La ville, fléau social et écologique millénaire (par Philippe Oberlé)

La ville, fléau social et écologique millénaire (par Philippe Oberlé)

La ville est à la fois anti-sociale et anti-éco­lo­gique. Elle l’a d’ailleurs tou­jours été par le pas­sé comme le rap­pelle Guillaume Fabu­rel dans son ouvrage Pour en finir avec les grandes villes : mani­feste pour une socié­té éco­lo­gique post-urbaine (2020) dont vous trou­ve­rez ici plu­sieurs extraits. Pro­fes­seur en géo­gra­phie, urba­nisme et science poli­tique, il a pré­cé­dem­ment publié Les métro­poles bar­bares : démon­dia­li­ser la ville, désur­ba­ni­ser la terre (2018), un tra­vail « fruit de vingt-cinq ans de recherche et d’engagement sur le ter­rain ». Le mani­feste de Guillaume Fabu­rel n’est pas seule­ment bon, et ce mal­gré l’emploi de l’inepte écri­ture inclu­sive, il est por­teur d’espoir : la révo­lu­tion contre la ter­mi­tière tech­no-urbaine est déjà bien en marche, quand bien même le pou­voir fait tout pour la rendre invi­sible. Quelques chiffres issus de plu­sieurs études et enquêtes d’opinion témoignent du pro­ces­sus de « réen­sau­va­ge­ment » et d’« empay­san­ne­ment » en cours : 

  • Près de 80 % des Fran­ci­liens sou­haitent quit­ter l’agglomération ;
  • Entre 600 000 et 800 000 per­sonnes auraient quit­té les espaces métro­po­li­tains entre 2015 et 2018, un chiffre pro­ba­ble­ment sous-esti­mé selon Guillaume Faburel ; 
  • La crois­sance des métro­poles fran­çaises ralen­tit (« les villes de Lyon, Bor­deaux, Mont­pel­lier, Nantes ou Rennes ont gagné de 1 à 2 % d’habitant·es en cinq ans, les dix-sept autres ont un solde légè­re­ment négatif ») ; 
  • En France, Espagne, Alle­magne, États-Unis, Tur­quie et Japon, seuls 18 % des gens inter­ro­gés dési­gnent la grande ville comme un lieu de vie idéal (13 % en France) ; 
  • Au sein des mêmes pays, 74 % des gens son­dés trouvent que le rythme de vie dans la socié­té actuelle est trop rapide (80 % en France) et 78 % sou­haitent per­son­nel­le­ment ralen­tir (82 % en France ; 
  • En France, 45 % des son­dés lors d’une enquête du Cevi­pof aspirent à vivre à la cam­pagne et 41 % dans une ville de taille moyenne (contre 14 % dans une métropole) ; 
  • La métro­pole ne séduit pas les jeunes diplô­més (« Seuls 28 % des moins de 35 ans ayant au moins un niveau bac +4 voire sor­tant d’une grande école rêvent d’y habiter ») ; 
  • 74 % des Fran­çais son­dés qui trouvent leur com­mune trop dense sou­hai­te­raient vivre ailleurs ; 
  • 54 % des Fran­çais inter­ro­gés estiment que le moyen le plus effi­cace pour résoudre les pro­blèmes éco­lo­giques et cli­ma­tiques est de « chan­ger fon­da­men­ta­le­ment notre mode de vie, nos dépla­ce­ments et réduire dras­ti­que­ment notre consommation » ; 
  • 54 % des Fran­çais son­dés déclarent pré­fé­rer la décrois­sance à la crois­sance « verte » et 55 % pré­fèrent l’« uto­pie éco­lo­gique » aux deux autres uto­pies – la « socié­té indi­vi­dua­liste orga­ni­sée pour une crois­sance forte tirée par la science et la tech­no­lo­gie avec le trans­hu­ma­nisme comme hori­zon » et la socié­té « sécu­ri­taire », c’est-à-dire le repli natio­na­liste avec réin­dus­tria­li­sa­tion offrant pour seul hori­zon la 3ème Guerre mondiale ; 
  • 69 % des Fran­çais inter­ro­gés jugent néces­saire de « ralen­tir le pro­duc­ti­visme et la recherche per­pé­tuelle de rentabilité ». 

