I. LES ÉTATS-UNIS N’ONT JAMAIS ÉTÉ UNE DÉMOCRATIE
Leur « cour suprême », qui s’est récemment illustrée en retirant le droit d’avorter aux femmes, n’a donc jamais été pensée comme un instrument démocratique.
Les « pères fondateurs » des États-Unis (des pères, bien entendu, pas de « mère » dans l’affaire), ceux qui ont rédigé la constitution fondatrice du pays (laquelle date de 1787, mais n’entre en vigueur qu’en 1789), étaient tous ouvertement antidémocrates. La démocratie, pour eux, c’était une horreur, quelque chose d’affreux, d’insupportable, une tyrannie dégoûtante, parce que c’était une forme de gouvernement dans laquelle les masses, c’est-à-dire les pauvres, étaient au pouvoir. James Madison, par exemple, un desdits « pères fondateurs », affirmait que la démocratie devait être crainte parce qu’elle menaçait la propriété privée et la stabilité économique. Ainsi estimait-il que « les démocraties se sont toujours révélées incompatibles avec la sécurité personnelle, ou les droits de propriété ; et elles ont en général été aussi brèves dans leur vie que violentes dans leur mort ».
Alexander Hamilton, fédéraliste très influent, nota qu’il cherchait à « former un gouvernement républicain. La vraie liberté n’existe pas dans un régime despotique pas plus que dans les excès de la démocratie ; elle existe dans les gouvernements modérés. » Par ailleurs : « Les membres qui ont défendu le républicanisme avec le plus de ténacité […] étaient aussi tenaces dans leur dénonciation des vices de la démocratie. »
Dans son excellent livre Démocratie : Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, dont sont tirées toutes les citations que je mentionne, Francis Dupuis-Déri écrit que
« plusieurs sources de l’époque révèlent sans ambiguïté aucune que les pères fondateurs des États-Unis modernes étaient conscients et convaincus que leur société était divisée en classes sociales. De plus, ils croyaient que les riches doivent être responsables des affaires politiques, alors que la “démocratie” était associée soit au régime où les pauvres gouvernent, soit à la classe des pauvres elle-même (comme l’aristocratie peut à la fois désigner un régime politique et une classe sociale, la noblesse). Le 18 juin 1787, Alexander Hamilton prononce un discours à la Convention de Philadelphie qui exprime très bien cet état d’esprit :
“Toutes les communautés se divisent entre les peu nombreux et les nombreux. Les premiers sont les riches et les biens nés, les autres la masse du peuple. La voix du Peuple est dite être la voix de Dieu ; et même si cette maxime a été si souvent citée et crue, elle est fausse en réalité. Le peuple est turbulent et changeant ; il ne juge et ne reconnaît le juste que rarement. Il faut donc donner à la première classe une part distincte et permanente dans le gouvernement. Les riches et les biens nés vont contrôler l’instabilité des seconds, et comme ils ne peuvent obtenir un quelconque avantage d’un changement, ils vont donc nécessairement toujours maintenir un bon gouvernement. Est-ce qu’une assemblée démocratique, qui annuellement se déroule dans la masse du peuple, peut supposément être stable dans sa poursuite du bien commun ? Rien d’autre qu’un corps permanent peut freiner l’impudence de la démocratie. Cette disposition turbulente et hors contrôle requiert des contrôles.” […]
Conséquemment, Hamilton déclarait que “la force qui détient les cordons de la bourse doit absolument gouverner”. Le peuple doit donc être contrôlé par les riches. […] Selon John Adams, “les pauvres sont destinés au labeur, les riches sont qualifiés pour les fonctions supérieures en raison de leur éducation et de l’indépendance et des loisirs dont ils jouissent”. »
