Julien Vidal, couillon ultime de l’écologisme médiatique (par Nicolas Casaux)

Julien Vidal, couillon ultime de l’écologisme médiatique (par Nicolas Casaux)

Dans le domaine de l’écologie, ou, plu­tôt, de ce qui se réclame de l’écologie, j’ai déjà lu des livres nuls. J’en ai même lu beau­coup. J’ai lu Cyril Dion, Isa­belle Delan­noy, Jean-Marc Jan­co­vi­ci, Julien Wos­nit­za, etc. C’est dire. Mais je n’avais jamais rien lu d’aussi pitoyable, d’aussi conster­nant que Julien Vidal — qui en est pour­tant à son qua­trième gri­bouillage, à sa qua­trième injure faite aux arbres, à l’intelligence, à la vie.

En effet, son der­nier « livre » [sic], inti­tu­lé 2030 glo­rieuses, publié chez Actes Sud (la mai­son d’édition de Fran­çoise Nys­sen, ex-ministre de la culture de Macron) dans une col­lec­tion diri­gée par Cyril Dion, fait suite à Ça com­mence par moi (Seuil, 2018), Ça va chan­ger avec vous ! Il est temps d’être éco­los et fiers de l’être (First Edi­tions, 2019), et Redon­ner du pou­voir à son argent (Actes Sud, 2020).

Ça com­mence par moi, c’est un ensemble d’« actions pour une éco-citoyen­ne­té ambi­tieuse », c’est aus­si « la pre­mière com­mu­nau­té d’ac­teurs éco-citoyens de France ». Le mani­feste du pro­jet — qui pos­sède son propre site web —, une longue enfi­lade indi­geste de niai­se­ries en tous genres, nous encou­rage à « expé­ri­men­ter et construire dès aujourd’hui un monde durable, soli­daire et heu­reux », car

« le modèle actuel se nour­rit de nos non-dits, de nos com­pro­mis mous, de notre pas­si­vi­té, de nos incohérences…il n’est pour­tant jamais trop tard pour s’y mettre et tout le monde peut lan­cer son par­cours de la manière qu’il le sou­haite car nous sommes prêts à être ambi­tieux, ras­sem­bleurs et bien­veillants, car si l’exemplarité est fon­da­men­tale, l’expérimentation dans notre chair de cet idéal est pri­mor­diale. Comme un for­ge­ron qui donne des mil­liers de coups de mar­teau pour confec­tion­ner un outil en métal, comme un peintre donne des mil­liers de coups de pin­ceaux pour fina­li­ser son tableau, le citoyen doit constam­ment oeu­vrer à ce monde idéal en mou­ve­ment qui nous échap­pe­ra en per­ma­nence mais dont on doit se rap­pro­cher au maxi­mum, la tête haute pour gar­der sans cesse en ligne de mire un objec­tif loin­tain, comme un cou­reur qui regarde l’horizon et qui s’y dirige fou­lée après fou­lée. C’est une véri­table mar­teau-thé­ra­pie du changement. »

Pro­met­teur, n’est-ce pas. Et donc, par­mi les « 408 actions pour une éco⁠-⁠citoyenneté ambi­tieuse » que liste le site, on retrouve des choses comme :

« Je vais ren­con­trer des incon­nus au Social Bar »

« J’opte pour une crème solaire écologique »

« Je passe au savon de Mar­seille traditionnel »

« Je limite la qua­li­té du strea­ming vidéo »

Etc. Heu­reu­se­ment, Julien Vidal s’est aus­si pro­po­sé de clas­ser ces « actions » notam­ment afin de faire res­sor­tir « les plus impac­tantes ». Et quelle est donc la plus « impac­tante » ?, mou­rez-vous d’envie de savoir. Eh bien :

« Je rejoins un incu­ba­teur de l’ESS »

Sui­vie de près par « je pré­fère le train à l’avion », « je m’inscris sur les listes élec­to­rales », « j’ouvre un gîte zéro déchet », « j’adopte l’éco-conduite », etc.

