Pour notre plus agréable divertissement, les médias de masse fabriquent régulièrement de nouvelles égéries censées représenter le mouvement écologiste moderne, c’est-à-dire le « mouvement climat » (ou « pour le climat »), c’est-à-dire le « mouvement pour que la civilisation industrielle soit rendue soutenable » ou, encore autrement dit, le « mouvement pour un capitalisme vert et durable[1] ».
« Plateaux télé, radios, réseaux sociaux : Camille Etienne utilise tous les supports pour diffuser son message et faire changer les choses[2] » nous explique un journaliste du quotidien Le Monde, tandis que Yahoo Actualités nous apprend :
« Elle est devenue la porte-voix des jeunes générations engagées pour l’environnement. A 23 ans, Camille Etienne a mis ses études à Sciences Po Paris entre parenthèses et se consacre à l’activisme “pour la justice sociale et climatique”[3]. »
Camille Étienne s’est fait connaitre grâce à une vidéo intitulée « Réveillons-nous », dans laquelle elle enchaîne les affirmations creuses sur fond de musique larmoyante, qui connait un grand succès (des millions de vues) sur les réseaux sociaux.
S’ensuivent, nous explique France Inter,
« des invitations régulières à débattre sur des plateaux télé, et même une invitation à l’université d’été du Medef pour une table-ronde sur les conflits de génération. “L’entreprise d’aujourd’hui est fatiguée, comme la démocratie d’aujourd’hui, comme la politique d’aujourd’hui, et peut-être nous faudrait-il travailler moins, mais avec un peu plus de sens”, ose-t-elle devant une assemblée d’entrepreneurs, suscitant les ricanements de l’animatrice et de l’audience.
Elle s’entretient régulièrement avec des personnalités politiques, “en on et en off” et se dit prête à rencontrer tous ceux qui la sollicitent [c’est aussi à ça qu’on repère les éco-démagogues]. Récemment, elle était invitée à débattre avec Nicolas Dupont-Aignan, candidat déclaré à l’élection présidentielle 2022. “Même si c’est Marine Le Pen, je serai ravie de le faire parce qu’on aurait des discussions intéressantes. Je viens de faire une table ronde avec les géants de l’énergie fossile et pour moi, c’est particulièrement intéressant”[4]. »
Ben voyons. S’entretenir avec Marine Le Pen et les géants de l’industrie fossile. Admirable. Aujourd’hui, Camille Étienne est notamment suivie par 110 000 personnes sur Instagram et 19 000 sur Twitter.
C’est ainsi qu’à « 23 ans, elle rencontre aujourd’hui, des dirigeants européens, des députés, des banquiers… afin de les alerter sur l’urgence climatique » (France Inter). Quelle noble tâche. Quelle audace. Quel courage. D’ailleurs, nous dit Yahoo :
« Consciente d’incarner pour certains une frange radicale du mouvement écologiste, la jeune femme défend cette approche. “C’est un mot qui fait très peur, mais être radical ça veut juste dire aller à la racine du problème”. »
Camille Étienne sait pourtant, étant donné que la diversité des analyses écologiques est discutée dans le numéro du magazine Socialter qu’elle a servi à promouvoir, que des groupes écologistes existent — comme les écologistes anti-industriels, apparemment présentés dans ledit numéro — qui avancent réellement une analyse radicale. Contrairement à elle, qui se contente, à la Extinction Rebellion et tutti quanti, de pérorer des platitudes naïves, absurdes et/ou confuses selon lesquelles « l’écologie devrait être au cœur de l’action de l’État », puisqu’il s’agirait de « la base de la politique d’assurer un avenir et un présent aux citoyens », ou « il faut qu’on pousse les États à être plus ambitieux, les décideurs à prendre des décisions à la hauteur ». Pour vous donner une idée du vide sidéral que l’on retrouve souvent dans ses propos, voici la conclusion du texte qu’elle a écrit pour Socialter :
« Ce qui me donne de l’espoir, c’est qu’il n’y a pas de date limite pour agir. Il n’est jamais trop tard pour que ce soit pire. Mais il est toujours temps pour que ce soit moins injuste.