En outre, pour les « pères fondateurs » des États-Unis — et sur ce point, ils avaient raison — la démocratie, c’était un type d’organisation sociale qui convenait uniquement pour des très petites sociétés humaines. James Madison notait « que dans une démocratie les gens s’assemblent et exercent le pouvoir en personne ; dans une république, ils s’assemblent et gouvernent par le biais de leurs représentants. Une démocratie, conséquemment, ne peut être établie que dans un petit endroit. Une république peut englober une vaste région. » Un autre « père fondateur », Thomas Jefferson, affirmait lui aussi que la « démocratie » est « la seule pure république, mais qu’elle est impraticable hors des limites d’un village ». Un certain Brutus remarque, dans un article en date du 18 octobre 1787 dans le New York Journal :
« Dans une démocratie pure, le peuple est le souverain, et il exprime lui-même sa volonté ; pour cela, le peuple doit se réunir pour délibérer et décider. Cette forme de gouvernement ne peut donc pas exister dans un pays d’une vaste dimension ; il doit être limité à une seule cité, ou à tout le moins maintenu dans des limites telles qu’il est possible pour le peuple de se rassembler facilement, de débattre, de comprendre le sujet qui lui est soumis, et d’exprimer son opinion. »
Comme le rapporte Francis Dupuis-Déri :
« En 1801 paraît à Philadelphie un texte qui explique que la Constitution des États-Unis est fondée sur deux principes, la “fédération des États” et la “démocratie représentative” : “On a conclu avec justesse que la démocratie pure, ou l’autocratie directe du peuple, n’est pas adaptée à un grand État […]. Mais la démocratie représentative peut être adoptée par un État quelle que soit sa taille, et dans toutes les circonstances où les hommes sont guidés par la raison. »
Ce que ces gens-là appelaient (et appellent toujours) « démocratie représentative » n’a bien entendu rien à voir avec la démocratie. La « démocratie représentative », c’est un oxymore. Comme l’avait noté Rousseau, dès lors qu’il y a « représentation » le type de régime politique change et bascule dans le domaine de l’aristocratie.
Bref, la cour suprême, établie dans la constitution états-unienne de 1787, conçue et par pour les gens (les hommes) riches, les possédants, comme cette constitution elle-même, n’a jamais rien eu de démocratique.
Certes, comme le rapporte Francis Dupuis-Déri, aux alentours de 1830, certains dirigeants états-uniens commencent à se dire démocrates et à parler de démocratie de manière positive, et même, ultérieurement, à qualifier de démocratie l’organisation politique des États-Unis. Mais c’est uniquement par opportunisme, et le fait qu’ils se mettent à parler de démocratie pour qualifier un régime politique ouvertement pensé pour être antidémocratique ne change en rien la nature de ce régime.
La France non plus n’a rien d’une véritable démocratie. On peut parler d’aristocratie élective, d’oligarchie électorale ou d’autre chose encore, mais qualifier l’État français, ou d’ailleurs n’importe quel État, de démocratie, relève de l’abus de langage, du mensonge, de la confusion ou de la contradiction (selon les cas).
II. Bon Pote est une grosse merde, épisode #8000
Donc, trois ultrariches PDG d’entreprises qui brassent des millions voire des milliards — Total vient de faire 14 milliards d’euros de profit et de distribuer plus de 8 milliards de dividendes à ses actionnaires — appellent « les Français » à consommer moins, et lui, il trouve ça super, et il appelle ça « la décroissance ».
D’abord, que les riches arrêtent d’acheter des yachts, des Lamborghinis, des SUV, des 4×4, de faire construire des villas secondaires, des manoirs, qu’on arrête les innombrables gaspillages d’énergie et de ressources (les golfs, les entreprises de vente de trotinettes électriques, de montres de luxe, de montres connectées, de téléviseurs, de sodas, de drones, de réfrigérateurs connectés, de tablettes, de brosses à dents électriques, etc.), qu’ils rendent l’argent qu’ils ont volé, les richesses qu’ils ont accaparées, le pouvoir qu’ils ont confisqué, ensuite on pourra tous ensemble consommer moins.
