La science, facteur majeur de la catastrophe sociale et écologique en cours (par Nicolas Casaux)

La science, facteur majeur de la catastrophe sociale et écologique en cours (par Nicolas Casaux)

Pho­to de cou­ver­ture : Robert Oppen­hei­mer (à droite), phy­si­cien états-unien, direc­teur du pro­jet Man­hat­tan, « père de la bombe ato­mique », en train de dis­cu­ter du cham­pi­gnon ato­mique créé par une explo­sion nucléaire.


Gre­ta Thun­berg ne cesse de le répé­ter :

« Il faut que nous nous conten­tions de trans­mettre ce mes­sage, sans for­mu­ler de demandes, sans for­mu­ler aucune demande. Nous n’avons pas l’éducation qu’il faut pour nous per­mettre de for­mu­ler des demandes, il faut lais­ser cela aux scien­ti­fiques. Nous devrions sim­ple­ment nous concen­trer sur le fait de par­ler au nom des scien­ti­fiques, dire aux gens qu’il faut les écou­ter eux. Et c’est ce que j’essaie de faire. Ne pas avoir d’opinions vous-mêmes, mais tou­jours vous réfé­rer à la science. »

Et aus­si : « Écou­tez les scien­ti­fiques. »

Ou encore : « Ne m’écoutez pas. Écou­tez la science. »

Marianne déplore et s’inquiète : « la France se fâche avec la science »

Emma­nuel Macron s’inquiète aus­si, dans un entre­tien avec L’Express, « de la “crise d’autorité” qui touche la poli­tique mais aus­si la science ».

La science, sur laquelle repose la qua­si-tota­li­té de la civi­li­sa­tion indus­trielle — son infra­struc­ture, sa tech­no­lo­gie, etc. —, doit res­ter l’autorité abso­lue. Les « anti­sciences » sont raillés, moqués, déni­grés — et tous mis dans le même panier ; et peu importe qu’il en existe de dif­fé­rentes sortes, et que la plu­part de ceux qui sont mis en avant ne cri­tiquent en réa­li­té pas la science du tout (à l’instar des fans de Didier Raoult, ou des « cli­ma­tos­cep­tiques » à la Claude Allègre, qui se contentent juste de nier cer­tains résul­tats scien­ti­fiques au pro­fit d’autres études ou pro­po­si­tions qui se veulent tout-à-fait scien­ti­fiques). Cri­ti­quer la science, dou­ter de son auto­ri­té ou de son bien-fon­dé, « cela ne se fait pas : la Science est poli­ti­que­ment neutre, même lorsque quelqu’un la laisse par mégarde tom­ber sur Hiro­shi­ma[1] », iro­ni­sait amè­re­ment le mathé­ma­ti­cien fran­çais Roger Gode­ment.

À l’instar de Roger Gode­ment, un autre mathé­ma­ti­cien fran­çais, mon­dia­le­ment célèbre, dénon­çait en son temps le « rôle de la science et des scien­ti­fiques dans l’évolution de la socié­té moderne ». Né d’une mère ham­bour­geoise et d’un père mili­tant anar­chiste ukrai­nien, dépor­té et tué à Ausch­witz en 1942, alors qu’il n’avait que qua­torze ans, Alexandre Gro­then­dieck allait par la suite deve­nir « le plus grand mathé­ma­ti­cien du XXe siècle » (selon Phi­lippe Pajot et Sté­phane Fou­cart, écri­vant pour Le Monde).

Le 27 jan­vier 1972, il don­nait une confé­rence au Centre Euro­péen de Recherches Nucléaires (CERN), dont voi­ci quelques extraits[2] :

« En fait, c’est cela la chose remar­quable, quand on pose la ques­tion : “à quoi sert socia­le­ment la science ?”, pra­ti­que­ment per­sonne n’est capable de répondre. Les acti­vi­tés scien­ti­fiques que nous fai­sons ne servent à rem­plir direc­te­ment aucun de nos besoins, aucun des besoins de nos proches, de gens que nous puis­sions connaître. Il y a alié­na­tion par­faite entre nous-même et notre tra­vail.

