L’écologie radicale financée par des milliardaires ? (par Nicolas Casaux)

L’écologie radicale financée par des milliardaires ? (par Nicolas Casaux)

Dans une tri­bune publiée sur le site du Guar­dian le 22 octobre der­nier, la mil­liar­daire Aileen Get­ty, héri­tière d’une par­tie de la for­tune pétro­lière de la famille Get­ty, défend son choix de finan­cer, au tra­vers du Cli­mate Emer­gen­cy Fund (« Fonds d’urgence cli­ma­tique »), et entre autres groupes, les « acti­vistes cli­ma­tiques » de Just Stop Oil. Ceux qui, récem­ment, se sont col­lés à des tableaux célèbres et/ou les ont asper­gés de soupe (enfin, ont asper­gé de soupe la vitre qui les protège).

Elle écrit notam­ment : « Je pense que la crise cli­ma­tique a pro­gres­sé au point que nous devons prendre des mesures per­tur­ba­trices pour ten­ter de chan­ger de cap sur une pla­nète qui devient de plus en plus invi­vable. Mon sou­tien à l’ac­ti­visme cli­ma­tique est une décla­ra­tion de valeurs selon laquelle l’ac­ti­visme per­tur­ba­teur est la voie la plus rapide vers un chan­ge­ment trans­for­ma­teur, et que nous n’a­vons plus de temps pour autre chose qu’une action cli­ma­tique rapide et complète. »

Et, plus loin, elle ajoute : « Nous devons navi­guer à tra­vers le désordre pour arri­ver à la vraie conver­sa­tion : nous avons besoin d’une tran­si­tion éner­gé­tique aus­si rapi­de­ment que pos­sible. Les gou­ver­ne­ments et les entre­prises doivent mettre fin à l’ex­pan­sion des infra­struc­tures de com­bus­tibles fos­siles et déve­lop­per les éner­gies propres. Nous pou­vons avoir une éco­no­mie ali­men­tée par les com­bus­tibles fos­siles, ou nous pou­vons avoir une vie pros­père sur la pla­nète Terre. Nous ne pou­vons pas avoir les deux. »

« Déve­lop­per les éner­gies propres ». Aus­si impor­tant qu’il soit, effec­ti­ve­ment, de mettre fin à l’exploitation des com­bus­tibles fos­siles, si ces groupes de mili­tants « éco­lo­gistes » sont finan­cés, c’est parce qu’ils ne remettent pas en ques­tion les fon­de­ments du capi­ta­lisme, les fon­de­ments de la catas­trophe sociale et éco­lo­gique en cours.

L’é­co­lo­gie radi­cale selon Libé­ra­tion. Cli­quez sur l’i­mage pour lire l’article.

Les groupes qui vou­draient s’opposer à la fois aux indus­tries des com­bus­tibles fos­siles ET aux indus­tries de pro­duc­tion d’énergie dite verte, propre, renou­ve­lable ou décar­bo­née, ain­si qu’aux mines (de lithium et autres) qui vont avec, ne pour­raient sans doute pas être finan­cés par les milliardaires.

Cli­quez sur l’i­mage pour lire l’ar­ticle du Monde.

L’organisation 350.org, pour prendre un autre exemple, a aus­si été fon­dée et est finan­cée (entre autres) par l’argent d’une autre famille de mil­liar­daires : les Rocke­fel­ler. Chez 350 aus­si, le mot d’ordre, c’est, en gros, à bas les fos­siles et vive les renou­ve­lables. Les Rocke­fel­ler inves­tissent dans les renou­ve­lables. Ce que les mil­liar­daires financent, au tra­vers de ces groupes, c’est au mieux une manière de pré­ci­pi­ter une sorte de muta­tion (« tran­si­tion ») du capi­ta­lisme indus­triel basé sur les éner­gies fos­siles vers un capi­ta­lisme indus­triel basé sur les cen­trales hydro­élec­triques, les cen­trales éoliennes, pho­to­vol­taïques, etc., et le nucléaire.

Aileen Get­ty a aus­si tout inté­rêt à ce que les gouvernements/les États financent cette muta­tion, étant don­né qu’elle inves­tit par ailleurs, et entre autres, dans la com­pa­gnie Was­te­Fuel, qui « met en œuvre des tech­no­lo­gies éprou­vées pour faire face à l’urgence cli­ma­tique et révo­lu­tion­ner la mobi­li­té », par exemple en trans­for­mant « les déchets muni­ci­paux et agri­coles en car­bu­rants à faible émis­sion de car­bone, en gaz natu­rel renou­ve­lable, et en métha­nol vert ».

