Le texte suivant est une traduction d’un chapitre du livre Sex and Gender : A Contemporary Reader paru en août 2023, chez Routledge, sous la direction d’Alice Sullivan et Selina Todd. Jane Clare Jones est certainement une des personnes les plus érudites et les plus lucides concernant le phénomène trans, ses origines, ses implications, et la manière dont il s’imbrique avec la mouvance et l’idéologie « queer ».
Le mouvement contemporain pour les droits des personnes trans est apparu au début des années 1990 des deux côtés de l’Atlantique, grâce à un mélange d’activisme juridique et de théorisation universitaire (Jones 2020). Le mouvement actuel se distingue par un système de croyances que nous appellerons ici « idéologie de l’identité de genre » ou « idéologie trans », dont l’affirmation centrale stipule qu’être un homme ou une femme est affaire d’identité de genre plutôt que de sexe biologique. Stephen Whittle, « homme trans », juriste et cofondateur de Press for Change — le premier grand groupe de lobbying transgenre au Royaume-Uni — a exprimé cette idée en affirmant que « [l]e fait d’être un homme ou une femme est contenu dans l’identité de genre d’une personne » (Whittle [1999] 2002, 6). Cette idée est également résumée dans le slogan central du transactivisme contemporain : « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes. »
Si l’affirmation « les femmes trans sont des femmes » est vraie, alors le concept de « femme » doit se référer à autre chose qu’au sexe biologique, étant donné que les « femmes trans » ne sont, par définition, pas des femelles. Étant donné que la loi britannique définit une « femme » comme « une femelle de tout âge » (Equality Act 2010, s.212), cela constitue une redéfinition radicale du concept. Au cours des deux dernières décennies, le mouvement pour les droits des personnes trans a effectivement propagé cette redéfinition au sein des institutions publiques du monde anglophone et au-delà, par le biais d’un processus de « capture des institutions politiques » (Murray et Blackburn 2019). Cela a eu pour effet de systématiquement remplacer les mentions du sexe biologique par des catégories liées à l’identité de genre dans le droit, le langage, les politiques publiques, la collecte de données et l’organisation de l’espace public. J’ai appelé ce processus « l’effacement politique du sexe » (Jones et Mackenzie 2020).
L’objectif de ce chapitre consiste à examiner le développement intellectuel et la pertinence de la négation du sexe [l’ensemble d’idées qui prétend que le sexe est une construction sociale, NdT] qui a sous-tendu ce processus d’effacement politique. Dans la discussion qui suit, je fais la distinction entre le sexe (biologique et immuable), le genre (rôles et comportements construits socialement et politiquement) et l’identité de genre (l’idée selon laquelle chaque être humain aurait un sens inné de son propre genre).
L’idée selon laquelle « l’identité de genre l’emporte sur le sexe » repose sur deux croyances fondamentales. La première, que nous appellerons « essentialisme de l’identité de genre », prétend que les êtres humains ont une « identité de genre » innée : un sentiment interne d’être un homme ou une femme, qui n’est pas déterminé par leur sexe et peut ne pas être aligné avec celui-ci. L’essentialisme de l’identité de genre repose sur une analogie avec l’innéité généralement acceptée de l’homosexualité. Une grande partie du succès du discours sur les droits des personnes trans repose sur l’attrait intuitif de l’idée selon laquelle les gens devraient être libres d’exprimer leur moi « authentique » inné. Le groupe de lobbying Stonewall (2022), par exemple, a pour slogan : « Nous imaginons un monde où toutes les personnes LGBTQ+ sont libres d’être elles-mêmes ». Bien que ce sentiment soit louable à bien des égards, il convient de souligner qu’en ce qui concerne l’identité transgenre contemporaine, l’expression « être soi-même » implique une affirmation du primat de l’identification de genre sur le sexe.
La deuxième croyance qui sous-tend la conviction transidentitaire selon laquelle l’identité de genre devrait l’emporter sur le sexe peut être qualifiée de « négation (ou déni) du sexe ». Il s’agit de l’idée que le sexe biologique n’est pas un phénomène matériel significatif et que les catégories « mâle » et « femelle » sont des constructions sociales ou historiques. Ce chapitre s’attache à examiner l’évolution des arguments de la négation du sexe et à les soumettre à la critique. La première section présente trois des arguments les plus courants utilisés par les promoteurs de l’identité de genre en vue de contester la réalité matérielle du sexe en retraçant leur l’histoire intellectuelle. La deuxième partie évalue la solidité de ces arguments et propose une critique de la négation du sexe de mon point de vue de féministe matérialiste radicale.
Les arguments de la négation du sexe
La négation du sexe prétend démontrer que le phénomène naturel du sexe biologique serait en fait une construction culturelle au service des intérêts du « pouvoir ». À cet égard, le déni transidentitaire du sexe est apparemment conforme à la critique classique de l’idéologie, ce qui peut expliquer pourquoi il trouve un écho auprès de nombreux universitaires et de personnes qui se considèrent comme « progressistes ». Selon la critique marxiste classique, l’« idéologie » présente des phénomènes socialement construits comme s’ils étaient « naturels » ou « donnés par Dieu ». Ainsi, l’idéologie laisse accroire qu’ils ne peuvent être modifiés. Cette idée a influencé de nombreux mouvements de défense de droits humains au XXe siècle, notamment la critique du « déterminisme biologique » formulée par les féministes de la deuxième vague, selon laquelle les rôles « masculins » et « féminins » ne découlent pas « naturellement » du sexe biologique, mais constituent plutôt des constructions sociales qui servent les intérêts masculins en exploitant le corps et le travail des femmes.
La généalogie des concepts est une méthode employée afin de démontrer qu’un phénomène prétendument naturel est en fait historiquement construit. « Généalogie » est un terme important, parce qu’une grande partie de la négation contemporaine du sexe a été influencée par l’affirmation de Michel Foucault selon laquelle « la notion de “sexe” » sert à « regrouper », dans une « unité artificielle » ou « fictive », une variété de phénomènes autrement disparates, y compris « des éléments anatomiques, des fonctions biologiques, des conduites, des sensations, des plaisirs » (1978, 154). La méthode généalogique de Foucault (1994) met l’accent sur « la filière complexe de la provenance » des concepts et suggère qu’ils n’expriment pas une réalité empirique fondamentale mais résultent plutôt d’« accidents » historiques (374). Selon Judith Butler (1990) — l’héritière la plus influente de Foucault — la généalogie foucaldienne récuse le caractère « naturel » de nos concepts de sexe et de genre et s’efforce de « démontrer que les catégories fondamentales de sexe, de genre et de désir sont les effets d’une certaine formation du pouvoir » (1990, xxxi). C’est dans cette veine que la sociologue britannique Sally Hines a récemment soutenu que les catégories de sexe et de genre devraient être « historicisées ». Hines (2020) s’appuie sur les travaux de Foucault concernant « la façon dont les corps naissent à travers des processus historiques » (704), sur des études anthropologiques indiquant « une grande divergence historique » dans la compréhension des concepts de « mâle » et de « femelle » (700), et sur les cultures présentant un troisième genre pour étayer l’affirmation selon laquelle « plutôt que la biologie, ce sont les facteurs sociaux, culturels, politiques et économiques qui donnent naissance à des façons distinctes de comprendre le sexe, le genre et leur relation » (701).
