Dans le domaine de l’écologie, ou, plutôt, de ce qui se réclame de l’écologie, j’ai déjà lu des livres nuls. J’en ai même lu beaucoup. J’ai lu Cyril Dion, Isabelle Delannoy, Jean-Marc Jancovici, Julien Wosnitza, etc. C’est dire. Mais je n’avais jamais rien lu d’aussi pitoyable, d’aussi consternant que Julien Vidal — qui en est pourtant à son quatrième gribouillage, à sa quatrième injure faite aux arbres, à l’intelligence, à la vie.
En effet, son dernier « livre » [sic], intitulé 2030 glorieuses, publié chez Actes Sud (la maison d’édition de Françoise Nyssen, ex-ministre de la culture de Macron) dans une collection dirigée par Cyril Dion, fait suite à Ça commence par moi (Seuil, 2018), Ça va changer avec vous ! Il est temps d’être écolos et fiers de l’être (First Editions, 2019), et Redonner du pouvoir à son argent (Actes Sud, 2020).
Ça commence par moi, c’est un ensemble d’« actions pour une éco-citoyenneté ambitieuse », c’est aussi « la première communauté d’acteurs éco-citoyens de France ». Le manifeste du projet — qui possède son propre site web —, une longue enfilade indigeste de niaiseries en tous genres, nous encourage à « expérimenter et construire dès aujourd’hui un monde durable, solidaire et heureux », car
« le modèle actuel se nourrit de nos non-dits, de nos compromis mous, de notre passivité, de nos incohérences…il n’est pourtant jamais trop tard pour s’y mettre et tout le monde peut lancer son parcours de la manière qu’il le souhaite car nous sommes prêts à être ambitieux, rassembleurs et bienveillants, car si l’exemplarité est fondamentale, l’expérimentation dans notre chair de cet idéal est primordiale. Comme un forgeron qui donne des milliers de coups de marteau pour confectionner un outil en métal, comme un peintre donne des milliers de coups de pinceaux pour finaliser son tableau, le citoyen doit constamment oeuvrer à ce monde idéal en mouvement qui nous échappera en permanence mais dont on doit se rapprocher au maximum, la tête haute pour garder sans cesse en ligne de mire un objectif lointain, comme un coureur qui regarde l’horizon et qui s’y dirige foulée après foulée. C’est une véritable marteau-thérapie du changement. »
Prometteur, n’est-ce pas. Et donc, parmi les « 408 actions pour une éco-citoyenneté ambitieuse » que liste le site, on retrouve des choses comme :
« Je vais rencontrer des inconnus au Social Bar »
« J’opte pour une crème solaire écologique »
« Je passe au savon de Marseille traditionnel »
« Je limite la qualité du streaming vidéo »
Etc. Heureusement, Julien Vidal s’est aussi proposé de classer ces « actions » notamment afin de faire ressortir « les plus impactantes ». Et quelle est donc la plus « impactante » ?, mourez-vous d’envie de savoir. Eh bien :
« Je rejoins un incubateur de l’ESS »
Suivie de près par « je préfère le train à l’avion », « je m’inscris sur les listes électorales », « j’ouvre un gîte zéro déchet », « j’adopte l’éco-conduite », etc.
Vous l’aurez compris, Julien Vidal et sa communauté se sont sympathiquement dévoués pour nous fournir une liste presque exhaustive de toutes les choses qui ne servent essentiellement à rien, qui n’ont à peu près aucune chance de nous aider à mettre un terme au désastre socio-écologique en cours. À dire vrai, difficile de ne pas avoir l’impression qu’il s’agit d’une sorte de vaste parodie, d’une blague sophistiquée. Mais non, pas du tout. Julien Vidal est très sérieux. Dans son dernier livre, 2030 glorieuses, paru, donc, chez Actes Sud, il ressasse encore une fois, à peu de choses près, les mêmes imbécilités qui noircissent les pages de ses précédents ouvrages. Il y fait par exemple la promotion de métiers d’avenir, du genre de ceux que l’on retrouvera dans le Royaume éco-bio-techno-industrielle durable que les aveugles en son genre aperçoivent à l’horizon 2030, comme « fondatrice d’un village de Tiny Houses », « cofondatrice d’une entreprise de soins naturels et engagés », « banquière itinérante », « éco-manager sur les tournages audiovisuels », etc., j’en passe et des plus bios.
