Pour Mickaël Correia, défendre la nature, c’est un truc d’extrême droite (par Nicolas Casaux)

Pour Mickaël Correia, défendre la nature, c’est un truc d’extrême droite (par Nicolas Casaux)

& le pro­blème, ce n’est pas le capi­ta­lisme, ni l’industrialisme, mais le « capi­ta­lisme fossile ». 

I.

Extrait du livre Cri­mi­nels cli­ma­tiques de Mickaël Cor­reia (paru en jan­vier 2022)

La gauche est tout aus­si infes­tée d’idéologues aber­rants que la droite. Mickaël Cor­reia — lumi­neux jour­na­liste « cli­mat » pour Média­part — l’illustre bien qui se pro­pose de réécrire l’histoire du déve­lop­pe­ment de la civi­li­sa­tion indus­trielle en pré­sen­tant l’extrême droite comme le (seul) grand méchant loup : « L’apologie du pétrole, du char­bon ou encore de l’industrie auto­mo­bile était au cœur de la machine de pro­pa­gande des régimes mus­so­li­nien et hitlérien. »

Certes, mais la réa­li­té, c’est sur­tout que « l’apologie du pétrole, du char­bon ou encore de l’industrie auto­mo­bile était au cœur » de (presque) toutes les doc­trines, de gauche comme de droite. Au cours des der­nières décen­nies, et même depuis la « révo­lu­tion indus­trielle », tous les diri­geants éta­tiques, de gauche comme de droite, ont avi­de­ment pro­mu le « déve­lop­pe­ment », c’est-à-dire l’industrialisation — et donc l’exploitation pétro­lière, l’automobile, etc.

Et aujourd’hui tou­jours, de l’extrême droite à l’extrême gauche, du NPA à Zem­mour en pas­sant par Mickaël Cor­reia et bien d’autres, on se rejoint sur de nom­breux points : on veut gar­der l’essentiel de la civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle. On appré­cie la tech­no­lo­gie et l’industrie, on ne consi­dère pas que l’une ou l’autre pose intrin­sè­que­ment pro­blème. Et donc, pour Cor­reia, le prin­ci­pal pro­blème, aujourd’hui, sinon le seul, c’est le « capi­ta­lisme fos­sile » (ou « les infra­struc­tures fos­siles », « l’économie fos­sile », ou les « mul­ti­na­tio­nales fos­siles », etc.). Une sorte de fos­si­lo­pho­bie. Et comme Cor­reia fait mani­fes­te­ment par­tie de ces types de gauche qui res­sentent le besoin, pour cri­ti­quer quelque chose, de l’associer à l’extrême droite, il lui faut donc asso­cier tout ce qui a trait au « fos­sile » à l’extrême droite.

Seule­ment, contrai­re­ment à ce que pré­tend Cor­reia, « la lutte cli­ma­tique » n’est pas (seule­ment) « un com­bat contre l’extrême droite ». C’est un com­bat contre la civi­li­sa­tion indus­trielle, contre l’industrialisme comme mode de vie, contre l’industrialisation du monde, contre la tech­no­lo­gie et tout ce qu’elle implique. L’industrie (ou la tech­no­lo­gie) de gauche détruit tout aus­si sûre­ment le monde que l’industrie (ou la tech­no­lo­gie) de droite. Nombre de diri­geants et autres tech­no­crates de gauche ont par­ti­ci­pé à pré­ci­pi­ter le désastre cli­ma­tique que Cor­reia déplore — et conti­nuent, aujourd’hui encore, de l’aggraver.

Mal­heu­reu­se­ment, Mickaël Cor­reia ne semble pas avoir remar­qué que toutes les indus­tries et toutes les infra­struc­tures qui com­posent la civi­li­sa­tion indus­trielle (pas seule­ment les « fos­siles ») impliquent des des­truc­tions ou des dégra­da­tions éco­lo­giques. S’il pou­vait réel­le­ment exis­ter, le capi­ta­lisme indus­triel basé sur une pro­duc­tion éner­gé­tique (pré­ten­du­ment) verte, propre ou renou­ve­lable qu’il semble appe­ler de ses vœux serait tout aus­si nui­sible pour la nature et tout aus­si anti­dé­mo­cra­tique (inéga­li­taire, alié­nant, etc.) sur le plan social que le capi­ta­lisme indus­triel actuel.

