Au préalable et afin de dissiper tout malentendu potentiel, quelques rappels. Que nous soyons écologistes radicaux, naturiens, décroissants, luddites, etc., nous sommes toutes et tous opposés à l’élevage industriel et à son abominable traitement des animaux, mais aussi, plus généralement, au capitalisme industriel.
Dans une perspective écocentrée, c’est-à-dire dans une perspective qui considère que le primordial est la santé de l’écosphère, la prospérité de la communauté biotique planétaire et des communautés qui la composent (et dont l’être humain fait partie) — qui considère, avec Aldo Leopold, qu’« une chose est bonne quand elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique, et mauvaise dans le cas contraire » —, cela coule de source.
Mais ici se présente déjà une divergence entre le véganisme et la perspective écocentrée que nous défendons, par exemple, chez Deep Green Resistance.
Le véganisme vise « à combattre le spécisme sous toutes ses formes en s’opposant aux discriminations et violences faites aux animaux (esclavage et marchandisation par l’institution humaine). Ce refus s’exprime au quotidien, autant que faire se peut, par un choix alimentaire et un mode de vie végane. » (Vegan-France)
Une autre définition du véganisme, formulée par la Vegan Society en 1979, le décrit comme : « Une philosophie et façon de vivre qui cherche à exclure — autant que faire se peut — toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller, ou pour tout autre but, et par extension, faire la promotion du développement et l’usage d’alternatives sans exploitation animale, pour le bénéfice des humains, des animaux et de l’environnement […]. »
Ce qu’on remarque, c’est que le véganisme ne s’oppose aucunement au capitalisme ou à l’industrialisme, à l’exploitation humaine sur laquelle ils reposent structurellement. Il ne se fonde pas sur un constat de la nuisance sociale et de l’insoutenabilité intrinsèques du capitalisme, de l’industrialisation et de la civilisation plus généralement — l’exploitation et l’élevage industriels de l’animal humain ne semblent pas trop le préoccuper. L’histoire (moderne) du véganisme, et notamment de la Vegan Society britannique, n’est pas celle d’une opposition à la domination ou à l’oppression constitutives du capitalisme et, plus généralement, de la civilisation. Aujourd’hui, certains végans n’hésitent pas à affirmer que « libéralisme et capitalisme » sont les « alliés de la cause animale ».
& donc :
I. Le véganisme, en lui-même, n’a rien d’écologique
Le plus souvent, le véganisme est défini comme un simple mode de consommation dans le capitalisme industriel. Selon L214 : « Une personne végan est une personne comme les autres. Elle a simplement choisi de modifier sa façon de consommer et d’agir, de façon à avoir un impact négatif le plus faible possible sur autrui. Elle fréquente les cirques sans animaux, observe les animaux dans la nature sans les chasser, se régale en mode 100 % végétal, choisit pour se vêtir des matières non issues de l’exploitation des animaux (coton, matières synthétiques…) et utilise des produits cosmétiques et d’entretien non testés. »
Or, consommer des denrées alimentaires et autres marchandises issues du capitalisme industriel — mais estampillées végans — n’a rien d’écologique. Un moindre mal ? Parfois, sans doute, en regard de la consommation de marchandises encore plus nuisibles. Mais pas nécessairement. Tout dépend des points de comparaison qu’on utilise.
Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’un système social (le capitalisme industriel) totalement insoutenable sur le plan écologique et fondé sur la croissance, les efforts de consommation qui, considérés isolément, peuvent passer pour de moindres maux, s’avèrent ultimement insignifiants. Une civilisation industrielle végétalienne pourrait très bien achever de polluer et de ravager le monde.
Selon les estimations de la compagnie Fortune Business Insights, « la taille du marché mondial des aliments végétaliens était évaluée à 23,31 milliards USD en 2020. Le marché devrait passer de 26,16 milliards USD en 2021 à 61,35 milliards USD d’ici 2028, affichant un TCAC de 12,95% au cours de la période prévisionnelle. »
Un secteur industriel parmi d’autres dans le capitalisme mondialisé.
II. Le véganisme n’est pas une solution miracle contre le réchauffement climatique
De même, à lui seul, le véganisme ne garantit en rien l’endiguement ou l’inversion du réchauffement climatique, contrairement à ce que prétendent beaucoup de ses sectateurs, souvent en se référant à telle ou telle étude scientifique, mais en omettant de préciser que ce que ladite étude fait valoir, c’est que le véganisme pourrait faire une différence majeure si toutes choses restaient égales par ailleurs — si le capitalisme industriel cessait de croître, etc. — c’est-à-dire que tout dépend largement d’un certain nombre de paramètres connexes.
Bien souvent, aussi bien sur le plan du réchauffement climatique que de l’écologie en général, les végans tentent de promouvoir le véganisme en recourant un argumentaire de type « efficacité énergétique », en vantant une certaine efficience que le véganisme permettrait dans la gestion des ressources planétaires. Ce genre d’argumentaire s’inscrit dans la logique du « développement durable » du capitalisme industriel (laquelle n’a rien de véritablement durable).