Nous sommes la première génération à vivre les conséquences du dérèglement climatique, et la dernière à pouvoir y faire quelque chose. Si vous luttez déjà, à votre manière et à votre mesure, cela vous arrive peut-être de trouver le costume trop grand, le rôle trop vertigineux – c’est mon cas parfois, et même souvent. Et pourtant nous ne devons pas flancher ni fléchir. Notre responsabilité est grande et nous ne pouvons pas, nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre qu’une élite éclairée à la lampe à pétrole prenne des décisions pour nous. Nous devons désobéir, monter sur nos tracteurs, enfourcher nos vélos et descendre dans la rue, entrer en résistance, en création, mettre les mains dans la terre, mettre la Terre dans nos programmes scolaires. Et tant encore. Mais la suite s’invente ensemble. Et ensemble, nous sommes une force immense. C’est là qu’est le pouvoir, c’est là qu’est le nôtre : à leur mort, opposer nos vies[5]. »
Tout un programme. Ailleurs (dans une interview accordée à LCI), elle affirme : « Et si chacun dans cette société travaillait et mettait tout son temps, toute son énergie au service d’un monde meilleur, ce serait formidable. Je pense que ça irait beaucoup plus vite[6]. »
À n’en pas douter.
Au passage, on notera que Camille Étienne sort de Sciences Po Paris, évidemment. Les nouvelles mascottes de l’écologie, les médias et les journaleux ne vont pas les chercher chez celles et ceux qui ne sont rien. En juin 2021, Le Monde présentait une autre jeune femme, Léna Lazare, comme « le nouveau visage de l’écologie radicale[7] ». Confusion oblige, à l’instar du du collectif « Youth For Climate » (« Les jeunes pour le climat »), dont elle est membre fondatrice et porte-parole, Léna Lazare dénonce le capitalisme vert tout en faisant sa promotion.
Dans tous les cas, chez Lazare comme chez Étienne, Extinction Rebellion, Youth For Climate, etc., on ne retrouve aucune critique de l’État, aucune critique du capitalisme (sauf en apparence, mais prétendre critiquer le capitalisme tout en promouvant des emplois verts et autres choses du genre, et sans rien dire de la propriété privée, du salariat, etc., c’est simplement « ajouter du malheur au monde », comme dirait Camus), aucune critique de l’industrie et de la technologie. Tout au plus un « laissez les énergies fossiles dans le sol ». Au final, l’idée — inoffensive — promue est toujours la même : une civilisation techno-industrielle soutenable est possible, avec des États qui font le bien, un système marchand équitable, des énergies renouvelables, une consommation raisonnée, etc. Pour y parvenir, nous devons convaincre — ou imposer à — nos dirigeants d’agir, de prendre les mesures qu’il faut. Et pour parvenir à cela, nous devons éveiller les gens à la nécessité de l’exiger de leurs dirigeants.
Radical. C’est ainsi que les mots et les expressions, détournés et détruits par les médias de masse, de concert avec des individus peu scrupuleux, perdent leur sens. (D’ailleurs, Camille Étienne, en farouche anticapitaliste, s’habille chez « 17h10 »[8], une entreprise qui « propose des tailleurs pour femmes, aux coupes féminines et aux lignes épurées. Les matières premières sont éco-responsables, finement sélectionnées pour leur grande qualité et leur durabilité. »)
La source de leur « activisme » n’est pas l’injustice, la dépossession, l’aliénation totales qu’implique le règne de l’État et du capitalisme, l’existence dans la civilisation industrielle, pas la domination des riches, l’écrasement des pauvres, pas la destruction inexorable de l’écosphère entamée il y a plusieurs siècles, pas la tyrannie technologique, mais l’augmentation de la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère qui menace notre avenir à nous, civilisés, qui menace l’avenir de la civilisation. D’où la « génération climat ».