Tout récemment, par ailleurs, le Bon Pote a carrément collaboré avec l’IDDRI (l’Institut du développement durable et des relations internationales, un « think tank qui facilite la transition vers le développement durable », financé par le groupe Renault, l’AFD ou Agence française de développement, Engie, EDF, Suez, Vinci, Veolia, la BNP Paribas, la Banque mondiale, la fondation Bill & Melinda Gates, etc.) — IDDRI qui, par ailleurs, emploie la « célèbre activiste » professionnelle Camille Etienne —, et avec l’Ademe (ça, c’est l’État) pour promouvoir ses bêtises selon lesquelles un autre capitalisme industriel est possible, neutre en carbone et durable.
Son avènement (illusoire, un capitalisme industriel durable, ça n’est ni possible ni souhaitable) nécessiterait un accroissement des normes, des règlementations, des lois, une administration toujours plus précise de l’existence humaine, vous y seriez toujours contraints de vendre votre vie sur le « marché du travail » en tant que simple « ressource humaine » au service du système socio-technique, des technocrates et des ploutocrates, etc., MAIS vous vous rendrez à votre « emploi » à vélo (dans la mesure du possible), et tous vos faits et gestes seront carbomonitorés afin de s’assurer que vous ne dépassez pas les quotas fixés par les experts, etc.
Les imbéciles du mouvement climat sont du côté de la domination (mais de la domination neutre en carbone), de l’État, des entreprises qui investissent dans les mystifications ridicules du « développement durable », des imbécilités éco-industrielles, des mensonges verts.
III. PLUS D’UN SIÈCLE DE « PROTECTION DE LA NATURE » FINANCÉE PAR LES INDUSTRIELS ET LES ÉTATS : UNE BELLE RÉUSSITE !
L’inquiétude des gens ordinaires aussi bien que des riches, des puissants, des classes dirigeantes vis-à-vis de la destruction de la nature n’est pas nouvelle. Dès les prémisses de l’industrialisation du monde, dès les débuts de la révolution industrielle, dans divers milieux, on remarque et on se préoccupe de la destruction industrielle du monde. Y compris dans les hautes sphères.
Du 17 au 19 novembre 1913, à Berne, en Suisse, une « Conférence internationale pour la protection de la nature » est organisée à l’initiative du gouvernement helvétique. Cependant, la Première Guerre mondiale interrompt les efforts des sociétés naturalistes et des gouvernements (17 parmi lesquels le gouvernement français) qui s’y étaient engagés à constituer au plus vite une organisation internationale de protection de la nature.
Par la suite, il y a presque un siècle, du 31 mai au 3 juin 1923, eut lieu à Paris, au Muséum national d’histoire naturelle, le « Premier Congrès international pour la protection de la nature, faune et flore, sites et monuments naturels ». Il fut organisé conjointement par la Société nationale d’acclimatation de France, la Ligue française pour la protection des oiseaux et la Société pour la protection des paysages de France. Y participent « surtout des scientifiques — avec de plus en plus d’écologues –, mais aussi les représentants d’intérêts économiques (pelletiers, chasseurs professionnels…) et des sociétés de chasse ».
Rebelote en 1931, avec le Deuxième Congrès international pour la protection de la nature. Les images ci-dessous sont tirées du livre rapportant les principaux actes de ce congrès.
& ce qu’on remarque — de manière parfaitement logique, parfaitement attendue — c’est que dès le départ, les premières organisations et les premiers évènements majeurs visant à promouvoir la « protection de la nature » sont marqués du sceau contradictoire du « développement durable » (même si l’expression n’avait pas encore été inventée). On déplore les ravages de l’industrie, mais on célèbre les progrès de l’industrie. C’est attendu parce que les puissants, les riches, les aristocrates, ne sont pas complètement suicidaires. Protéger la nature, oui, mais seulement dans la mesure où ça ne nuit pas — pas trop — à l’économie, à l’ordre établi, au progrès de l’industrie, de la civilisation. La contradiction qui mine l’essentiel des mouvements écologistes, l’essentiel des aspirations dites écologistes qui ont voix au chapitre aujourd’hui, c’est déjà celle-là. On ne peut pas avoir une société industrielle ET préserver la nature. On ne peut pas favoriser l’économie ET préserver la nature. On ne peut pas avoir le progrès technique ET préserver la nature. D’ailleurs, on ne peut pas non plus avoir ces choses-là ET avoir l’égalité, la démocratie, la liberté humaine.
