Camille Étienne & les égéries nulles du « mouvement climat » (par Nicolas Casaux)

Camille Étienne & les égéries nulles du « mouvement climat » (par Nicolas Casaux)

Pour notre plus agréable diver­tis­se­ment, les médias de masse fabriquent régu­liè­re­ment de nou­velles égé­ries cen­sées repré­sen­ter le mou­ve­ment éco­lo­giste moderne, c’est-à-dire le « mou­ve­ment cli­mat » (ou « pour le cli­mat »), c’est-à-dire le « mou­ve­ment pour que la civi­li­sa­tion indus­trielle soit ren­due sou­te­nable » ou, encore autre­ment dit, le « mou­ve­ment pour un capi­ta­lisme vert et durable[1] ».

« Pla­teaux télé, radios, réseaux sociaux : Camille Etienne uti­lise tous les sup­ports pour dif­fu­ser son mes­sage et faire chan­ger les choses[2] » nous explique un jour­na­liste du quo­ti­dien Le Monde, tan­dis que Yahoo Actua­li­tés nous apprend :

« Elle est deve­nue la porte-voix des jeunes géné­ra­tions enga­gées pour l’environnement. A 23 ans, Camille Etienne a mis ses études à Sciences Po Paris entre paren­thèses et se consacre à l’activisme “pour la jus­tice sociale et cli­ma­tique”[3]. »

Camille Étienne s’est fait connaitre grâce à une vidéo inti­tu­lée « Réveillons-nous », dans laquelle elle enchaîne les affir­ma­tions creuses sur fond de musique lar­moyante, qui connait un grand suc­cès (des mil­lions de vues) sur les réseaux sociaux.

S’en­suivent, nous explique France Inter,

« des invi­ta­tions régu­lières à débattre sur des pla­teaux télé, et même une invi­ta­tion à l’u­ni­ver­si­té d’é­té du Medef pour une table-ronde sur les conflits de géné­ra­tion. “L’en­tre­prise d’aujourd’hui est fati­guée, comme la démo­cra­tie d’au­jourd’­hui, comme la poli­tique d’au­jourd’­hui, et peut-être nous fau­drait-il tra­vailler moins, mais avec un peu plus de sens”, ose-t-elle devant une assem­blée d’en­tre­pre­neurs, sus­ci­tant les rica­ne­ments de l’a­ni­ma­trice et de l’audience.

Elle s’en­tre­tient régu­liè­re­ment avec des per­son­na­li­tés poli­tiques, “en on et en off” et se dit prête à ren­con­trer tous ceux qui la sol­li­citent [c’est aus­si à ça qu’on repère les éco-déma­gogues]. Récem­ment, elle était invi­tée à débattre avec Nico­las Dupont-Aignan, can­di­dat décla­ré à l’é­lec­tion pré­si­den­tielle 2022. “Même si c’est Marine Le Pen, je serai ravie de le faire parce qu’on aurait des dis­cus­sions inté­res­santes. Je viens de faire une table ronde avec les géants de l’éner­gie fos­sile et pour moi, c’est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant”[4]. »

Ben voyons. S’en­tre­te­nir avec Marine Le Pen et les géants de l’in­dus­trie fos­sile. Admi­rable. Aujourd’­hui, Camille Étienne est notam­ment sui­vie par 110 000 per­sonnes sur Ins­ta­gram et 19 000 sur Twitter.

C’est ain­si qu’à « 23 ans, elle ren­contre aujourd’hui, des diri­geants euro­péens, des dépu­tés, des ban­quiers… afin de les aler­ter sur l’urgence cli­ma­tique » (France Inter). Quelle noble tâche. Quelle audace. Quel cou­rage. D’ailleurs, nous dit Yahoo :

« Consciente d’incarner pour cer­tains une frange radi­cale du mou­ve­ment éco­lo­giste, la jeune femme défend cette approche. “C’est un mot qui fait très peur, mais être radi­cal ça veut juste dire aller à la racine du problème”. »

Camille Étienne sait pour­tant, étant don­né que la diver­si­té des ana­lyses éco­lo­giques est dis­cu­tée dans le numé­ro du maga­zine Social­ter qu’elle a ser­vi à pro­mou­voir, que des groupes éco­lo­gistes existent — comme les éco­lo­gistes anti-indus­triels, appa­rem­ment pré­sen­tés dans ledit numé­ro — qui avancent réel­le­ment une ana­lyse radi­cale. Contrai­re­ment à elle, qui se contente, à la Extinc­tion Rebel­lion et tut­ti quan­ti, de péro­rer des pla­ti­tudes naïves, absurdes et/ou confuses selon les­quelles « l’écologie devrait être au cœur de l’action de l’État », puisqu’il s’agirait de « la base de la poli­tique d’assurer un ave­nir et un pré­sent aux citoyens », ou « il faut qu’on pousse les États à être plus ambi­tieux, les déci­deurs à prendre des déci­sions à la hau­teur ». Pour vous don­ner une idée du vide sidé­ral que l’on retrouve sou­vent dans ses pro­pos, voi­ci la conclu­sion du texte qu’elle a écrit pour Social­ter :

« Ce qui me donne de l’espoir, c’est qu’il n’y a pas de date limite pour agir. Il n’est jamais trop tard pour que ce soit pire. Mais il est tou­jours temps pour que ce soit moins injuste.

