Selon l’ONU, la technologie fait exploser les inégalités (par Philippe Oberlé)

Selon l’ONU, la technologie fait exploser les inégalités (par Philippe Oberlé)

« Si cette orgie numé­rique ne s’ar­rête pas, à quoi pou­vons-nous nous attendre ? 

Une aug­men­ta­tion des inéga­li­tés sociales et une divi­sion pro­gres­sive de notre socié­té entre une mino­ri­té d’en­fants pré­ser­vés de cette “orgie numé­rique” – les soi-disant Alphas du roman de Hux­ley [Le Meilleur des mondes, 1932] – qui pos­sè­de­ront à tra­vers la culture et le lan­gage tous les outils néces­saires pour pen­ser et réflé­chir sur le monde, et une majo­ri­té d’en­fants aux outils cog­ni­tifs et cultu­rels limi­tés – les soi-disant Gam­mas du roman de Hux­ley – qui seront inca­pables de com­prendre le monde et d’a­gir en citoyens éclairés. 

Alpha fré­quen­te­ra des écoles pri­vées coû­teuses, avec de “vrais” pro­fes­seurs humains. 

Les Gam­mas iront dans des écoles publiques vir­tuelles avec un sou­tien humain limi­té, où ils seront nour­ris d’une pseu­do-langue simi­laire au “News­peak” d’Or­well [nov­langue] et où on leur ensei­gne­ra les com­pé­tences de base des tech­ni­ciens de niveau moyen (les pro­jec­tions éco­no­miques indiquent que ce type d’emplois sera sur­re­pré­sen­té dans la main-d’œuvre de demain). 

Un monde triste dans lequel, comme l’a dit le socio­logue Neil Post­man, ils s’a­mu­se­ront jus­qu’à la mort. Un monde dans lequel, grâce à un accès constant et débi­li­tant au diver­tis­se­ment, ils appren­dront à aimer leur ser­vi­tude[1]. »

– Michel Des­mur­get, neu­ros­cien­ti­fique direc­teur de recherche à l’Inserm, extrait d’une inter­view publiée en octobre 2020 par la BBC.

Ras­su­rez-vous, il est hau­te­ment impro­bable qu’un tel scé­na­rio ins­pi­ré du roman d’Huxley se pro­duise dans un futur proche, pour la simple et bonne rai­son que des inéga­li­tés extrêmes engendrent une insta­bi­li­té extrême du sys­tème. Le pro­grès tech­nique accroît les inéga­li­tés depuis la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle, une ten­dance qui accé­lère constam­ment depuis le début du XXe siècle avec l’électrification, puis au cours des années 1970–1980 avec la révo­lu­tion infor­ma­tique. C’est le constat fait par la Confé­rence des Nations unies sur le com­merce et le déve­lop­pe­ment (CNUCED) dans son « rap­port sur la Tech­no­lo­gie et l’Innovation 2021[2] ». Les auteurs de ce rap­port ne s’inquiètent pas tant des ravages de la tech­no­lo­gie sur l’être humain (mala­dies de civi­li­sa­tion – can­cer, dia­bète, obé­si­té, mala­dies car­dio­vas­cu­laires, stress, dépres­sion, démence, hyper­ac­ti­vi­té, sui­cide) et l’environnement natu­rel (des­truc­tions et pol­lu­tions mul­tiples), ils pointent en pre­mier lieu le « retard » de cer­tains pays ain­si que le risque de voir s’agrandir les « dés­équi­libres » pou­vant « désta­bi­li­ser les socié­tés ». Veulent-ils par­ler d’une insur­rec­tion popu­laire qui mena­ce­rait la sur­vie du sys­tème technologique ? 

Pour y remé­dier, les pré­co­ni­sa­tions faites par les tech­no­crates semblent sor­tir d’un pro­gramme poli­tique pro­gres­siste de gauche – pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique du déve­lop­pe­ment indus­triel par les États ; néces­si­té d’un « acti­visme social vigou­reux » sou­te­nant les poli­tiques publiques et les « plans stra­té­giques » ; aug­men­ta­tion de la fis­ca­li­té, des trans­ferts (allo­ca­tions) et des salaires ; « reve­nu de base uni­ver­sel » ; ren­for­ce­ment des syn­di­cats ; et autres joyeu­se­tés qui ravi­ront les gau­chistes. Dans un article paru en 2014 qui aurait par­fai­te­ment eu sa place dans le maga­zine Alter­na­tives Éco­no­miques en France, Mar­tin Wolf, l’un des cadres du Finan­cial Times, expli­quait « pour­quoi les inéga­li­tés sont un frein impor­tant pour l’é­co­no­mie », citant les inquié­tudes d’a­na­lystes de la socié­té de nota­tion finan­cière Stan­dard & Poor’s et de la banque Mor­gan Stan­ley. Des inéga­li­tés trop impor­tantes freinent la demande et han­di­capent la crois­sance de l’ac­ti­vi­té éco­no­mique. Plus grave encore est « le coût de l’é­ro­sion de l’i­déal répu­bli­cain d’une citoyen­ne­té com­mune », rap­porte Wolf cer­tai­ne­ment pré­oc­cu­pé par les divi­sions et la pola­ri­sa­tion poli­tiques aux États-Unis. Wall Street et les pro­gres­sistes, même com­bat : la sta­bi­li­té du sys­tème techno-industriel. 

