Lauren Bastide, génie féministe des temps (post-)modernes (par Audrey A. et Nicolas Casaux)

Lauren Bastide, génie féministe des temps (post-)modernes (par Audrey A. et Nicolas Casaux)

Dans son tout der­nier chef‑d’œuvre, inti­tu­lé Futur·es, paru l’an der­nier aux édi­tions Alla­ry, la fameuse révo­lu­tion­naire Lau­ren Bas­tide — pas­sée par Cour­rier inter­na­tio­nal, l’agence de presse Reu­ters, le quo­ti­dien Le Monde, l’heb­do­ma­daire Elle, la chaîne C8, l’é­mis­sion Le Grand Jour­nal sur Canal+, France Inter et pos­si­ble­ment d’autres groupes de gué­rillé­ros tout aus­si féroces — s’insurge contre « le capi­ta­lisme et le pou­voir en place ». Sacrebleu.

Si nous ren­con­trons bien, au détour de quelques phrases, quelques dénon­cia­tions du capi­ta­lisme de la part de l’ancienne rédac’cheffe du maga­zine de pla­ce­ment de pro­duits Elle, elle n’explique nulle part dans son livre ce qu’entraine ou implique une telle pos­ture. Ce qu’est le capi­ta­lisme. Pour­quoi il pose pro­blème. Autre­ment dit, l’engagement anti­ca­pi­ta­liste de Bas­tide est tota­le­ment creux. Un simple effet de manche. Voyons son enga­ge­ment féministe.

Comme le sug­gère le sous-titre de son ouvrage, Lau­ren Bas­tide pré­tend nous expli­quer, à nous autre fémi­nistes, mais pas seule­ment, « com­ment le fémi­nisme peut sau­ver le monde ». Vous avez com­pris ? La cause des femmes ne peut trou­ver grâce à vos yeux et aux nôtres que si l’on prouve que nous sau­ver, c’est aus­si sau­ver le monde entier. Le fémi­nisme pour tout et tous ! Le fémi­nisme qui n’inclut pas les hommes, les autres ani­maux, les arbres, la couche humi­fère, l’atmosphère, le sys­tème solaire et la Voie lac­tée, qui s’en sou­cie­rait ?! Depuis le temps, nous devrions savoir que les femmes, ça ne compte pas comme cause en soi, et que nous ne sommes auto­ri­sées à avoir notre mou­ve­ment que si nous y incluons la terre entière. Le vrai fémi­nisme, c’est celui qui béné­fi­cie aux hommes et au mar­ché, à la civi­li­sa­tion, sinon ce n’est pas du fémi­nisme, c’est un truc de bonne femmes.

C’est pour­quoi le fémi­nisme de Lau­ren Bas­tide n’est pas un truc de bonnes femmes, mais un éco-fémi­nisme queer, dont l’objectif est « l’abolition abso­lue des fron­tières de genre », qui mène­ra à « un futur fémi­niste » dans lequel « il n’y aura plus deux sexes ». En effet, selon Lau­ren Bas­tide, en sup­pri­mant les fron­tières du genre, on sup­pri­me­ra le sexe, car les deux sont une seule et même chose, comme lui a ensei­gné sa men­tor Judith Butler.

Le fémi­nisme de Lau­ren Bas­tide exige que nous admet­tions « que cer­tains hommes ont des mens­trua­tions et […] que cer­taines femmes sont pour­vues d’un pénis ». Il exige « un deuil » : « Celui du mot “FEMMES” écrit en lettres roses sur les boîtes de tam­pons. » Eh oui, car les hommes aus­si s’achèteront des tam­pons. Enfin, par­don, pas les hommes, mais les autres per­sonnes (il n’existera plus deux sexes).

D’ailleurs, c’est déjà le cas, affirme Bastide :

« Je vous assure. Il n’y a PAS deux sexes. Il est impos­sible, sur le plan bio­lo­gique, de divi­ser l’humanité en deux caté­go­ries qu’on pour­rait qua­li­fier de “mas­cu­line” et “fémi­nine”. […] Aucune des variables bio­lo­giques ser­vant à déter­mi­ner le sexe d’une per­sonne à sa nais­sance, qu’elle soit hor­mo­nale (œstro­gène, pro­ges­té­rone, tes­to­sté­rone), gona­dique (ovaires, tes­ti­cules), géni­tale (pénis, vagin) ou chro­mo­so­mique (X, Y), ne per­met de tra­cer une ligne de démar­ca­tion her­mé­tique entre deux sexes. »