Invitée sur le plateau de RT par Frédéric Taddeï, Camille Étienne s’est d’ailleurs positionnée de manière neutre sur le sujet du nucléaire, à l’instar d’Extinction Rebellion France : ni pour, ni contre[9]. Bien au contraire.
Consciemment ou non, le système médiatique et ceux qui travaillent pour lui s’assurent, en associant l’écologie radicale à de telles figures (Camille Étienne, Léna Lazare, Greta Thunberg), de favoriser la confusion et de nuire au mouvement écologiste. On est en effet loin de l’écologie radicale dont débattaient Murray Bookchin et Dave Foreman il y a plusieurs décennies (voir le livre Quelle écologie radicale ? Écologie sociale et écologie profonde en débat) — quand bien même tous deux défendaient aussi des idées douteuses (voire simplement malsaines dans le cas de Foreman). Loin de l’écologie d’Alexandre Grothendieck, Pierre Fournier, ou Thierry Sallantin, militant de longue date (depuis la fin des années 1960), auteur d’un texte intitulé « Qu’est-ce que l’écologie radicale ? » qui, en quelques lignes, évoque plus de points cruciaux que les nouvelles icones du « mouvement climat » en d’innombrables interviews, vidéos, discours TED, etc.
(Je vous conseille vivement la lecture de tous les textes de Thierry, particulièrement riches, particulièrement juste, infiniment plus subversifs que n’importe quel discours de n’importe quel clone du « mouvement climat », notamment « De la colonisation au “développement” : un seul et même projet », « Ni anthropocène, ni capitalocène : le problème, c’est le mégalocène », « La lutte des peuples contre le totalitarisme de l’État : 6000 ans d’histoire » & « Le développement (même durable) c’est le problème, pas la solution ! »).
(Le plus ridicule, dans tout ça, c’est peut-être la fierté des membres de la « génération climat » lorsque l’un ou l’une des leurs a droit à un espace promotionnel dans un ou plusieurs des plus célèbres journaux et magazines du capitalisme industriel.)
Nicolas Casaux
- Lire : https://www.partage-le.com/2019/09/13/greta-thunberg-extinction-rebellion-et-le-mouvement-pour-le-climat-developpement-durable-par-nicolas-casaux/ & https://www.partage-le.com/2016/06/19/le-mouvement-pour-le-climat-progresse-t-il-par-dillon-thomson-max-wilbert/ ↑
- https://www.lemonde.fr/planete/video/2021/12/10/camille-etienne-quand-le-reel-devient-intolerable-il-faut-prendre-en-main-l-histoire-pour-la-devier_6105469_3244.html ↑
- https://fr.news.yahoo.com/camille-etienne-politiques-disent-n-140219644.html ↑
- https://www.franceinter.fr/environnement/generationdemain-camille-etienne-22-ans-et-militante-ecologiste-a-temps-plein ↑
- https://www.socialter.fr/article/l‑ecologie-ou-la-mort-par-camille-etienne ↑
- https://www.lci.fr/environnement-ecologie/urgence-climatique-on-est-dans-la-decennie-ou-on-peut-faire-basculer-ou-pas-les-choses-clame-camille-etienne-la-greta-thunberg-francaise-2176918.html ↑
- https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/06/07/lena-lazare-23-ans-nouveau-visage-de-l-ecologie-radicale_6083131_4401467.html?utm_source=headtopics&utm_medium=news&utm_campaign=2021–06-07 ↑
- https://www.linkedin.com/posts/17h10_engagee-globalwarming-camilleetienne-activity-6852097733138882560-WbW5 ↑
- https://www.youtube.com/watch?v=qhxqxvArckY ↑
Source: Lire l'article complet de Le Partage