Comme le pré­cise le col­lec­tif Pièces et Main d’œuvre (PMO) dans son article « Le 4e Reich sera cyber­né­tique », l’ennemi public n°1 de l’humanité et de tous les êtres vivants sur Terre, c’est bien la gauche tech­no-pro­gres­siste, et de manière géné­rale tous les par­tis et mou­vances poli­tiques en faveur du pro­grès scien­ti­fique et tech­no­lo­gique[3]. L’histoire nous enseigne que le sys­tème lâche du lest lorsque des condi­tions pro­pices à la révo­lu­tion émergent (pau­vre­té et inéga­li­tés impor­tantes par exemple). Le sys­tème uti­lise la gauche pro­gres­siste et réfor­miste comme amor­tis­seur de la grogne sociale, car du point de vue de la classe diri­geante, mieux vaut payer plus d’impôts que de finir tor­tu­ré et fusillé par des insurgés. 

Avec la conver­gence NBIC (Nano­tech­no­lo­gies, Bio­tech­no­lo­gies, Infor­ma­tique et Cog­ni­tive sciences), nous sommes à l’aube d’une nou­velle révo­lu­tion tech­no­lo­gique et indus­trielle aux consé­quences poten­tiel­le­ment cata­clys­miques pour la race humaine et la bio­sphère[4]. Selon toute pro­ba­bi­li­té, la vitesse de pro­pa­ga­tion de ces tech­no­lo­gies asso­ciée à l’automatisation crois­sante du tra­vail lais­se­ra bien des per­sonnes sur le car­reau. Il fau­dra à ce moment-là mettre tout en œuvre pour com­battre avec la plus grande déter­mi­na­tion la ver­mine pro­gres­siste qui ten­te­ra, comme elle le fait main­te­nant depuis au moins un siècle, de désa­mor­cer les ambi­tions révo­lu­tion­naires du peuple. 

Une définition biaisée de l’inégalité

Avant de pour­suivre, il est utile de rap­pe­ler que l’indice de Gini fait office de réfé­rence pour mesu­rer les inéga­li­tés, comme le rap­pelle le rap­port de la CNUCED : 

« L’i­né­ga­li­té des reve­nus est géné­ra­le­ment mesu­rée à l’aide du coef­fi­cient de Gini, qui va de zéro à 1, où zéro repré­sente une éga­li­té par­faite et 1 signi­fie qu’une seule per­sonne pos­sède tout. Dans les socié­tés plus éga­li­taires comme en Scan­di­na­vie, l’indice de Gini se situe entre 0,2 et 0,3. Les pays plus inéga­li­taires comme les États-Unis ont des Gini autour de 0,4. Dans cer­tains pays d’A­mé­rique latine et d’A­sie, le niveau se situe autour de 0,5. Mais les niveaux les plus éle­vés se trouvent en Nami­bie (0,59), en Afrique du Sud (0,63) et en Zam­bie (0,57). »

L’INSEE ajoute que « les inéga­li­tés ain­si mesu­rées peuvent por­ter sur des variables de reve­nus, de salaires, de niveau de vie, etc[5]. » ; sur le patri­moine éga­le­ment[6]. On remarque que l’indice de Gini repose uni­que­ment sur des variables liées à la richesse patri­mo­niale, moné­taire ou maté­rielle. Les valeurs du sys­tème tech­no-indus­triel intro­duisent un biais énorme dans la concep­tion de cette mesure de l’inégalité. Dans ce cadre de réfé­rence, un pay­san-éle­veur du peuple des Batam­ma­ri­bas (Bénin et Togo), vivant de son propre tra­vail au sein d’une com­mu­nau­té tra­di­tion­nelle auto­nome décon­nec­tée des sys­tèmes mar­chands et moné­taires glo­ba­li­sés, sera consi­dé­ré comme pauvre. Et peu importe si ces gens sont heu­reux, en bonne san­té ; peu importe si leur sys­tème tra­di­tion­nel favo­rise le par­tage et l’égalité au sein de la com­mu­nau­té. Dans le monde, il existe encore des cen­taines de mil­lions (mil­liards ?) de per­sonnes vivant dans des situa­tions plus ou moins simi­laires. Et de telles com­mu­nau­tés étaient légion en Europe avant l’ère moderne, avant l’institutionnalisation de la pro­prié­té pri­vée condui­sant à trans­for­mer la terre en marchandise. 

« En termes abso­lus, l’écart entre les pays déve­lop­pés et les pays en déve­lop­pe­ment n’a jamais été aus­si grand et conti­nue de se creu­ser. » Il paraît hau­te­ment impro­bable que l’Afrique et l’Amérique du Sud puissent un jour rat­tra­per leur « retard », même si le rap­port laisse entendre le contraire. 

En se basant sur cette défi­ni­tion biai­sée de l’inégalité, les pro­gres­sistes font le jeu du sys­tème tech­no-indus­triel en mili­tant pour que l’humanité entière accède à – et donc devienne dépen­dante de – la tech­no­lo­gie moderne et du mar­ché globalisé. 