Autre­ment dit, il est impos­sible de savoir qui est qui, ou quoi. Impos­sible de défi­nir qui est homme, impos­sible de défi­nir qui est femme, impos­sible de défi­nir qui est gar­çon, impos­sible de défi­nir qui est fille. Pour­quoi ? Parce que les per­sonnes inter­sexes existent. Peu importe, appa­rem­ment, que les formes d’intersexuations ne soient pas des sexes à part entière, mais des condi­tions bio­lo­giques, très rares, qui s’inscrivent dans ce que les bio­lo­gistes appellent les « désordres [ou ano­ma­lies] du déve­lop­pe­ment sexuel », pour la très bonne rai­son qu’elles découlent d’un pro­blème ou d’une ano­ma­lie ayant pris place durant le déve­lop­pe­ment sexuel, ce qui explique pour­quoi une grande par­tie des condi­tions dites inter­sexes vont de pair avec dif­fé­rents pro­blèmes de san­té, par­fois graves.

Contrai­re­ment à ce que pré­tend Bas­tide, il existe bel et bien deux sexes, le sexe ayant trait à la repro­duc­tion sexuée, et étant défi­ni, chez la plu­part des espèces des règnes végé­tal et ani­mal (chez les espèces ani­so­games), par la pré­sence d’un appa­reil repro­duc­teur visant à pro­duire un type de gamète ou l’autre : le mâle pro­duit les sper­ma­to­zoïdes et la femelle pro­duit les ovules. En outre, Bas­tide confond déter­mi­na­tion du sexe et défi­ni­tion du sexe, qui sont deux choses dif­fé­rentes (mau­dite bina­ri­té tu es par­tout !). La « déter­mi­na­tion » du sexe est un terme tech­nique dési­gnant le pro­ces­sus par lequel les gènes déclenchent et régulent la dif­fé­ren­cia­tion déve­lop­pe­men­tale du fœtus vers la voie mâle ou femelle, c’est-à-dire le déve­lop­pe­ment des struc­tures per­met­tant la pro­duc­tion et la libé­ra­tion de l’un ou l’autre type de gamète, et donc le sexe de l’individu. En rai­son de quelque com­pli­ca­tion, ce pro­ces­sus peut par­fois mener, pour 0,014 % des nais­sances, sur des voies sans issue. Mais ces voies sans issue (parce qu’induisant une sté­ri­li­té) seront tout de même mâle ou femelle, même lorsqu’il y a désac­cord entre les gamètes et le phé­no­type. Les gamètes « défi­nissent » le sexe par­tout où la repro­duc­tion est sexuée : celle des humains, des pois­sons, des oiseaux, des cro­co­diles, même lorsque les chro­mo­somes sexuels de l’espèce sont de type ZW/ZZ, et même lorsqu’on ne trouve pas de chro­mo­somes sexuels. Ce qui défi­nit le sexe, c’est la taille des gamètes. Gamètes qui, en ce qui concerne les espèces ani­so­games, sont de tailles dif­fé­rentes, avec les gros gamètes immo­biles (ovules) et les petits gamètes fré­tillants (sper­ma­to­zoïdes)… Et ces deux types de gamètes qui inter­viennent dans la repro­duc­tion sont le fruit de deux types d’appareils repro­duc­teurs, mas­cu­lin et fémi­nin, d’où : deux sexes. Les inter­sexua­tions ne consti­tuent donc ni un troi­sième sexe, un sexe à part entière, ni une mul­ti­tude de sexes : les per­sonnes inter­sexuées sont mâles ou femelles. Même les orga­nismes her­ma­phro­dites ne sont pas un troi­sième sexe : ils sont les deux sexes et s’autofécondent, si vrai­ment vous tenez à com­pa­rer les humains aux cham­pi­gnons. Mais si la vie sexuelle des truffes est fas­ci­nante, prendre les gens pour des truffes, il faut éviter.

Néan­moins, soit. Jouons le jeu idiot que Bas­tide nous pro­pose de jouer. Admet­tons qu’il soit impos­sible de défi­nir ce qu’est une femme, un homme, un gar­çon, une fille, de les dif­fé­ren­cier. Admet­tons qu’il n’existe pas deux sexes. Pour­quoi Lau­ren Bas­tide nous parle-t-elle, ensuite, de sa « bisexua­li­té » ? Bisexua­li­té ? Pour­quoi « bi » ? Quelle est cette étrange dua­li­té, bina­ri­té ? Pour­quoi nous explique-t-elle avoir, « depuis l’enfance », été « atti­rée par des filles et par des gar­çons » ? Qui sont ces filles ? Qui sont ces gar­çons ? Com­ment les dif­fé­ren­cie-t-on ? Quand Lau­ren Bas­tide nous explique que de son temps, « les gar­çons ska­taient, les filles regar­daient », de qui parle-t-elle ? Qui sont ces « gar­çons » et ces « filles » ? Qui sont ces gens ? Nous avons du mal à com­prendre. Et n’a‑t-elle aucune honte ? La bisexua­li­té, c’est ter­ri­ble­ment trans­phobe. Même le Plan­ning fami­lial le sou­ligne. Pour ne pas être exclu­sive, il lui faut inclure les cham­pi­gnons et les cro­co­diles dans son dating-pool, être « pansexuelle ».