Aussi, saviez-tu que grâce au libéralisme, « une grande partie de l’humanité a vu l’amélioration de ses besoins vitaux au cours des dernières décennies » ? N’ont-ils aucun relecteur chez Actes Sud ?! Peut-être n’ont-ils pas jugé utile de faire relire un tel détritus (extrêmement mal écrit — Julien Vidal écrit comme il pense, utilise des mots dont il ne connait manifestement pas la définition, etc.). On les comprend, le public auquel il est destiné est sans doute à l’image de son auteur. Quoi qu’il en soit, l’« amélioration de ses besoins vitaux », ça ne veut rien dire. Selon toute logique, on ne peut « améliorer » des « besoins vitaux ». Cela dit, le décodage de cette assertion ratée n’est pas compliqué. & elle s’avère hautement discutable, sinon fausse. Mais comparée au reste du livre, c’est une vérité lumineuse.
Courageusement, Julien Vidal s’en prend tout de même au capitalisme. En tout cas dans un intertitre : « Le capitalisme ne pourra pas se mettre au service du vivant. » Car, bien entendu, quelques lignes plus bas, c’est « un mode de vie néolibéral » qui se trouve pointé du doigt. Exit le capitalisme, qui n’est d’ailleurs jamais défini dans son pathétique cafouillage de plus de 200 pages. Également, si vous ne le sachiez-tu, Julien Vidal t’explique : le « mode de vie néolibéral » a apparemment pour effet de « libérer » la « propension de l’être humain à la cupidité et au consumérisme, son goût de conquérir, d’asservir, de posséder ». Il « libère » même « son droit de piller les ressources naturelles et les espèces vivantes ». Bon sang, mais c’est bien sûr.
Et si cet empaffé fustige ici et là « le capitalisme » ou « la croissance », il fait aussi l’éloge des « objectifs de développement durable (17 objectifs qui nous donnent la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous d’ici à 2030) » de l’ONU. Peu lui importe — ou peut-être, plus probablement, ignore-t-il — que ces objectifs sont de purs produits du capitalisme, établis par et pour le capitalisme. Le tout premier de ces objectifs vise d’ailleurs à promouvoir… « la croissance économique », de même que le huitième (« une croissance économique soutenue ») et que tous les autres en réalité. Quoi d’étonnant, l’ONU est un des quelques organismes supra-étatiques qui chapeautent — et sont produits par — le capitalisme mondialisé.
Bien entendu, Julien Vidal égrène aussi l’habituelle litanie des jolies histoires que les écologistes du dimanche en quête de rassurances aiment colporter. Saches-tu qu’au Bhoutan, ils ont développé un formidable indice appelé « Bonheur national brut » ? Épastrouillant, n’est-ce pas ?! Le Bhoutan serait même « le seul pays au monde à avoir un bilan carbone négatif » ! Génial, non ?! Non. Imbécile. D’abord parce que le « bilan carbone » est une mystification comptable, ensuite parce que les choses les plus importantes sont la préservation de l’environnement — la nature — et la liberté. Or, au Bhoutan, pays en plein développement industriel, la nature souffre de plus en plus, comme partout ailleurs. L’électricité y provient essentiellement d’immenses barrages hydroélectriques, principalement financés par l’Inde, qui noient des vallées, détruisent fleuves et rivières et émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Des barrages qu’il faut bien construire, avec des machines, etc. Développement oblige, au Bhoutan, le nombre de voitures sur les routes ne cesse d’augmenter, ainsi que la consommation énergétique dans son ensemble, qui continue de provenir à 70% de combustibles fossiles et de biomasse. Mais heureusement, le gouvernement bhoutanais entend augmenter et diversifier sa production d’énergie dite verte, propre ou renouvelable (en misant sur le solaire et l’éolien, notamment). Rien de vert ici, rien de bon pour la planète, au contraire. La même civilisation industrielle en développement que partout ailleurs. & sur le plan de la liberté, on rappellera que le Bhoutan est toujours une royauté (soit une organisation sociale encore plus éloignée de la démocratie que nous ne le sommes, c’est dire), et qu’un sondage en date de 2010, effectué par son gouvernement, rapporte que 68% des femmes du pays considèrent qu’il est normal que leurs maris les battent. Bienvenue au pays du Bonheur national brutal (pour les femmes).
