Wade Davis, les croyances et la Terre (par Nicolas Casaux)

Wade Davis, les croyances et la Terre (par Nicolas Casaux)

(Cette vidéo, dans laquelle s’exprime l’ethnobotaniste cana­dien Wade Davis, est tirée du docu­men­taire inti­tu­lé Le Che­min de l’Anaconda. Plu­sieurs excel­lents textes de Davis sont à lire sur notre site, notam­ment cet essai sur l’eau.)

Aujourd’hui, on estime que la plu­part des Fran­çais sont reli­gieux, adhèrent à un mono­théisme, à une des reli­gions abra­ha­miques, à un des ensembles de croyances mys­tiques qu’elles consti­tuent.

Aujourd’hui, l’im­mense majo­ri­té des Fran­çais (et des civi­li­sés en géné­ral) croient éga­le­ment en la mytho­lo­gie du pro­grès selon laquelle l’é­cou­le­ment du temps impli­que­rait intrin­sè­que­ment une amé­lio­ra­tion gra­duelle de la condi­tion humaine, notam­ment sous la forme du pro­grès de la tech­no­lo­gie, laquelle nous ren­drait plus libres, plus heu­reux, en meilleure san­té, etc. Il s’en­suit que la tech­no­lo­gie est célé­brée et révé­rée comme une déi­té (les civi­li­sés sont tous au ser­vice de son déve­lop­pe­ment inces­sant, très peu d’entre eux osent réel­le­ment remettre en ques­tion son exis­tence). Cette mytho­lo­gie du pro­grès sug­gère éga­le­ment, en consé­quence, que les peuples (par exemple des forêts ama­zo­niennes) n’ayant pas encore déve­lop­pé ou atteint la sophis­ti­ca­tion tech­no­lo­gique des États consi­dé­rés comme « les plus déve­lop­pés » sont en quelque sorte en retard, se trouvent encore dans les limbes du déve­lop­pe­ment humain, repré­sen­tant l’enfance de l’hu­ma­ni­té.

Aujourd’hui, l’im­mense majo­ri­té des Fran­çais (et des civi­li­sés en géné­ral) croient éga­le­ment en la mytho­lo­gie de la supré­ma­tie humaine selon laquelle l’es­pèce humaine serait sépa­rée de – et supé­rieure à – toutes les autres espèces vivantes. C’est-à-dire selon laquelle l’es­pèce humaine ne pos­sé­de­rait pas seule­ment sa ou ses spé­ci­fi­ci­tés, comme n’im­porte quelle autre espèce (toutes les espèces pré­sentent des carac­té­ris­tiques spé­ci­fiques, uniques, qui les dis­tinguent de toutes les autres, c’est par défi­ni­tion), mais que ses spé­ci­fi­ci­tés seraient spé­ciales, uniques, excep­tion­nelles, la pla­ce­raient à part, à l’é­cart des autres espèces, et en quelque sorte au-des­sus d’elles. Pour cette rai­son (ima­gi­naire), la mytho­lo­gie de la supré­ma­tie humaine sug­gère éga­le­ment que les humains seraient inves­tis d’une des­ti­née excep­tion­nelle, supé­rieure à celle de toutes les autres espèces (ce qui donne par exemple le trans­hu­ma­nisme, les imbé­ciles comme Gérald Bron­ner selon lequel la chose la plus impor­tante serait « la sau­ve­garde de l’objet le plus com­plexe de l’univers, notre cer­veau » d’hu­main, selon lequel nous serions des humains bien plu­tôt que des « ter­riens », Bron­ner qui « par­tage tout à fait le point de vue de l’astrophysicien Ste­phen Haw­king qui affirme que “l’avenir à long terme de l’espèce humaine se trouve dans l’espace” », Bron­ner qui se fiche donc pas mal de pré­ser­ver la pla­nète Terre et son habi­ta­bi­li­té pour toutes les autres espèces vivantes, qui se fiche pas mal de toutes les autres espèces vivantes, Bron­ner dont le nar­cis­sisme et même le solip­sisme anthro­po- et même socio­cen­trés, bana­le­ment civi­li­sés, illus­trent bien les effets et les pré­misses du mythe de la supré­ma­tie humaine).

Aujourd’hui, l’im­mense majo­ri­té des Fran­çais (et des civi­li­sés en géné­ral) croient éga­le­ment en la mytho­lo­gie du capi­ta­lisme, selon laquelle la pro­prié­té pri­vée, y com­pris de la terre, serait natu­relle, selon laquelle, comme l’écrit Yves-Marie Abra­ham dans son livre Gué­rir du mal de l’infini, le « sacré est ce que nous appe­lons “l’économie” ou “la réa­li­té éco­no­mique”. Le mot éco­no­mie lui-même est sacré. Mais c’est aus­si et sur­tout le cas de ces choses que nous appe­lons “argent”, “mar­chan­dise”, “capi­tal”, “tra­vail”, “mar­ché”, “entre­prise”… Il y a par ailleurs un lan­gage sacré pour en par­ler : c’est celui de l’économiste et, dans une moindre mesure, des sciences de la ges­tion. Il y a éga­le­ment des com­por­te­ments sacrés : “tra­vailler”, “ache­ter”, “vendre”. »

Et toutes ces croyances mys­tiques résultent mani­fes­te­ment en une des­truc­tion inexo­rable du monde, en un étio­le­ment inces­sant et crois­sant de l’humanité, et fini­ront peut-être par abou­tir à sa des­truc­tion ou à sa sup­plan­ta­tion par une espèce morte-vivante de cyborgs (« trans­hu­mains »). Ils ont beau donc beau jeu, les civi­li­sés qui se moquent des super­sti­tions des autres, des non-civi­li­sés, non-indus­tria­li­sés, ou des temps d’avant. Ils nagent dans le pire des délires.

Nico­las Casaux

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À propos de l'auteur Le Partage

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