Par ailleurs, il est largement établi que l’élevage peut, lui aussi, contribuer à la lutte contre le changement climatique et à la restauration des écosystèmes. Il pourrait même s’agir d’un des moyens les plus efficaces pour ce faire[1]. Mais, là encore, tout dépend en bonne partie d’un ensemble d’autres paramètres : le plus important reste de parvenir à sortir du (ou à démanteler le) capitalisme industriel — condition sine qua non de la préservation de la vie sur Terre.
Le 25 avril 2022, sur son compte Facebook, Jean-Marc Gancille, ex-cadre de chez Orange reconverti dans le véganisme militant, partageait une image conçue par L214, stipulant que devenir végan était incroyablement efficace contre le réchauffement climatique. À l’occasion, il écrivait même que devenir végan était « l’arme de lutte la plus simple, la plus éthique et la plus massive qui soit pour avoir — enfin — de l’impact » contre le réchauffement climatique.
Manque de pot, le dernier rapport du GIEC stipule que devenir végétarien ou même totalement végan réduit moins les émissions de carbone individuelles que d’éviter un vol long-courrier par an. Jean-Marc Gancille, et ses allées et venues entre la France et la Réunion, possède donc une empreinte carbone pire que celle des « carnistes » qu’il honnit de tout son être (du moins de ceux qui ne prennent pas l’avion). Pire encore, Jean-Marc Gancille a des enfants. En comparaison d’individus n’en ayant pas, son empreinte carbone est donc incomparablement élevée.
Mais à vrai dire, peu importe. La course à qui sera l’esclave moderne le plus écoresponsable, à qui aura l’empreinte carbone la plus faible, est largement ridicule. Cette compétition inter-individuelle est en grande partie une création de la multinationale pétrolière BP. En réalité, les petits gestes individuels et autres changements dans notre mode de consommation ne font essentiellement rien pour endiguer la catastrophe sociale et écologique en cours. Face au principe de croissance et à l’insoutenabilité structurelle du capitalisme industriel, face à l’effet rebond, au paradoxe de Jevons (au postulat de Khazzoom-Brookes), ils ne peuvent rien. Quoi qu’en disent les technocrates imbéciles du Shift Project (financé par Bouygues, Vinci, Veolia, BNP Paribas, etc.), de Carbone 4 ou de l’Ademe (tous les mêmes).
(& d’abord parce que ces gens-là ne cherchent pas à mettre un terme à la catastrophe sociale et écologique que constitue la civilisation (industrielle). Ils aspirent seulement à la décarboner afin d’éviter son effondrement. Il est consternant de voir des individus faire profession d’anticapitalisme, articuler, même, des critiques de la civilisation industrielle dans son ensemble, ET partager les préconisations d’organismes visant non pas à en finir avec le capitalisme et la civilisation industrielle mais au contraire à assurer leur avenir, à les préserver.)
Devenir végétarien, devenir végan, cesser de prendre l’avion, rien de tout ça n’a la moindre chance de faire une différence significative dans la destruction en cours du monde. Il serait temps de Ne plus se mentir.
III. Le véganisme requiert l’agriculture, soit le ravage des écosystèmes
Dans une interview récemment parue sur le site de la revue Ballast, Jean-Marc Gancille affirme que « pour tenter de légitimer malgré tout l’élevage paysan, certains évoquent avec insistance “l’extraordinaire biodiversité commune des milieux ouverts”, mais celle-ci ne sera jamais aussi riche que celle des forêts qu’il aura massivement contribué à détruire ». C’est doublement faux, contrairement à ce que l’on croit souvent, les étendues herbacées telles que les prairies et les savanes sont des écosystèmes riches en espèces, parfois tout aussi biodiversifiés, et même davantage, que les forêts tropicales humides[2] ! En outre, les prairies et les savanes stockent actuellement deux fois plus de carbone que les forêts tropicales.
Jean-Marc Gancille semble oublier, enfin, que le véganisme requiert l’agriculture et que l’agriculture implique la destruction des forêts et de divers milieux riches en biodiversité.
IV. Le véganisme n’est pas une éthique supérieure
Dans l’entretien précité, Jean-Marc Gancille prétend également que les « mouvements anticapitalistes et anti-industriels » font montre d’une « forte dose d’anthropocentrisme qui borne l’attention et le combat aux frontières de l’espèce, et relègue la cruauté systémique qui s’exerce à l’encontre des animaux au rang d’enjeu secondaire ».
Peut-être est-ce exact concernant certains mouvements. Mais pour d’autres, à l’instar du mouvement Deep Green Resistance, c’est faux. Pour plusieurs raisons. D’abord, encore une fois, parce que les mouvements écocentrés comme DGR ne considèrent pas la « cruauté systémique qui s’exerce à l’encontre des animaux » comme un enjeu secondaire. Seulement, nous sommes en désaccord avec les végans concernant la manière de mettre un terme à cette cruauté. Nous ne pensons pas que le véganisme constitue une voie pertinente pour ce faire. Pour différentes raisons, exposées ici. Et notamment parce que, sur une planète morte, il n’existe aucun animal. Nous estimons en effet que sans effondrement ou démantèlement de la civilisation industrielle, sans sortie du capitalisme industriel, il est illusoire de penser en finir avec « la cruauté systémique qui s’exerce à l’encontre des animaux ».