Selon Faburel : 

« [C]ette réa­li­té est dis­si­mu­lée à coups de tour de passe-passe sta­tis­tiques, en la noyant dans des péri­mètres plus larges comme les aires urbaines ou en met­tant en avant d’autres indi­ca­teurs comme le solde natu­rel[1]. De plus, la popu­la­tion fran­çaise serait en fait urbaine à seule­ment 48 %, et non à 80 %, si l’on inté­grait le cri­tère de conti­nui­té de l’urbanisation et de den­si­té, comme cela a été deman­dé quinze années durant aux auto­ri­tés fran­çaises par Euro­stat et par l’OCDE. »

À l’image de l’ingénieur poly­tech­ni­cien Jean-Marc Jan­co­vo­ci ou de l’économiste Gaël Giraud, des oppor­tu­nistes tentent d’exploiter les vel­léi­tés éco­lo­gistes, décrois­san­cistes et auto­no­mistes du peuple pour ren­for­cer le pou­voir de l’État, et par symé­trie, celui des indus­triels fran­çais. Sous cou­vert de lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique par la décar­bo­na­tion de l’économie, l’objectif réel affi­ché dans le mani­feste du Shift Pro­ject, le think tank pré­si­dé par Jan­co­vi­ci, est bien « d’ouvrir la voie de la pro­chaine révo­lu­tion indus­trielle ». Bien que Jan­co­vi­ci se pré­sente comme un éco­lo­giste décrois­san­ciste cri­tique à l’égard de la Sili­con Val­ley et de l’industrie numé­rique, les mots « éco­lo­gie » et « décrois­sance » n’apparaissent pas une seule fois dans le mani­feste de son think tank ; en revanche « pro­fits », « emplois » et « habi­tudes de consom­ma­tion » – c’est-à-dire finance, indus­tria­lisme, consu­mé­risme et escla­vage sala­rial – sont plus que jamais au pro­gramme de leur monde d’après. Rien d’étonnant à ce que le mil­liar­daire Mar­tin Bouygues (PDG du groupe Bouygues), la ministre du tra­vail Eli­za­beth Borne (ancienne PDG de la RATP) ou encore Xavier Huillard (PDG de Vin­ci) se soient pré­ci­pi­tés pour signer le texte[2].

Par construc­tion, la concen­tra­tion démo­gra­phique empêche une com­mu­nau­té humaine de pro­duire sa propre sub­sis­tance et la plonge de fait dans un cercle vicieux de dépen­dances vis-à-vis des ins­ti­tu­tions déshu­ma­ni­santes que sont le mar­ché et l’État. La ville doit impor­ter des mar­chan­dises, ce qui implique piller les cam­pagnes envi­ron­nantes pour s’approvisionner en res­sources humaines, éner­gé­tiques, maté­rielles et ali­men­taires. Colo­nia­lisme, impé­ria­lisme, guerre, inéga­li­tés, ravages envi­ron­ne­men­taux, exter­mi­na­tion de la faune sau­vage, la plu­part des fléaux géné­ra­le­ment attri­bués à la nature humaine par la pro­pa­gande du pro­grès prennent en fait racine dans le phé­no­mène urbain qui a mar­qué les débuts de la civilisation. 

« Mais d’où vient cette pas­sion pour la gros­seur ? Si elle ne date pas d’hier, elle n’a pour autant rien de “natu­rel” : son appa­ri­tion est tou­jours l’expression d’un geste poli­tique vou­lu par le pou­voir. Éty­mo­lo­gi­que­ment, la métro­pole est la capi­tale d’une pro­vince, la ville mère, une créa­tion des empires depuis plu­sieurs mil­lé­naires, mais dont la mul­ti­pli­ca­tion s’est accé­lé­rée à l’ère colo­niale. Et, depuis les pre­miers regrou­pe­ments de la Méso­po­ta­mie antique et les cités-États qui ont ryth­mé l’ensemble de l’histoire longue, elles ont tou­jours eu la même fonc­tion : regrou­per les popu­la­tions pour satis­faire des fins éco­no­miques et politiques. » 

His­to­ri­que­ment donc, la grande ville a tou­jours été anti­dé­mo­cra­tique. Plus récem­ment, déra­ci­ner par mil­lions les pay­sans des cam­pagnes pour les entas­ser dans des cla­piers urbains insa­lubres fut une condi­tion néces­saire à l’avènement de l’ère industrielle. 

« La néces­si­té éco­no­mique, c’est celle de rap­pro­cher la main‑d’œuvre des moyens de pro­duc­tion afin de pou­voir dis­po­ser du per­son­nel “à demeure” – une logique ancienne, déjà à l’œuvre à l’ère des pre­mières séden­ta­ri­sa­tions de popu­la­tions et qui, déjà, visait à l’accroissement des ren­de­ments agri­coles par la concen­tra­tion. Durant les deux der­niers siècles, l’urbanisation rapide fut néces­saire pour obte­nir les ren­de­ments pro­duc­tifs de la révo­lu­tion indus­trielle. Aujourd’hui, il s’agit plu­tôt de main­te­nir les travailleur·ses clefs ou “premier·es de cor­vée” à por­tée de main, dans les ban­lieues béton­nées et les péri­phé­ries pau­pé­ri­sées, pour faire tour­ner les méga-machines métro­po­li­taines et accroître leurs ren­de­ments financiers. » 