Deux observations s’imposent à propos des arguments comme celui de Hines. Premièrement, si l’idéologie trans fait souvent appel à Foucault pour étayer l’affirmation selon laquelle le « sexe » serait une construction historique, elle n’applique pas l’historicisme relativisant de Foucault à son propre discours. Hines (2020) observe que « le cœur des débats actuels » entre les transactivistes et les féministes critiques du genre réside dans « des compréhensions divergentes de l’ontologie des catégories de “sexe” et de “genre” » (700). Cependant, elle ne considère manifestement pas son ontologie comme une possibilité parmi d’autres et accuse ses opposants, qu’elle associe au camp « conservateur », de participer à des « paniques morales transgenres » (Hines 2020, 699) et de faire preuve de « sectarisme » (Hines 2019). Cette croyance en une ontologie « juste » vs. « fausse » est indéfendable dans une perspective foucaldienne stricte, qui nierait jusqu’à l’existence de la moindre réalité empirique à propos de laquelle il serait possible d’avoir raison ou tort. Il est d’ailleurs ironique qu’en diabolisant les critiques qui leur sont adressées, les promoteurs de l’identité de genre propagent un « régime réglementaire » foucaldien permettant de discipliner la pensée vers une unique conclusion normativement approuvée.
On observe un second paradoxe foucaldien dans la relation entre les aspects « essentialisme de l’identité de genre » et « négation du sexe » de l’idéologie trans contemporaine. En contradiction directe avec la pensée foucaldienne selon laquelle les concepts sont des constructions du pouvoir historiquement arbitraires, l’essentialisme de l’identité de genre formule de grandes assertions sur la nature universelle et intemporelle de l’identité trans. L’application sélective de l’historicisme foucaldien est donc une stratégie politique délibérée de l’idéologie trans. Celle-ci ne prétend pas qu’il n’existe pas de réalité sous-jacente aux discours, mais plutôt que le sexe ne possède pas de réalité empirique, tandis que l’identité de genre serait réelle, innée et aurait « toujours existé ». Cet essai soutient que l’inverse est vrai : le sexe est une réalité empirique, tandis que l’identité de genre est un concept historique récent — de même que la négation du sexe. Ce chapitre retrace la généalogie intellectuelle de la négation du sexe afin de démontrer comment a été construite, au cours des cinquante dernières années, l’idée selon laquelle le sexe serait une construction historique. Pour ce faire, j’examinerai trois des principaux arguments de la négation du sexe : « le sexe est un continuum » [ou « un spectre », NdT], « le genre construit le sexe » et « le colonialisme a créé la binarité de genre ».
L’argument selon lequel « le sexe est un continuum » a été développé pour la première fois dans le contexte de l’activisme juridique transgenre au début des années 1990. En août 1992, Martine Rothblatt, « femme trans » [homme qui se dit femme, NdT], avocat et entrepreneur dans le domaine de la technologie, a prononcé un discours lors de la première réunion annuelle de l’International Conference on Transgender Law and Employment Policy (ICTLEP, Conférence internationale sur le droit et la politique de l’emploi des personnes transgenres) à Houston, au Texas. Ce discours visait à présenter le « paradigme émergent » de la loi sur la santé des personnes transgenres, qui devait viser, selon Rothblatt (1992), « à redéfinir le sexe lui-même comme un continuum de comportements liés au style de vie » (246). Par « comportement liés au style de vie », Rothblatt entendait « le genre » ou la « classification […] en masculin et féminin basée […] sur un comportement de jeu de rôle » (252), et affirmait donc que le « sexe » devait être redéfini juridiquement pour désigner des rôles de genre. Cependant, une autre partie du discours de Rothblatt proposait une conception différente du sexe, suggérant qu’il fallait le redéfinir comme un « continuum de caractéristiques anatomiques […] et biologiques mâles et femelles » (263), une formulation qui se rapproche de l’affirmation selon laquelle le sexe biologique lui-même est un « continuum ».
C’est exactement ce qu’affirme un an plus tard la biologiste Anne Fausto-Sterling dans son célèbre texte intitulé « Les Cinq sexes » (1993), qui représente une source majeure de l’affirmation transidentitaire désormais courante selon laquelle le sexe serait un continuum. Fausto-Sterling y suggère que « le corps intersexe » signifie que « d’un point de vue biologique, il existe de nombreuses gradations entre la femelle et le mâle » et que « le sexe est un continuum modulable à l’infini » (21). Plus tard, la même année, lors de la deuxième réunion annuelle de l’ICTLEP, Rothblatt (1993) cite explicitement la notion de Fausto-Sterling d’un « continuum modulable à l’infini » (A5‑5). L’année suivante, Rothblatt (1994) affirme que « la science en arrive vraiment à la conclusion qu’il n’y a pas de ligne de démarcation naturelle entre les sexes », que la distinction entre mâle et femelle est plutôt « un continuum de différentes possibilités » et qu’en tant que tel, il n’y a « aucune raison logique, objective […] d’étiqueter les gens en tant que mâles ou femelles » (110).
Cette affirmation a été rapidement reprise dans la littérature académique. En 1996, s’appuyant à la fois sur Rothblatt et Fausto-Sterling, Ruth Hubbard a suggéré que « les différences sexuelles ne sont pas si nettes » et a remis en question le « paradigme binaire selon lequel, d’un point de vue biologique, il n’y a que […] deux sexes » (158). En 2002, Stephen Whittle a noté que « la médecine reconnaît un nombre croissant de syndromes intersexuels » (10) et que « les individus sont désormais scientifiquement considérés comme vivant sur un continuum, avec des caractéristiques femelles à un extrême et mâles à l’autre » (7). Au cours de la dernière décennie, l’idée selon laquelle le sexe serait un continuum a été couramment affirmée dans des publications plus populaires, en particulier à la suite de l’article de Claire Ainsworth paru en 2015 dans la revue Nature, intitulé « Sex Redefined » (Le sexe redéfini). Dans un compte rendu de l’article d’Ainsworth publié dans The Guardian, on lit que « plutôt que d’être simplement mâle ou femelle […], nous existons tous à travers plusieurs spectres d’identité sexuelle ». Selon l’autrice de l’article, Vanessa Heggie (2015), aucun test portant sur une quelconque dimension du sexe ne donnera une « réponse binaire de type “mâle ou femelle” et “[l]es résultats dépendront toujours de […] segmentations arbitraires ». Cette généalogie particulière permet de comprendre comment les arguments de la négation du sexe sont passés du lobbying politique au discours universitaire, puis à l’influence du discours public.