Nous sommes la pre­mière géné­ra­tion à vivre les consé­quences du dérè­gle­ment cli­ma­tique, et la der­nière à pou­voir y faire quelque chose. Si vous lut­tez déjà, à votre manière et à votre mesure, cela vous arrive peut-être de trou­ver le cos­tume trop grand, le rôle trop ver­ti­gi­neux – c’est mon cas par­fois, et même sou­vent. Et pour­tant nous ne devons pas flan­cher ni flé­chir. Notre res­pon­sa­bi­li­té est grande et nous ne pou­vons pas, nous ne pou­vons plus nous per­mettre d’attendre qu’une élite éclai­rée à la lampe à pétrole prenne des déci­sions pour nous. Nous devons déso­béir, mon­ter sur nos trac­teurs, enfour­cher nos vélos et des­cendre dans la rue, entrer en résis­tance, en créa­tion, mettre les mains dans la terre, mettre la Terre dans nos pro­grammes sco­laires. Et tant encore. Mais la suite s’invente ensemble. Et ensemble, nous sommes une force immense. C’est là qu’est le pou­voir, c’est là qu’est le nôtre : à leur mort, oppo­ser nos vies[5]. »

Tout un pro­gramme. Ailleurs (dans une inter­view accor­dée à LCI), elle affirme : « Et si cha­cun dans cette socié­té tra­vaillait et met­tait tout son temps, toute son éner­gie au ser­vice d’un monde meilleur, ce serait for­mi­dable. Je pense que ça irait beau­coup plus vite[6]. »

À n’en pas douter.

Camille Étienne sur TMC

Au pas­sage, on note­ra que Camille Étienne sort de Sciences Po Paris, évi­dem­ment. Les nou­velles mas­cottes de l’écologie, les médias et les jour­na­leux ne vont pas les cher­cher chez celles et ceux qui ne sont rien. En juin 2021, Le Monde pré­sen­tait une autre jeune femme, Léna Lazare, comme « le nou­veau visage de l’écologie radi­cale[7] ». Confu­sion oblige, à l’instar du du col­lec­tif « Youth For Cli­mate » (« Les jeunes pour le cli­mat »), dont elle est membre fon­da­trice et porte-parole, Léna Lazare dénonce le capi­ta­lisme vert tout en fai­sant sa promotion.

Camille Étienne sur M6

Dans tous les cas, chez Lazare comme chez Étienne, Extinc­tion Rebel­lion, Youth For Cli­mate, etc., on ne retrouve aucune cri­tique de l’État, aucune cri­tique du capi­ta­lisme (sauf en appa­rence, mais pré­tendre cri­ti­quer le capi­ta­lisme tout en pro­mou­vant des emplois verts et autres choses du genre, et sans rien dire de la pro­prié­té pri­vée, du sala­riat, etc., c’est sim­ple­ment « ajou­ter du mal­heur au monde », comme dirait Camus), aucune cri­tique de l’industrie et de la tech­no­lo­gie. Tout au plus un « lais­sez les éner­gies fos­siles dans le sol ». Au final, l’idée — inof­fen­sive — pro­mue est tou­jours la même : une civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle sou­te­nable est pos­sible, avec des États qui font le bien, un sys­tème mar­chand équi­table, des éner­gies renou­ve­lables, une consom­ma­tion rai­son­née, etc. Pour y par­ve­nir, nous devons convaincre — ou impo­ser à — nos diri­geants d’agir, de prendre les mesures qu’il faut. Et pour par­ve­nir à cela, nous devons éveiller les gens à la néces­si­té de l’exiger de leurs dirigeants.

Radi­cal. C’est ain­si que les mots et les expres­sions, détour­nés et détruits par les médias de masse, de concert avec des indi­vi­dus peu scru­pu­leux, perdent leur sens. (D’ailleurs, Camille Étienne, en farouche anti­ca­pi­ta­liste, s’ha­bille chez « 17h10 »[8], une entre­prise qui « pro­pose des tailleurs pour femmes, aux coupes fémi­nines et aux lignes épu­rées. Les matières pre­mières sont éco-res­pon­sables, fine­ment sélec­tion­nées pour leur grande qua­li­té et leur durabilité. »)

La source de leur « acti­visme » n’est pas l’injustice, la dépos­ses­sion, l’aliénation totales qu’implique le règne de l’État et du capi­ta­lisme, l’existence dans la civi­li­sa­tion indus­trielle, pas la domi­na­tion des riches, l’écrasement des pauvres, pas la des­truc­tion inexo­rable de l’écosphère enta­mée il y a plu­sieurs siècles, pas la tyran­nie tech­no­lo­gique, mais l’augmentation de la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère qui menace notre ave­nir à nous, civi­li­sés, qui menace l’avenir de la civi­li­sa­tion. D’où la « géné­ra­tion climat ».

