L’ancien chef d’état-major de l’Élysée visé par une enquête pour corruption

L’ancien chef d’état-major de l’Élysée visé par une enquête pour corruption

La justice soupçonne le général Benoît Puga, en poste sous Nicolas Sarkozy et François Hollande, de s’être compromis avec un richissime sénateur de droite. Ce dernier a bénéficié de nombreuses décorations pour ses proches quand le militaire dirigeait la Légion d’honneur.

Antton Rouget

9 avril 2024 à 18h20

La question agitait depuis plusieurs semaines une partie de la hiérarchie militaire : l’ affaire de la Légion d’honneur révélée par Mediapart en septembre dernier pouvait-elle connaître des développements judiciaires éclaboussant l’un des généraux les plus capés du pays ? La réponse, affirmative, risque de mettre en émoi le ministère des armées.

Le général Benoît Puga, connu pour avoir été le chef d’état-major particulier de deux présidents de la République – Nicolas Sarkozy puis François Hollande –, est visé par une enquête du Parquet national financier (PNF), ouverte des chefs de « corruption », « trafic d’influence » et « prise illégale d’intérêts », a indiqué une source judiciaire à Mediapart. Dans cette affaire, dont le décorum n’a rien à envier aux scandales de la IIIe République, le militaire est soupçonné de s’être compromis avec un riche sénateur, Jean-Pierre Bansard (apparenté Les Républicains), alors qu’il dirigeait la grande chancellerie de la Légion d’honneur, de 2016 à 2023.

Des années durant lesquelles Jean-Pierre Bansard, homme d’affaires classé parmi les 300 premières fortunes de France (son groupe financier est valorisé à 900 millions d’euros ), s’est montré d’une générosité sans limites avec Benoît Puga, l’invitant notamment à passer des vacances dans une de ses résidences en Corse. En 2018, le sénateur, qui dirige le groupe Cible (hôtellerie et immobilier), a aussi offert un contrat à l’un des fils du général, qui venait tout juste de créer son entreprise dans le bâtiment. Au même moment, tout l’entourage du sénateur, ou presque, recevait une pluie de décorations, qu’ils s’agissent de la Légion d’honneur ou de médailles du mérite.

Sollicités par Mediapart, Benoît Puga et Jean-Pierre Bansard n’ont pas retourné nos demandes d’entretien (lire en Boîte noire).

Ces distinctions ont bénéficié à des membres de la famille de l’élu (ses enfants, entre autres), mais aussi à son entourage politique (collaborateurs ou soutiens), sans que les « mérites » des récipiendaires ne forcent toujours l’évidence. En revanche, l’enjeu est tout sauf anecdotique pour Jean-Pierre Bansard, 83 ans, qui reste mû par un appétit de reconnaissance insatiable. Dans son bureau sur les Champs-Élysées, ce chef d’entreprise parti de rien – il est arrivé à Marseille en provenance d’Oran en 1962, avec quelques francs en poche et a dû changer de nom pour échapper à l’antisémitisme – ne manque jamais une occasion de présenter à ses visiteurs toutes les décorations qu’il a lui-même glanées au fil des décennies. « C’est quelqu’un qui a une obsession de la respectabilité », résumait en septembre une de ses connaissances à Mediapart.

Dans le livre La Décoration (éditions Grasset, 2022), Jean-Pierre Bansard a ainsi témoigné avoir « pleuré une nuit entière » quand le premier ministre Raymond Barre lui a remis sa première médaille, celle du Mérite, à la fin des années 1970. La scène s’est répétée quand il s’est fait épingler sa Légion d’honneur vingt ans plus tard. Jean-Pierre Bansard a ensuite gravi tous les échelons honorifiques, accédant à la dignité de « grand officier » en 2015. « Les millions, c’est agréable. Mais la Légion d’honneur, c’est quelque chose d’autre. Ça tient chaud. Ça brille dans le cœur », brosse-t-il pour illustrer son attachement aux breloques.

Dans sa quête sans fin de reconnaissance, Jean-Pierre Bansard s’est aussi mis en tête, de longue date, d’accrocher à son CV un titre de sénateur. En 2009, il crée son propre microparti, l’ASFE (Alliance solidaire des Français de l’étranger), dont il finance les activités en partie grâce à l’argent de ses entreprises, concentrant ses efforts dans la circonscription unique des Français et Françaises de l’étranger. Une terre électorale peu connue du grand public et des médias qui repose sur un collège électoral microscopique (532 électeurs et électrices disséminé·es à travers le monde), ce qui en fait un paradis du clientélisme.

Lors des sénatoriales de septembre 2017, après deux tentatives infructueuses, Jean-Pierre Bansard met le paquet et explose les compteurs. À la surprise générale, il décroche même deux sièges sur les six en jeu – un pour lui, le second pour la numéro 2 de sa liste, qui est aussi son associée dans le groupe Cible. Mais ce triomphe se révèle être une victoire à la Pyrrhus quand Mediapart décrit, deux mois plus tard, les coulisses de l’entreprise électorale inédite mise sur pied par l’ASFE.

Le microparti a offert des cadeaux à de grands électeurs, a embauché la fille d’une élue en amont du scrutin, en a invité d’autres lors d’un séjour à Paris avant le vote, a fait réaliser des procurations en pagaille, etc. Si bien qu’un an plus tard, le Conseil constitutionnel est contraint d’annuler le vote, effectuant même un signalement auprès du parquet de Paris, qui ouvre une enquête pénale (toujours en cours à ce jour). Retour à la case départ pour Jean-Pierre Bansard.

