Quelques réflexions désorganisées sur les temps qui courent…
Un des principaux arguments invoqués en faveur de la soumission de tous à l’obligation vaccinale consiste à en appeler à une solidarité à laquelle nous ne saurions pas décemment déroger. Par respect pour tout un chacun, nous devrions faire cette chose qui nous est accessible, qui est en notre pouvoir (nous vacciner), en vue d’éviter qu’il n’arrive du mal à autrui. Un peu, dirait-on, comme si, en ne nous vaccinant pas, nous commettions un délit de non-assistance à personne(s) en danger.
Un des principaux problèmes avec cet argument, c’est qu’il présuppose que nous devrions souhaiter nous montrer solidaires de tout un chacun, de tous nos « concitoyens ». Si c’est effectivement ce qu’encouragent la mythologie nationaliste, le « civisme » (« ensemble des qualités propres au bon citoyen ; zèle, dévouement pour le bien commun de la nation »), le mythe du « contrat social » et tous les boniments selon lesquels nous vivrions en « démocratie » et serions « libres », la réalité nous enseigne tout autrement.
Dans la réalité, nous ne devenons pas citoyens de l’État-nation France par choix, en signant quelque « contrat social », mais par imposition. On ne nous demande pas, enfants, si nous souhaitons ou non devenir membres de la « société » établie sur le territoire appelé France. Enfants ou adultes, il ne nous est jamais offert le choix de refuser, la possibilité de déserter, de ne pas subir ces lois, règlements, impôts, codes, régimes de propriété privée, etc., conçus par le petit nombre (dirigeants étatiques, possédants, classes dominantes) pour son propre bénéfice, au détriment du plus grand nombre.
Contrairement aux membres des sociétés de chasseurs-cueilleurs et d’autres sociétés à dynamique dite de « fission-fusion », dans le cadre des États modernes et de l’État en général, nous sommes définitivement prisonniers des sociétés où nous venons au monde. Sachant que les règles de fonctionnement du système capitaliste, que l’État impose (et dont il dépend, capitalisme et État semblent désormais indissociables) nous obligent tous à vendre notre temps de vie sur quelque « marché du travail ». La grande majorité des « citoyens » peuvent donc, sans trop recourir à la métaphore, être considérés comme autant de « condamnés aux travaux forcés » qui « subissent leur peine » dans le cadre du territoire contrôlé par l’État. Or, un « établissement dans lequel les condamnés aux travaux forcés subissent leur peine », ce n’est pas une société, mais un pénitencier. De bien des manières, très concrètes, nous vivons dans des sociétés-pénitenciers, des sociétés-prisons (où les forces de l’ordre sont les matons, le président de la République le directeur de la prison, etc.). Cela dit, il ne s’agit pas ici d’édulcorer ou d’occulter le terrible sort que connaissent ceux qui croupissent dans les prisons françaises gérées par l’administration pénitentiaire. D’ailleurs, il existe différents types de prisons en France (maisons d’arrêt, établissements pour peine, centres pénitentiaires). Si la société dans son ensemble peut être considérée comme une prison, ses détenus connaissent un sort extrêmement plus enviable que ceux des établissements officiellement qualifiés de prisons, qui connaissent un meilleur sort que ceux d’entre eux que l’on condamne à l’isolement carcéral (encore une sorte de prison dans la prison), mais un moins bon que les ministres autorisés à purger leur peine dans leur villa en Corse avec un bracelet électronique à la cheville.
Quoi qu’il en soit, dans un système social produisant différentes classes sociales, en favorisant certaines au détriment des autres, dans un système social dans lequel différents groupes sociaux possèdent des intérêts différents et contradictoires, dont le fonctionnement, générant des rapports sociaux concurrentiels, implique que tout le monde exploite tout le monde, dans un système social qui encourage tout particulièrement les riches à exploiter les pauvres, dans lequel les riches mènent une guerre contre les pauvres et se tirent également eux-mêmes dans les pattes, et dans lequel les pauvres se retrouvent principalement en guerre contre eux-mêmes (alors qu’ils devraient s’en prendre aux riches), la présupposition selon laquelle nous devrions tous souhaiter faire preuve de solidarité les uns envers les autres est absurde. Les exploités n’ont aucune raison de vouloir se montrer solidaires des exploiteurs.
