Dans une tribune publiée sur le site du Guardian le 22 octobre dernier, la milliardaire Aileen Getty, héritière d’une partie de la fortune pétrolière de la famille Getty, défend son choix de financer, au travers du Climate Emergency Fund (« Fonds d’urgence climatique »), et entre autres groupes, les « activistes climatiques » de Just Stop Oil. Ceux qui, récemment, se sont collés à des tableaux célèbres et/ou les ont aspergés de soupe (enfin, ont aspergé de soupe la vitre qui les protège).
Elle écrit notamment : « Je pense que la crise climatique a progressé au point que nous devons prendre des mesures perturbatrices pour tenter de changer de cap sur une planète qui devient de plus en plus invivable. Mon soutien à l’activisme climatique est une déclaration de valeurs selon laquelle l’activisme perturbateur est la voie la plus rapide vers un changement transformateur, et que nous n’avons plus de temps pour autre chose qu’une action climatique rapide et complète. »
Et, plus loin, elle ajoute : « Nous devons naviguer à travers le désordre pour arriver à la vraie conversation : nous avons besoin d’une transition énergétique aussi rapidement que possible. Les gouvernements et les entreprises doivent mettre fin à l’expansion des infrastructures de combustibles fossiles et développer les énergies propres. Nous pouvons avoir une économie alimentée par les combustibles fossiles, ou nous pouvons avoir une vie prospère sur la planète Terre. Nous ne pouvons pas avoir les deux. »
« Développer les énergies propres ». Aussi important qu’il soit, effectivement, de mettre fin à l’exploitation des combustibles fossiles, si ces groupes de militants « écologistes » sont financés, c’est parce qu’ils ne remettent pas en question les fondements du capitalisme, les fondements de la catastrophe sociale et écologique en cours.
Les groupes qui voudraient s’opposer à la fois aux industries des combustibles fossiles ET aux industries de production d’énergie dite verte, propre, renouvelable ou décarbonée, ainsi qu’aux mines (de lithium et autres) qui vont avec, ne pourraient sans doute pas être financés par les milliardaires.
L’organisation 350.org, pour prendre un autre exemple, a aussi été fondée et est financée (entre autres) par l’argent d’une autre famille de milliardaires : les Rockefeller. Chez 350 aussi, le mot d’ordre, c’est, en gros, à bas les fossiles et vive les renouvelables. Les Rockefeller investissent dans les renouvelables. Ce que les milliardaires financent, au travers de ces groupes, c’est au mieux une manière de précipiter une sorte de mutation (« transition ») du capitalisme industriel basé sur les énergies fossiles vers un capitalisme industriel basé sur les centrales hydroélectriques, les centrales éoliennes, photovoltaïques, etc., et le nucléaire.
Aileen Getty a aussi tout intérêt à ce que les gouvernements/les États financent cette mutation, étant donné qu’elle investit par ailleurs, et entre autres, dans la compagnie WasteFuel, qui « met en œuvre des technologies éprouvées pour faire face à l’urgence climatique et révolutionner la mobilité », par exemple en transformant « les déchets municipaux et agricoles en carburants à faible émission de carbone, en gaz naturel renouvelable, et en méthanol vert ».
Il est très important de mettre un terme à l’exploitation des énergies fossiles, de faire fermer les industries fossiles, mais il est tout aussi important de ne pas les remplacer par des industries de production d’énergie impliquant d’autres formes de destructions environnementales, permettant à la mégamachine planétaire que constitue la civilisation industrielle de continuer ses ravages en lui fournissant l’énergie dont elle a besoin.
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Dans un article publié ce jour, intitulé « Mine de lithium en France ? Un casse-tête environnemental », le journaliste de Reporterre évite de prendre position pour ou contre la mine et cite Michel Jarry, Président de France Nature Environnement (FNE) dans la région Auvergne Rhône-Alpes : « “Une mine propre, ça n’a jamais existé et ça n’existera jamais, dit-il à Reporterre. Les risques de pollution des eaux, des sols et de l’air sont réels et ce serait un beau mensonge que de dire le contraire.”
Pour autant, l’écologiste refuse pour l’heure de s’y opposer frontalement : “Peut-on refuser un tel projet, tout en profitant des SUV électriques flambants neufs, pendant que des dizaines d’ouvriers meurent pour les construire à l’autre bout du monde ? Cette position serait insupportable à assumer.” »
On se pince pour y croire. Plutôt que de s’opposer aux dégradations écologiques qu’implique nécessairement cette mine et à l’industrie de la voiture électrique dans sa totalité (et au reste de la société industrielle), nous devrions accepter la mine au motif que mieux vaut détruire la nature et exploiter des êtres humains ici plutôt que de détruire la nature ailleurs et d’exploiter des êtres humains ailleurs ?
Guillaume Pitron approuve : « Creuser une mine pour fabriquer des batteries de 700 kg alimentant d’énormes Audi, c’est aberrant. En revanche, si c’est pour alimenter de petites voitures partagées au sein d’un village… Alors, oui ! »
Aujourd’hui, l’écologisme de FNE, de 350 .org, de Just Stop Oil, etc., s’accorde donc avec l’ambition des milliardaires capitalistes (Getty, Rockefeller, etc.) consistant à transitionner en direction d’un capitalisme industriel basé sur des technologies et énergies dites vertes ou propres ou décarbonées (mais n’étant, en réalité, ni vertes, ni propres ni décarbonées).
Comme le rapporte Médiapart, « plus de 90 % des parcs éoliens installés en France ne respectent pas leur obligation envers les espèces protégées ». La France compte désormais « plus de 500 000 installations photovoltaïques […] raccordées au réseau de distribution d’électricité géré par Enedis sur 95% du territoire ». La construction de ces panneaux solaires et éoliennes implique des dégradations écologiques. L’installation de ces centrales solaires et éoliennes implique des dégradations écologiques. L’énergie qu’elles produisent génère des dégradations écologiques. Il n’y a rien de soutenable ou d’écologique dans tout ça. Mais les associations écologistes, pour l’essentiel, laissent faire.
Les milliardaires et les États ne financent pas les organisations qui désirent sérieusement mettre un terme à la destruction du monde.
Nicolas Casaux
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