Ce dernier ne renonce cependant pas. Il est certes frappé d’inéligibilité, mais la durée de cette sanction (un an) ne l’empêche pas de concourir aux sénatoriales suivantes, en 2021. L’ASFE, qui dispose toujours d’une puissance financière incomparable, se remet en ordre de marche aux quatre coins du monde. En Angola, Jean-Pierre Bansard s’appuie sur un relais de premier choix, qu’il désigne candidat lors des élections des conseillers des Français de l’étranger, en la personne de Jean Puga, un autre fils du général, qui vient d’arriver en Afrique pour travailler pour le groupe Total. Lors des sénatoriales de septembre 2021, le millionnaire est récompensé de ses efforts et fait son retour au Sénat par la grande porte.

Des soirées politiques au palais de la Légion d’honneur

Dans son entreprise électorale, Jean-Pierre Bansard a également pu compter sur le soutien du grand chancelier Benoît Puga, lequel a même participé à plusieurs « dîners de gala » offerts par le patron de l’ASFE à ses électeurs. Des dîners qui se sont tenus sous les dorures des salons de l’hôtel de Salm, palais de la Légion d’honneur, ou dans la salle de réception de l’hôtel Intercontinental, un cinq étoiles du groupe Cible à deux pas de l’Arc de triomphe.

Questionné en septembre sur la compatibilité entre ses responsabilités institutionnelles et sa participation à ces événements politiques (auxquels il s’est rendu en tenue officielle), Benoît Puga avait relativisé le poids de l’ASFE, expliquant de manière peu compréhensible qu’il s’agit d’un « parti politique qui n’a d’existence que pour la partie du Sénat et la représentation des sénateurs ».

Juste après son départ de la grande chancellerie en janvier 2023, le général s’est reconverti dans le privé en devenant le responsable de la déontologie du groupe AG2R, leader français de la protection sociale, mais aussi consultant pour les sociétés de sécurité Geomines et Erys. Deux sociétés présidées par Nathalie Felines, qui a été nommée au grade de chevalier de la Légion d’honneur le 31 décembre 2020, sur le contingent de Benoît Puga. Sollicités à plusieurs reprises sur les conditions de cette distinction, Nathalie Felines et Benoît Puga ne nous ont jamais répondu.

Les échos du scandale des décorations de 1887

L’enquête judiciaire ouverte par le PNF a conduit les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption (OCLCIFF) à mener une série de perquisitions, en février 2024, au siège du groupe Cible et de l’ASFE, ainsi qu’aux domiciles de Jean-Pierre Bansard et de Benoît Puga, d’après une source judiciaire. La grande chancellerie de la Légion d’honneur a quant à elle été invitée à transmettre des documents relatifs au dossier. Des sollicitations dont le successeur de Benoît Puga à la tête de l’institution, François Lecointre, n’a pipé mot lors de son audition, le 20 mars, par la commission de la défense nationale de l’Assemblée nationale.

Interrogé par le député La France insoumise Aurélien Saintoul, secrétaire de la commission, le général Lecointre, ancien chef d’état-major des armées, a évacué le sujet. « L’affaire Bansard, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? [Il sourit.] J’ai lu les articles de Mediapart, voilà. J’ai répondu que les personnes qui ont été reçues dans les ordres sur recommandation de M. Bansard ont eu des mémoires parfaitement constitués », a-t-il déminé, prenant le soin de ne jamais parler de son prédécesseur.

Cette précaution peut autant s’expliquer par l’esprit de corps qui règne au sein de la hiérarchie militaire, que par la volonté de la part du nouveau grand chancelier d’essayer de préserver son institution des répercussions de l’affaire.

Auprès de Mediapart, un membre de la Société des membres de la Légion d’honneur (SMLH) fait part de sa crainte que l’image des ordres honorifiques, déjà dépréciée, ne se dégrade encore un peu plus, en dressant un parallèle avec le souvenir douloureux du scandale des décorations de la fin du XIXe siècle. Une affaire au terme de laquelle le président de la République, Jules Grévy, avait dû remettre sa démission en décembre 1887, à la suite des révélations sur les trafics de Légion d’honneur auxquels s’adonnait son propre gendre, affairiste bien connu ayant bénéficié de la complicité d’un sous-chef d’état-major de l’armée.

De ce scandale, puissant révélateur de l’imbrication des mondes politiques et de l’argent, est aussi née une évolution majeure du Code pénal avec l’inscription dans le droit français du délit de « trafic d’influence ». Soit précisément l’une des infractions présumées sur laquelle enquête près de 130 ans plus tard le Parquet national financier, dans cette nouvelle affaire de Légion d’honneur.

Antton Rouget

Source : Mediapart

Lire également :

« Les généraux se corrompent au contact des politocards comme une pomme pourrie gâte le panier. »

Le Parisien – Légion d’honneur : vacances, dîners… enquête pour corruption sur les liens entre le général Puga et le sénateur Bansard

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À propos de l'auteur Profession Gendarme

L'Association Professionnelle Gendarmerie (APG) a pour objet l’expression, l’information et la défense des droits et intérêts matériels et moraux des personnels militaires de la gendarmerie et de toutes les Forces de l'ordre.Éditeur : Ronald Guillaumont

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