Vous l’aurez com­pris, Julien Vidal et sa com­mu­nau­té se sont sym­pa­thi­que­ment dévoués pour nous four­nir une liste presque exhaus­tive de toutes les choses qui ne servent essen­tiel­le­ment à rien, qui n’ont à peu près aucune chance de nous aider à mettre un terme au désastre socio-éco­lo­gique en cours. À dire vrai, dif­fi­cile de ne pas avoir l’impression qu’il s’agit d’une sorte de vaste paro­die, d’une blague sophis­ti­quée. Mais non, pas du tout. Julien Vidal est très sérieux. Dans son der­nier livre, 2030 glo­rieuses, paru, donc, chez Actes Sud, il res­sasse encore une fois, à peu de choses près, les mêmes imbé­ci­li­tés qui noir­cissent les pages de ses pré­cé­dents ouvrages. Il y fait par exemple la pro­mo­tion de métiers d’avenir, du genre de ceux que l’on retrou­ve­ra dans le Royaume éco-bio-tech­no-indus­trielle durable que les aveugles en son genre aper­çoivent à l’horizon 2030, comme « fon­da­trice d’un vil­lage de Tiny Houses », « cofon­da­trice d’une entre­prise de soins natu­rels et enga­gés », « ban­quière iti­né­rante », « éco-mana­ger sur les tour­nages audio­vi­suels », etc., j’en passe et des plus bios.

Aus­si, saviez-tu que grâce au libé­ra­lisme, « une grande par­tie de l’humanité a vu l’amélioration de ses besoins vitaux au cours des der­nières décen­nies » ? N’ont-ils aucun relec­teur chez Actes Sud ?! Peut-être n’ont-ils pas jugé utile de faire relire un tel détri­tus (extrê­me­ment mal écrit — Julien Vidal écrit comme il pense, uti­lise des mots dont il ne connait mani­fes­te­ment pas la défi­ni­tion, etc.). On les com­prend, le public auquel il est des­ti­né est sans doute à l’image de son auteur. Quoi qu’il en soit, l’« amé­lio­ra­tion de ses besoins vitaux », ça ne veut rien dire. Selon toute logique, on ne peut « amé­lio­rer » des « besoins vitaux ». Cela dit, le déco­dage de cette asser­tion ratée n’est pas com­pli­qué. & elle s’avère hau­te­ment dis­cu­table, sinon fausse. Mais com­pa­rée au reste du livre, c’est une véri­té lumineuse.

Cou­ra­geu­se­ment, Julien Vidal s’en prend tout de même au capi­ta­lisme. En tout cas dans un inter­titre : « Le capi­ta­lisme ne pour­ra pas se mettre au ser­vice du vivant. » Car, bien enten­du, quelques lignes plus bas, c’est « un mode de vie néo­li­bé­ral » qui se trouve poin­té du doigt. Exit le capi­ta­lisme, qui n’est d’ailleurs jamais défi­ni dans son pathé­tique cafouillage de plus de 200 pages. Éga­le­ment, si vous ne le sachiez-tu, Julien Vidal t’explique : le « mode de vie néo­li­bé­ral » a appa­rem­ment pour effet de « libé­rer » la « pro­pen­sion de l’être humain à la cupi­di­té et au consu­mé­risme, son goût de conqué­rir, d’asservir, de pos­sé­der ». Il « libère » même « son droit de piller les res­sources natu­relles et les espèces vivantes ». Bon sang, mais c’est bien sûr.

Et si cet empaf­fé fus­tige ici et là « le capi­ta­lisme » ou « la crois­sance », il fait aus­si l’éloge des « objec­tifs de déve­lop­pe­ment durable (17 objec­tifs qui nous donnent la marche à suivre pour par­ve­nir à un ave­nir meilleur et plus durable pour tous d’ici à 2030) » de l’ONU. Peu lui importe — ou peut-être, plus pro­ba­ble­ment, ignore-t-il — que ces objec­tifs sont de purs pro­duits du capi­ta­lisme, éta­blis par et pour le capi­ta­lisme. Le tout pre­mier de ces objec­tifs vise d’ailleurs à pro­mou­voir… « la crois­sance éco­no­mique », de même que le hui­tième (« une crois­sance éco­no­mique sou­te­nue ») et que tous les autres en réa­li­té. Quoi d’étonnant, l’ONU est un des quelques orga­nismes supra-éta­tiques qui cha­peautent — et sont pro­duits par — le capi­ta­lisme mondialisé.