Autre­fois limi­tés à des espaces géo­gra­phiques res­treints, les ravages de la civi­li­sa­tion ont pris une ampleur pla­né­taire depuis la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle des XVIIIe et XIXe siècles. Et puisque la répé­ti­tion s’avère indis­pen­sable pour mar­quer dura­ble­ment les esprits, répé­tons que cette dyna­mique mil­lé­naire de des­truc­tions éco­lo­giques n’a rien à voir avec la nature humaine (ni avec la nature tout court d’ailleurs[3]). Domi­na­tion sociale et dévas­ta­tion envi­ron­ne­men­tale sont ins­crites dans l’ADN de la civi­li­sa­tion, non dans celui d’Homo sapiens ; quant à leur ampleur, elle est fonc­tion du niveau tech­no­lo­gique. Abais­ser consi­dé­ra­ble­ment le niveau tech­no­lo­gique, c’est relâ­cher la pres­sion monu­men­tale exer­cée par la machine sur les éco­sys­tèmes comme sur les êtres humains. 

« L’urbanisation, par son double mou­ve­ment de den­si­fi­ca­tion et d’exten­sion par­fois bien au-delà des limites offi­cielles des villes, épuise l’environnement éco­lo­gique dans lequel elle se déploie. Elle y exploite l’intégralité des res­sources natu­relles, colo­nise la tota­li­té des espaces plus ou moins proches et, détrui­sant sys­té­ma­ti­que­ment les habi­tats natu­rels du vivant, bou­le­verse l’ensemble des éco­sys­tèmes avoi­si­nants voire plus loin­tains par l’intensification de l’agriculture, l’industrialisation de l’énergie, la mas­si­fi­ca­tion des loi­sirs ou encore l’accroissement des cir­cu­la­tions à grande vitesse. Pour le cas d’une ville comme Paris, cette vam­pi­ri­sa­tion ne date pas hier : “On dit que la ville de Paris vaut une pro­vince au roi de France ; moi je dis qu’elle lui en coûte plu­sieurs ; que c’est à plus d’un égard que Paris est nour­rie par les pro­vinces, et que la plu­part de leurs reve­nus se versent dans cette ville et y res­tent, sans jamais retour­ner au peuple ni au roi”, écri­vait déjà Res­tif de La Bre­tonne au XVIIIe siècle. 

De plus, pour réa­li­ser son des­sein bou­li­mique, l’urbanisation met en place un sys­tème de réseaux – les routes, che­mins de fer, voies mari­times et aériennes – afin de flui­di­fier et accé­lé­rer les flux entre ses dif­fé­rents pôles – les villes. Toute cette concen­tra­tion d’activité génère, comme on ne le sait que trop bien, d’énormes quan­ti­tés de pol­luants. À l’échelle pla­né­taire, les villes, qui ne repré­sentent que 2 % de la sur­face émer­gée, sont d’ores et déjà res­pon­sables de 70 % des déchets, de 75 % des émis­sions de gaz à effet de serre, de 78 % de l’énergie consom­mée ou encore de 90 % des pol­luants émis dans l’air. »

La situa­tion n’a aucune chance d’aller en s’améliorant avec les villes dites « intel­li­gentes », les fermes urbaines, ver­ti­cales et connec­tées, les cham­pi­gnon­nières de par­king, les toits et les murs végé­ta­li­sés, les tiers-lieux alter­na­tifs, les pistes cyclables, les jar­dins urbains par­ta­gés, la consom­ma­tion bio, les maté­riau­thèques, les res­sour­ce­ries, les recy­cle­ries, les foires exté­rieures gra­tuites (« gra­ti­fé­rias ») et autres « dis­co soupes » consis­tant à « cui­si­ner des restes ali­men­taires lors d’événements musi­caux dans l’espace public ». Au contraire, ces « agents invo­lon­taires », que Guillaume Fabu­rel qua­li­fie d’« idiots utiles », par­ti­cipent à rendre « durables » les pro­blèmes struc­tu­rels posés par l’habitat urbain. 