II.

Extrait du livre Cri­mi­nels cli­ma­tiques de Mickaël Cor­reia (paru en jan­vier 2022)

Et vu que Cor­reia, en bon tech­no­lo­giste de gauche, se fait l’apologiste d’un autre capi­ta­lisme indus­triel, un capi­ta­lisme indus­triel non-fos­sile, un capi­ta­lisme indus­triel renou­ve­lable, propre ou vert, il a éga­le­ment besoin d’un argu­ment à oppo­ser à toutes celles et ceux qui osent pro­tes­ter contre la construc­tion de cen­trales de pro­duc­tion d’électricité éolienne. Vous l’avez peut-être devi­né. L’opposition à la construc­tion d’éoliennes, c’est aus­si un truc d’extrême droite !

C’est ce qu’affirme le génial Pierre Char­bon­nier, que Cor­reia invoque pour l’occasion. « L’attachement tra­di­tio­na­liste à la pré­ser­va­tion du pay­sage » serait « typique de l’extrême droite ». Défendre la nature, c’est fas­ciste. « Don­ner une valeur d’éternité à un pay­sage, alors qu’il est le pro­duit d’un déve­lop­pe­ment his­to­rique et social, est propre à la pen­sée réac­tion­naire », affirme encore Pierre Charbonnier.

Selon cette brillante logique, puisque le pay­sage de l’Amazonie est lui aus­si « le pro­duit d’un déve­lop­pe­ment his­to­rique et social », aucune rai­son de vou­loir lui « don­ner une valeur d’éternité » : vou­loir le pré­ser­ver est donc réac­tion­naire. Vite, explo­sons l’A­ma­zo­nie ! Plus géné­ra­le­ment, selon cette lumi­neuse logique, vou­loir défendre n’importe quel endroit du monde est réac­tion­naire. Vite, au nom du « pro­grès », ache­vons de détruire le monde ! (À vrai dire, mani­fes­te­ment, pour Cor­reia, toute défense de l’environnement, du pay­sage, n’est pas néces­sai­re­ment fas­ciste, réac­tion­naire ou d’extrême droite. S’opposer au sac­cage de la nature par un pro­jet indus­triel lié aux com­bus­tibles fos­siles n’est pas réac­tion­naire, fas­ciste ou d’extrême droite. C’est seule­ment le fait de s’opposer au sac­cage de la nature par un pro­jet indus­triel éolien [ou solaire, ou autre de ce type, pos­si­ble­ment] qui est réac­tion­naire, fas­ciste ou d’extrême droite. Cor­reia ignore ou occulte d’ailleurs que les déve­lop­pe­ments indus­triels éoliens, solaires, etc., sont entiè­re­ment dépen­dants de l’u­ti­li­sa­tion de com­bus­tibles fos­siles, que le déploie­ment des indus­tries de pro­duc­tion d’éner­gie dite verte, propre, renou­ve­lable ou décar­bo­née est entiè­re­ment dépen­dant des indus­tries et des infra­struc­tures « fossiles » !)

Réac­tion­naires et d’extrême droite, donc, les com­mu­nau­tés indi­gènes de l’isthme de Tehuan­te­pec au Mexique qui se sont oppo­sées à la construc­tion de parcs éoliens par des entre­prises espa­gnoles mais aus­si fran­çaises et danoises ! Si la com­mu­nau­té zapo­tèque Unión Hidal­go s’est oppo­sée à ces cen­trales éoliennes, c’est sûre­ment parce que « mina­rets et éoliennes par­tagent des carac­té­ris­tiques phy­siques » et parce qu’au fond d’eux, les autoch­tones de l’isthme de Tehuan­te­pec craignent ces « musul­mans enva­his­sant les popu­la­tions natives », comme le for­mule le Zet­kin Col­lec­tive, dont les tra­vaux sont éga­le­ment cités par Cor­reia afin d’assimiler toute oppo­si­tion aux déve­lop­pe­ments indus­triels éoliens à l’extrême droite, au fas­cisme, à une men­ta­li­té « réac­tion­naire ». (De la même manière, les autoch­tones d’Hawaï, de Nor­vège, de Colom­bie et d’ailleurs qui luttent contre des pro­jets éoliens sont évi­dem­ment tous d’affreux réac­tion­naires d’extrême-droite islamophobes !)