(D’ailleurs, nous pourrions accuser les végans comme Jean-Marc Gancille de faire de l’arrêt de la destruction du monde un enjeu secondaire. Mais pas la peine. Jean-Marc Gancille le reconnaît expressément. Lui ayant fait remarquer, sous une de ses publications stipulant que devenir végan était la meilleure chose à faire pour le climat, qu’en réalité le véganisme en lui-même n’avait aucune chance d’endiguer la catastrophe climatique (et donc la destruction du monde), il m’a répondu que, de toute façon, « c’est mort et tu le sais bien ». Gancille semble donc, de son propre aveu, verser dans une forme de nihilisme végan. Tout est foutu mais au moins soyons végans.)
Cela étant, revenons-en à l’affirmation précitée de Jean-Marc Gancille. Si elle est fausse, c’est aussi parce que le véganisme se fonde sur une éthique anthropocentrée. En effet, s’il souhaite abolir l’exploitation animale, la cruauté envers les animaux (ce qui constitue un objectif louable), c’est parce qu’il estime que les animaux, à la différence des autres espèces vivantes, sont doués de « sentience », que le Larousse définit comme la capacité « pour un être vivant […] à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie ». Pourquoi les végans et les antispécistes choisissent-ils la sentience comme critère premier de la manière dont il convient de traiter un être vivant ou une espèce vivante ? Selon toute probabilité, cela s’explique par une forme d’anthropocentrisme. L’être humain étant lui-même doué de sentience (ayant défini la sentience d’après sa propre expérience), et accordant à cette sentience une valeur très élevée, il décide d’en faire le critère essentiel permettant de décider si une espèce ou un être vivant est digne de considération morale.
Il ne s’agit pas de prétendre que la sentience n’a aucune importance. Seulement, la considérer comme la caractéristique la plus importante à prendre en compte afin de déterminer comment se comporter vis-à-vis d’une autre espèce ou d’un autre être vivant ne semble pas constituer la plus judicieuse des éthiques (cela revient essentiellement à troquer le chauvinisme humain contre un chauvinisme sentient). Pour reprendre les termes de Jean-Marc Gancille, on peut dire que le véganisme « borne l’attention et le combat aux frontières » de la sentience, reproduisant une énième scala naturae, avec les êtres sentients au sommet et les non-sentients en dessous.
L’association L214 définit le spécisme comme « la discrimination d’individus fondée sur le critère de l’espèce. En effet, ce critère ne peut justifier que l’on attribue un statut supérieur exceptionnel à l’humain, tandis que l’on néglige les intérêts des autres animaux. » Toujours selon L214, une « éthique antispéciste accorde une considération égale aux intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir ». De même que le véganisme, dont il partage les prémisses, l’antispécisme, qui prétend s’opposer à l’anthropocentrisme et se targue de lutter contre les discriminations sur le critère de l’espèce, constitue un anthropocentrisme qui discrimine sur… le critère de l’espèce ! Selon l’antispécisme, une espèce non-sentiente n’est pas digne de considération morale :
« D’un point de vue moral, les arbres, les levures ou les épis de blé sont donc les équivalents des cailloux, des smartphones ou des nuages. On peut certes avoir de très bonnes raisons de ne pas couper un arbre, une plante, mais elles ne sont pas directement liées à une considération morale qui leur serait due. S’ils importent, ce n’est pas pour eux-mêmes, mais parce qu’ils importent à d’autres, des êtres sentients : ils leur importent en tant qu’habitat, nourriture, repère, esthétique, etc. Ils n’ont donc de valeur éventuelle qu’indirecte, dite instrumentale, du fait que des êtres sentients leur en accordent une. » (Axelle Playoust-Braure et Yves Bonnardel, Solidarité animale, 2020)
Le mépris que cela suggère vis-à-vis de toutes les formes de vies définies comme non-sentientes est lui-même méprisable. Un arbre ou un smartphone, quelle différence ?! De surcroit, en réduisant toutes les questions éthiques au critère unique de la sentience, l’antispécisme relève non seulement d’une forme d’anthropocentrisme, mais aussi d’une forme de scientisme. Il n’y aurait rien de plus, dans la vie, que ce que les machines seraient capables de percevoir, de mesurer (y a‑t-il présence d’un système nerveux similaire à celui de l’être humain ?). La prétention à l’omniscience — la prétention divine — dont cela témoigne est effrayante. Face à l’univers, les antispécistes semblent faire fi de « l’humilité principielle » dont parlait Claude Lévi-Strauss.
En se concentrant sur le critère principal (voire unique) de la sentience, les antispécistes simplifient grandement la complexité morale de l’univers dans lequel ils évoluent. Le côté rassurant de cette vision simplifiée du monde n’est sans doute pas pour rien dans son essor.
Ainsi que le remarquait Günther Schwab : « Nombreux sont les arbres qui, pour le maintien de la vie sur Terre, ont plus de valeur que les hommes qui les abattent. » (La Danse avec le diable, 1958) Utilitarisme ? Pas nécessairement. Rien ne nous oblige à opposer la perspective de l’utilité à celle du respect. Plutôt que sur la sentience, une éthique écocentrée s’efforce de fonder les considérations morales qu’elle accorde à un être vivant, à une espèce (ou autre) sur les relations que celui-ci ou celle-ci entretient avec les autres membres d’une communauté biotique donnée — y compris avec l’être humain. Il s’agit, pour reprendre une expression en vogue, d’établir des « égards ajustés » sur la base d’une perspective à la fois holistique et contextuelle[3].