L’article de Heggie illustre bien la manière dont les arguments prétendant que « le sexe est un continuum » fonctionnent. Ils suggèrent qu’il n’existe pas de différences de nature entre les hommes et les femmes et que les différences que l’on observe ne sont que des différences quantitatives de degré. C’est pourquoi n’importe quelle ligne tracée sur le « continuum » entre mâle et femelle serait simplement « arbitraire ». De là, il est facile d’en venir à croire que cette ligne « arbitraire » est simplement « construite socialement » ou produite par des systèmes de « pouvoir ». Dans le premier chapitre de son livre Corps en tous genres, Fausto-Sterling (2000a) affirme que la réalité du « sexe du corps est tout simplement trop complexe », avec trop de « nuances de différences » pour être « l’un ou l’autre », et qu’il s’ensuit que « le fait d’étiqueter quelqu’un comme un homme ou une femme est une décision sociale » (3).
Pour illustrer cette thèse de la « décision sociale », certains soutiennent par exemple que c’est l’enregistrement du sexe à la naissance qui crée un système de deux sexes, qui n’existe que dans l’intérêt du pouvoir. En 1995, Rothblatt écrivait qu’« un apartheid rigide du sexe » est créé par « la loi […] en commençant par le certificat de naissance » (37), tandis que Fausto-Sterling (1993) affirmait que, bien que cela soit « au mépris de la nature », l’enregistrement du sexe est requis par « les systèmes juridiques anglo-saxons modernes » afin de déterminer les questions « d’héritage, de légitimité, de paternité » (23). En 1998, Christine Burns — une militante clé du groupe de lobbying transidentitaire britannique Press for Change — appelait à l’élimination totale de l’enregistrement du sexe à la naissance, arguant que « la quatrième colonne de l’acte de naissance britannique est à l’origine des systèmes de discrimination les plus durables et les plus enracinés de la société moderne ». En 2017, les Principes de Jogjakarta Plus 10 — souvent considérés comme les « meilleures pratiques » internationales en matière de droits humains concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre (SOGI, Sexual Orientation and Gender Identity) — codifiaient cela en appelant à « mettre fin à l’enregistrement du sexe et du genre de la personne dans […] les certificats de naissance, les cartes d’identité, les passeports et les permis de conduire » (principe 31).
Les arguments qui nient l’existence d’une « ligne de démarcation » claire entre les sexes sont étroitement liés à ceux qui s’intéressent aux variations au sein des catégories mâle et femelle. Ils suggèrent qu’en l’absence d’une caractéristique « essentielle » partagée par tous les membres de la catégorie, les catégories sont arbitraires ou socialement construites. La forme la plus courante de cet argument s’appuie sur le fait que certains humains sont stériles pour affirmer que le sexe ne peut pas se référer à la capacité de reproduction (Rothblatt 1995, 36 ; Whittle [1999] 2002, 5). Récemment, Sally Hines (2020) a affirmé que comme « certains hommes naissent sans testicules et certaines femmes sans utérus ; certains hommes ne produisent pas de sperme et certaines femmes ne produisent pas d’ovules », aucun critère « essentiel » ne peut définir le sexe, qui est donc historiquement construit (708).
Le deuxième groupe d’arguments du courant de la négation du sexe repose sur l’idée que les idées sur le sexe sont « arbitrairement » créées par « le pouvoir », et se concentre sur l’affirmation selon laquelle ce sont les normes de genre qui construisent le sexe. L’une des premières sources de cet argument, c’est le livre de Suzanne J. Kessler et Wendy McKenna (1978) intitulé Gender : An Ethnomethodological Approach. Leur ouvrage affirme que le genre produit « un monde comprenant deux “sexes” » (vii) plus d’une décennie avant que Judith Butler (1990) ne fasse la même affirmation dans Trouble dans le genre. Kessler et McKenna (1978) affirment que l’identification du sexe chez les humains résulte du « processus d’attribution du genre ». Elles notent que la plupart des gens tendent à penser que « les organes génitaux sont l’insigne essentiel du genre » (154), mais que la décision de catégoriser une personne comme un homme ou une femme ne peut pas s’appuyer sur les organes génitaux, parce qu’ils ne peuvent généralement pas être vus. Au lieu de cela, suggèrent-elles, nous attribuons aux individus des « organes génitaux culturels », c’est-à-dire qui sont « supposés exister » (154). Elles rejettent l’idée qu’il s’agit d’une inférence généralement précise faite sur la base des caractéristiques sexuelles secondaires, parce que les humains sont « loin d’être dichotomiques, du moins lorsque comparés à ces marqueurs chez d’autres espèces (par exemple, le plumage chez les oiseaux) » (155–156). Selon Kessler et McKenna, nous considérons quelqu’un comme un homme ou une femme sur la base des « signes socialement construits du genre », qui comprennent « les vêtements et les accessoires, ainsi que les indices non verbaux et paralinguistiques » (157). Nous n’observons donc pas le sexe biologique, mais plutôt le sexe socialement construit.
Une autre série d’arguments selon lesquels le genre construit le sexe repose sur le traitement des nourrissons présentant des différences de développement sexuel (en anglais Differences of Sexual Development, DSD) — que l’on appelait parfois « intersexes » auparavant (voir Hilton et Wright). Dans « The Medical Construction of Gender », Kessler (1990) examine le processus d’intervention chirurgicale sur les bébés présentant des organes génitaux ambigus — processus aujourd’hui souvent qualifié de « mutilation génitale infantile ». Kessler affirme que « l’idée même de genre » réside dans la conception même de « deux types exclusifs : femelle et mâle » (25) et que le processus d’« assignation » chirurgicale d’un sexe aux nourrissons « révèle le modèle de la construction sociale du genre en général » (4). Dans Corps en tous genres, Fausto-Sterling (2000a) s’est faite l’écho de Kessler en caractérisant l’assignation d’un sexe aux enfants atteints de DSD comme une « histoire littérale » de la « construction sociale […] d’un système de sexe bipartite » (32). À cette époque, Fausto-Sterling associait ses arguments selon lesquels « le sexe est un continuum » à l’argument probablement plus influent encore selon lequel « le genre construit le sexe » : l’affirmation de Judith Butler (1990) dans Trouble dans le genre selon laquelle le « sexe » est produit par le « régime réglementaire » hétéronormatif du genre. L’appel de Fausto-Sterling (2000a) à la prétendue réalité empirique du sexe en tant que continuum est pourtant incompatible avec le constructivisme radical de Trouble dans le genre. Fausto-Sterling approuve néanmoins la pensée de Butler selon laquelle la « matérialité corporelle » est « construite à travers une matrice genrée » (22).
