I.
Belote, rebelote. Pierre Madelin, auteur et traducteur proche de la revue d’écologie politique Terrestres, a remis ça. Dans un texte publié sur Facebook il y a quelques jours, il affirme qu’aux côtés de quelques autres individus du milieu anti-industriel, je figurerais parmi d’infréquentables et vils « transphobes ». Mais, — et c’était attendu —, Madelin n’a pas un seul argument à opposer aux critiques que je formule à l’encontre du système de croyances appelé « transidentité », à l’encontre du transgenrisme. Au lieu de ça, il se permet d’affirmer que puisque je critique le transgenrisme, c’est donc que je suis une sorte d’antisémite. En effet, ma « transphobie » se rapprocherait de l’antisémitisme dans la mesure où je prétendrais que « les personnes [se considérant] trans » seraient en quelque sorte LA « personnification concrète de la domination systémique et impersonnelle de la “Mégamachine” », un groupe tout puissant, responsable de tous les maux du monde. Je n’ai évidemment jamais ni écrit, ni dit, ni suggéré ça. Ce serait franchement idiot. Mais Pierre Madelin n’est pas à une malhonnêteté près. Je crois plutôt que le transgenrisme est un produit du patriarcat et développement du capitalisme technologique (une évidence). Ce qui n’a rien à voir. Je pense même que la plupart des personnes qui se pensent « trans » sont, comme bien d’autres, victimes des développements du capitalisme technologique, qui se produisent de manière relativement autonome, suivant l’inertie de ses dynamiques.
Et puis, assimiler la pseudo-identité « trans » au fait d’être juif, c’est osé. Le concept de « trans » est tellement nébuleux et inconsistant que selon sa définition la plus récente, nous serions à peu près tous et toutes trans. Entre la prétendue identité « trans », dont je conteste la cohérence, et le fait d’être juif, il y a un monde. Mais tout laisse à penser que Pierre Madelin n’y connait rien. Il ignore sans doute, par exemple, qu’il y a quelques semaines, un rabbin britannique (Zvi Solomons) a été vivement attaqué et qualifié de « transphobe » par une horde de transactivistes au motif qu’il défendait les droits des femmes en soulignant des choses que je souligne également. Suite à ça, l’hebdomadaire britannique juif Jewish News (« informations juives ») avait publié un texte d’un marxiste, Alan Johnson, chargé de recherche au « centre de communication et de recherche Grande-Bretagne Israël », ex-professeur de théorie et de pratique démocratiques à l’université Edge Hill, défendant le rabbin accusé de transphobie et articulant clairement une bonne critique de « l’idéologie de l’identité de genre », du transgenrisme. Ce très bon texte d’Alan Johnson, je l’ai d’ailleurs traduit.
Quitte à assimiler judéité et identité « trans », imaginons plutôt : si, demain, je me prétendais juif ou « juif trans » au motif que j’avais découvert enfouie en moi une « identité de genre » de « juif », les juifs me diraient que je craque. À juste titre. Même si j’essayais de justifier mon « identité de genre » de « juif » en disant que j’ai toujours aimé les falafels, le pain azyme et porter la kippa. En prétendant être juif pour ces raisons, je les insulterais. Mais quand un homme se dit femme selon une logique plus ou moins similaire (aussi absurde, aussi insultante), c’est accepté, et on dit qu’il est une « femme trans ». L’analogie est imparfaite, mais elle permet tout de même de souligner une absurdité fondamentale du transgenrisme.
II.
Quoi qu’il en soit, si Pierre Madelin en est réduit à tenter d’assimiler ma critique du mouvement trans à une sorte de variation sur le thème de l’antisémitisme, c’est parce qu’il n’a aucun argument sérieux à avancer (il ne connait pas le sujet dont il parle, il brode donc comme il peut). Au jour d’aujourd’hui, j’ai pourtant traduit et écrit des dizaines de textes sur le transgenrisme et ses origines, et son histoire, et ses implications, et sous-titré plusieurs documentaires à ce sujet (je suis en train de finir d’en sous-titrer un nouveau). Les arguments que j’avance à l’encontre du transgenrisme, qui sont en bonne partie ceux que formulent des féministes depuis des décennies, me semblent assez clairs (et n’ont rien à voir avec l’assignation à un groupe d’êtres humains du rôle de grand méchant qui dominerait le monde et serait responsable de tous nos maux).