« Non seule­ment ils et elles habitent les lieux et occupent les espaces de leurs propres enga­ge­ments, donc prennent part ain­si, à leur corps défen­dant très cer­tai­ne­ment, à l’éviction des plus pré­caires et des classes popu­laires. Mais, sur­tout, ils y déve­loppent des habi­tudes de consom­ma­tion – le bio et le vélo notam­ment – contri­buant à la gen­tri­fi­ca­tion “éco­lo­gique” des ter­ri­toires urbains qu’ils occupent. Dès lors, sans le vou­loir mais en fai­sant preuve d’une cer­taine naï­ve­té, ils entre­tiennent les leit­mo­tivs de la moder­ni­té urbaine, ceux des 3T (pour tech­no­lo­gie, talent et tolé­rance) et des 3C (pour com­pé­ti­tion, connexion et capi­tal humain), for­mules chocs chères au mar­ke­ting inter­na­tio­nal des métro­poles-mondes. Ils par­ti­cipent éga­le­ment très concrè­te­ment par leurs actions à “redy­na­mi­ser” des quar­tiers, pour le plus grand bon­heur des auto­ri­tés locales dont ils servent gra­tui­te­ment les inté­rêts. En effet, ils ne comptent par exemple pas leurs heures pour réoc­cu­per col­lec­ti­ve­ment et tem­po­rai­re­ment des friches délais­sées et autres bâti­ments désaf­fec­tés, afin d’offrir aux gens dans le besoin les biens et ser­vices évo­qués plus haut, ces fameux tiers-lieux avec leur “urba­nisme tran­si­toire” comme on en trouve à Bor­deaux, Lille, Lyon, Mar­seille ou encore Paris. Or, de telles ini­tia­tives “citoyennes” s’inscrivent fort sou­vent dans de très offi­ciels pro­jets d’aménagement qui ont pour but affi­ché, en leur octroyant des baux tem­po­raires, de réha­bi­li­ter ces espaces aban­don­nés en lieux “vivants” sus­cep­tibles d’attirer dans le quar­tier les popu­la­tions cibles pour les futurs loge­ments qui y seront construits. On com­prend alors mieux pour­quoi les poli­tiques métro­po­li­taines sou­tiennent ardem­ment ces tiers-lieux, véri­tables pro­duits d’appel dans les pla­quettes com­mu­ni­ca­tion­nelles, en van­tant au pas­sage les mérites d’une “citoyen­ne­té active”… réser­vée à une classe sociale bien précise. » 

Il ajoute plus loin : 

« Pour la petite his­toire, cer­tains squats urbains figurent même dans les pla­quettes pro­mo­tion­nelles des métro­poles. La contre-culture urbaine a été lar­ge­ment ins­tru­men­ta­li­sée et ingérée. » 

Guillaume Fabu­rel cri­tique assez dure­ment – et à juste titre – une cer­taine éco­lo­gie de la gauche ramol­lie, enchaî­née au confort moderne avi­lis­sant, qui fan­tasme encore une déli­vrance de la sub­sis­tance quo­ti­dienne par la machine. Il sou­ligne éga­le­ment « l’impossibilité de résis­ter dans la métropole ». 

« La grande ville est encore consi­dé­rée comme un champ sym­bo­lique d’interpellation, jamais comme un lieu à com­battre en lui-même pour sa tota­li­té des­truc­trice. C’est comme si demeu­rait un impen­sable, trop pro­fon­dé­ment inté­rio­ri­sé en nous par l’idéologie domi­nante. Et ce point aveugle se retrouve dans toutes les tri­bunes mili­tantes et autres mani­festes éco­lo­gistes de ces temps confi­nés puis déconfinés. 

Voi­ci l’exemple, par­mi tant d’autres, d’un texte de l’écologie poli­tique lar­ge­ment média­ti­sé et inti­tu­lé “Il est temps de ne pas reprendre”. Voi­ci ce qui y est pré­co­ni­sé : “Dix ans sans voyages à Bali ni croi­sières de luxe. Dix ans pour apprendre à pré­fé­rer une tomate du jar­din voi­sin à une entre­côte d’Argentine, une soi­rée jeu avec des amis à un week-end à New York, un pas­sage chez le cor­don­nier du coin à une livrai­son de bas­kets neuves par un livreur ubé­ri­sé d’Amazon, ou les chants des oiseaux à une nuée de drones.” Mais qu’est-ce qui rend pos­sible de se rendre à Bali ? Les hubs aéro­por­tuaires des villes-mondes et de leurs métro­poles. Où entend-on les oiseaux ? Ailleurs que dans les grandes villes. Où fait-on pous­ser les tomates du jar­din ? Atten­tion, il y a un piège. Dans un jar­din ! Et où sont-ils ? Pas dans les grandes villes… Si vous sou­hai­tez conti­nuer ce jeu du “qui cherche trouve”, n’hésitez pas. Mais c’est sans fin…» 

Guillaume Fabu­rel donne plu­sieurs pistes pour pro­cé­der à l’ablation du can­cer. En voi­ci quelques-unes. 