V. L’antispécisme (comme le véganisme) est une religion du salut, un rejet de la condition animale de l’humanité (une aspiration à avoir la vie sans la mort)
Une brochure antispéciste se termine comme suit :
« Un jour, nous abolirons l’esclavage des personnes non humaines, comme nous avons (officiellement) aboli celui de nos congénères.
Quelque chose de merveilleux se produira alors. Pour la première fois, une espèce abandonnera volontairement son pouvoir de prédation pour être moralement plus belle.
Pour la première fois, une espèce dominante fera ce qui est juste, plutôt que ce que permet la loi du plus fort.
Celles et ceux qui combattent pour cet avènement auront participé à l’anoblissement moral de l’humanité. »
Jusqu’ici, jusqu’à l’avènement des antispécistes, les humains avaient donc toujours été immoraux. Toutes les sociétés humaines étaient moralement déplorables. Les individus et les sociétés qui consomment des animaux ne sont pas nobles moralement, mais répugnantes. Un discours teinté de racisme, donc, mais pas seulement. Il exprime aussi une certaine religiosité.
Le salut est une notion spirituelle qui renvoie aux concepts de « délivrance » ou de « libération ». Le salut délivre le croyant du péché, de l’insatisfaction et de la condamnation éternelle (enfer), lui offrant ainsi accès au paradis. Au plus simple, le principe est toujours le même : l’humanité est imparfaite. Dieu ou une force ou puissance supérieure (ici, la science moderne et le dogme antispéciste) procure aux croyants, préoccupés par l’imperfection humaine, un moyen d’y remédier : un moyen d’obtenir le salut. En suivant ce moyen (ici, ne plus manger d’animaux), l’individu ou l’humanité se rachètera, améliorera sa condition.
Une des principales choses que l’auteur de la brochure ne semble pas réaliser, c’est que l’agriculture est aussi prédation, c’est que l’agriculture est une pratique nuisible pour des êtres vivants, animaux, végétaux et autres. En fin de compte, il semble que beaucoup d’antispécistes aspirent à vivre sans avoir le moindre impact sur aucun autre être vivant, à vivre sans tuer aucun autre être vivant (et pas seulement aucun animal). En fin de compte, on a l’impression que c’est le principe même de la vie — tout ce qui vit est nourriture, tout ce qui est nourriture est vie, la vie se nourrit de la mort — qu’ils rejettent, qu’ils jugent obscène, immoral, et qu’ils cherchent à fuir.
Dès lors, l’existence, au sein de l’antispécisme, du courant appelé RWAS (Reducing Wild-Animal Suffering, soit « réduire la souffrance des animaux sauvages »), n’est pas étonnante. Ses partisans prônent différents types de mesures, qui « oscillent toutefois autour de trois axes principaux : l’assistance “simple” au quotidien (porter secours à un animal en danger, nourrir des oiseaux affamés, adopter un chien abandonné…), l’intervention afin de modifier “l’ordre naturel des choses” (développer des techniques génétiques afin de rendre les carnivores végétariens ou décupler l’intelligence des herbivores pour qu’ils améliorent leurs stratégies de défense) et, enfin, l’éradication pure et simple de certaines formes de vie sauvage (les prédateurs devant être éliminés en priorité en raison des nombreuses souffrances dont ils sont responsables)[4] ».
Anéantir la vie pour anéantir la souffrance.
VI. Le véganisme ne garantit pas que l’on tue moins d’animaux.
De nombreuses industries ont pour effet de tuer des animaux en masse, pas seulement l’élevage industriel. L’agriculture industrielle, par exemple, sur laquelle compte beaucoup de végans, implique — certes, dans une moindre mesure — la mort d’un très grand nombre d’animaux. Seulement, ce sujet est très peu étudié, peut-être parce qu’il s’agit de plus petits animaux, moins charismatiques — de souris et autres rongeurs, de taupes, de lézards, de lapins, d’insectes ou encore d’oiseaux tués par les engins agricoles ou l’utilisation de pesticides et autres produits en ‑cide. Entre autres choses, les végans commettent l’erreur de se demander « qu’est-ce qui est mort dans mon assiette ? » plutôt que « qu’est-ce qui a été tué pour que cette nourriture se retrouve dans mon assiette ? ».
L’industrie minière tue également beaucoup d’animaux. De même que l’industrie de la construction (des milliards d’oiseaux sont tués, chaque année, par des collisions avec des bâtiments). À vrai dire, il serait difficile de citer une seule industrie qui n’implique pas le meurtre d’un grand nombre d’animaux ou l’infliction de nombreuses souffrances à des animaux, ainsi qu’un certain nombre de dégradations écologiques.