L’affirmation centrale de Trouble dans le genre prétend que « le cadre de pensée binaire sur le genre » (Butler 1990, xxx) construit le « dimorphisme idéal, la complémentarité hétérosexuelle des corps, les idéaux et la règle de ce qui est proprement ou improprement masculin et féminin » (xxiv-xxv). Pour Butler, le genre n’est pas seulement un système social qui attribue la « masculinité » et la « féminité » à certains corps sexués, c’est aussi l’hypothèse selon laquelle il existe deux ensembles « idéaux » de corps. Selon Butler, cette hypothèse s’appuie sur une matrice « genrée » ou « hétéronormative » qui produit ensuite la croyance en un sexe dichotomique. Un tel argument subsume le sexe sous le genre dans le cadre de l’idée aujourd’hui communément appelée « binarité de genre ». Comme l’écrit Butler (2000a), « l’institution d’une hétérosexualité obligatoire et naturalisée a pour condition nécessaire le genre et le régule comme un rapport binaire » (31), et « les catégories “femelle” et “mâle”, “femme” et “homme” sont également produites dans ce cadre binaire » (32).
Pour Butler (2000a), il convient donc de contester « le caractère immuable du sexe » et de se demander si « ce que l’on appelle “sexe” est une construction culturelle au même titre que le genre ; en réalité, peut-être le sexe est-il toujours déjà du genre et, par conséquent, il n’y aurait plus vraiment de distinction entre les deux » (9–10). Bien que Butler soit l’intellectuelle la plus souvent citée à l’appui de l’idéologie trans, il est remarquable que ni Fausto-Sterling ni Rothblatt ne fassent référence à Butler dans leurs premiers arguments visant à dénier la réalité du sexe. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que Fausto-Sterling et Butler ont commencé à être associées par d’autres chercheurs désireux de promouvoir l’idée que le sexe ne serait pas une réalité matérielle et que les catégories « bipolaires » mâle et femelle devraient être comprises comme « l’effet de l’hétérosexualité obligatoire » ou de normes genrées (Bem 1995, 59).
Le troisième groupe d’arguments de la négation du sexe repose également sur l’idée que le sexe est construit par « le pouvoir » et vise à démontrer que la « binarité de genre » a été créé par le colonialisme. Comme nous venons de le voir, la binarité de genre est un concept issu de la pensée de Butler selon laquelle le genre construit le sexe. En tant que tel, il confond sexe et genre et suggère que la perception de la différence sexuelle humaine est créée par l’existence de rôles binaires de genre. La première version de l’argument concernant le rôle du colonialisme dans la construction du sexe est apparue dans le pamphlet politique Transgender Liberation de Leslie Feinberg (1992). L’analyse de Feinberg était centrée sur sa réalisation du fait que les cultures amérindiennes reconnaissaient des personnes « bispirituelles » et honoraient un type de diversité « sexe/genre » qui a été détruit par la colonisation européenne. Feinberg travaillait en même temps que Rothblatt et Fausto-Sterling et les remercie pour leur soutien dans son livre Transgender Warriors (Guerriers transgenres) publié en 1996.
Une autre source importante de cet argument est l’article de Maria Lugones (2007) « Heterosexualism and the Colonial/Modern Gender System » (L’hétérosexualisme et le système de genre colonial/moderne), qui affirme que la « naturalisation […] de la différence sexuelle » est un produit du système qu’elle appelle la « colonialité du pouvoir » (195). Le récit de Lugones s’appuie sur d’importantes études qui expliquent comment les systèmes de genre patriarcaux occidentaux ont été imposés aux communautés autochtones au cours de la colonisation. Cependant, sa prétention selon laquelle il s’agissait d’imposer un « dimorphisme sexuel » repose sur la subsomption du sexe au genre via la conception butlerienne de la binarité de genre. Nous en voyons une autre illustration dans un récent article qui examine « l’imposition d’un sexe/genre binaire dans le cadre du projet colonialiste européen » (Costello 2020, nous soulignons). S’il existe manifestement des cultures présentant quelque « troisième genre », rien ne prouve que ces sociétés ne comprennent pas que les humains sont divisés en deux sexes (Joyce 2021, 63)[1]. Une telle lecture est produite en projetant la notion contemporaine de l’identité trans — conjointement à l’idée selon laquelle le genre construit le sexe — sur d’autres cultures et d’autres histoires. Elle est donc anhistorique et culturellement impérialiste.
Une critique féministe matérialiste radicale de la négation du sexe
Les critiques exposées ici se fondent sur ma perspective de féministe matérialiste radicale. Le féminisme matérialiste radical synthétise une analyse matérialiste de l’exploitation des femmes avec une analyse féministe radicale de l’infrastructure culturelle, psychologique et ontologique de la domination masculine. Le patriarcat est ici compris comme un système d’oppression basé sur le sexe, dans lequel les hommes, en tant que classe, bénéficient de l’exploitation du corps et du travail des femmes, en tant que classe. Pour le féminisme matérialiste radical, le patriarcat est un système socioculturel qui s’est formé au cours de la transition vers les sociétés agraires et qui repose sur la conversion du corps et du travail des femmes en une ressource exploitable. L’oppression des femmes s’organise initialement autour de leurs capacités reproductives, étant donné que ce sont ces capacités qui permettent qu’elles soient transformées en ressource reproductive. L’oppression des femmes n’est cependant pas déterminée biologiquement par ces capacités : le système socioculturel qui traite les femmes comme une ressource appropriable n’est pas une nécessité mais une contingence historique. C’est pourquoi le rejet du déterminisme biologique n’implique pas d’affirmer que l’oppression des femmes n’est pas liée au fait qu’elles sont des femelles (Jones 2021).
Mon analyse matérialiste radicale de l’infrastructure culturelle, psychologique et ontologique de la domination masculine dérive d’une synthèse du féminisme radical et de l’écoféminisme, ainsi que du féminisme psychanalytique et déconstructionniste français. Le genre patriarcal est un système qui perpétue la domination masculine en postulant un sujet masculin par défaut, tandis que l’image de la « femme en tant qu’autre » est créée par projection masculine, d’une manière qui sert les intérêts masculins. Le sujet masculin par défaut s’attribue toutes les caractéristiques qu’il considère comme « proprement » humaines, et construit, en négatif, et en tant qu’autre, une projection genrée de ce qu’est la femme. La masculinité patriarcale est ainsi associée à l’esprit/la raison/l’idée/la culture, tandis que les caractéristiques dévalorisées du corps/de l’émotion/de la matière/de la nature sont attribuées au féminin. Cette dévaluation hiérarchique constitue un élément essentiel de l’appareil culturel qui facilite l’effacement et l’appropriation du corps des femmes et l’exploitation historiquement concomitante de la terre. Selon Luce Irigaray et de nombreuses penseuses écoféministes, le positionnement de la femme en tant qu’autre est donc lié à un système de pensée philosophique qui valorise l’esprit au détriment du corps, l’idée au détriment de la matière et la culture au détriment de la nature.