Le développement des inégalités

Les inéga­li­tés atteignent aujourd’hui des niveaux de plus en plus insou­te­nables pour la per­pé­tua­tion du sys­tème tech­no­lo­gique. Les auteurs du rap­port en donnent une expli­ca­tion pour le moins surprenante : 

« […] les pro­grès rapides peuvent avoir de graves incon­vé­nients s’ils dépassent les capa­ci­tés d’adaptation des sociétés. » 

Une décla­ra­tion empreinte de racisme et de supré­ma­cisme qui sug­gère l’existence d’une ano­ma­lie chez les groupes humains qui auraient du mal à inté­grer, sans consé­quences dévas­ta­trices pour la struc­ture de leurs socié­tés, les pro­grès tech­no­lo­giques expor­tés par les nations indus­tria­li­sées. Quant à ceux qui s’opposeraient déli­bé­ré­ment au déve­lop­pe­ment ou le consi­dé­re­rait comme futile, voire inutile, les thu­ri­fé­raires du pro­grès les qua­li­fient tour à tour de « réac­tion­naires », « obs­cu­ran­tistes » ou « arriérés ».

Plus loin : 

« Nous vivons à une époque de pro­grès tech­no­lo­giques spec­ta­cu­laires, prin­ci­pa­le­ment concen­trés dans les pays déve­lop­pés, mais les grands cli­vages entre les pays que nous voyons aujourd’hui ont com­men­cé avec le début de la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle. À ce moment-là, la plu­part des gens étaient aus­si pauvres les uns que les autres et les écarts de reve­nu par habi­tant entre les pays étaient beau­coup plus faibles (fig. 1). Puis, pro­fi­tant des vagues de chan­ge­ments tech­no­lo­giques, l’Europe occi­den­tale et ses éma­na­tions − l’Australie, le Cana­da, la Nou­velle-Zélande et les États-Unis − ain­si que le Japon, ont pris de l’avance. La plu­part des autres pays sont res­tés à la péri­phé­rie. Chaque vague de pro­grès a été asso­ciée à une inéga­li­té plus mar­quée entre les pays − avec des dis­pa­ri­tés crois­santes dans l’accès aux pro­duits, aux ser­vices sociaux et aux biens publics − dans des domaines allant de l’éducation à la san­té, ain­si que des infra­struc­tures des tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC) à l’électrification. Néan­moins, quelques pays, notam­ment en Asie de l’Est, ont pu par la suite rat­tra­per leur retard grâce à l’apprentissage, à l’imitation et à l’innovation technologiques. » 

Natu­rel­le­ment, après avoir osé blas­phé­mer contre la Sainte Tech­no­lo­gie, les auteurs s’empressent de pré­ci­ser qu’autrefois « la plu­part des gens étaient aus­si pauvres les uns que les autres et les écarts de reve­nu par habi­tant entre les pays étaient beau­coup plus faibles ». Avant, les gens vivaient dans la misère et la crasse, ils cre­vaient de faim, pas­saient leur temps à s’entretuer, à copu­ler allè­gre­ment et ne dépas­saient pas en moyenne l’âge de 30 ans. On com­mence à connaître la chan­son des lau­da­teurs du pro­grès de la civi­li­sa­tion, une cari­ca­ture tel­le­ment gros­sière des faits his­to­riques qu’elle en devient ridi­cule. La lit­té­ra­ture scien­ti­fique montre au contraire que les socié­tés tra­di­tion­nelles et rurales humi­lient les socié­tés urbaines indus­tria­li­sées en matière de san­té publique[7].

Rien n’est dit sur l’Empire occi­den­tal qui a depuis 500 ans mis sous tutelle la plu­part des pays du Sud pour en exploi­ter les res­sources natu­relles et humaines, ni sur la Chine, la Rus­sie et les pays indus­tria­li­sés du Moyen-Orient qui lui contestent de plus en plus cette hégé­mo­nie impé­riale. Les mots « escla­vage », « traite négrière » ou encore « colo­ni­sa­tion » n’apparaissent nulle part dans le rap­port, l’his­toire est igno­rée et effa­cée. Les traites négrières ont pour­tant finan­cé en par­tie la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle en Europe[8].

Les expli­ca­tions avan­cées pour décryp­ter l’origine des inéga­li­tés res­tent très éva­sives et cer­taines sont car­ré­ment grotesques : 

« L’inégalité est une notion mul­ti­di­men­sion­nelle liée aux dis­pa­ri­tés de résul­tats et de chances entre les indi­vi­dus, les groupes ou les pays. 