Fuir les grandes villes

Comme vu plus haut, l’exode urbain a déjà com­men­cé. Guillaume Fabu­rel pré­cise néan­moins qu’il y a un risque de « conta­mi­na­tion métro­po­li­taine de la terre », c’est-à-dire de repro­duc­tion à la cam­pagne du mode de vie hors-sol urbain per­mise entre autres par Inter­net, le réseau mobile, les auto­routes et le TGV. Dans L’animal et la mort (2021), l’anthropologue Charles Sté­pa­noff décrit par exemple com­ment des néo-ruraux en leg­ging mul­ti­co­lores, adeptes de la cause ani­male, du mode de vie connec­té et for­ma­tés par une culture urbaine mon­dia­li­sée, emmerdent les classes popu­laires rurales et autres pay­sans qui chassent sur leurs terres depuis des temps immé­mo­riaux, une pra­tique tra­di­tion­nelle qui accorde une place cen­trale à l’autonomie, au par­tage et à l’entraide.

Pour Guillaume Fabu­rel, le retour à la cam­pagne doit s’inscrire dans une démarche d’autonomisation sur le plan poli­tique, maté­riel, éner­gé­tique, ali­men­taire. Pour atteindre cet objec­tif, déco­lo­ni­ser notre ima­gi­naire est une pre­mière étape essen­tielle pour entre­voir l’extraordinaire diver­si­té des pos­si­bi­li­tés en dehors des geôles urbaines. 

« Il n’y a bien évi­dem­ment pas de recette magique ou de kit clef en main pour se débran­cher. Pour autant, rien d’impossible, d’impossible, dès lors qu’on a admis à quel point notre dépen­dance au mode de vie urbain était inté­rio­ri­sée, et qu’on est prêt·e à assu­mer toutes les consé­quences qu’une rup­ture totale avec lui impli­que­rait. Et même s’il n’y a pas de véri­table recette, on peut entre­voir quelques-uns de ce que pour­raient être ses ingré­dients : une réflexi­vi­té par­ta­gée en com­mu­nau­té, hon­nête, sans faux-sem­blants ni faces voi­lées, une démarche consciente et minu­tieuse pour désen­cras­ser le sys­tème de récom­pense de nos cer­veaux et se dépar­tir des mau­vais réflexes incul­qués par nos vies capi­ta­listes. Com­prendre et reje­ter le grand récit urbain du “pro­grès”, de la dépen­dance tech­nique, éco­no­mique et urba­nis­tique au détri­ment de l’interdépendance éco­lo­gique, et de l’illimitation au détri­ment de la Terre, notre demeure, que seul un s sépare de la démesure. Mais pas n’importe lequel : celui de notre survie. 

Pour décons­truire ce qui fait de ce grand récit une force agis­sante en nous, il faut en réin­ter­ro­ger très direc­te­ment tout ce qui nous conduit à obéir doci­le­ment, à nous plier doc­te­ment, à renon­cer faci­le­ment, c’est-à-dire toutes les média­tions féti­chi­sées du capi­tal dont nous sommes, tou·tes, les véhi­cules dans nos vies quo­ti­diennes : la mar­chan­dise et le tra­vail, l’État et le patriar­cat, l’éducation et les ins­ti­tu­tions… Et, bien sûr, admettre qu’elles ont l’urbanisation comme ter­reau pre­mier de réa­li­sa­tion. S’interroger sur les fic­tions et les pro­phé­ties démiur­giques, basées sur la foi en l’innovation tech­nique et le pro­grès scien­ti­fique grâce aux­quels nous réus­si­rions à nous dépê­trer du désastre éco­lo­gique. Dou­ter des croyances éthé­rées en la ratio­na­li­té et en la capa­ci­té d’“autorégulation” du mar­ché, en la com­pé­tence et en la bonne volon­té des pou­voirs ins­ti­tués pour évi­ter la catas­trophe. Remettre en cause la spec­ta­cu­la­ri­sa­tion nar­cis­sique de nos exis­tences par le tru­che­ment d’applications conçues, tes­tées et bre­ve­tées par la recherche-déve­lop­pe­ment urbaine, enri­chis­sant des mil­liar­daires fan­tas­mant un ave­nir inté­gra­le­ment cyber­né­tique. Décons­truire et se déprendre métho­di­que­ment de tous les dis­po­si­tifs bio­po­li­tiques – qu’ils soient tech­niques, éco­no­miques ou urba­nis­tiques – qui façonnent l’entièreté de nos vies doré­na­vant métro­po­li­sées. Sor­tir de l’autoroute néo­li­bé­rale et ain­si se détour­ner radi­ca­le­ment du mur éco­lo­gique vers lequel sur­den­si­té urbaine et arti­fi­cia­li­sa­tion totale de la terre nous conduisent. En un mot : sor­tir de l’enrégimentement pour pou­voir mettre en pra­tique notre réen­sau­va­ge­ment. Et pour ce faire, en toute conscience, partir ! » 