Ce type d’idéalisme philosophique s’exprime de la manière la plus significative dans la théorie platonicienne des formes, qui influence encore les hypothèses contemporaines de nombreuses personnes sur le fonctionnement des concepts. Dans l’essentialisme platonicien, les concepts dépendent de similitudes et de différences absolues. Les membres d’une catégorie particulière doivent tous partager exactement les mêmes caractéristiques « essentielles » et être absolument différenciés des membres d’autres catégories. Si les arguments de la négation du sexe se prétendent souvent « anti-essentialistes », ils présupposent pourtant que les concepts doivent fonctionner sur la base d’essences parfaitement identiques et que, par conséquent, par inversion, les anomalies ou les cas limites prouvent qu’un concept ne renvoie à aucune réalité empirique et constitue donc un artefact « arbitraire » du pouvoir. Il s’agit donc d’une croyance idéaliste selon laquelle la catégorisation humaine matérialise le monde. En réalité, vous pouvez jouer avec les concepts de « mâle » et de « femelle » autant que vous le souhaitez, les organismes mâles et femelles continueront d’exister. L’assujettissement de la réalité matérielle à la souveraineté impérieuse des concepts humains représente, dans une perspective matérialiste radicale, une simple expression de la structure de la domination patriarcale : une manifestation des hypothèses ontologiques idéalistes qui facilitent l’assujettissement et l’appropriation de la matière et de la terre, ainsi que l’exploitation du corps et des capacités reproductives des femmes.
En gardant cela à l’esprit, nous allons maintenant critiquer les différents arguments de la négation du sexe. Comme nous l’avons vu, l’argument selon lequel le sexe serait un continuum repose sur l’instrumentalisation des personnes atteintes de conditions « intersexes » — on parle aussi de DSD (Disorder [ou Difference] of Sex Development, soit « désordre [ou différence] du développement sexuel »). Il est souvent étayé par des affirmations exagérées concernant l’incidence des DSD, que Fausto-Sterling (1993, 21) a d’abord estimée à 4 %, puis ramenée à 1,7 % (Blackless et al. 2000), puis à 0,4 % (Hull et Fausto-Sterling 2003). Comme Hilton et Wright l’expliquent dans ce volume, l’incidence des DSD a été estimée à 0,018 % par Leonard Sax (2002). Hull (2005) a attribué la surestimation de l’incidence des DSD par Fausto-Sterling à une « philosophie […] trop enracinée dans la découverte de taux relativement élevés de non-dimorphisme sexuel » (68).
Fausto-Sterling (2000b) s’investit dans cette « découverte » parce qu’elle se considère en lutte contre le « monde biologique platonicien et idéalisé », dans lequel « les êtres humains sont divisés en deux types : une espèce donc parfaitement dimorphique » (19–20). Ce qui illustre et confirme le fait que des hypothèses platoniciennes sous-tendent l’idéologie de la négation du sexe. Fausto-Sterling s’imagine réfuter le platonisme, alors même que son argument repose sur l’hypothèse selon laquelle les différences empiriques significatives entre « deux types » doivent se manifester avec une régularité absolument « parfaite ». La littérature de la négation du sexe est truffée d’affirmations telles que « la distinction physique entre les hommes et les femmes n’est pas absolue » (Whittle [1999] 2002, 7) et de remarques comme quoi nous ne pouvons pas « tracer une ligne de démarcation stricte entre les sexes » (Hines 2020, 709). Dans la réalité, la plupart des phénomènes empiriques présentent des cas limites. Nous ne pouvons pas « tracer une ligne parfaite » entre, par exemple, le jour et la nuit ou le chaud et le froid, mais nous n’en concluons pas pour autant qu’il n’existe pas de distinction significative entre eux, que ces concepts ne renvoient à rien, ou qu’ils ont été créés par « le pouvoir ». Les phénomènes empiriques présentent généralement des délinéations imprécises. Et les concepts humains fonctionnent toujours parfaitement avec des contours flous.
En outre, il n’est pas vrai que, comme l’a affirmé Whittle ([1999] 2002), le sexe humain est « un continuum, avec des caractéristiques femelles à une extrémité et mâles à l’autre » (7). Une situation dans laquelle plus de 99 % des personnes se situent à l’un ou l’autre des « extrêmes » et où il n’existe qu’un nombre infime de cas ambigus ne correspond pas à un « continuum ». Il s’agit d’une différence physique dichotomique avec un petit nombre d’irrégularités dues au fait que le sexe résulte d’un processus de développement complexe. En outre, si ces voies de développement se caractérisent par un très faible degré d’irrégularité, le développement sexuel humain ne comprend que deux voies, ayant évolué en vue de produire un organisme capable de remplir l’une des deux fonctions reproductives. La différence entre les ovaires et les testicules n’est pas une question quantitative, de degré, mais une différence qualitative, de nature. Chaque structure a évolué pour produire l’un des deux types de gamètes nécessaires à la fécondation dans les règnes végétal et animal (Hilton et Wright, 2020) .
Il est important de souligner ici que le concept de sexe désigne « les deux catégories principales (mâle et femelle) dans lesquelles […] de nombreux […] êtres vivants sont divisés sur la base de leurs fonctions reproductives » (Oxford English Dictionary ; je souligne). La distinction, chez l’être humain, entre la fonction « peut produire du sperme et inséminer » et la fonction « peut produire des ovules et tomber enceinte » n’est pas une différence de degré. Le sexe désigne la fonction de reproduction, et la fonction de reproduction est une différence de nature. La morphologie sexuelle humaine a évolué pour remplir des fonctions reproductives particulières. Le fait que certaines personnes ayant une morphologie particulière ne puissent pas remplir cette fonction en raison d’anomalies du développement, de maladies ou d’accidents ne signifie pas qu’elles cessent d’appartenir à une des deux catégories ou qu’elles ne peuvent pas être identifiées (Bogardus, 2022). Par ailleurs, les individus qui présentent une ambiguïté dans leurs caractéristiques sexuelles ne relèvent pas d’un troisième ou d’un quatrième type de fonction reproductive parce qu’il n’existe que deux possibilités. En d’autres termes, il n’y a pas « plus de deux sexes ».
Comme nous l’avons vu, certains arguments de la négation du sexe utilisent la stérilité humaine pour affirmer que le « sexe » ne désigne pas la fonction de reproduction. Cet argument relève également d’un essentialisme platonicien, c’est-à-dire de l’idée que chaque membre d’une catégorie doit présenter toutes les caractéristiques essentielles de cette catégorie et, par inversion, que les anomalies invalident fatalement l’existence d’une catégorie ou qu’elles ne peuvent être catégorisées. C’est manifestement faux. Un zèbre albinos est un zèbre. Un mug dont l’anse est cassée reste identifiable en tant que mug. Le fait que les humains soient bipèdes ne devient pas faux parce que certains humains perdent une jambe. Et les unijambistes sont des êtres humains. Ce type d’erreur correspond à une confusion entre d’une part des définitions post hoc et des théories sur la manière dont nous catégorisons, et d’autre part l’existence des choses en elles-mêmes et la manière dont nous catégorisons réellement. Les humains sont remarquablement doués pour la catégorisation et remarquablement mauvais pour expliquer comment ils y parviennent. Mais notre aptitude à catégoriser est manifestement beaucoup plus complexe qu’une simple histoire platonicienne de distinctions parfaites et de propriétés définitionnelles « essentielles ». Autrement, nous ne pourrions pas identifier les membres anormaux des catégories — ce que nous faisons, avec une grande facilité, tout le temps.