[…]

Entre 1820, date du début de la révo­lu­tion indus­trielle, et 2002, la contri­bu­tion des inéga­li­tés entre pays aux inéga­li­tés mon­diales est pas­sée de 28 à 85 %. En d’autres termes, en 1820, l’inégalité des reve­nus dans le monde était due aux écarts de classe à l’intérieur des pays. Aujourd’hui, elle pro­vient davan­tage de la lote­rie du lieu de nais­sance : une per­sonne née dans un pays pauvre subit une “peine liée à la nationalité”. » 

Certes, un être humain qui naît en France a plus de « chance » que s’il naît dans les régions minières du Kivu ou de l’I­tu­ri bor­dées par l’Ou­gan­da, le Burun­di et le Rwan­da ; per­sonne ne nie­ra une affir­ma­tion d’une telle pla­ti­tude. Mais si les habi­tants de la Répu­blique Démo­cra­tique du Congo subissent géno­cides et mas­sacres à répé­ti­tion depuis le règne du Belge Léo­pold II jusqu’à nos jours, ça n’a rien à voir avec une « lote­rie », la « chance » ou la mal­chance, mais avec la demande mon­diale en métaux, bois et pétrole, et la pré­sence de firmes mul­ti­na­tio­nales étran­gères atti­sant les vio­lences[9]. La même dyna­mique colo­niale d’accaparement des terres par les États et les firmes mul­ti­na­tio­nales (indus­tries extractives/agrobusiness) du Nord se pour­suit et même accé­lère aujourd’hui[10].

« Il n’y a pas de consen­sus sur la dyna­mique de l’inégalité éco­no­mique − qui dépend de nom­breux fac­teurs, tels que la guerre et les épi­dé­mies, ain­si que de pro­ces­sus poli­tiques influen­cés par les luttes de pou­voir et les idéo­lo­gies. La mon­dia­li­sa­tion et le pro­grès tech­no­lo­gique ont éga­le­ment été mon­trés du doigt comme des fac­teurs d’inégalité des reve­nus au sein des pays. 

[…]

Dans le même temps, les révo­lu­tions tech­no­lo­giques influent éga­le­ment sur l’inégalité. Les chan­ge­ments tech­no­lo­giques se com­binent avec le capi­tal finan­cier pour créer de nou­veaux para­digmes tech­ni­co-éco­no­miques − dans les­quels sont regrou­pés les tech­no­lo­gies, les pro­duits, les sec­teurs, les infra­struc­tures et les ins­ti­tu­tions qui carac­té­risent une révo­lu­tion technologique. 

Dans les pays au centre de ces nou­velles vagues tech­no­lo­giques, l’essor peut se faire en deux phases. La pre­mière est la phase d’installation pen­dant laquelle la tech­no­lo­gie est intro­duite dans les sec­teurs de base, ce qui a pour effet de creu­ser le fos­sé entre les tra­vailleurs de ces sec­teurs et les autres. La deuxième phase est celle de la dif­fu­sion, qui a éga­le­ment ten­dance à être inéga­li­taire : tout le monde ne béné­fi­cie pas immé­dia­te­ment des avan­tages du pro­grès, comme un trai­te­ment sal­va­teur ou l’accès à l’eau salubre. » 

Il y a des « guerres » et des « épi­dé­mies », des « luttes de pou­voir » et des « idéo­lo­gies », la « mon­dia­li­sa­tion » et le « pro­grès tech­no­lo­gique » ; dif­fi­cile de faire plus éva­sif et super­fi­ciel. Il ne faut pas attendre de l’ONU une ana­lyse détaillée du régime de vio­lence per­ma­nente et glo­bale géné­rée par la socié­té indus­trielle. Pour cela, il vaut mieux lire Déni de réa­li­té : Ste­ven Pin­ker et l’apologie de la vio­lence impé­ria­liste occi­den­tale d’Edward S. Her­man et David Peterson. 

Cela dit, les deux para­graphes sui­vants ont au moins le mérite de sou­li­gner que l’inégalité est systémique.

L’anthropologue de l’économie Jason Hickel et l’économiste Hélène Tord­j­man racontent com­ment la socié­té indus­trielle capi­ta­liste a été impo­sée par l’État en Europe et dans le monde entier, notam­ment en détrui­sant les liens cou­tu­miers ances­traux entre­te­nus par les êtres humains avec la terre et la nature. L’objectif était tout sauf altruiste – en ins­tau­rant la pro­prié­té pri­vée de la terre, il s’agissait de déra­ci­ner la pay­san­ne­rie et d’atomiser les com­mu­nau­tés tra­di­tion­nelles pour en faire une main‑d’œuvre docile faci­le­ment exploi­table dans les usines et les plantations. 

Selon Jason Hickel : 

« […] le monde est pas­sé d’une situa­tion où la majeure par­tie de l’humanité n’avait pas besoin d’argent du tout à une situa­tion où la majeure par­tie de l’humanité peine à sur­vivre avec extrê­me­ment peu d’argent[11]. »

Selon Hélène Tordjman : 

« L’histoire du capi­ta­lisme a été mar­quée depuis ses débuts par une exploi­ta­tion de plus en plus pous­sée et sys­té­ma­tique de la nature. La colo­ni­sa­tion de l’Afrique et des Amé­riques était moti­vée par l’accaparement des richesses fon­cières et minières, une visée extrac­ti­viste. Ulté­rieu­re­ment, l’industrialisation a ratio­na­li­sé et stan­dar­di­sé nos rap­ports au monde natu­rel pour en accroître le ren­de­ment. L’évolution de l’agriculture depuis la fin du XIXe est exem­plaire de cette transformation. 