Camille Étienne en train de pro­mou­voir le chef d’œuvre de Julien Vidal inti­tu­lé Ça com­mence par moi, paru en 2018, qui liste des cen­taines de petites actions « pour une éco⁠-⁠citoyenneté ambi­tieuse », par­mi les­quelles on retrouve, dans la caté­go­rie « les plus impac­tantes » : « Je rejoins un incu­ba­teur de l’ESS », « J’ouvre un gîte zéro déchet », « J’adopte l’éco-conduite », « Je choi­sis une banque éthique », « Je passe au gaz vert », « Je découvre les bien­faits de la médi­ta­tion », j’en passe et des plus amusants.

Invi­tée sur le pla­teau de RT par Fré­dé­ric Tad­deï, Camille Étienne s’est d’ailleurs posi­tion­née de manière neutre sur le sujet du nucléaire, à l’instar d’Extinction Rebel­lion France : ni pour, ni contre[9]. Bien au contraire.

Consciem­ment ou non, le sys­tème média­tique et ceux qui tra­vaillent pour lui s’assurent, en asso­ciant l’écologie radi­cale à de telles figures (Camille Étienne, Léna Lazare, Gre­ta Thun­berg), de favo­ri­ser la confu­sion et de nuire au mou­ve­ment éco­lo­giste. On est en effet loin de l’écologie radi­cale dont débat­taient Mur­ray Book­chin et Dave Fore­man il y a plu­sieurs décen­nies (voir le livre Quelle éco­lo­gie radi­cale ? Éco­lo­gie sociale et éco­lo­gie pro­fonde en débat) — quand bien même tous deux défen­daient aus­si des idées dou­teuses (voire sim­ple­ment mal­saines dans le cas de Fore­man). Loin de l’écologie d’Alexandre Gro­then­dieck, Pierre Four­nier, ou Thier­ry Sal­lan­tin, mili­tant de longue date (depuis la fin des années 1960), auteur d’un texte inti­tu­lé « Qu’est-ce que l’écologie radi­cale ? » qui, en quelques lignes, évoque plus de points cru­ciaux que les nou­velles icones du « mou­ve­ment cli­mat » en d’innombrables inter­views, vidéos, dis­cours TED, etc.

(Je vous conseille vive­ment la lec­ture de tous les textes de Thier­ry, par­ti­cu­liè­re­ment riches, par­ti­cu­liè­re­ment juste, infi­ni­ment plus sub­ver­sifs que n’importe quel dis­cours de n’importe quel clone du « mou­ve­ment cli­mat », notam­ment « De la colo­ni­sa­tion au “déve­lop­pe­ment” : un seul et même pro­jet », « Ni anthro­po­cène, ni capi­ta­lo­cène : le pro­blème, c’est le méga­lo­cène », « La lutte des peuples contre le tota­li­ta­risme de l’État : 6000 ans d’histoire » & « Le déve­lop­pe­ment (même durable) c’est le pro­blème, pas la solu­tion ! »).

(Le plus ridi­cule, dans tout ça, c’est peut-être la fier­té des membres de la « géné­ra­tion cli­mat » lorsque l’un ou l’une des leurs a droit à un espace pro­mo­tion­nel dans un ou plu­sieurs des plus célèbres jour­naux et maga­zines du capi­ta­lisme industriel.)

Nico­las Casaux


  1. Lire : https://www.partage-le.com/2019/09/13/greta-thunberg-extinction-rebellion-et-le-mouvement-pour-le-climat-developpement-durable-par-nicolas-casaux/ & https://www.partage-le.com/2016/06/19/le-mouvement-pour-le-climat-progresse-t-il-par-dillon-thomson-max-wilbert/
  2. https://www.lemonde.fr/planete/video/2021/12/10/camille-etienne-quand-le-reel-devient-intolerable-il-faut-prendre-en-main-l-histoire-pour-la-devier_6105469_3244.html
  3. https://fr.news.yahoo.com/camille-etienne-politiques-disent-n-140219644.html
  4. https://www.franceinter.fr/environnement/generationdemain-camille-etienne-22-ans-et-militante-ecologiste-a-temps-plein
  5. https://www.socialter.fr/article/l‑ecologie-ou-la-mort-par-camille-etienne
  6. https://www.lci.fr/environnement-ecologie/urgence-climatique-on-est-dans-la-decennie-ou-on-peut-faire-basculer-ou-pas-les-choses-clame-camille-etienne-la-greta-thunberg-francaise-2176918.html
  7. https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/06/07/lena-lazare-23-ans-nouveau-visage-de-l-ecologie-radicale_6083131_4401467.html?utm_source=headtopics&utm_medium=news&utm_campaign=2021–06-07
  8. https://www.linkedin.com/posts/17h10_engagee-globalwarming-camilleetienne-activity-6852097733138882560-WbW5
  9. https://www.youtube.com/watch?v=qhxqxvArckY

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À propos de l'auteur Le Partage

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