Et dès le départ, donc, les organisations et évènement écologistes sont financés par les riches et les puissants, les États et les industriels, de même que les principales organisations écologistes (ou sociales) d’aujourd’hui (d’Oxfam au WWF).
Le mouvement climat, né aux alentours de l’an 2009 suite à la Conférence de Copenhague de 2009 sur les changements climatiques, né, donc, sous l’impulsion d’organisations étatiques et supra-étatiques (États et ONU) et grâce à des financements massifs d’importantes fondations « philanthropiques » appartenant à des industriels, s’inscrit dans la continuation de cet écologisme absurde, impossible. Mais en pire encore. Si auparavant, l’écologisme autorisé et financé par les États et les industriels s’empêtrait dans une contradiction absurde (préserver la nature ET favoriser le progrès technique, l’industrialisation, le développement économique), le mouvement climat, lui, évince carrément le souci pour la nature. Ne reste plus qu’une préoccupation pour l’avenir de la civilisation industrielle face au réchauffement climatique qu’elle provoque elle-même.
Celles et ceux qui se soucient de la nature et de la liberté devraient, depuis le temps, avoir compris. On ne peut pas avoir à la fois une civilisation industrielle, une industrie, un système technologique, ET préserver la nature, et avoir la liberté. Il faut choisir.
DÉFENDRE LA NATURE, C’EST S’OPPOSER À L’ÉTAT ET À L’INDUSTRIE
IV. ENCORE UN FESTIVAL POUR SAUVER LA PLANÈTE
La croissance, c’est aussi la croissance — la multiplication — du nombre de festivals ou d’évènements prétendument verts, responsables, écoresponsables, durables, soutenables, etc. Des évènements — organisés grâce à la générosité philanthropique de sponsors préoccupés par l’état du monde et désireux de faire le bien — où on discute de comment un autre capitalisme industriel est possible, mais plus sympa, et plus vert. Et de comment, pour y parvenir, nous avons besoin d’un sursaut collectif, de travailler tous ensemble, main dans la main, entreprises, dirigeants étatiques, élus, organisations para-étatiques, célèbres activistes, grandes réalisatrices, directeurs d’entreprises, etc.
Autrement dit, la croissance, c’est aussi la croissance du foutage de gueule, des gesticulations ridicules, des prétentions mensongères, des cooptations grossières.
V. MEA CULPA
J’ai oublié de vous parler de l’édition 2022 de ChangeNOW, « l’évènement mondial des solutions pour la planète », qui s’est tenue fin mai à Paris. S’y sont retrouvés la première ministre néo-zélandaise, les PDG d’AXA, Accor, Renault, Bonduelle ou encore Goodvest, des cadres de la BNP Paribas, de Microsoft, de la Fondation Bill & Melinda Gates, de Google, etc., ainsi que l’inévitable Camille Étienne (« célèbre activiste » professionnelle), etc. — autrement dit, tous les plus grands écologistes de la planète.
Il s’agissait, bien entendu, de travailler à l’avènement du capitalisme industriel durable, de nous présenter les progrès des « villes durables », de connecter investisseurs, représentants politiques et jeunes startupeurs, etc. De permettre aux acteurs majeurs des puissances dominantes (du capitalisme et de l’État), de trouver des manières de continuer à faire du pognon mais tout en prétendant sauver la planète et encourager la justice sociale, climatique, blablabla.
Ce secteur économique en plein essor (le business du solutionnisme climatique, écologique, etc.), on devrait lui donner un nom plus honnête. L’économie du foutage de gueule, par exemple. « L’économie du foutage de gueule est en plein boom, les experts prévoient qu’elle représentera 2600 milliards d’euros annuels d’ici 2026. C’est formidable. Quelle époque grandiose. »
Avec la multiplication de ce genre d’évènements, nul doute que nous serons bientôt sauvés. Hallelujah.
Source: Lire l'article complet de Le Partage