Cette exploi­ta­tion phy­sique a été his­to­ri­que­ment indis­so­ciable d’un grand mou­ve­ment d’appropriation juri­dique du milieu natu­rel, au fur et à mesure que ce der­nier pou­vait être exploi­té et ren­ta­bi­li­sé. C’est ain­si que la terre, au tra­vers du mou­ve­ment des enclo­sures, a pro­gres­si­ve­ment pris le sta­tut de pro­prié­té pri­vée. Le droit qui en a résul­té per­met d’utiliser la terre (usus), de jouir de ses fruits (fruc­tus) et de l’aliéner (abu­sus), condi­tions néces­saires à l’appropriation des reve­nus engen­drés par les acti­vi­tés d’exploitation des res­sources natu­relles. Mais l’appropriation a presque tou­jours comme double inver­sé une expro­pria­tion : les enclo­sures ont entraî­né l’expropriation de mil­lions de pay­sans plus ou moins libres dans toute l’Europe occi­den­tale ; quant à l’appropriation des terres en Amé­rique, elle s’est faite en expro­priant les Amé­rin­diens de leurs ter­ri­toires, par la guerre et par le droit. » 

Il est tout de même inté­res­sant que l’ONU (Anto­ni Guterres, secré­taire géné­ral des Nations unies, a pré­fa­cé le rap­port) recon­naisse la res­pon­sa­bi­li­té de la tech­no­lo­gie dans l’explosion mon­diale des inéga­li­tés. Par consé­quent la soi-disant neu­tra­li­té de la tech­no­lo­gie n’existe pas, la lec­ture du rap­port ne laisse aucun doute là-dessus. 

Pour résu­mer, non seule­ment les inéga­li­tés béantes de la socié­té indus­trielle n’ont rien de natu­rel, mais elles sont au cœur de l’ADN et de la dyna­mique du sys­tème. Dans son livre ven­du à plus de 30 000 exem­plaires en Alle­magne, l’économiste alle­mand Niko Paech écrit que, dans le cadre de la socié­té indus­trielle, tout pro­grès social passe néces­sai­re­ment par la crois­sance éco­no­mique et maté­rielle, donc par un essor des besoins éner­gé­tiques, de l’extraction de matières pre­mières, des échanges mar­chands, de la pro­duc­tion de déchets, des pol­lu­tions, et ain­si de suite[12].

Risques d’accroissement des inégalités

Une « pré­oc­cu­pa­tion majeure » des auteurs du rap­port de la CNUCED aujourd’hui est le risque de des­truc­tion d’emplois par l’IA et la robo­tique. L’innovation tech­no­lo­gique détruit régu­liè­re­ment des emplois depuis la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle, mais en crée d’autres de plus en plus spé­cia­li­sés et dépour­vus de sens. Il pour­rait en être autre­ment avec les « tech­no­lo­gies d’avant-garde » (IA, robo­tique, bio­tech­no­lo­gies et nano­tech­no­lo­gies) qui seraient capables, selon les esti­ma­tions les plus hautes, d’automatiser de 30 à 50 % des métiers au cours des vingt pro­chaines années en Europe et aux États-Unis. 

Un autre impact pour­rait être l’augmentation des emplois à haut et bas salaires com­bi­nés à une dimi­nu­tion des emplois à salaire moyen. Mais « le recours accru à l’IA et à des robots plus agiles » pour­rait éga­le­ment impac­ter les « emplois manuels les moins qualifiés ». 

L’ « éco­no­mie à la tâche » ou gig eco­no­my a favo­ri­sé l’émergence d’une « classe pré­caire de tra­vailleurs contrac­tuels dépen­dants et tra­vailleurs à la demande » exploi­tés par une poi­gnée de pla­te­formes richis­simes s’octroyant des mono­poles. On observe éga­le­ment une « concen­tra­tion des mar­chés et des pro­fits » entre les mains d’un « petit nombre de grands acteurs », créant ain­si une « moindre inci­ta­tion à réduire les prix ». Résul­tat, pro­fits et inéga­li­tés explosent. 

Concer­nant les inéga­li­tés dans le monde, « l’Industrie 4.0 » pour­rait conduire à un « élar­gis­se­ment du fos­sé tech­no­lo­gique » entre pays déve­lop­pés et pays pauvres. Le pro­grès tech­nique rédui­rait la com­pé­ti­ti­vi­té liée aux coûts de main‑d’œuvre dans les seconds, ce qui inci­te­rait les pre­miers à rapa­trier des acti­vi­tés indus­trielles sur leur propre territoire. 

Le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique semble éga­le­ment être pré­ju­di­ciable aux « femmes », « mino­ri­tés eth­niques » et « autres groupes défa­vo­ri­sés ». L’intelligence arti­fi­cielle peut par exemple « per­pé­tuer les sté­réo­types et réduire les effets béné­fiques des pro­duits pour les femmes. » Et cer­taines per­sonnes pour­raient ne pas avoir accès aux pro­messes fabu­leuses du transhumanisme : 

« L’édition géno­mique sou­lève éga­le­ment des ques­tions éthiques sur ce qui consti­tue un être humain idéal. Il pour­rait en résul­ter une sous-classe de per­sonnes qui n’ont pas les moyens de se payer une thé­ra­pie génique. » 

Une autre façon d’interpréter l’inégalité consiste à la voir comme une mesure du niveau d’addiction et de socio­pa­thie des tech­no-toxi­co­manes. Nous avons le pri­vi­lège de jouir d’une culture où les plus cin­glés – les élites sociales – servent de modèles au reste de la popu­la­tion. Le robo­ti­cien du MIT Rod­ney Brooks per­çoit les membres de sa famille comme des « machines » et rêve de se faire implan­ter une puce Wi-Fi dans le cer­veau[13] ; par ailleurs les nom­breux troubles obses­sion­nels com­pul­sifs et le sou­ci per­ma­nent de l’efficience chez le phi­lo­sophe trans­hu­ma­niste d’Oxford Nick Bos­trom – il prend ses repas sous forme de smoo­thies pour gagner du temps – laissent sus­pec­ter une patho­lo­gie men­tale sous-jacente[14].