Bien enten­du, Julien Vidal égrène aus­si l’habituelle lita­nie des jolies his­toires que les éco­lo­gistes du dimanche en quête de ras­su­rances aiment col­por­ter. Saches-tu qu’au Bhou­tan, ils ont déve­lop­pé un for­mi­dable indice appe­lé « Bon­heur natio­nal brut » ? Épas­trouillant, n’est-ce pas ?! Le Bhou­tan serait même « le seul pays au monde à avoir un bilan car­bone néga­tif » ! Génial, non ?! Non. Imbé­cile. D’abord parce que le « bilan car­bone » est une mys­ti­fi­ca­tion comp­table, ensuite parce que les choses les plus impor­tantes sont la pré­ser­va­tion de l’environnement — la nature — et la liber­té. Or, au Bhou­tan, pays en plein déve­lop­pe­ment indus­triel, la nature souffre de plus en plus, comme par­tout ailleurs. L’électricité y pro­vient essen­tiel­le­ment d’immenses bar­rages hydro­élec­triques, prin­ci­pa­le­ment finan­cés par l’Inde, qui noient des val­lées, détruisent fleuves et rivières et émettent beau­coup de gaz à effet de serre. Des bar­rages qu’il faut bien construire, avec des machines, etc. Déve­lop­pe­ment oblige, au Bhou­tan, le nombre de voi­tures sur les routes ne cesse d’augmenter, ain­si que la consom­ma­tion éner­gé­tique dans son ensemble, qui conti­nue de pro­ve­nir à 70% de com­bus­tibles fos­siles et de bio­masse. Mais heu­reu­se­ment, le gou­ver­ne­ment bhou­ta­nais entend aug­men­ter et diver­si­fier sa pro­duc­tion d’énergie dite verte, propre ou renou­ve­lable (en misant sur le solaire et l’éolien, notam­ment). Rien de vert ici, rien de bon pour la pla­nète, au contraire. La même civi­li­sa­tion indus­trielle en déve­lop­pe­ment que par­tout ailleurs. & sur le plan de la liber­té, on rap­pel­le­ra que le Bhou­tan est tou­jours une royau­té (soit une orga­ni­sa­tion sociale encore plus éloi­gnée de la démo­cra­tie que nous ne le sommes, c’est dire), et qu’un son­dage en date de 2010, effec­tué par son gou­ver­ne­ment, rap­porte que 68% des femmes du pays consi­dèrent qu’il est nor­mal que leurs maris les battent. Bien­ve­nue au pays du Bon­heur natio­nal bru­tal (pour les femmes).

Bien enten­du, Julien Vidal pré­sente les éner­gies dites vertes, propres ou renou­ve­lables comme des solu­tions pour ver­dir la civi­li­sa­tion indus­trielle — mais tout en rap­pe­lant qu’elles ne sont pas vrai­ment vertes ou propres. Pro­mou­voir des éner­gies pas vertes, pas sou­te­nables, comme une solu­tion pour rendre verte et sou­te­nable la civi­li­sa­tion indus­trielle ? Oui, par­fai­te­ment ! Et pour­quoi pas ?! À par­tir du moment où l’on peut amé­lio­rer ses besoins vitaux, tout devient pos­sible. Et puis… peut-être cela le rend-il heu­reux ! Or, « choi­sir d’être heu­reux, c’est un acte de résis­tance poli­tique » ! La pen­sée posi­tive et ses man­tras, quelle honte (le livre de Julien dégou­line de cet engoue­ment obses­sion­nel et léni­fiant pour le bon­heur, l’optimisme, la joie, le sou­rire, qu’incarne sa col­lègue Cathe­rine Tes­ta, coach en bon­heur pour entre­prises du CAC 40).

Mais repre­nons. Pour nous sor­tir d’affaire, Julien ima­gine aus­si un « vice-Pre­mier ministre du temps long », sorte de « super ministre du futur » qui nous aide­rait à « relo­ca­li­ser notre indus­trie » (des mines en France ! oh oui !), « créer des filières pro­fes­sion­na­li­santes pour déve­lop­per les nou­veaux métiers liés, entre autres, à la sobrié­té éner­gé­tique », déve­lop­per des « pro­jets d’écoquartiers pas­sifs et dépol­luants comme le Hei­del­berg Vil­lage en Alle­magne », « inves­tir mas­si­ve­ment et sans attendre dans les éner­gies renou­ve­lables et faire du ser­vice public et des régies publiques le fleu­ron de la tran­si­tion éner­gé­tique », etc. Pour un monde plus durable et plus bio.