Cela étant, le mode de consommation du végan moyen pourrait bien impliquer moins de morts d’animaux, en comparaison de celui du civilisé non-végan moyen. Mais devenir « végan » — adopter une consommation de marchandises estampillées « végan » — ne signifie pas nécessairement que l’on tue moins d’animaux. En outre, là encore, nous retombons sur le problème de la logique du moindre mal dans le cadre d’un système social totalement insoutenable, en expansion constante. S’agit-il de se sentir ou prétendre plus vertueux, ou de mettre un terme au désastre ?
De plus, il est sûrement possible, vis-à-vis du grand concours de moralisation à qui causera le moins de morts d’animaux, de défendre l’idée selon laquelle, comme dans le cas des émissions de carbone, ne pas avoir d’enfants constitue de loin la meilleure chose à faire, la plus efficace (sur le plan des pratiques individuelles).
(Si certains végans défendent aussi fiévreusement leur cause, en la présentant comme un moyen de sauver le monde, de faire advenir un avenir meilleur pour tout le vivant, c’est possiblement parce qu’ils cherchent à se rassurer eux-mêmes, voire à se célébrer eux-mêmes : en faisant ce qu’ils font, ils sont de meilleures personnes que les autres, ils sauvent le monde. Ne sont-ils pas géniaux ?!)
VII. Il n’est pas certain que le végétalisme constitue un régime alimentaire adéquat pour l’être humain (c’est même plutôt douteux)
Contrairement à ce que prêchent fiévreusement ses partisans en brandissant divers avis d’associations scientifiques ou médicales (bien souvent sans les avoir lus dans le détail, autrement ils ne les brandiraient pas aussi fièrement), il n’est pas clairement établi que le régime végan convient bien à l’être humain (pour un examen des avis des associations scientifiques ou médicales censées avaliser la parfaite convenance pour toutes et tous du régime végétalien, cliquez ici).
À titre d’exemple, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) de la Suisse, conclut, dans un rapport publié en 2018, qu’un « régime végétalien bien planifié et supplémenté pourrait en théorie couvrir les besoins nutritionnels, mais les résultats montrent qu’en réalité, des carences sont fréquentes pour certains nutriments. Si des sujets hautement motivés veulent adopter ou conserver un régime végétalien, ils devraient être informés des directives alimentaires, des besoins en supplémentation et des précautions de suivi possibles. »
L’ESPGHAN (la European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition, soit la « Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique »), une association de professionnels de la pédiatrie médicale, note, dans une publication de 2017, que : « Les régimes végétaliens ne doivent être suivis que sous une surveillance médicale ou diététique appropriée, afin de s’assurer que le nourrisson reçoit une alimentation suffisante. […] les parents doivent comprendre les graves conséquences que peut avoir le non-respect des conseils relatifs à la supplémentation alimentaire. »
Dans une publication de mai 2020, plusieurs membres du Comité de Nutrition de la Société Française de Pédiatrie (CNSFP), concluent que : « Chez les enfants, la couverture des besoins nutritionnels nécessaires à la croissance et au développement neurologique par un régime végétarien nécessite un accompagnement attentif, en particulier avant l’âge de 3 ans, avec un accent particulier sur le fer, le calcium, la vitamine D, la vitamine B 12, le zinc et les acides gras polyinsaturés n‑3. Chez les enfants plus âgés, l’adhésion à un régime végétarien est associée à des mesures anthropométriques favorables dans les pays industrialisés, mais on ne sait rien du risque cardiovasculaire. Les données sur les conséquences d’un régime végétarien chez l’enfant sont rares et hétérogènes, avec des échantillons de petite taille. Théoriquement, un régime végétarien expose l’individu à un risque de carence nutritionnelle, particulièrement chez les nourrissons, les jeunes enfants, les adolescentes et les jeunes femmes enceintes. »
Dans une publication d’octobre 2019, des membres du Groupe Francophone d’Hépatologie-Gastroentérologie et Nutrition Pédiatriques (GFHGNP) concluent que : « Les régimes végétaliens qui excluent tous les produits animaux de l’alimentation ne sont pas adaptés à l’espèce humaine. Les inévitables carences nutritionnelles qu’ils entraînent sont particulièrement graves chez les enfants, car ils en seront affectés tout au long de leur vie. Il est donc indispensable que les enfants soumis à ce type de régime soient orientés vers des professionnels de santé compétents qui leur prescriront les compléments nutritionnels indispensables à leur équilibre alimentaire. »
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Étant donné tout ce qui précède, ceux qui prêchent fanatiquement la parfaite convenance du régime végétalien pour toutes et tous et à n’importe quel âge pourraient bien être des dangers publics.
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De surcroît — outre, donc, qu’un certain nombre d’études scientifiques mettent en lumière un certain nombre de risques pour la santé associés au végétalisme et, dans une moindre mesure, au végétarisme (voir, aussi, ce document rédigé par deux médecins et mis en ligne sur le site du CHU de Nantes, qui compile quelques dangers liés au végétarisme et au végétalisme et fournit des recommandations) — le régime végan n’a pas encore fait ses preuves à l’aune de ce qui constitue sans doute la meilleure manière de juger de la convenance d’un régime alimentaire pour l’être humain : le temps. Aucun peuple végan n’a jamais existé sur Terre. Nous mangeons de la viande et des productions animales depuis des millions d’années. Il reste à voir ce que donnera un régime végan au fil de multiples générations[5].
