& le problème, ce n’est pas le capitalisme, ni l’industrialisme, mais le « capitalisme fossile ».
I.
La gauche est tout aussi infestée d’idéologues aberrants que la droite. Mickaël Correia — lumineux journaliste « climat » pour Médiapart — l’illustre bien qui se propose de réécrire l’histoire du développement de la civilisation industrielle en présentant l’extrême droite comme le (seul) grand méchant loup : « L’apologie du pétrole, du charbon ou encore de l’industrie automobile était au cœur de la machine de propagande des régimes mussolinien et hitlérien. »
Certes, mais la réalité, c’est surtout que « l’apologie du pétrole, du charbon ou encore de l’industrie automobile était au cœur » de (presque) toutes les doctrines, de gauche comme de droite. Au cours des dernières décennies, et même depuis la « révolution industrielle », tous les dirigeants étatiques, de gauche comme de droite, ont avidement promu le « développement », c’est-à-dire l’industrialisation — et donc l’exploitation pétrolière, l’automobile, etc.
Et aujourd’hui toujours, de l’extrême droite à l’extrême gauche, du NPA à Zemmour en passant par Mickaël Correia et bien d’autres, on se rejoint sur de nombreux points : on veut garder l’essentiel de la civilisation techno-industrielle. On apprécie la technologie et l’industrie, on ne considère pas que l’une ou l’autre pose intrinsèquement problème. Et donc, pour Correia, le principal problème, aujourd’hui, sinon le seul, c’est le « capitalisme fossile » (ou « les infrastructures fossiles », « l’économie fossile », ou les « multinationales fossiles », etc.). Une sorte de fossilophobie. Et comme Correia fait manifestement partie de ces types de gauche qui ressentent le besoin, pour critiquer quelque chose, de l’associer à l’extrême droite, il lui faut donc associer tout ce qui a trait au « fossile » à l’extrême droite.
Seulement, contrairement à ce que prétend Correia, « la lutte climatique » n’est pas (seulement) « un combat contre l’extrême droite ». C’est un combat contre la civilisation industrielle, contre l’industrialisme comme mode de vie, contre l’industrialisation du monde, contre la technologie et tout ce qu’elle implique. L’industrie (ou la technologie) de gauche détruit tout aussi sûrement le monde que l’industrie (ou la technologie) de droite. Nombre de dirigeants et autres technocrates de gauche ont participé à précipiter le désastre climatique que Correia déplore — et continuent, aujourd’hui encore, de l’aggraver.
Malheureusement, Mickaël Correia ne semble pas avoir remarqué que toutes les industries et toutes les infrastructures qui composent la civilisation industrielle (pas seulement les « fossiles ») impliquent des destructions ou des dégradations écologiques. S’il pouvait réellement exister, le capitalisme industriel basé sur une production énergétique (prétendument) verte, propre ou renouvelable qu’il semble appeler de ses vœux serait tout aussi nuisible pour la nature et tout aussi antidémocratique (inégalitaire, aliénant, etc.) sur le plan social que le capitalisme industriel actuel.
II.
Et vu que Correia, en bon technologiste de gauche, se fait l’apologiste d’un autre capitalisme industriel, un capitalisme industriel non-fossile, un capitalisme industriel renouvelable, propre ou vert, il a également besoin d’un argument à opposer à toutes celles et ceux qui osent protester contre la construction de centrales de production d’électricité éolienne. Vous l’avez peut-être deviné. L’opposition à la construction d’éoliennes, c’est aussi un truc d’extrême droite !
C’est ce qu’affirme le génial Pierre Charbonnier, que Correia invoque pour l’occasion. « L’attachement traditionaliste à la préservation du paysage » serait « typique de l’extrême droite ». Défendre la nature, c’est fasciste. « Donner une valeur d’éternité à un paysage, alors qu’il est le produit d’un développement historique et social, est propre à la pensée réactionnaire », affirme encore Pierre Charbonnier.