Ajou­tons que la spé­cia­li­sa­tion crois­sante du tra­vail induite par le pro­grès tech­no­lo­gique conduit à l’émergence d’une classe de tech­ni­ciens et scien­ti­fiques. For­mée dans des écoles pres­ti­gieuses et employée à des postes stra­té­giques, cette élite sociale gra­vite sou­vent autour du pou­voir cen­tral. Il s’agit d’un autre exemple d’inégalité intrin­sèque à la com­plexi­té du sys­tème tech­no­lo­gique, et il va sans dire qu’aucune réforme ne chan­ge­ra jamais cette réalité. 

Les pro­phé­ties des col­lap­so­logues sont assez éloi­gnées de la réa­li­té éco­no­mique et technologique.

L’État stratège doit stabiliser le système

Le remède pres­crit par les tech­no­crates de la CNUCED repose prin­ci­pa­le­ment sur le grand retour de l’État providence : 

« [Les gou­ver­ne­ments] doivent défi­nir des orien­ta­tions stra­té­giques dans le cadre de plans natio­naux de recherche et d’innovation capables de faire face aux nou­veaux enjeux sociaux tels que le vieillis­se­ment et les dis­pa­ri­tés régionales. 

La poli­tique natio­nale d’innovation doit éga­le­ment être har­mo­ni­sée avec la poli­tique indus­trielle. Le main­tien de la com­pé­ti­ti­vi­té de l’industrie natio­nale ou régio­nale est un objec­tif cen­tral de la plu­part des plans stra­té­giques visant les tech­no­lo­gies de l’IA et de l’Industrie 4.0. Ces plans peuvent tirer par­ti des exa­mens du Cadre de la poli­tique de la science, de la tech­no­lo­gie et de l’innovation (STI) de la CNUCED, les­quels peuvent débou­cher sur l’adoption de mesures per­met­tant d’exploiter les tech­no­lo­gies d’avant-garde au ser­vice de villes plus intel­li­gentes et plus durables, de la sécu­ri­té ali­men­taire et d’une agri­cul­ture intel­li­gente, et de la créa­tion d’emplois dans des usines plus intelligentes. » 

Il faut abso­lu­ment « garan­tir un accès uni­ver­sel » à la tech­no­lo­gie et un déve­lop­pe­ment « inclu­sif » ; une nov­langue trom­peuse pour dire que la tech­no­lo­gie doit s’imposer à tous les êtres humains, qu’ils le veuillent ou non. Car toute per­sonne ou groupe qui n’est pas sous sur­veillance et sous contrôle du sys­tème tech­no­lo­gique menace poten­tiel­le­ment sa survie. 

« Pour sur­mon­ter [les] obs­tacles, les gou­ver­ne­ments et la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale doivent orien­ter les tech­no­lo­gies nou­velles et émer­gentes de manière à ce que celles-ci contri­buent au déve­lop­pe­ment durable et ne laissent per­sonne de côté. » 

La socié­té civile et les pou­voirs publics doivent tra­vailler de concert à la stabilité : 

« Les pays, quel que soit leur stade de déve­lop­pe­ment, devraient pro­mou­voir l’utilisation, l’adoption et l’adaptation des tech­no­lo­gies d’avant-garde, en pré­pa­rant les per­sonnes et les entre­prises à ce qui les attend. Cela passe, dans une mesure impor­tante, par une gou­ver­nance natio­nale effi­cace dans laquelle l’État doit éla­bo­rer une vision, une mis­sion et un plan propres à créer et à façon­ner un mar­ché d’innovations inclu­sives et durables. 

Les gou­ver­ne­ments devront éga­le­ment inves­tir dans les res­sources humaines et phy­siques. Pour les aider à y par­ve­nir, les pays en déve­lop­pe­ment devraient pou­voir comp­ter sur la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale : les com­mu­nau­tés de nations tra­vaille­raient ensemble pour construire un cadre ins­ti­tu­tion­nel inter­na­tio­nal qui englobe les pays à tous les stades de déve­lop­pe­ment technologique. 