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Les femmes ont bien plus besoin d’apports nutritionnels en fer que les hommes, or, un des risques associés au végétarisme et au végétalisme est une carence en fer. On comprend donc que certaines femmes considèrent ces régimes alimentaires comme des dangers potentiels, et réfutent l’idée selon laquelle le végétarisme ou le végétalisme serait lié au féminisme. En France, « 25 % des femmes non ménopausées présentent un déficit en fer, et 5 % une anémie » ferriprive. Ainsi que le rapporte un article publié le 1er juin 2022 sur le site The Conversation :
« La carence en fer conduit à des troubles du sommeil, une fatigue prolongée notamment chez l’adolescente ayant des règles abondantes. Chez les femmes enceintes, elle peut conduire à des naissances prématurées, à des enfants de poids inférieurs à la norme et avec risque de déficits mentaux. Le syndrome des jambes sans repos seraient aussi en partie lié à un déficit de fer, notamment chez les femmes enceintes.
Il existe des carences en fer sans anémie (la teneur en globule rouge reste normale), ce qui compromet également le fonctionnement normal du corps : fatigue, fonction cognitive diminuée (perte de capacité de réflexion), adaptation à l’effort plus difficile… Elle est malheureusement généralement sous-estimée car difficile à diagnostiquer ; elle est même difficile à identifier pour le patient. »
Dans cette situation, sachant que la consommation de viande est un des meilleurs moyens de ne pas avoir de carences en fer (une étude publiée en 2019 rapporte qu’en consommant 100g de viande rouge par jour, les femmes de plus de 18 ans pourraient significativement diminuer les risques sanitaires liés à un déficit en fer) — et sachant que végétarisme et végétalisme sont liés à d’autres carences potentielles — encourager les femmes à moins voire à ne plus manger de viande n’apparaît effectivement pas comme une très riche idée.
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Il importerait de discuter nutrition plus en détail, mais le sujet est bien trop vaste. Je me contenterai de souligner deux dernières choses : lorsque Jean-Marc Gancille affirme que « le mieux, de très loin, reste de manger des produits végétaux locaux comme les lentilles ou le blé », il promeut un régime alimentaire riche en sucre (glucides) — une mauvaise idée. Ensuite, par rapport à l’idée selon laquelle la viande rouge serait mauvaise, comme le souligne Richard Béliveau, directeur du Laboratoire de médecine moléculaire de l’UQAM : « La viande rouge n’était pas problématique à l’origine quand les animaux mangeaient de l’herbe. On nourrit maintenant les animaux au soja et au maïs, c’est du grain et le ratio en oméga 3 et en oméga 6 s’est inversé complètement. Or les oméga 3 sont anti-inflammatoires et les oméga 6 sont pro-inflammatoires. Ce ne sont pas juste les amines hétérocycliques, c’est la manipulation industrielle de l’élevage qui fait que les viandes d’aujourd’hui sont plus problématiques qu’elles ne l’étaient dans le temps où l’on consommait, comme chasseurs-cueilleurs, des viandes rouges sauvages. » (Béliveau rappelle également que plusieurs composés toxiques associés à la viande, tels que les amines hétérocycliques, ne sont pas, en réalité, intrinsèques à la viande, mais des produits de sa cuisson à haute température (par exemple, lors de barbecues).)
Les implications sanitaires et alimentaires du véganisme sont très clairement exposées dans cet excellent livre paru en 2020 (mais malheureusement, non encore traduit en français), qui souligne aussi les nombreux avantages nutritifs, sanitaires et environnementaux de la viande :
VIII. Un véganisme conséquent devrait être anti-civilisation, mais le véganisme a besoin de la civilisation (industrielle) pour exister. Le véganisme est donc une impossibilité technique.
Étant donné que toutes les industries qui constituent la civilisation industrielle sont autant de désastres écologiques, que toutes ont des effets négatifs sur les espèces vivantes et l’écosphère en général, que toutes nuisent aux animaux, un véganisme conséquent devrait se positionner en opposition à la civilisation industrielle.
Seulement, le véganisme a besoin d’une production de compléments alimentaires, notamment de vitamine B12 (la fédération végane le stipule expressément). Le véganisme est en outre largement facilité — voire permis — par l’abondance marchande, la profusion de produits alimentaires que l’on retrouve dans les rayons des supermarchés de la civilisation industrielle. Dans certaines régions du monde, dépourvues de tels supermarchés, et dont les conditions écologiques n’offrent pas une abondance de produits végétaux (ou ne permettent pas d’en faire pousser suffisamment), le véganisme n’est même pas une option.
(On rappellera, au passage, que contrairement à ce que prétendent certains zélateurs du véganisme, les animaux d’élevage n’ont pas — pas nécessairement — à être supplémentés en B12. Chez les ruminants, la vitamine B12 est synthétisée par les bactéries et les micro-organismes du rumen à partir du cobalt qu’ils obtiennent naturellement dans leur alimentation, en tout cas lorsqu’ils évoluent dans les conditions écologiques qui leur conviennent. Les autres animaux sauvages obtiennent leur B12 de différentes manières, parfois en mangeant des insectes, parfois en mangeant d’autres animaux, etc. Nombre de végans tendent à avancer des choses relativement inexactes voire parfaitement fausses afin de promouvoir leur religion. Ce sont d’ailleurs un peu toujours les mêmes arguments, toujours les mêmes chiffres chocs qui sont jetés n’importe comment, à l’exemple des 15 000 litres d’eau qu’il faudrait pour produire un 1 kg de viande (ce qui est à la fois inexact et absurde, ainsi qu’un végan un peu plus honnête que d’autres le souligne ici).)