Les divers arguments selon lesquels le genre produit le sexe amalgament tous les différences sexuelles dichotomiques et les normes sociales liées au genre sous le cadre conceptuel de la binarité de genre. Ces arguments reposent sur l’effacement des différences matérielles entre les hommes et les femmes et leur subsomption sous des normes sociales au moyen de la négation du fait que les humains peuvent concevoir la réalité du sexe indépendamment du « cadre de pensée binaire sur le genre » (Butler 1990, xxx). La plus frappante illustration de ce phénomène est le rejet simpliste par Kessler et McKenna (1978) de la capacité humaine à déterminer le sexe d’autres humains avec un haut degré de fiabilité sur la base des caractéristiques sexuelles secondaires, au prétexte que les humains ne seraient pas aussi sexuellement dimorphiques que, par exemple, les paons. L’assertion selon laquelle nous serions la seule espèce animale incapable de déterminer le sexe de ses congénères sans recourir à des indices culturels constitue un déni absurde de notre évolution biologique et une forme politiquement suspecte d’exceptionnalisme humain. En outre, le fait que nous ayons développé des techniques chirurgicales et que nous les ayons utilisées de manière douteuse pour « assigner » un sexe à des enfants présentant des organes génitaux ambigus ne constitue pas, comme le prétend Fausto-Sterling (2000a), une « histoire littérale » de la « construction sociale » de toute désignation de sexe. Comme nous l’avons vu, la grande majorité des bébés humains naissent sans équivoque de sexe masculin ou féminin. Leur sexe est alors constaté sur la base de l’observation de leurs organes génitaux, puis enregistré.
L’argument de Butler (1990) repose fondamentalement sur un amalgame entre le sexe et le genre et, à la suite de Foucault, sur l’hypothèse selon laquelle le concept de sexe inclut « le sexe, le genre » et « le désir » (xxxi). Il est exact que la culture occidentale patriarcale n’a conçu, de manière normative, que deux rôles de genre, qui découlent « naturellement » du sexe et se conforment à l’un des deux rôles dans l’appariement hétérosexuel. Mais cela ne signifie pas que le concept du sexe contient intrinsèquement des hypothèses patriarcales et hétéronormatives sur le genre ou que ces hypothèses sont biologiquement déterminées par l’existence ou la connaissance du sexe. S’il existe manifestement une zone liminale d’interaction entre le sexe et le genre, il s’agit néanmoins de concepts analytiquement différents. Et s’il est tout à fait raisonnable de parler de la construction des rôles de genre et de leur relation avec la sexualité, il est beaucoup moins raisonnable de soutenir, comme le fait Butler, que la régularité de la différence sexuelle humaine est « aussi construite » que le genre. Dans Trouble dans le genre, Butler (1990) ne fournit aucun argument cohérent à l’appui de cette assertion. Elle fonde son analyse sur l’assimilation foucaldienne entre biologie, comportement et sexualité et, de là, se demande si le sexe n’est pas « toujours déjà du genre » et si, par conséquent, « la distinction entre les deux » n’est pas caduque (9–10).
Il s’agit de rhétorique déguisée en démonstration philosophique (une technique butlérienne courante) — et d’une idée manifestement circulaire. Partir du principe que le concept de sexe contient le concept de genre, ce n’est pas l’avoir démontré. Dans Ces corps qui comptent, Butler (1993) tente de justifier son élision de la matérialité du corps en utilisant le type d’argument platonicien dont nous avons déjà parlé, qui suggère qu’une différence empirique significative exige une délinéation parfaite. La « critique modérée pourrait admettre », écrit-elle, « qu’une partie du “sexe” est construite, mais qu’une autre ne l’est certainement pas, et se trouverait alors, bien sûr, dans l’obligation de tracer la ligne entre ce qui est construit et ce qui ne l’est pas » (Butler 1993, 11). Cette affirmation repose à nouveau sur l’idée selon laquelle la liminalité invalide la possibilité d’une différence significative. De même que pour la différence entre les hommes et les femmes, je soutiens que tel n’est pas le cas (cf. Jones 2018).
Bien qu’il ait été intégré à l’argumentaire de la négation du sexe, à l’origine, l’amalgame de Butler entre sexe et genre est apparu dans le contexte de débats féministes sur la manière de comprendre la relation entre ces concepts clés. À partir des années 1980, les féministes se sont montrées de plus en plus divisées concernant la distinction entre sexe et genre. Pour certaines féministes socialistes, la perspective du féminisme radical, selon laquelle l’oppression patriarcale se fonde sur le sexe, était « ahistorique » et biologiquement déterministe. Cette préoccupation a été relayée par des féministes post-structurelles telles que Joan Scott (1986), dont l’influent article intitulé « Gender : A Useful Category of Historical Analysis » (Le genre : une catégorie utile d’analyse historique) rejetait l’idée que le patriarcat découle de « l’appropriation par les hommes […] du travail reproductif » au prétexte que cela « repose sur la seule variable de la différence physique » (34). Pour Scott, l’analyse fondée sur le sexe supposait « l’anhistoricité du genre lui-même » et ne pouvait rendre compte de sa « construction sociale ou culturelle » (34).
Il s’agit là d’un malentendu fondamental : le genre patriarcal est un système de normes et de valeurs culturelles qui a été développé afin de permettre aux hommes de s’approprier les femmes en tant que ressources reproductives et sexuelles. En d’autres termes, le genre constitue un mécanisme historique d’extraction de ressources. Ce mécanisme ne découle pas par nécessité de l’existence de la ressource, de même que le commerce international du pétrole n’avait pas à découler fatalement de l’existence du pétrole. Ce qui ne signifie pas pour autant que le motif de l’appropriation d’une ressource n’est pas lié à ses propriétés matérielles. Les hommes veulent contrôler le corps des femmes parce que les femmes sont des femmes et que les femmes possèdent les capacités reproductives dont les hommes ont besoin pour produire une progéniture. Le genre patriarcal est le mécanisme qui a été développé historiquement pour permettre aux hommes de contrôler cette ressource (Jones 2021).