Au plus bref : homme, femme, garçon et fille désignent des types de corps sexués et pas des « genres » ou des « identités de genre ». Changer de sexe, ce n’est pas possible. « Naître dans le mauvais corps », ça n’existe pas. Les garçons sont des garçons, les filles sont des filles, les hommes des hommes et les femmes des femmes, peu importe leurs goûts, préférences, apparences, peu importe leur degré d’adhésion aux normes patriarcales de la « masculinité » ou de la « féminité ». L’expression « femme trans » (comme « homme trans ») est donc incohérente. Les hommes ne sont aucune sorte (ou catégorie) de femmes. Le fait de réclamer le droit d’appartenir à une catégorie de la population à laquelle on n’appartient pas est une absurdité. Une absurdité dangereuse et/ou nuisible quand on parle d’hommes qui se prétendent « femmes » et qui veulent accéder aux espaces, services, emplois, etc., réservés aux femmes. Faire croire à des enfants qu’ils sont nés dans le mauvais corps, que leur « identité de genre » supposée est en contradiction avec leur réalité sexuée au motif qu’ils aiment des choses que les idées conservatrices, réactionnaires, associent rigidement à l’autre sexe (suggérer à un garçon qui aime les robes et le rouge à lèvres qu’il est possiblement une fille coincée dans un corps de garçon, par exemple), c’est d’une part leur mentir et d’autre part de la maltraitance. Pourquoi Madelin ne parle-t-il pas de ces arguments élémentaires et concrets ? Pourquoi ne leur répond-il pas ?
III.
Madelin me reproche d’avoir écrit la phrase suivante au motif qu’il s’agirait d’une exagération :
« les idées trans sont défendues et imposées par les législations d’États parmi les plus puissants de la planète, financées ou autrement soutenues par les principales multinationales du monde, promues par les médias les plus puissants du monde, etc. »
Malheureusement, il ne dit pas en quoi il s’agit d’une exagération. Voyons. Aujourd’hui, les États-Unis, le Canada, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède, la Norvège, la Finlande, le Danemark, l’Australie, l’Inde, etc., promeuvent et imposent (par le biais de la loi) les idées et revendications des militants trans. Ne s’agit-il pas « d’États parmi les plus puissants de la planète » ? Des multinationales parmi lesquelles American Airlines, Apple, The Coca-Cola Company, Google, Microsoft, Pfizer, Nike, BP, Chevron, Paypal, Amazon, IBM, Disney, des banques comme la BNP, Société Générale, Mastercard, etc., soutiennent les idées trans, y compris en modifiant leurs règlements internes afin de les aligner sur les revendications des activistes trans — et parfois en finançant des associations ou organisations transactivistes. Ne s’agit-il pas des « principales multinationales du monde » ? En ce qui concerne les médias, et pour ne parler que de la France, la majorité des principales chaînes de télévision sont favorables aux idées et aux revendications des militants trans, qu’elles promeuvent à travers leurs programmes (émissions, documentaires, films). Même chose pour la majorité des neuf titres de la presse quotidienne nationale payante (à l’exception du Figaro, de La Croix et, dans une moindre mesure, du Parisien, tous relaient les idées trans de manière acritique). A priori, les cinq journaux les plus lus au monde (The New York Times, Yomiuri Shimbun, The Washington Post, Asahi Shimbun, et The Guardian) sont tous assez majoritairement favorables aux idées et aux revendications des militants trans, qu’ils relaient également de manière relativement acritique (quelques articles très timidement critiques sont parus, ces dernières semaines, dans le New York Times et le Guardian, mais la balance penche encore très nettement en faveur d’une diffusion acritique des idées trans). Idem en ce qui concerne CNN, Reuters et la BBC, qui figurent parmi les groupes médiatiques les plus puissants au monde. Il me semble donc exact de dire que « les médias les plus puissants du monde » défendent ou promeuvent les idées et les revendications des militants trans. Quel est donc le problème, Pierrot ?
IV.
On pourrait continuer à lister des propos idiots ou inexacts que Madelin formule tout en se pensant fort subtil, par exemple en parlant de « sphères traditionnellement séparées : homme/femme, humain/animal ». C’est pourtant simple, Pierrot. Les hommes ne sont pas des femmes, mais les humains sont des animaux. Les « sphères » homme et femme sont toujours séparées (sauf chez les vrais hermaphrodites, mais chez les humains il est douteux que de tels organismes existent). C’est le principe de la reproduction sexuée. Il y a des corps qui produisent de gros gamètes (femelles/femmes) et d’autres de petits gamètes (mâles/hommes).