Combattre

Si Guillaume Fabu­rel men­tionne des mou­ve­ments radi­caux (ou en voie de radi­ca­li­sa­tion) tels que les ZAD, les gilets jaunes, Extinc­tion Rebel­lion ou encore Deep Green Resis­tance, il n’insiste selon moi pas assez sur la néces­si­té abso­lue de com­battre pour éli­mi­ner notre enne­mi – la civi­li­sa­tion indus­trielle. Parce que les mil­liar­daires, tout comme les élites intel­lec­tuelles, poli­tiques, tech­no­cra­tiques et média­tiques, n’abandonneront jamais leurs pri­vi­lèges sans sor­tir l’artillerie lourde. Un jour ou l’autre il nous fau­dra affron­ter le pou­voir, non pas pour la beau­té du geste comme c’est sou­vent le cas dans le milieu mili­tant, mais cette fois pour vaincre. À cet effet, il ne faut pas seule­ment fuir la ville ou déco­lo­ni­ser notre ima­gi­naire de la reli­gion du Pro­grès, nous avons aus­si le besoin impé­rieux de construire une culture de résis­tance ; nous avons besoin de redon­ner ses lettres de noblesse au cou­rage ; nous avons besoin de valo­ri­ser l’ambition, le prag­ma­tisme et l’efficacité dans la lutte ; nous avons besoin de sources d’inspiration, de héros et de modèles – femmes et hommes ; nous avons besoin de pro­mou­voir des idées et des valeurs qui nous ras­semblent autour d’un objec­tif com­mun. Ces ingré­dients pour­tant cru­ciaux pour une recette vic­to­rieuse ont été sys­té­ma­ti­que­ment vili­pen­dés par la gauche pro­gres­siste qui les asso­cie de façon sim­pliste à la conquête, à la domi­na­tion et à l’oppression. Ce juge­ment dénote une incom­pré­hen­sion voire une igno­rance presque totale de la nature et de la dyna­mique du conflit. Que ce soit pour se défendre face à une agres­sion d’un enva­his­seur ou conqué­rir une terre et ses habi­tants, des res­sorts psy­cho­lo­giques simi­laires entrent en jeu. Et sur le plan orga­ni­sa­tion­nel, cer­taines struc­tures et cer­taines atti­tudes sapent le pou­voir d’un mou­ve­ment, d’autres le ren­forcent en limi­tant l’effet de fric­tion. De Sun Tzu à Clau­se­witz, les grands trai­tés de stra­té­gie concentrent plus de 2 000 ans d’expérience humaine dans l’art du com­bat mili­taire et poli­tique. À l’heure où la civi­li­sa­tion exter­mine les espèces à un rythme effa­rant, il serait peut-être temps de mettre ses pré­ju­gés et son arro­gance de côté pour étu­dier sérieu­se­ment ces auteurs et mettre en appli­ca­tion leurs pré­ceptes. Cela évi­te­rait l’adoption sys­té­ma­tique de consi­dé­ra­tions morales tra­duites sous forme de règles absurdes qui viennent inter­fé­rer avec l’efficacité d’un mou­ve­ment, une habi­tude symp­to­ma­tique de la confu­sion totale qui règne dans l’univers mili­tant. Pour le dire sim­ple­ment, on peut tout à fait se battre pour une socié­té plus éga­li­taire et démo­cra­tique au sein d’un mou­ve­ment hié­rar­chique (donc inéga­li­taire) et non démo­cra­tique (avec une chaîne de com­man­de­ment). Il n’y a aucune contra­dic­tion là-dedans, comme en attestent les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires his­to­riques cou­ron­nés de suc­cès, de l’indépendance irlan­daise au ren­ver­se­ment du régime tsa­riste en Rus­sie, en pas­sant par la révo­lu­tion com­mu­niste chi­noise, sans oublier la résis­tance vic­to­rieuse aux colons fran­çais et amé­ri­cains en Indo­chine puis au Viet­nam. On lit par­fois qu’un mou­ve­ment doit dès le départ incar­ner un modèle réduit de l’idéal de socié­té visé pour évi­ter les dérives tota­li­taires obser­vées au XXe siècle. Mais s’il y a eu dérive, c’est que les révo­lu­tion­naires ne s’étaient pas fixé le bon objec­tif : sup­pri­mer les moyens qui rendent pos­sible la réa­li­sa­tion du tota­li­ta­risme, c’est-à-dire déman­te­ler en tota­li­té le sys­tème tech­no­lo­gique issu de la pre­mière révo­lu­tion industrielle. 