Aussi, dans un tel système, les riches commettent en permanence le délit de non-assistance à personne en danger, pire, sont en permanence en train de nuire aux autres à la fois en ne faisant pas certaines choses, pourtant dans leur capacité, et en en faisant d’autres. L’an dernier, selon Forbes, Bernard Arnault aurait gagné 95 milliards de dollars, soit 80 463 128 500 euros, soit 142 326 969 RSA, soit 220 446 927 euros par jour, soit 9 185 288 euros par heure, soit 16 247 RSA par heure, soit 153 088 euros par minute, soit 271 RSA par minute, soit 2551 euros par seconde, soit 4,5 RSA par seconde. Pendant que des pauvres crèvent de faim ou de maladies qu’ils pourraient soigner s’ils en avaient les moyens, les riches accumulent de l’argent sur leurs comptes bancaires, s’achètent des yachts, des villas, etc. La misère, la mauvaise santé et les morts prématurées des pauvres (qui vivent en moyenne moins longtemps que les riches) résultent principalement des dispositions, des règles, des lois établies par et pour les riches, les dominants, les possédants (leurs industries polluent les eaux, les sols, la nourriture, l’atmosphère, le mode de vie sédentaire qu’ils imposent induit toutes sortes de pathologies, etc.). Ceux qui veulent la justice ou garantir au mieux la santé de tous, plutôt que d’envisager qu’il soit imposé à tous, pauvres y compris, une obligation vaccinale qui ne règlerait somme toute pas grand-chose, feraient bien d’envisager tout autre chose.
Certes, exproprier les riches constitue un objectif autrement plus compliqué que se contenter d’approuver l’obligation vaccinale imposée par le monarque de la nation française.
Mais revenons-en à l’appel à la solidarité. Quelle solidarité ? Quelle solidarité, donc, dans un système social induisant une guerre permanente de tous contre tous ? Pourquoi devrions-nous nous montrer solidaires de tous ? De braves citoyens nous répondront sans doute, dans une perspective de gauche, marxiste, que nous pourrions a minima nous montrer solidaires des autres membres de notre classe sociale, faisant ainsi appel à quelque mythique « solidarité de classe ». Seulement, la solidarité de classe n’existe plus depuis longtemps — si tant est qu’elle ait un jour réellement existé. Les pauvres ne se montrent absolument pas ni tous ni majoritairement solidaires les uns des autres — au contraire, une large partie d’entre eux tendent à s’entredévorer, se détestent mutuellement, portent au pouvoir leurs propres bourreaux (qui deviennent aussi les nôtres). Justifier l’obligation vaccinale par le collectivisme abstrait du gauchisme de masse semble donc a minima assez discutable.
La solidarité, comme l’idée de droits et de devoirs, implique à la fois une réciprocité et une responsabilité ; or nous ne devons rien à « la société », ni à « nos concitoyens », ni à ceux qui nous exploitent (au contraire), et difficile de ressentir une forte solidarité envers une classe sociale n’en faisant pas montre envers nous-mêmes (au contraire). De la solidarité, on en éprouve pour ceux que l’on côtoie, nos proches, nos amis, nos camarades (y compris autres qu’humains), certains groupes sociaux spécifiques pour des raisons spécifiques. Et c’est tout naturel. Au-delà, les choses se compliquent.