Tu t’es perdu dans tes réflexions, Pierrot. C’est ça de ne pas savoir de quoi on parle et de tenter de le dissimuler derrière des concepts universitaires relativement flous (hyper-constructivisme, anti-naturalisme).
V.
Le sigle LGBT est une absurdité. Les trois premières lettres désignent trois orientations sexuelles cohérentes, parfaitement légitimes. La quatrième n’est pas une orientation sexuelle. Elle désigne un concept qui n’a rien à voir (un concept contradictoire, problématique à bien des égards, mais pour le saisir il faut pouvoir en discuter). Tant qu’on ne discute pas du fond, de ces distinctions, on parle pour ne rien dire. Parler de LGBT, de LGBTQ ou de LGBTQIA+, c’est un truc de journaleux idiot (aussi bien de droite, type Le Figaro, que de gauche, type Le Monde ou Libé).
VI.
Les droits des personnes LGB sont effectivement en régression dans certains endroits du monde. Mais les « droits » des personnes prétendument « transgenres », c’est tout l’inverse. Ils se développent assez rapidement dans de toujours plus nombreux pays. Et ils sont contestés par des féministes lesbiennes, radicales, par des associations d’homosexuels et de lesbiennes, parce que les idées trans sont misogynes (« femme », dans l’univers trans, c’est un ressenti, un sentiment, voire un « rôle social », souvent lié aux stéréotypes sexistes que les féministes combattent depuis des décennies) et homophobes (l’homosexualité n’existe plus, elle a été redéfinie, étant donné que le sexe est nié au profit du « genre » ; mais faisons le test, c’est quoi l’homosexualité Pierre Madelin ?). Il est également à noter que des personnes qui se disent trans, ainsi que des transsexuelles et transsexuels, sont également accusées de transphobie parce qu’elles font valoir à peu près les mêmes idées que je défends.
VII.
La fabrique des enfants trans et leur médicalisation sont dénoncées par un certain nombre d’associations scientifiques. Pour prendre un exemple parmi d’autres, un des spécialistes de l’autisme les plus connus au monde, Christopher Gillberg, psychiatre spécialiste de l’enfance et l’adolescence, estime qu’il s’agit « possiblement d’un des plus grands scandales de l’histoire de la médecine ». S’agit-il de « transphobie », Pierrot ?!
VIII.
Que Pierre Madelin ait étudié l’antisémitisme, je veux bien le croire. En revanche, le transgenrisme, il n’y connait presque rien. Manifestement. Autrement, il saurait qu’une « critique du dualisme comme hiérarchisation du réel » accompagnée « également d’une critique des risques de l’indifférenciation dans une perspective d’émancipation », c’est à peu près ce que proposent les féministes critiques du transgenrisme (et du transsexualisme antérieurement) depuis des décennies. Plutôt que d’éclaircir quoi que ce soit, son texte, dans lequel il n’examine pas une seconde les idées trans, ni les critiques formulées à leur encontre, ne fait qu’ajouter à la confusion des invectives et au climat d’intolérance au débat qui règne actuellement. Climat d’intolérance — tout récemment un jet de matières fécales a interrompu la conférence de Céline Masson et Caroline Eliacheff sur les dérives du mouvement trans, au Café Laïque de Bruxelles — au sujet duquel Pierre Madelin n’a jamais dit un mot (l’autoritarisme de gauche ne le dérange pas plus que ça, semble-t-il).
Tu veux discuter du transgenrisme, de la prétendue « transphobie », Pierrot ? Très bien. Fais donc. Examine les concepts et les idées sur lesquelles reposent la « transidentité », les revendications des militants trans. Examine les arguments des prétendus « transphobes », examine sérieusement ce qu’on appelle « transphobie ». Examine ensuite les critiques féministes qui sont adressées au transgenrisme. Et arrête de déblatérer des inepties désobligeantes.
IX.
Il me semble, pour finir, que le fait que Madelin se permette de parler comme ça d’un sujet sur lequel, j’insiste, il semble particulièrement ignorant (le sujet « LGBT » pour reprendre le sigle absurde qu’il choisit d’employer), témoigne du peu de cas qu’il en fait en réalité. S’il se souciait sérieusement des « LGBT », il se renseignerait sérieusement.
En attendant, de même que ses camarades de la revue Terrestres (tout aussi ignorants sur le sujet, mais qui se permettent pareillement de — mal — en parler), et que ses autres camarades d’EELV (et du NPA, du PS, de LFI, de la NUPES, etc.), Pierre Madelin embrasse l’idéologie réactionnaire du genre.
Nicolas Casaux
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