucoup de choses et fournit une bonne critique socioécologique radicale, notamment des implications du développement des énergies vertes dans nos pays riches sur les pays pauvres.
Tu as écrit une très belle note de lecture sur l’excellent Terre et liberté d’Aurélien Berland édité par la superbe maison Les éditions de La Lenteur, peux-tu en dire un mot ?
C’est un petit bouquin qui fait 200 pages dans lequel il parvient à résumer l’essentiel de nos problèmes actuels. L’analyse qu’il considère la plus juste, c’est justement l’analyse écoféministe. Il cite beaucoup d’écoféministes notamment Veronika Bennholdt-Thomsen, une philosophe qui a écrit avec Maria Mies La Subsistance (qui vient de paraître aux éditions La Lenteur). Dans le combat qu’on doit mener, il y a deux versants complémentaires : la lutte pour construire des alternatives affranchies des règles du capitalisme et de la domination technologique ET la lutte contre les institutions existantes. Les institutions dominantes n’ont aucun intérêt à se laisser déposséder, il y aura donc toujours de la répression contre toutes celles et ceux qui refusent de se soumettre et de participer à ce monde. Mais c’est ainsi. Arundhati Roy a fait remarquer que « la vraie résistance a de vrais coûts, et aucun salaire ». C’est très vrai. L’activisme professionnel, salarié ou subventionné, façon employé de Greenpeace ou du WWF, dirigeant d’Alternatiba, de 350.org, ou de quelque autre ONG, façon aussi Cyril Dion, dont les films documentaires sont sponsorisés par Orange, l’AFD, France Télévisions, etc., c’est une fausse résistance, c’est une mise en scène ridicule, du théâtre pseudo-contestataire financé et encouragé par la Société du spectacle. L’activisme dont on a besoin est bien plus exigeant et ingrat (par certains aspects, pas entièrement). On retrouve ici la distinction entre le faux et le vrai, le mensonge et la vérité.
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