Ces poli­tiques et pro­grammes publics devront être sou­te­nus par un acti­visme social vigou­reux, per­met­tant ain­si aux per­sonnes et aux orga­ni­sa­tions de coopé­rer pour recen­ser les inadé­qua­tions entre l’innovation tech­no­lo­gique et les réponses socié­tales. Pour que les ODD [Objec­tifs de Déve­lop­pe­ment Durable] demeurent des prin­cipes direc­teurs cen­traux, les orga­ni­sa­tions de la socié­té civile devront faire preuve d’une vigi­lance constante. » 

L’État stra­tège doit veiller à ce que per­sonne n’échappe au divin pro­grès, d’où une pro­tec­tion sociale accrue pour remé­dier aux chocs technologiques : 

« Dans une cer­taine mesure, les gou­ver­ne­ments peuvent atté­nuer les inéga­li­tés au niveau natio­nal grâce à une fis­ca­li­té pro­gres­sive sur les reve­nus ou le patri­moine, ou sur les reve­nus du capi­tal. Ils peuvent éga­le­ment mettre gra­tui­te­ment à la dis­po­si­tion de tous des ser­vices tels que l’éducation. Ils peuvent en outre aug­men­ter les trans­ferts sociaux, tels que les allo­ca­tions de chô­mage, qui réduisent le risque que les per­sonnes tombent dans la pau­vre­té. Sur le lieu de tra­vail, ces actions peuvent être com­plé­tées par celles de syn­di­cats plus puis­sants qui contri­buent à faire aug­men­ter les salaires. » 

La CGT et FO applau­dissent des deux mains. 

Et les réjouis­sances continuent : 

« Ceux qui ne peuvent pas être for­més ou se recon­ver­tir et qui perdent leur emploi devraient pou­voir comp­ter sur des méca­nismes plus solides de pro­tec­tion sociale et d’allocation condi­tion­nelle ain­si que sur dif­fé­rentes formes de redis­tri­bu­tion des reve­nus telles qu’un impôt néga­tif sur le reve­nu et un reve­nu de base uni­ver­sel. Les syn­di­cats acquièrent aus­si une impor­tance accrue dans la défense des droits des tra­vailleurs et dans l’expression de leurs pré­oc­cu­pa­tions légi­times au sujet du main­tien de leurs emplois dans l’économie numé­rique et de l’automatisation crois­sante des tâches. 

Le finan­ce­ment de ces mesures pour­rait pro­ve­nir d’une “taxe sur les robots” qui per­met­trait de tirer des recettes fis­cales des tech­no­lo­gies qui rem­placent les tra­vailleurs. Ou bien il pour­rait y avoir une taxe sur l’automatisation, com­bi­née à la sup­pres­sion des déduc­tions fis­cales liées à l’investissement dont béné­fi­cient les socié­tés. Par contre, plu­tôt que de taxer les per­sonnes ou les tech­no­lo­gies, il serait peut-être pré­fé­rable de taxer la richesse qui en résulte. » 

On croi­rait lire le pro­gramme l’Avenir en com­mun (Mélen­chon). L’ensemble des gau­chistes louant les ver­tus de l’industrialisation et la tech­no­lo­gi­sa­tion de l’existence humaine ne peuvent que se réjouir de telles préconisations. 

Les auteurs du rap­port vont jusqu’à cri­ti­quer le techno-solutionnisme : 

« Mais la tech­no­lo­gie est rare­ment une solu­tion à elle seule. Des pro­blèmes tels que la pau­vre­té, la faim, les chan­ge­ments cli­ma­tiques ou les inéga­li­tés en matière de san­té ou d’éducation sont inévi­ta­ble­ment com­plexes et mul­ti­di­men­sion­nels. Les tech­no­lo­gies, qu’elles soient d’avant-garde ou autres, peuvent sou­te­nir des ini­tia­tives de toutes sortes, sociales, poli­tiques ou envi­ron­ne­men­tales, mais toutes les tech­no­lo­gies doivent être uti­li­sées avec pré­cau­tion si l’on veut qu’elles soient béné­fiques, au lieu qu’elles consti­tuent un obs­tacle ou pro­duisent des effets indésirables. 

Si les tech­no­lo­gies ont pro­ba­ble­ment des réper­cus­sions sur les dis­pa­ri­tés, les inéga­li­tés peuvent éga­le­ment influer sur les tech­no­lo­gies – de sorte qu’elles tra­duisent, repro­duisent et peut-être ampli­fient la par­tia­li­té et la dis­cri­mi­na­tion sys­té­miques. Actuel­le­ment, les tech­no­lo­gies sont créées, pour la plu­part, par des entre­prises du Nord et, de manière pré­do­mi­nante, par des hommes. Elles ont ten­dance à pri­vi­lé­gier les besoins des riches et à igno­rer les inno­va­tions qui pour­raient béné­fi­cier aux pauvres. L’évolution tech­no­lo­gique est éga­le­ment influen­cée par les inéga­li­tés entre les sexes, en par­tie parce que les hommes ont été plus nom­breux que les femmes à étu­dier les dis­ci­plines des STIM [Sciences, Tech­no­lo­gie, Ingé­nie­rie et Mathématiques]. » 

Pour cal­mer les ardeurs des doux rêveurs, rap­pe­lons que la pro­tec­tion sociale res­te­ra tou­jours sous condi­tion (« allo­ca­tion condi­tion­nelle »), ce qui sera cer­tai­ne­ment aus­si le cas du reve­nu uni­ver­sel de base ; rien de plus facile à mettre en place avec le « por­te­feuille d’identité numé­rique » déjà dans les car­tons[15].