Dans l’entretien publié sur Ballast, à la question de savoir si le véganisme dépend ou non d’« une organisation industrielle mondialisée », Jean-Marc Gancille commence par prétendre que non, en prenant son propre cas pour exemple : il achète des fruits et légumes au marché, à l’épicerie et « dans les supermarchés du coin ». En quoi le fait de faire ses courses à l’épicerie et « dans les supermarchés du coin » signifie qu’on ne dépend pas d’une organisation industrielle mondialisée ?! Mystère. Cela semble plutôt indiquer l’inverse. JMG ajoute ensuite que si le véganisme nécessite de « faire venir certaines denrées inaccessibles localement de plus loin », ce n’est pas si grave, « étant donné que la part du transport a une contribution minime sur l’impact d’un produit (la part du transport dans l’émission carbone d’un produit représente environ 5 % du total), la plupart des produits végétaux importés polluent moins que les produits animaux locaux sur l’ensemble de leur cycle de vie ». À la question de savoir si le véganisme dépend ou non d’« une organisation industrielle mondialisée », JMG répond donc tour à tour non, oui, peut-être, mais c’est pas grave.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétend Jean-Marc Gancille, il est largement faux d’affirmer que « la plupart des produits végétaux importés polluent moins que les produits animaux locaux sur l’ensemble de leur cycle de vie ». C’est même embarrassant. Malgré tout ce que JMG tient dur comme fer à croire, toutes les productions animales locales ne polluent pas (y compris lorsqu’on ne réduit pas la pollution aux seules émissions de gaz à effet de serre, comme il le fait). Certaines correspondent au contraire à des pratiques bénéfiques pour l’environnement[6]. L’élevage n’est — évidemment — pas toujours et nécessairement une nuisance écologique. L’élevage industriel est intrinsèquement problématique, intrinsèquement délétère, et l’élevage non-industriel peut l’être. Cependant, il ne s’agit pas d’une fatalité inhérente à l’élevage.
Mais revenons-en au véganisme. Ainsi que je le rappelais au début de ce texte, celui-ci constitue essentiellement un mode de consommation à l’intérieur de la civilisation industrielle. Autrement dit, ce n’est pas qu’en matière de B12 qu’il en dépend. Le véganisme n’est pas une aspiration à sortir de la civilisation industrielle, à recouvrer la possibilité de s’occuper soi-même de sa propre subsistance. D’ailleurs, une étude parue en juillet 2020 dans le Journal of Nutrition rapporte que les végans sont les plus gros consommateurs d’aliments ultra-transformés.
Bref, le véganisme, sans la civilisation industrielle, s’avèrerait certainement assez difficile, sinon impossible. Mais la civilisation industrielle détruisant la planète…
IX. Le véganisme s’associe (parfois) à la domination sociale
Certains (groupes) végans militants espèrent — cherchent à — propager le véganisme par le biais des institutions sociales dominantes. Il s’agit, autrement dit, d’utiliser les instances qui organisent la domination sociale — et notamment les États-nations modernes et leurs lois — pour imposer le véganisme. Ce côté coercitif du véganisme n’est pas sans rappeler la façon dont le végétarisme, en Inde, s’est propagé grâce au système de castes[7].
Dans son inflexible hostilité envers toute forme d’élevage, le véganisme se montre hostile envers des possibilités de subsistance autonomes.
Il faut un certain culot pour — comme le fait Jean-Marc Gancille — citer Louise Michel en défense du véganisme tout en encourageant le recours à la loi et à l’État pour imposer le véganisme. Si la cruauté et la maltraitance à l’égard des animaux non-humains sont liées à la cruauté et à la maltraitance à l’égard des animaux humains, si la domination de l’humain par l’humain est liée à celle des autres espèces par l’humain, alors, selon toute logique, compter sur la domination sociale pour faire ce qu’il y a de mieux pour la nature, pour les autres espèces, n’a pas grand sens.
X. En guise de conclusion
Le véganisme, les végans, les antispécistes, ne constituent pas un groupe homogène. Entre ceux qui souhaitent éradiquer la nature, voire la vie, afin d’éradiquer la souffrance, ceux qui, comme Peter Singer (le célèbre théoricien de la libération animale, également fervent technophile, tendance transhumaniste), prônent un véganisme flexible et mangent des huitres, des palourdes et des œufs de poules élevées en plein-air, ceux de L214, de L269 Life, etc., il y a d’importantes différences. Cela étant, tous semblent partager un certain nombre de croyances problématiques (dont celles discutées ci-avant).
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Un élevage moral existe-t-il ? Possiblement. Pendant longtemps, et jusqu’à il n’y a pas si longtemps, dans divers endroits du monde (de la Laponie aux Amériques en passant par la Corse), des animaux d’élevage, plus ou moins domestiqués, évoluaient en quasi-liberté. Leur situation n’avait rien à voir avec l’horreur de l’élevage industriel. Ces animaux bénéficiaient certainement de davantage de liberté (d’autonomie) que les civilisés (notamment contemporains).