Quelle misère. Pour­quoi Cor­reia ne s’est-il pas conten­té de rap­por­ter la véri­té ?! Oui, il existe une oppo­si­tion de droite et d’extrême droite à l’encontre du déve­lop­pe­ment éolien, fon­dée sur des argu­ments absurdes (com­pi­lés, par exemple, dans le très mau­vais film docu­men­taire Éoliennes : du rêve aux réa­li­tés réa­li­sé par le nucléa­riste Charles Thi­mon, argu­ments qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec la xéno­pho­bie réac­tion­naire évo­quée par Char­bon­nier et Cor­reia, qui existe peut-être, mais dans quelle pro­por­tion, dif­fi­cile à dire). ET il existe AUSSI d’autres oppo­si­tions, de gauche, d’extrême gauche ou d’ailleurs sur l’échiquier poli­tique (voire d’en dehors de l’échiquier poli­tique), à l’encontre du déve­lop­pe­ment éolien, fon­dées sur des motifs très dif­fé­rents. Si Cor­reia n’expose pas ça, c’est cer­tai­ne­ment parce qu’il ne sou­haite pas dévoi­ler une véri­té qui ris­que­rait de remettre en ques­tion son propre argu­men­taire, sa propre posi­tion d’apologiste du déve­lop­pe­ment éco-industriel.

On cher­che­rait en vain dans le livre de Cor­reia une men­tion de ce fait que l’industrie de la construc­tion d’éoliennes implique, comme toute indus­trie, son lot de ravages envi­ron­ne­men­taux (à tous les niveaux de la chaine de pro­duc­tion, depuis l’extraction des mine­rais néces­saires à la construc­tion des éoliennes, et en amont, néces­saires à la construc­tion des machines néces­saires à ladite extrac­tion, et en amont encore, etc.). Ou du fait que l’énergie pro­duite par les cen­trales de pro­duc­tion d’énergie dite verte, propre, renou­ve­lable ou décar­bo­née ne sert qu’à ali­men­ter des machines elles-mêmes issues d’autres indus­tries, impli­quant elles aus­si leurs lots de ravages envi­ron­ne­men­taux, etc. Qu’importe. Pour Cor­reia, le prin­ci­pal pro­blème, ce n’est pas la des­truc­tion de la nature par l’industrie. C’est l’augmentation du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui pré­ci­pite le réchauf­fe­ment cli­ma­tique en cours, qui menace l’avenir de la civi­li­sa­tion indus­trielle. Voi­là le drame.

On cher­che­rait aus­si en vain, dans le livre de Cor­reia, un exa­men sérieux de ce qu’implique le mode de vie indus­triel (ou tech­no­lo­gique) en matière de coer­ci­tions, de hié­rar­chies sociales, de dépos­ses­sion, d’aliénation.

Bref. Contrai­re­ment à ce que pré­tend Cor­reia, il existe de très bonnes rai­sons — pour celles et ceux qui se sou­cient de la nature et de la liber­té — de s’opposer aux déve­lop­pe­ments indus­triels éoliens, de même qu’à tout déve­lop­pe­ment indus­triel et à l’ensemble de la civi­li­sa­tion indus­trielle. Il n’est nul besoin de choi­sir — il n’est même pas pos­sible de choi­sir — entre la peste et le cho­lé­ra, entre un capi­ta­lisme indus­triel fos­sile et un capi­ta­lisme indus­triel « renou­ve­lable » (ou vert, ou propre ou décar­bo­né). C’est du capi­ta­lisme indus­triel tout court — du mode de vie industriel/technologique — que nous devons sor­tir si nous vou­lons mettre un terme au ravage de la nature et avoir une chance de recons­truire des socié­tés réel­le­ment démo­cra­tiques, favo­ri­sant au mieux la liber­té humaine.

Les idio­ties de Cor­reia passent à côté de l’essentiel.

Nico­las Casaux

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