On pourrait également discuter de la dangerosité du vaccin en lui-même. L’acte exigé, à tort ou à raison, est-il anodin ? Un « communiste libertaire » pro-obligation vaccinale ne s’embarrasse pas :
« je balaie sans trop m’attarder : le consensus scientifique mondial (par delà toutes les rivalités géopolitiques), le chiffre de plus de 1 milliard de personnes vaccinées avec un taux dérisoire de problèmes, etc. Le rapport coût/bénéfice est amplement démontré, donc je n’y reviens pas. »
Facile. Bien trop. Oui, à en croire les autorités, le vaccin est sûr. À en croire les autorités. Mais depuis quand devrait-on croire les autorités ? La démesure de la civilisation industrielle a pour effet, parmi beaucoup d’autres, de rendre à peu près impossible l’accès de l’individu ordinaire à une vérité sensible. En établissant une longue chaine d’intermédiaires, de médiatisations, entre l’individu et les choses qu’il cherche à connaître, elle ne lui laisse pas d’autre choix que de croire (ou ne pas croire) les informations qu’on lui rapporte. Vérifier par lui-même n’est pas une option (impossible pour tout un chacun d’aller toquer à la porte de tous les vaccinés du monde afin de lister les effets secondaires du vaccin, par exemple). D’où un certain complotisme (tout ce que l’on qualifie de complotisme ou de conspirationnisme n’est, bien entendu, pas à dénigrer, les riches et les puissants, les dominants, complotent évidemment afin de demeurer au pouvoir et d’engranger toujours plus d’argent) et toutes sortes de théories farfelues. Puisque plus personne ne peut accéder à la vérité des choses de manière sensible, par l’expérience, alors toutes sortes d’absurdités peuvent être envisagées. Comme l’écrit Mark Slouka dans son livre War of the Worlds (« La guerre des mondes ») :
« De plus en plus éloignés de l’expérience, trop dépendant des représentations de la réalité qui nous parviennent au travers de la télévision et de la presse écrite, nous semblons de plus en plus disposés à faire confiance à des intermédiaires qui nous “re-présentent” le monde.
Le problème que cela pose relève de la communication ; les intermédiaires sont notoirement peu fiables. Dans le célèbre jeu du téléphone arabe, une personne murmure un message à l’oreille d’une autre, et ainsi de suite, dans un cercle, jusqu’à ce que le message retourne à celui qui l’avait initialement formulé. En fin de compte, ledit message a été tellement déformé qu’il est méconnaissable. Si le message originel représente la vérité, ou la réalité, nous nous trouvons tous aujourd’hui au bout d’une longue chaine d’interprètes qui n’a cessé de s’allonger au cours du siècle. Désormais habitués à notre place en bout de chaine, nous avons commencé à accepter les fictions qui nous parviennent comme l’article authentique. Ce n’est pas une bonne nouvelle. D’une part, cela menace de nous rendre stupides. D’autre part, cela nous rend collectivement crédules, comme des enfants : nous croyons ce qu’on nous dit. Enfin, cela peut nous rendre dangereux.
Quand avons-nous commencé à accepter des abstractions en lieu et place de la réalité ? La plupart des réponses indiquent approximativement le début de ce siècle. Avant 1900, le quotidien de la majorité des individus était agraire, statique, local – en d’autres termes, pas très différent de ce qu’il avait été durant des siècles. Le vingtième siècle, cependant, a modifié à jamais le rythme et le contenu de ce quotidien. En deux générations, l’ancien monde (pour le meilleur et pour le pire) a disparu. Sa disparition signifiait la perte de deux choses qui avaient toujours participé à nous ancrer dans le monde : notre place au sein d’une communauté réelle et notre lien avec un paysage physique particulier.
Comment nous sommes-nous retrouvés sur la route de l’irréalité ? Les réponses constituent une liste des tendances les plus dramatiques du siècle – urbanisation, consumérisme, mobilité croissante, perte du caractère régional, aliénation croissante du paysage, et ainsi de suite –, mais leur dénominateur commun, la technologie, constitue la véritable force motrice de notre voyage vers l’abstraction.