En comparaison de l’agriculture (qui plus est industrielle), la moralité de l’élevage paysan ou communautaire, à petite échelle, ne fait aucun doute. Ainsi que Lierre Keith le rappelle dans son livre Le Mythe végétarien, « l’agriculture est la chose la plus destructrice que les humains aient infligée à la planète, et poursuivre dans cette direction ne nous sauvera pas ». En effet, si, ces derniers temps, l’élevage a été et est synonyme de dévastations écologiques, c’est en grande partie au nom et à cause de l’agriculture que la planète a été ravagée au cours des derniers millénaires. Toby Hemenway, un universitaire états-unien connu pour sa promotion de la permaculture, arguait que l’expression « agriculture soutenable » (ou durable) est un oxymore.
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Au fondement des principaux problèmes de notre temps se trouve la dépossession, l’impuissance politique totale dans laquelle nous sommes toutes et tous plongés — y compris au sein des oxymoriennes « démocraties représentatives » des régions les plus « développées » du monde.
Beaucoup de végans n’en disent jamais rien, ne voient même pas le problème. Notre principal désaccord se situe possiblement ici. Tandis que nous mettons l’accent sur l’importance de briser cette dépossession — ce que nous mangeons, de même que la manière, plus généralement, dont nous vivons nos vies, ne devrait pas être déterminé par des spécialistes et des experts, décidé dans un ministère, organisé par une bureaucratie, etc. — les végans comme Jean-Marc Gancille tendent plutôt à répéter tel un mantra que, le plus important, c’est que nous cessions de manger des animaux.
Persuadé que « se passer de viande (et de poissons évidemment) » fera advenir « un monde meilleur pour les animaux et les générations futures », Jean-Marc Gancille se réjouit même du développement de la viande artificielle. Certes, il admet que cela participe à l’industrialisation du monde, à l’industrialisation de tout. Mais c’est tout de même un progrès. Un progrès en direction du techno-monde végan, de la techno-dystopie végétalienne, voire basée sur une alimentation purement synthétique, en attendant le cyborg qui n’aura plus besoin que d’électricité pour recharger ses batteries.
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La survie et la prospérité humaines, de même que celles des écosystèmes, résident, in fine, dans la réintégration des êtres humains au sein des milieux naturels. Ainsi que le formule Russell Edwards : « À plus long terme, nous devons nous orienter vers des méthodes de production alimentaire capables de coexister avec des écosystèmes sauvages prospères, de même que tous les organismes sauvages. Pour motiver une telle évolution, un changement culturel radical est nécessaire […]. La clé de ce processus est la compréhension de notre condition et de notre situation écologiques. Pour ce faire, rien de tel que la manière expérimentale, la participation directe et viscérale au réseau alimentaire sauvage : en chassant, en pêchant ou en collectant de la nourriture. »
Si nous voulons faire au mieux pour les autres espèces, nous devons leur laisser des espaces. Il se pourrait bien que nous ne puissions être 10 milliards d’êtres humains à cohabiter harmonieusement avec la nature sauvage. Nous ne pourrons le savoir qu’en essayant.
Défaire la civilisation industrielle, reconstituer des sociétés à taille humaine, libres d’organiser leur propre subsistance, laquelle devrait, autant que faire se peut, se fondre adroitement dans les réseaux trophiques naturels (sauvages). Ce qui n’implique pas de ne pas manger d’animaux. Seulement de les respecter.
Nicolas Casaux
- Les anglophones peuvent aussi regarder le documentaire Sacred Cow (« vache sacrée ») sorti en 2020, ou lire le livre éponyme de Diana Rodgers et Robb Wolf. ↑
- Voir aussi : https://news.mongabay.com/2016/08/savannas-and-grasslands-are-more-biodiverse-than-you-might-think-and-were-not-doing-enough-to-conserve-them/ ↑
- Cf. L’Éthique de la terre d’Aldo Leopold, ou, mieux, « l’animalisme écologique » de Val Plumwood. ↑
- https://gato.hypotheses.org/tag/mouvement-rwas-reducing-wild-animal-suffering ↑
- Sur l’alimentation qui convient le mieux à l’être humain, on peut se renseigner du côté des ouvrages publiés chez Thierry Souccar (même s’il faut faire le tri, on y trouve un peu de tout) : https://www.thierrysouccar.com/nutrition/info/regimes-sans-glutensans-lactose-paleo-cetogene-qui-peut-en-beneficier-2832 ↑
- Voir : https://www.yesmagazine.org/environment/2022/04/11/raising-cows-for-the-climate, https://theconversation.com/can-we-raise-livestock-sustainably-a-win-win-solution-for-climate-change-deforestation-and-biodiversity-loss-176416, ou encore : https://greenwashingeconomy.com/elevage-empreinte-carbone-imperialisme/ ↑
- Sur les origines du végétarisme en Occident et en Inde : https://pdfhost.io/v/nRiDThf8F_Veganisme ↑
Source: Lire l'article complet de Le Partage