Une même logique sys­té­mique ins­pi­rée du modèle cyber­né­tique[16] est recom­man­dée à l’échelle internationale : 

« Pour réduire les inéga­li­tés de reve­nus entre les pays, il fau­dra mettre la tech­no­lo­gie et le com­merce au ser­vice de la trans­for­ma­tion struc­tu­relle. Si les pays en déve­lop­pe­ment veulent créer une éco­no­mie qui offre à leur popu­la­tion des emplois mieux rému­né­rés, ils devront tirer par­ti du nou­veau para­digme tech­no­lo­gique. Les pays en déve­lop­pe­ment, et des conti­nents entiers comme l’Afrique ne peuvent se per­mettre de man­quer cette nou­velle vague de pro­grès technologique. » 

Les inégalités, un mal nécessaire pour la révolution anti-tech

Pour libé­rer les peuples et mettre fin à la guerre mon­diale contre la nature, la mon­tée des inéga­li­tés est un mal néces­saire pour créer des condi­tions pro­pices à une révo­lu­tion contre le sys­tème tech­no­lo­gique qui menace l’habitabilité de la Terre. Ces pro­pos heur­te­ront cer­tai­ne­ment la sen­si­bi­li­té des adeptes de la bien-pen­sance et feront hur­ler dans les chau­mières pro­gres­sistes. Les esclaves du sys­tème invo­que­ront toutes les ratio­na­li­sa­tions phi­lo­so­phiques ou morales pos­sibles pour jus­ti­fier la conser­va­tion de la socié­té indus­trielle et dis­si­mu­ler leur abjecte lâche­té. Les tech­no-pro­gres­sistes sont les « col­la­bo­ra­teurs fonc­tion­nels » du sys­tème indus­triel, une menace pour l’humanité et la vie sous toutes ses formes, une « masse amorphe, atten­tiste, voire oppor­tu­niste », comme beau­coup de Fran­çais sous l’Occupation alle­mande[17]. Quelle his­toire avez-vous envie de lais­ser à vos des­cen­dants, celle d’un col­la­bo ou celle d’un résistant ? 

Pour ter­mi­ner, Wal­ter Schei­del, pro­fes­seur d’histoire à l’université de Stan­ford, a ana­ly­sé la dyna­mique des inéga­li­tés depuis l’avènement des pre­mières civi­li­sa­tions il y a plu­sieurs mil­lé­naires. Il en a conclu que seuls des chocs vio­lents (révo­lu­tion, dés­in­té­gra­tion de l’État, guerre mon­diale et épi­dé­mie) rava­geant – voire détrui­sant en tota­li­té – un sys­tème poli­ti­co-éco­no­mique ont été capables de faire chu­ter dura­ble­ment les inéga­li­tés[18]. Ain­si, non seule­ment s’attaquer aux inéga­li­tés par la voie réfor­miste sera inef­fi­cace, mais faire ce choix signe­ra en sus l’arrêt de mort de la bio­sphère – donc de l’humanité. De toute évi­dence, il n’existe aucune issue aux inéga­li­tés et à la crois­sance infi­nie – ni à la des­truc­tion infi­nie qui en résulte – dans le cadre de réfé­rence idéo­lo­gique et maté­riel impo­sé par la socié­té industrielle. 

Phi­lippe Oberlé


  1. https://www.bbc.com/afrique/monde-54747935

  2. https://unctad.org/webflyer/technology-and-innovation-report-2021

  3. https://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=439

  4. Lire https://greenwashingeconomy.com/nanotechnologies-applications-implications-et-risques-par-nicholas-winstead/ et https://greenwashingeconomy.com/lavenir-de-la-civilisation-le-totalitarisme-ou-lapocalypse-probablement-les-deux/

  5. https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1551

  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini

  7. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30511505/

  8. https://www.bbc.co.uk/history/british/abolition/industrialisation_article_01.shtml

  9. https://theconversation.com/comment-le-boom-des-minerais-augmente-la-violence-en-afrique-115773

  10. Voir Hélène Tord­j­man, La crois­sance verte contre la nature, 2021 ; voir éga­le­ment cet article https://greenwashingeconomy.com/au-nom-du-developpement-un-assaut-mondial-contre-les-communs/

  11. https://www.partage-le.com/2019/02/02/bill-gates-affirme-que-la-pauvrete-est-en-baisse-il-ne-pourrait-pas-se-tromper-davantage-par-jason-hickel/

  12. Niko Paech, Se libé­rer du super­flu, 2016.

  13. Voir le film d’Avi Wei­der Wel­come to the machine : https://vimeo.com/ondemand/welcometothemachine

  14. https://www.newyorker.com/magazine/2015/11/23/doomsday-invention-artificial-intelligence-nick-bostrom

  15. https://reporterre.net/Bientot-le-portefeuille-d-identite-numerique-un-cauchemar-totalitaire

  16. Voir Domi­nique Dubarle, « Vers la machine à gou­ver­ner », Le Monde, 1948.

  17. https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/416506/la-resistance-francaise-est-elle-un-mythe

  18. Wal­ter Schei­del, Une his­toire des inéga­li­tés, 2021.

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À propos de l'auteur Le Partage

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