De toute façon, Julien Vidal ne fait que nous rap­por­ter le bon­heur que lui pro­cure la fameuse « révo­lu­tion déjà en cours » qui se mani­feste par­tout (si, si, faites un effort, ouvrez les yeux, voyez !). Quelle joie. Heu­reu­se­ment, cette révo­lu­tion ne consiste pas à « com­plè­te­ment remi­ser la tech­no­lo­gie au pla­card », car « la tech­no­lo­gie, comme n’importe quelle créa­tion de l’être humain, n’est qu’un outil. C’est l’utilisation que nous lui attri­buons qui la dote d’un impact posi­tif ou néga­tif. » Bien enten­du ! En elle-même, la construc­tion d’une bombe nucléaire n’implique rien. Ensuite, il s’agit juste de faire le bon choix : s’en ser­vir comme oreiller plu­tôt que la lar­guer depuis un bom­bar­dier sur une ville japo­naise. Tout est neutre. Le livre de Julien, pour prendre un autre exemple, libre à nous de choi­sir de nous en ser­vir pour le jeter à la tronche d’un éco­char­la­tan dans son genre, le brû­ler pour se réchauf­fer un soir de décembre ou l’enterrer dans une butte pour faire de l’engrais. Vous voyez. Par­fai­te­ment neutre (sa fabri­ca­tion n’a, elle aus­si, rien impli­qué, bien évi­dem­ment). Mais je digresse (sur la non-neu­tra­li­té de la tech­nique, voir le post-scrip­tum de ce texte).

La civi­li­sa­tion indus­trielle bio et cool que Julien Vidal nous pro­met s’appuiera donc mas­si­ve­ment sur l’internet, qui en consti­tue­ra « une trame extra­or­di­naire ». L’électronique y sera « res­pon­sable », la high-tech « durable », avec des fabri­cants « de smart­phones éthiques » comme Fair­phone, etc. Le rêve des nigauds.

Mais bref. Julien Vidal n’est clai­re­ment pas le cou­teau le plus aigui­sé du tiroir « éco­lo », ce qui explique sans doute pour­quoi il ne béné­fi­cie pas de la média­ti­sa­tion d’un Cyril Dion. La confu­sion, la bêtise et l’ignorance dont témoignent ses idées ne sont donc pas exac­te­ment repré­sen­ta­tives de celles de tous ses col­lègues. Néan­moins, elles demeurent assez repré­sen­ta­tives de la stu­pi­di­té, la niai­se­rie men­son­gère, indé­cente, oppor­tu­niste, de la cote­rie des éco­lo­gistes médiatiques.

Cela dit, Julien pos­sède un génie tout par­ti­cu­lier, qu’il serait injuste de nier, pour vendre des inep­ties — mais joyeuses, ras­su­rantes, posi­tives (« un livre rem­pli de posi­ti­visme », s’exclame, enthou­siaste, une jour­na­liste du média tech­no­ca­pi­ta­liste We Demain).

Au-delà de ces quelques consi­dé­ra­tions élo­gieuses, dif­fi­cile d’en dire beau­coup plus sur son per­son­nage tant il est vide de toute sub­stance cohé­rente, de tout conte­nu digne de ce nom. L’État, le capi­ta­lisme, l’industrie, la tech­no­lo­gie, le patriar­cat, Julien Vidal, en éco­lo­giste modèle, par­vient à pas­ser à côté de — à occul­ter — tout ce qui pose réel­le­ment et fon­da­men­ta­le­ment pro­blème aujourd’hui. Une telle per­for­mance lui garan­tit, à n’en pas dou­ter, une belle car­rière d’influenceur écologiste.

Actes Sud, vous devriez avoir honte d’avoir publié une telle merde. Et toutes les autres aussi.

Nico­las Casaux

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Source: Lire l'article complet de Le Partage

À propos de l'auteur Le Partage

« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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