Il est très impor­tant de mettre un terme à l’exploitation des éner­gies fos­siles, de faire fer­mer les indus­tries fos­siles, mais il est tout aus­si impor­tant de ne pas les rem­pla­cer par des indus­tries de pro­duc­tion d’énergie impli­quant d’autres formes de des­truc­tions envi­ron­ne­men­tales, per­met­tant à la méga­ma­chine pla­né­taire que consti­tue la civi­li­sa­tion indus­trielle de conti­nuer ses ravages en lui four­nis­sant l’énergie dont elle a besoin.

***

Dans un article publié ce jour, inti­tu­lé « Mine de lithium en France ? Un casse-tête envi­ron­ne­men­tal », le jour­na­liste de Repor­terre évite de prendre posi­tion pour ou contre la mine et cite Michel Jar­ry, Pré­sident de France Nature Envi­ron­ne­ment (FNE) dans la région Auvergne Rhône-Alpes : « “Une mine propre, ça n’a jamais exis­té et ça n’existera jamais, dit-il à Repor­terre. Les risques de pol­lu­tion des eaux, des sols et de l’air sont réels et ce serait un beau men­songe que de dire le contraire.”

Pour autant, l’écologiste refuse pour l’heure de s’y oppo­ser fron­ta­le­ment : “Peut-on refu­ser un tel pro­jet, tout en pro­fi­tant des SUV élec­triques flam­bants neufs, pen­dant que des dizaines d’ouvriers meurent pour les construire à l’autre bout du monde ? Cette posi­tion serait insup­por­table à assumer.” »

On se pince pour y croire. Plu­tôt que de s’opposer aux dégra­da­tions éco­lo­giques qu’implique néces­sai­re­ment cette mine et à l’industrie de la voi­ture élec­trique dans sa tota­li­té (et au reste de la socié­té indus­trielle), nous devrions accep­ter la mine au motif que mieux vaut détruire la nature et exploi­ter des êtres humains ici plu­tôt que de détruire la nature ailleurs et d’exploiter des êtres humains ailleurs ?

Guillaume Pitron approuve : « Creu­ser une mine pour fabri­quer des bat­te­ries de 700 kg ali­men­tant d’énormes Audi, c’est aber­rant. En revanche, si c’est pour ali­men­ter de petites voi­tures par­ta­gées au sein d’un vil­lage… Alors, oui ! »

Aujourd’hui, l’écologisme de FNE, de 350 .org, de Just Stop Oil, etc., s’accorde donc avec l’ambition des mil­liar­daires capi­ta­listes (Get­ty, Rocke­fel­ler, etc.) consis­tant à tran­si­tion­ner en direc­tion d’un capi­ta­lisme indus­triel basé sur des tech­no­lo­gies et éner­gies dites vertes ou propres ou décar­bo­nées (mais n’étant, en réa­li­té, ni vertes, ni propres ni décarbonées).

Comme le rap­porte Média­part, « plus de 90 % des parcs éoliens ins­tal­lés en France ne res­pectent pas leur obli­ga­tion envers les espèces pro­té­gées ». La France compte désor­mais « plus de 500 000 ins­tal­la­tions pho­to­vol­taïques […] rac­cor­dées au réseau de dis­tri­bu­tion d’électricité géré par Ene­dis sur 95% du ter­ri­toire ». La construc­tion de ces pan­neaux solaires et éoliennes implique des dégra­da­tions éco­lo­giques. L’installation de ces cen­trales solaires et éoliennes implique des dégra­da­tions éco­lo­giques. L’énergie qu’elles pro­duisent génère des dégra­da­tions éco­lo­giques. Il n’y a rien de sou­te­nable ou d’écologique dans tout ça. Mais les asso­cia­tions éco­lo­gistes, pour l’essentiel, laissent faire.

Les mil­liar­daires et les États ne financent pas les orga­ni­sa­tions qui dési­rent sérieu­se­ment mettre un terme à la des­truc­tion du monde.

Nico­las Casaux


Sur le même sujet :

Der­nière Réno­va­tion, Alter­na­ti­ba, Extinc­tion Rebel­lion, etc. : la pseu­do-éco­lo­gie au ser­vice du capi­ta­lisme indus­triel (par Nico­las Casaux)

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À propos de l'auteur Le Partage

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