Un simple exemple peut illustrer mon propos. Comme chacun sait, l’irréalité augmente avec la vitesse. En traversant un paysage à 6 km/h, nous faisons l’expérience de la réalité particulière du lieu : ses odeurs, ses sons, ses couleurs, ses textures, etc. En conduisant à cent kilomètres à l’heure, l’expérience change radicalement. La voiture nous isole, nous éloigne ; le monde au-delà du pare-brise – qu’il s’agisse d’une mesa désertique ou de terres agricoles vallonnées – semble vaguement irréel. Aux vitesses supersoniques, le divorce est complet. À 10 000 mètres d’altitude, le paysage devient une abstraction, aussi éloignée de la vie réelle qu’une peinture.
Cette irréalité, nous nous y sommes habitués. L’habitude en a atténué l’étrangeté. Nous sommes aussi à l’aise avec la vitesse surhumaine – et le niveau d’abstraction qu’elle implique – qu’avec le téléphone, par exemple, qui nous a soudainement coupés d’une habitude aussi vieille que notre espèce : se parler face à face. Nous oublions que les premiers utilisateurs du téléphone (nos grands-mères et nos grands-pères) trouvaient presque impossible de conceptualiser un autre être humain au-delà du récepteur inanimé ; pour communiquer, ils devaient personnifier le récepteur et lui parler, comme à un animal de compagnie mécanique, plutôt que de parler à quelqu’un d’autre par son intermédiaire. Aujourd’hui, ce type d’attachement instinctif à la réalité physique parait pittoresque. »
En ce qui me concerne, sur la dangerosité du vaccin, je ne m’avancerai pas trop. A priori, la grande majorité des vaccinés n’en meurent pas — ce qui est sans doute déjà quelque chose, mais pas non plus grand-chose, toutes sortes de problèmes autres que la mort peuvent se manifester. Certains éléments posent légitimement question.
On pourrait aussi faire remarquer que dans l’hypothèse où un « non-vacciné » porteur du covid-19 contaminerait un vacciné, dont la vaccination serait inefficace et qui mourrait en raison de facteurs de comorbidités, le porteur initial du virus ne pourrait pas être tenu pour le seul et unique responsable, puisqu’il n’était pas responsable de ces facteurs de comorbidités (entre autres choses). L’entière responsabilité de la mort ne lui incomberait donc pas. Il faut bien rendre à César ce qui lui appartient. Nous sommes en partie responsables de notre santé — en partie seulement parce que la génétique peut aussi rentrer en compte, et l’environnement social, la qualité de la nourriture, le mode de vie plus généralement. C’est-à-dire que notre (mauvaise) santé, nous la devons en bonne partie aux dirigeants de la civilisation industrielle, à ceux qui imposent ce mode de vie. Blâmer les « non-vaccinés » pour tout est absurde.
Et quid de l’impact écologique ou environnemental de la production de masse des vaccins anticovid ? A priori, tout le monde s’en fout. Mais comment l’évaluer ? Là encore, la démesure de la civilisation industrielle et ses innombrables intrications rendent impossible toute tentative de parvenir à une réponse relativement précise. On peut cependant être à peu près sûrs qu’à l’instar de toute production industrielle, celle des vaccins anticovid implique des pollutions, des dégradations environnementales et des émissions de gaz à effet de serre. Mais c’est le dernier souci de la plupart des gens. Entre des vies humaines largement abstraites et d’autres abstractions comme la vie sur Terre, la planète, d’autres animaux, d’autres espèces vivantes, des forêts ou des vallées lointaines, etc., des vies humaines l’emporte haut la main, toujours, nécessairement.
À tout cela s’ajoute l’absurdité intrinsèque de toute mesure de masse, marque de la bureaucratie, de l’administration, c’est-à-dire de toute mesure appliquée uniformément pour tenter de résoudre une situation problématique présentant pourtant toutes sortes de nuances.
L’essentiel reste sans doute que l’autoritarisme demeure autoritarisme et la coercition coercition, peu importe comment on les justifie. Et l’on constate aujourd’hui avec un certain dégoût combien beaucoup, à droite comme à gauche, n’hésitent pas à les justifier, au nom de toutes sortes d’idoles ou de mythes (« la société », « la collectivité », « le bien commun », « la solidarité de classe », « la solidarité »).
Nicolas Casaux
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