Selon cette brillante logique, puisque le paysage de l’Amazonie est lui aussi « le produit d’un développement historique et social », aucune raison de vouloir lui « donner une valeur d’éternité » : vouloir le préserver est donc réactionnaire. Vite, explosons l’Amazonie ! Plus généralement, selon cette lumineuse logique, vouloir défendre n’importe quel endroit du monde est réactionnaire. Vite, au nom du « progrès », achevons de détruire le monde ! (À vrai dire, manifestement, pour Correia, toute défense de l’environnement, du paysage, n’est pas nécessairement fasciste, réactionnaire ou d’extrême droite. S’opposer au saccage de la nature par un projet industriel lié aux combustibles fossiles n’est pas réactionnaire, fasciste ou d’extrême droite. C’est seulement le fait de s’opposer au saccage de la nature par un projet industriel éolien [ou solaire, ou autre de ce type, possiblement] qui est réactionnaire, fasciste ou d’extrême droite. Correia ignore ou occulte d’ailleurs que les développements industriels éoliens, solaires, etc., sont entièrement dépendants de l’utilisation de combustibles fossiles, que le déploiement des industries de production d’énergie dite verte, propre, renouvelable ou décarbonée est entièrement dépendant des industries et des infrastructures « fossiles » !)
Réactionnaires et d’extrême droite, donc, les communautés indigènes de l’isthme de Tehuantepec au Mexique qui se sont opposées à la construction de parcs éoliens par des entreprises espagnoles mais aussi françaises et danoises ! Si la communauté zapotèque Unión Hidalgo s’est opposée à ces centrales éoliennes, c’est sûrement parce que « minarets et éoliennes partagent des caractéristiques physiques » et parce qu’au fond d’eux, les autochtones de l’isthme de Tehuantepec craignent ces « musulmans envahissant les populations natives », comme le formule le Zetkin Collective, dont les travaux sont également cités par Correia afin d’assimiler toute opposition aux développements industriels éoliens à l’extrême droite, au fascisme, à une mentalité « réactionnaire ». (De la même manière, les autochtones d’Hawaï, de Norvège, de Colombie et d’ailleurs qui luttent contre des projets éoliens sont évidemment tous d’affreux réactionnaires d’extrême-droite islamophobes !)
Quelle misère. Pourquoi Correia ne s’est-il pas contenté de rapporter la vérité ?! Oui, il existe une opposition de droite et d’extrême droite à l’encontre du développement éolien, fondée sur des arguments absurdes (compilés, par exemple, dans le très mauvais film documentaire Éoliennes : du rêve aux réalités réalisé par le nucléariste Charles Thimon, arguments qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec la xénophobie réactionnaire évoquée par Charbonnier et Correia, qui existe peut-être, mais dans quelle proportion, difficile à dire). ET il existe AUSSI d’autres oppositions, de gauche, d’extrême gauche ou d’ailleurs sur l’échiquier politique (voire d’en dehors de l’échiquier politique), à l’encontre du développement éolien, fondées sur des motifs très différents. Si Correia n’expose pas ça, c’est certainement parce qu’il ne souhaite pas dévoiler une vérité qui risquerait de remettre en question son propre argumentaire, sa propre position d’apologiste du développement éco-industriel.
On chercherait en vain dans le livre de Correia une mention de ce fait que l’industrie de la construction d’éoliennes implique, comme toute industrie, son lot de ravages environnementaux (à tous les niveaux de la chaine de production, depuis l’extraction des minerais nécessaires à la construction des éoliennes, et en amont, nécessaires à la construction des machines nécessaires à ladite extraction, et en amont encore, etc.). Ou du fait que l’énergie produite par les centrales de production d’énergie dite verte, propre, renouvelable ou décarbonée ne sert qu’à alimenter des machines elles-mêmes issues d’autres industries, impliquant elles aussi leurs lots de ravages environnementaux, etc. Qu’importe. Pour Correia, le principal problème, ce n’est pas la destruction de la nature par l’industrie. C’est l’augmentation du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui précipite le réchauffement climatique en cours, qui menace l’avenir de la civilisation industrielle. Voilà le drame.
On chercherait aussi en vain, dans le livre de Correia, un examen sérieux de ce qu’implique le mode de vie industriel (ou technologique) en matière de coercitions, de hiérarchies sociales, de dépossession, d’aliénation.
Bref. Contrairement à ce que prétend Correia, il existe de très bonnes raisons — pour celles et ceux qui se soucient de la nature et de la liberté — de s’opposer aux développements industriels éoliens, de même qu’à tout développement industriel et à l’ensemble de la civilisation industrielle. Il n’est nul besoin de choisir — il n’est même pas possible de choisir — entre la peste et le choléra, entre un capitalisme industriel fossile et un capitalisme industriel « renouvelable » (ou vert, ou propre ou décarboné). C’est du capitalisme industriel tout court — du mode de vie industriel/technologique — que nous devons sortir si nous voulons mettre un terme au ravage de la nature et avoir une chance de reconstruire des sociétés réellement démocratiques, favorisant au mieux la liberté humaine.
Les idioties de Correia passent à côté de l’essentiel.
Nicolas Casaux
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