Les féministes foucaldiennes semblent l’ignorer, partant du principe que si le sexe est lié au genre, alors il doit le déterminer de manière normative. Dans Sex, Gender and the Body, Toril Moi (2005) analyse un entretien de 1993 dans lequel Butler soutient que le fait d’affirmer la « matérialité du corps » implique nécessairement « l’imposition discursive d’une norme » concernant « l’institution sociale de la reproduction » (41). Toril Moi remarque que Butler pense apparemment que si l’on considère que la « différence sexuelle » est liée à « la fonction reproductive potentielle du corps », c’est que l’on « adhère à une idéologie sexiste répressive » (41). Il s’agit d’une hypothèse déterministe également exprimée par l’idée selon laquelle croire « qu’il n’existe que deux sexes […] doit être hétérosexiste » (38). Ce type d’hypothèse se manifeste aussi dans l’affirmation transactiviste courante selon laquelle quiconque pense que les femmes sont des femelles est coupable de « bioessentialisme » et doit (aussi) penser que seules les personnes de sexe féminin peuvent se comporter de manière « féminine ». Nous avons semble-t-il affaire à une confusion entre l’idée philosophique selon laquelle les catégories humaines fonctionnent sur le mode des « essences » platoniciennes (ce qui est faux) et l’utilisation féministe du terme « essentialisme » pour désigner le « déterminisme biologique ». Comme l’écrit Moi : « S’imaginant que parler de faits biologiques, c’est […] parler d’essences […] de nombreux post-structuralistes croient que, pour éviter le déterminisme biologique, il faut adhérer au nominalisme philosophique », ce qui est « manifestement absurde » (43). Toril Moi note en outre qu’il n’y a « aucune raison valable de supposer » que quiconque affirme la réalité matérielle du sexe fait preuve d’« essentialisme dans le mauvais sens politique du terme » (36). En effet, « pour éviter le déterminisme biologique, il suffit de rejeter l’idée selon laquelle les faits biologiques justifient les valeurs sociales » (43).
Toutefois, étant donné que les féministes foucaldiennes partent du principe que les faits relatifs au sexe biologique créent nécessairement des normes sociales genrées, elles en concluent que le seul moyen d’éviter le déterminisme biologique consiste à nier l’existence de faits biologiques et à les subsumer sous la construction sociale du genre. Ce raisonnement est manifeste dans toute la littérature de la négation du sexe, qui soutient souvent très explicitement qu’elle a pour objectif l’effacement des conventions et des hiérarchies sociales liées au genre. Comme l’écrivent Kessler et McKenna (1978), « une fois qu’une dichotomie physique a été construite, il est presque impossible d’éliminer les dichotomies sociologiques et psychologiques » (164). Elles poursuivent, dans un passage qui mérite d’être cité longuement :
« Tant que les catégories femelle et mâle se présenteront aux gens dans la vie quotidienne comme des faits physiques externes, objectifs, dichotomiques, il y aura des recherches scientifiques et naïves de différences et des différences seront trouvées. Là où il y a des dichotomies, il est difficile d’éviter d’examiner l’une par rapport à l’autre, ce qui constitue une base solide pour la discrimination et l’oppression. Tant que le genre, dans toutes ses manifestations, y compris physiques, ne sera pas considéré comme une construction sociale, il ne sera pas possible d’agir pour changer radicalement nos propositions incorrigibles. Les gens doivent être confrontés à la réalité d’autres possibilités ainsi qu’à la possibilité d’autres réalités. » (164)
Par « propositions incorrigibles », le jargon ethnométhodologique désigne certaines hypothèses de base ou « axiomes incontestables » (4) sur le monde, dont la plus fondamentale, nous disent Kessler et McKenna, est « la croyance que le monde existe indépendamment de notre présence, et que les objets ont une réalité indépendante et une identité constante » (4). Il s’agit là d’une admission surprenante de la mesure dans laquelle le déni du sexe se fonde sur le rejet idéaliste d’un monde matériel existant par-delà notre propre cognition. Bien qu’il s’agisse d’une forme absurde de solipsisme narcissique, ce type de constructivisme radical a quelque chose d’extrêmement séduisant. D’abord, aux yeux de certain·es, il peut paraître d’une extraordinaire sophistication, par contraste avec la croyance prétendument « naïve » ou « simpliste » selon laquelle nos concepts saisissent des phénomènes réels (à un degré ou à un autre). Ensuite, il semble offrir la possibilité d’un changement social entièrement contrôlé par les idéaux humains, affranchi de toute limite naturelle ou matérielle.
Fausto-Sterling (2000a), par exemple, indique clairement que son engagement à « remettre en question les idées concernant la division mâle/femelle » (79) est motivé par la vision d’un « monde où les sexes se sont multipliés » et où « toutes ces oppositions […] seront dissoutes au motif qu’elles sont sources de division » (1993, 24). De la même manière, les « pionniers du genre » (genderpioneers) de Rothblatt (1992) nous libéreront de « la fiction pernicieuse des classes séparées de mâles et de femelles […] avec les rôles de genre séparés qui y sont associés […] qui a été particulièrement injuste pour les femmes depuis des temps immémoriaux » (268). Butler dédie la préface de 1999 de Trouble dans le genre à la « lutte collective » visant à multiplier « les possibilités de vivre leur vie pour celles et ceux qui vivent, ou essaient de vivre, leurs sexualités dans les marges » (xxviii). Sa préoccupation principale n’est donc pas l’oppression des femmes. Cela n’a rien de problématique en soi — chacun a le droit de s’intéresser aux causes politiques qui lui tiennent le plus à cœur. Le problème, c’est que cet ouvrage de Butler est probablement le texte de référence du féminisme de la troisième vague et qu’il a généré une censure normative massive de l’analyse matérialiste de l’oppression des femmes au sein du féminisme.
En effet, toutes ces élucubrations ont des implications totalitaires. Car si le déni du sexe est le seul moyen de nous libérer des hiérarchies oppressives, alors toute personne affirmant la réalité matérielle du sexe ne saurait être motivée que par le désir de perpétuer cette oppression. Dans les cercles « progressistes », cela a contribué à la formation du cadre disciplinaire utilisé pour justifier la diffamation généralisée des féministes critiques du genre, qui sont souvent accusées, sans preuve, d’être des agents « privilégiés » du statu quo. Ce que la plupart des militants de l’identité de genre refusent de réaliser, c’est qu’il existe des personnes honnêtes et soucieuses de justice qui pensent simplement que la négation du sexe est une erreur, que le monde matériel existe et qu’il peut être connu avec un haut degré de fiabilité, et qui considèrent qu’une intervention politique efficace devrait être basée sur la façon dont le monde fonctionne réellement plutôt que sur des souhaits. Ce qui ne sera jamais admis non plus, c’est que de nombreuses féministes sont véritablement engagées dans une analyse matérialiste de l’oppression des femmes et ne sont pas disposées à abandonner cette analyse pour une théorie qui contredit le sens commun et qui ne résiste pas au moindre examen logique, qui n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi le genre existe en premier lieu et qui exige que nous croyions tous que l’oppression patriarcale s’évaporera dès que nous prétendrons que le sexe n’est pas réel. D’ailleurs, le fait que l’idéologie de l’identité de genre ne résiste pas à l’interrogation explique sans doute en grande partie pourquoi ses défenseurs s’acharnent tant à diaboliser et censurer leurs critiques.