De la même manière, pour­quoi Lau­ren Bas­tide cri­tique-t-elle l’« hété­ro­sexua­li­té » ? S’il est impos­sible de dis­tin­guer l’existence de sexes, de dif­fé­ren­cier des sexes, com­ment peut-il y avoir hété­ro­sexua­li­té ? Ne sommes-nous pas des créa­tures homo­thal­liques ? Quand Lau­ren Bas­tide écrit qu’au Moyen Âge, « cent mille pro­cès ont eu lieu en Europe en deux siècles, concer­nant à 80 % des femmes, dont on estime qu’environ la moi­tié furent exé­cu­tées », de qui parle-t-elle ? Qui sont ces « femmes » qui « furent exé­cu­tées » ? Com­ment peut-elle, ose-t-elle par­ler de « femmes » ? Com­ment sait-on qu’il s’agit de femmes ?

Quand Lau­ren Bas­tide évoque les ter­ribles sta­tis­tiques des vio­lences mas­cu­lines que subissent les femmes — « selon une enquête d’ONU Femmes de 2018, sur les 87 000 femmes tuées dans le monde en 2017, 58 % d’entre elles ont été tuées par un par­te­naire intime ou un membre de la famille, et sur l’ensemble des homi­cides com­mis par un par­te­naire intime, 82 % des vic­times sont des femmes tuées par un homme » —, quand elle évoque le ter­rible sort des filles et des gar­çons — « selon l’OMS, le viol concerne 1 fille sur 5 et 1 gar­çon sur 13 dans le monde » — bon sang, mais de qui parle-t-elle ? Qui sont ces « femmes », ces « filles » et ces « gar­çons » ? Com­ment le sait-on ?

Vrai­ment, quel dom­mage. Lau­ren Bas­tide aurait pu faire l’effort d’aller au bout de sa brillante logique et évi­ter de par­ler ensuite d’hommes, de femmes, de filles et de gar­çons, comme si ces termes étaient accep­tables, comme si nous étions en mesure de savoir à qui ils ren­voient. Mais non. Évi­dem­ment pas. On fait le malin, ou la maline, on fait éta­lage de sa ver­tu, on exprime très clai­re­ment son adhé­sion aux imbé­ci­li­tés post-modernes selon les­quelles il est impos­sible de dis­tin­guer des hommes et des femmes, des filles et des gar­çons, ce genre de choses, et puis, der­rière, on conti­nue à par­ler d’hommes et de femmes, de filles et de gar­çons, de deux sexes, comme si de rien n’était.

On appelle ça du fou­tage de gueule. C’est minable. Pathé­tique. Pitoyable.

Mais l’absurdité du dis­cours de Lau­ren Bas­tide va plus loin encore. Bien qu’elle consacre une grande par­tie de son der­nier ouvrage à cirer les pompes de Judith But­ler et des théo­ri­ciens du mou­ve­ment queer, à célé­brer les âne­ries trans­gen­ristes en vogue, c’est-à-dire les idio­ties du culte de « l’identité de genre », elle affirme par ailleurs, dans diverses inter­views, « que l’horizon fémi­niste » qu’elle appelle de ses vœux « est un hori­zon sans genre ». Lau­ren Bas­tide serait donc hos­tile au genre ? Oppo­sée au genre ? Contre le genre ?! Outre que cela contre­di­rait tout ce qu’elle écrit dans son der­nier bou­quin, cela ferait d’elle une des pires fas­cistes du moment, étant don­né, comme l’affirme son idole Judith But­ler, que le mou­ve­ment « anti-genre est aujourd’hui l’une des varié­tés domi­nantes du fascisme ».

Mais quelle impor­tance. Quand tout votre dis­cours et votre suc­cès média­tique reposent sur votre capa­ci­té à enfi­ler des absur­di­tés comme des perles, mais en ayant l’air dis­rup­tive, vous n’êtes plus à une contra­dic­tion près.

Audrey A. & Nico­las Casaux

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À propos de l'auteur Le Partage

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