Pour finir sur ce point et ten­ter d’expliquer cette extra­or­di­naire capa­ci­té à gauche pour col­lec­tion­ner les échecs, citons le mathé­ma­ti­cien Theo­dore Kac­zynk­si. Dans La Socié­té Indus­trielle et son ave­nir (1995), il apporte un autre éclai­rage inté­res­sant qui méri­te­rait d’être déve­lop­pé. Dans la sec­tion inti­tu­lée « la psy­cho­lo­gie du gau­chisme moderne », il affirme que « le gau­chiste est anta­go­niste au concept de com­pé­ti­tion car, au fond de lui, il a l’impression d’être un raté. » Or il n’existe pro­ba­ble­ment pas de milieu plus mar­qué par la com­pé­ti­tion que l’arène poli­tique. Com­ment vou­lez-vous rem­por­ter une bataille dans la jungle poli­tique en niant cette réalité ? 

Organiser des états généraux autonomes

L’objectif serait, « en dehors des cadres poli­tiques de l’État », d’organiser la socié­té éco­lo­gique post-urbaine à tra­vers un « pro­gramme de relo­ca­li­sa­tion rési­den­tielle ain­si que des acti­vi­tés de pro­duc­tion et de ser­vices, et ce à l’échelle nationale. » 

Guillaume Fabu­rel poursuit : 

« Ce pro­gramme per­met­trait de pla­ni­fier l’organisation du pro­ces­sus de trans­for­ma­tion afin notam­ment de pal­lier les besoins pre­miers et non pri­maires de la popu­la­tion dans son ensemble jusqu’à ce que l’objectif d’autonomie soit atteint dans tous les ter­ri­toires, que ce soit en termes de maraî­chage dans les villes de taille moyenne, de soin dans des bourgs recu­lés ou de pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable dans des com­mu­nau­tés villageoises. » 

On voit assez mal com­ment mettre en œuvre un tel pro­gramme sur l’ensemble du ter­ri­toire natio­nal sans pas­ser par les ins­ti­tu­tions éta­tiques. Par ailleurs, il paraît hau­te­ment illu­soire d’espérer pla­ni­fier et contrô­ler une trans­for­ma­tion aus­si radi­cale de la socié­té. Il serait vrai­ment temps d’admettre une bonne fois pour toutes que sor­tir rapi­de­ment de l’ornière urbaine et indus­trielle pro­dui­ra un haut degré d’instabilité et d’incertitudes dans nos exis­tences indi­vi­duelles. Mais est-ce vrai­ment impor­tant au vu des enjeux ? 

Stopper le BTP, désartificialiser et habiter sans bétonner

« Serait-ce trop deman­der de ces­ser de bâtir des routes et d’élargir les auto­routes urbaines et inter­ur­baines, d’arrêter de construire des lignes et des gares TGV, de stop­per la béton­ni­sa­tion des berges et des cours d’eau ?… »

D’après Guillaume Fabu­rel, « l’urgence com­mande en fait un arrêt immé­diat de toute nou­velle construc­tion, quelles qu’elles soient », et « une sanc­tua­ri­sa­tion des espaces ». Il faut aus­si mettre fin à « l’hypocrisie que consti­tue la très offi­cielle “com­pen­sa­tion éco­lo­gique” » auto­ri­sant la pour­suite infi­nie de la béton­ni­sa­tion, et stop­per « les ges­ti­cu­la­tions sté­riles, comme le nou­veau pré­cepte du “zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette” ». Il parle éga­le­ment de rem­pla­cer la « sacro-sainte pro­prié­té pri­vée » par la « pro­prié­té com­mune des biens de la terre », de « réqui­si­tion­ner les loge­ments, bureaux et com­merces vacants », ain­si que de sou­te­nir « l’agroécologie et les tech­niques douces ». 

Biorégion, autogestion et confédéralisme communaliste

Le pro­gramme pro­po­sé par Guillaume Fabu­rel ne pour­ra être réa­li­sé « qu’en nous arra­chant des cadres poli­tiques ins­ti­tués et de leur concep­tion hau­taine et infan­ti­li­sante du pou­voir. » Un « bou­le­ver­se­ment démo­cra­tique » est néces­saire. Il raille « la gauche dite éco­lo­giste », par exemple l’enthousiasme déclen­ché par la « vague verte » aux élec­tions municipales. 

« Certes, pour les mordu·es de règle­ments et d’autorités admi­nis­tra­tives, de fonc­tion­ne­ment tech­no­cra­tique et hié­rar­chique, il existe bien la conquête muni­ci­pale. Libre à elles et eux de faire allé­geance aux déci­sions d’État et à leurs man­dants pré­fec­to­raux, tout comme d’aller obte­nir quelques miettes auprès des béton­neurs et de leurs impre­sa­rios – les pro­mo­teurs. Les muni­ci­pa­li­tés demeurent, en France, les che­vaux de Troie des ins­ti­tu­tions d’État, sous per­fu­sion des dota­tions et sous dik­tat de la crois­sance amé­na­giste, sans aucune auto­no­mie pour défendre et mettre en œuvre une rup­ture radi­cale avec le dogme de l’attractivité et de l’expansion, de la den­si­té et de son pro­duc­ti­visme. Bref, il est tota­le­ment illu­soire d’espérer quoi que ce soit en pas­sant par cette voie “démo­cra­tique” ».