Bien entendu, Julien Vidal présente les énergies dites vertes, propres ou renouvelables comme des solutions pour verdir la civilisation industrielle — mais tout en rappelant qu’elles ne sont pas vraiment vertes ou propres. Promouvoir des énergies pas vertes, pas soutenables, comme une solution pour rendre verte et soutenable la civilisation industrielle ? Oui, parfaitement ! Et pourquoi pas ?! À partir du moment où l’on peut améliorer ses besoins vitaux, tout devient possible. Et puis… peut-être cela le rend-il heureux ! Or, « choisir d’être heureux, c’est un acte de résistance politique » ! La pensée positive et ses mantras, quelle honte (le livre de Julien dégouline de cet engouement obsessionnel et lénifiant pour le bonheur, l’optimisme, la joie, le sourire, qu’incarne sa collègue Catherine Testa, coach en bonheur pour entreprises du CAC 40).
Mais reprenons. Pour nous sortir d’affaire, Julien imagine aussi un « vice-Premier ministre du temps long », sorte de « super ministre du futur » qui nous aiderait à « relocaliser notre industrie » (des mines en France ! oh oui !), « créer des filières professionnalisantes pour développer les nouveaux métiers liés, entre autres, à la sobriété énergétique », développer des « projets d’écoquartiers passifs et dépolluants comme le Heidelberg Village en Allemagne », « investir massivement et sans attendre dans les énergies renouvelables et faire du service public et des régies publiques le fleuron de la transition énergétique », etc. Pour un monde plus durable et plus bio.
De toute façon, Julien Vidal ne fait que nous rapporter le bonheur que lui procure la fameuse « révolution déjà en cours » qui se manifeste partout (si, si, faites un effort, ouvrez les yeux, voyez !). Quelle joie. Heureusement, cette révolution ne consiste pas à « complètement remiser la technologie au placard », car « la technologie, comme n’importe quelle création de l’être humain, n’est qu’un outil. C’est l’utilisation que nous lui attribuons qui la dote d’un impact positif ou négatif. » Bien entendu ! En elle-même, la construction d’une bombe nucléaire n’implique rien. Ensuite, il s’agit juste de faire le bon choix : s’en servir comme oreiller plutôt que la larguer depuis un bombardier sur une ville japonaise. Tout est neutre. Le livre de Julien, pour prendre un autre exemple, libre à nous de choisir de nous en servir pour le jeter à la tronche d’un écocharlatan dans son genre, le brûler pour se réchauffer un soir de décembre ou l’enterrer dans une butte pour faire de l’engrais. Vous voyez. Parfaitement neutre (sa fabrication n’a, elle aussi, rien impliqué, bien évidemment). Mais je digresse (sur la non-neutralité de la technique, voir le post-scriptum de ce texte).
La civilisation industrielle bio et cool que Julien Vidal nous promet s’appuiera donc massivement sur l’internet, qui en constituera « une trame extraordinaire ». L’électronique y sera « responsable », la high-tech « durable », avec des fabricants « de smartphones éthiques » comme Fairphone, etc. Le rêve des nigauds.
Mais bref. Julien Vidal n’est clairement pas le couteau le plus aiguisé du tiroir « écolo », ce qui explique sans doute pourquoi il ne bénéficie pas de la médiatisation d’un Cyril Dion. La confusion, la bêtise et l’ignorance dont témoignent ses idées ne sont donc pas exactement représentatives de celles de tous ses collègues. Néanmoins, elles demeurent assez représentatives de la stupidité, la niaiserie mensongère, indécente, opportuniste, de la coterie des écologistes médiatiques.
Cela dit, Julien possède un génie tout particulier, qu’il serait injuste de nier, pour vendre des inepties — mais joyeuses, rassurantes, positives (« un livre rempli de positivisme », s’exclame, enthousiaste, une journaliste du média technocapitaliste We Demain).
Au-delà de ces quelques considérations élogieuses, difficile d’en dire beaucoup plus sur son personnage tant il est vide de toute substance cohérente, de tout contenu digne de ce nom. L’État, le capitalisme, l’industrie, la technologie, le patriarcat, Julien Vidal, en écologiste modèle, parvient à passer à côté de — à occulter — tout ce qui pose réellement et fondamentalement problème aujourd’hui. Une telle performance lui garantit, à n’en pas douter, une belle carrière d’influenceur écologiste.
Actes Sud, vous devriez avoir honte d’avoir publié une telle merde. Et toutes les autres aussi.
Nicolas Casaux
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