La dernière série d’arguments de la négation du sexe que nous avons mentionnée affirme que la binarité de genre a été créée par le processus de la colonisation européenne. Comme nous l’avons vu, le concept de la binarité de genre, qui s’est en réalité développé à partir des arguments butleriens selon lesquels le genre construit le sexe, confond la perception de la différence sexuelle humaine avec la structure « binaire » du genre patriarcal. Cet amalgame est un élément nécessaire de ces arguments, car s’il est plus que plausible de suggérer que les conventions patriarcales occidentales ont modifié les rôles de genre, l’acceptation de l’homosexualité et les structures sociales relatives à la non-conformité au genre, rien ne permet d’affirmer que les sociétés amérindiennes, ou toute autre culture présentant quelque troisième genre, ne percevaient pas les différences sexuelles biologiques. L’on pourrait même considérer que suggérer que les peuples colonisés étaient incapables de déterminer le sexe des êtres humains et ne comprenaient pas les mécanismes de la reproduction sexuelle jusqu’à l’arrivée des Blancs constitue une forme d’aveuglement historique et un artefact de la hiérarchie raciale entre peuples « civilisés » et « primitifs ».
Le motif de cet argument me semble en partie explicable par la structure disciplinaire de l’idéologie trans. Convaincre les gens que les humains ne sont pas sexués est assez difficile. Si vous pouvez les persuader que le « sexe » est un artefact du suprémacisme blanc et du colonialisme et qu’il est donc intrinsèquement raciste, vous renforcez l’attrait de votre argument aux yeux des personnes qui se considèrent comme progressistes. C’est également pourquoi l’expression « le colonialisme a inventé la binarité de genre » circule dans le discours transidentitaire, de concert avec l’idée selon laquelle la compréhension de la réalité du sexe biologique est caractéristique du « féminisme blanc » (voir par exemple Upadhyay 2021). Une assertion formulée en dépit du fait que de nombreuses femmes noires rejettent également la négation du sexe, qu’il s’agisse de célébrités comme Chimamanda Ngozi Adichie ou d’activistes notables de la critique du genre comme Allison Bailey ou Raquel Rosario Sánchez. Ces récits ne prennent pas non plus en compte le fait que la critique originale de bell hooks (1984) du « féminisme blanc » était axée sur les capitulations des féministes libérales face au patriarcat capitaliste et n’avait absolument rien à voir avec la capacité humaine à reconnaître le sexe.
Ces arguments sont également liés à l’interprétation délibérément erronée du concept, issu du féminisme noir, de l’« intersectionnalité » qui permet, à juste titre, de souligner la manière dont le féminisme universalise l’expérience des femmes blanches de la classe moyenne lorsqu’il ne tient pas compte des axes de la race et de la classe. Ce qui a malheureusement été interprété comme signifiant que le concept même de « femme » ne désigne que la « féminité bourgeoise blanche » (un autre amalgame sexe/genre) et que les femmes noires ont été historiquement exclues de la classe des femmes. Et ce qui a ensuite été utilisé pour prétendre que si les femmes noires sont des femmes, alors il en va de même pour les « femmes transgenres ». Bien qu’elle soit présentée comme antiraciste, cette affirmation, qui ne signifie pas autre chose que « si les femmes noires sont des femmes, alors les hommes sont des femmes », évoque la masculinisation historique des femmes noires et est, en fait, raciste. Les suprémacistes blancs patriarcaux ont peut-être estimé que les femmes noires n’étaient pas suffisamment « féminines » pour être considérées comme des femmes, mais il n’y a aucune raison d’adhérer à leur logique. Les femmes noires sont des femelles, et le fait d’être une femelle est la seule qualification requise pour être une femme. Comme le souligne Lugones, au cours de la colonisation, les idées de genre ont été inextricablement liées à la hiérarchie raciale. Mais « les femmes » ne sont pas « la féminité bourgeoise blanche ». Les définir comme telles perpétue un système de pensée raciste, sexiste et classiste.
Conclusion
L’idéologie de l’identité de genre, apparue au début des années 1990, repose sur deux complexes de croyances : l’« essentialisme de l’identité de genre » et la « négation du sexe ». Comme nous l’avons vu, la négation du sexe repose sur une série d’arguments, développés au cours des cinquante dernières années, qui prétendent que le sexe est un continuum, qui confondent le sexe et le genre et qui considèrent la perception du dimorphisme sexuel humain comme un artefact historique et oppressif du pouvoir. Nous avons exploré l’histoire de la négation du sexe pour comprendre comment ces arguments tentent de représenter le sexe comme une construction historique et avons constaté qu’ils ne résistent pas à un examen empirique ou logique. Tandis que la négation du sexe contemporaine s’imagine conforme à la critique traditionnelle de l’idéologie en « dévoilant » la façon dont des normes historiques se présentent comme « naturelles », elle en constitue en fait une inversion distinctive visant à convaincre les gens qu’un mécanisme biologique évolué, vieux de plusieurs milliards d’années, serait en fait une construction historique récente, suscitée par des motifs politiques clairs.
Les féministes matérialistes radicales, en revanche, conservent la distinction établie par le féminisme de la deuxième vague entre la réalité matérielle du sexe et la construction culturelle du genre. Nous soutenons que l’assujettissement des femmes aux normes sociales et aux valeurs culturelles du genre patriarcal est un développement historique visant à convertir les capacités reproductives et le travail domestique des femmes en une ressource appropriable. Si la manière dont les humains organisent socialement la reproduction et le travail reproductif au sens large est historiquement contingente et susceptible d’être transformée, le sexe n’est pas un artefact historique. Étant donné que les féministes matérialistes radicales pensent que l’oppression des femmes est fondée sur l’appropriation matérielle du corps et du travail des femmes, nous ne pensons pas qu’elle puisse être corrigée en jouant simplement avec nos concepts ou en décrétant l’inexistence du sexe. Un monde plus juste pour les femmes exige plutôt une transformation matérielle des conditions du travail domestique et reproductif des femmes. La négation du sexe entrave cette transformation en effaçant les concepts nécessaires pour décrire l’oppression des femmes et s’organiser politiquement pour la combattre. Elle n’est donc pas dans l’intérêt matériel des femmes en tant que classe de sexe.
Jane Clare Jones
Traduction : Nicolas Casaux
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- On soulignera que la conception d’un « troisième genre » repose nécessairement sur la compréhension du fait qu’il existe deux sexes. C’est parce qu’elles comprenaient très bien qu’il existe deux sexes et qu’elles assignaient des attributs particuliers à chacun d’entre eux que ces cultures ont pu concevoir des « troisièmes genres » : des personnes d’un sexe adoptant les attributs traditionnellement assignés à l’autre. NdT ↑
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