La « confé­dé­ra­tion démo­cra­tique de muni­ci­pa­li­tés liber­taires » pro­po­sée par Guillaume Fabu­rel aurait pour objec­tif de « s’émanciper de l’État-nation par l’autogouvernement des popu­la­tions locales dans le cadre d’assemblées popu­laires et de com­munes, puis de conseils fédé­raux col­lé­gia­le­ment déci­sion­naires dans les domaines tels que la san­té ou l’éducation, le droit col­lec­tif des sols et les biens com­mu­naux, avec les­quels il plus qu’impérieux de renouer. » 

Pour réen­ra­ci­ner le pri­mate humain, Guillaume Fabu­rel évoque le concept de biorégion : 

« Les péri­mètres d’agencement per­ti­nents, les soli­da­ri­tés inter­lo­cales, seraient alors les bio­ré­gions : des ter­ri­toires carac­té­ri­sés par leur nature géo­gra­phique et leurs milieux éco­lo­giques (val­lées, plaines, sys­tèmes fores­tiers, zones humides, etc.) et pro­dui­sant, à l’échelle des com­mu­nau­tés humaines et des formes de vie ani­males et végé­tales qui les habitent, leurs propres res­sources ali­men­taires et éner­gé­tiques de proxi­mi­té, met­tant ain­si en pra­tique une éco­lo­gie sociale par l’autonomie. »

« Déscolarisation totale »

Là encore, Guillaume Fabu­rel des­sine une voie radi­cale et sti­mu­lante pour l’imaginaire et conclut son mani­feste par une injonc­tion : « Aux champs citadin·es ! »

« [P]uisque l’éducation est [le che­min cog­ni­tif et cultu­rel] emprun­té de longue date par les gou­ver­ne­ments pour nous arra­cher de toute nature en pré­ten­dant nous éman­ci­per, la sep­tième et der­nière pro­po­si­tion consis­te­rait pré­ci­sé­ment à refon­der une édu­ca­tion digne de ce nom, c’est-à-dire véri­ta­ble­ment démo­cra­tique et ayant pour optique, sinon la désco­la­ri­sa­tion totale, tout du moins la mise en pra­tique d’une culture éco­lo­gique en nous res­ti­tuant nos puis­sances d’agir.

Pour décons­truire deux des grandes média­tions féti­chi­sées du capi­tal, le tra­vail sala­rial et le mar­ché qui ont l’urbanisation de la terre comme néces­si­té pre­mière, la seule solu­tion viable serait de refer­mer les manuels sco­laires qui, mal­gré quelques très rares ten­ta­tives d’amélioration, croient encore éblouir le monde de la lumière colo­niale des pen­sées occi­den­tales et n’ont pour idéal que la spé­cia­li­sa­tion, qui fonc­tionne en liqui­dant l’esprit cri­tique et les savoirs manuels au pro­fit des nou­velles tech­no­lo­gies et des entre­prises du futur. Com­ment pro­té­ger les res­sources éco­lo­giques des ter­ri­toires pour pou­voir com­men­cer à déve­lop­per véri­ta­ble­ment les acti­vi­tés locales du soin du vivant, si ce n’est en inté­grant les savoirs pay­sans et arti­sa­naux dans le socle com­mun des édu­ca­tions ain­si réel­le­ment popu­laires ? (Et, pre­nons-nous à rêver, dans le socle de connais­sances de la tota­li­té des éta­blis­se­ments sco­laires ?) Cette édu­ca­tion à l’empay­san­ne­ment aurait pour fina­li­té non pas une “pro­fes­sion­na­li­sa­tion” se rédui­sant à “satis­faire les besoins du mar­ché du tra­vail”, autre­ment dit pro­duire des bataillons de main‑d’œuvre aux abois, suf­fi­sam­ment dociles et alié­nés pour accep­ter de se faire exploi­ter de manière com­pé­ti­tive, mais la construc­tion anti-oppres­sive par des péda­go­gies alter­na­tives d’individus auto­nomes, res­pon­sables d’eux-mêmes et des autres, et aptes à faire vivre éco­lo­gi­que­ment et démo­cra­ti­que­ment ces orga­ni­sa­tions sociales, refo­res­tées et ensau­va­gées, décrois­santes et autogérées. » 

Phi­lippe Oberlé


  1. « Dif­fé­rence entre le nombre de nais­sances vivantes et le nombre de décès. »

  2. https://decarbonizeurope.org/

  3. https://www.partage-le.com/2021/11/25/evolution-contre-civilisation-diversite-contre-uniformite-philippe-oberle/

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