Ce n’est pas un phé­no­mène qui soit propre à l’activité scien­ti­fique, je pense que c’est une situa­tion propre à presque toutes les acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles à l’intérieur de la civi­li­sa­tion indus­trielle. C’est un des très grands vices de cette civi­li­sa­tion indus­trielle. […]

Au début, nous étions si l’on peut dire [..] écra­sés par la mul­ti­pli­ci­té des pro­blèmes extrê­me­ment enche­vê­trés, de telle façon qu’il sem­blait impos­sible de tou­cher à aucun d’eux sans, en même temps, ame­ner tous les autres. Fina­le­ment, on se serait lais­sé aller à une sorte de déses­poir, de pes­si­misme noir, si on n’avait pas fait le chan­ge­ment d’optique sui­vant : à l’intérieur du sys­tème de réfé­rence habi­tuel où nous vivons, à l’intérieur du type de civi­li­sa­tion don­né, appe­lons-la civi­li­sa­tion occi­den­tale ou civi­li­sa­tion indus­trielle, il n’y a pas de solu­tion pos­sible ; l’imbrication des pro­blèmes éco­no­miques, poli­tiques, idéo­lo­giques et scien­ti­fiques, si vous vou­lez, est telle qu’il n’y a pas d’issues pos­sibles. […]

Lorsqu’il y a près de deux ans, j’envisageai la dis­pa­ri­tion de la civi­li­sa­tion, j’étais encore trop pri­son­nier de ses condi­tion­ne­ments : j’identifiais la civi­li­sa­tion, la seule que je connais­sais, avec l’humanité. La des­truc­tion de cette civi­li­sa­tion m’apparaissait effec­ti­ve­ment sous une image apo­ca­lyp­tique de fin de l’espèce humaine. Or, voi­ci une demi-heure ou une heure, j’ai expli­qué que cette vision a entiè­re­ment chan­gé main­te­nant. L’écroulement de cette civi­li­sa­tion n’est pas une vision apo­ca­lyp­tique ; c’est, disons, quelque chose qui me semble hau­te­ment sou­hai­table. Je consi­dère même que c’est notre grande chance qu’il existe, disons, une base bio­lo­gique de la socié­té humaine qui se refuse à suivre la voie de la civi­li­sa­tion indus­trielle domi­nante. »

Dans le numé­ro 9 de la revue Sur­vivre et vivre, qu’il avait par­ti­ci­pé à fon­der, « le plus grand mathé­ma­ti­cien du XXème siècle » signait un article inti­tu­lé « La nou­velle église uni­ver­selle », dans lequel il dénon­çait « le scien­tisme, ou l’idéologie scien­tiste », en com­men­tant les prin­ci­paux mythes qui le com­posent[3].

***

Plu­sieurs décen­nies avant Gro­then­dieck, les anar­chistes natu­riens, fin XIXe, début XXe, dénon­çaient déjà « le Pro­grès et la Science, dont l’un déca­pite, l’autre empoi­sonne len­te­ment ou bru­ta­le­ment ». Le pro­grès et la science, en effet, « n’ont jamais fait autant de bien à l’hu­ma­ni­té qu’ils lui ont fait de mal, puisque le Pro­grès donne de plus en plus nais­sance à de nou­velles cala­mi­tés et à de nou­veaux engins meur­triers soit en machi­nisme, soit en usten­siles de guerre, on lui adjoint la Science pour l’aider, et il faut com­battre les deux ensemble. » (Hono­ré Bigot, La Nou­velle huma­ni­té n° 3, octobre 1895).

Dans le troi­sième numé­ro de L’État natu­rel et la part du pro­lé­taire dans la civi­li­sa­tion, en date de juillet-août 1897, Émile Bis­son notait :

« Et pour­tant cet ouvrier, qui reste tout le jour devant les fours par une tem­pé­ra­ture de 40 à 60 degrés, qui l’a ané­mié, qui l’a mis dans cet état déplo­rable ?

La Science !

Qui a appor­té l’u­sage des toxiques, que l’on ne trouve dans la nature qu’à l’é­tat neutre, c’est-à-dire à l’é­tat de corps simple ?

La Science !

Qui a appor­té l’u­sage de la céruse, du phos­phore qui donne la nécrose, des acides nom­breux, et de tant d’autres choses qui chaque année font une si effroyable consom­ma­tion d’hu­mains ?

La Science !

Qui a embri­ga­dé l’homme pour le faire des­cendre dans les mines où il ne reçoit ni lumière, ni air res­pi­rable ?

La Science !

Qui a appor­té l’u­sage de la lumière arti­fi­cielle qui atro­phie la vue ?

La Science !

Qui a construit ces lourds vais­seaux char­gés d’hommes qui si sou­vent s’a­bîment sous les flots et dont les vic­times ne peuvent plus se comp­ter ?

La Science !

Au lieu d’ac­cu­ser faus­se­ment la nature, qui nulle part cepen­dant ne nous oblige à bra­ver les élé­ments, pour­quoi l’homme, devant ces grandes catas­trophes, ne songe-t-il pas à en accu­ser son impru­dence, c’est-à-dire :

La Science !

Et les che­mins de fer ?

C’est l’in­ven­tion qui a peut-être fait le plus de mal à l’hu­ma­ni­té, et, au lieu de lui appor­ter ce qu’il était en droit d’en attendre, l’ou­vrier, au contraire, n’a vu que s’ac­croître sa misère et son escla­vage, les che­mins de fer ayant sur­tout favo­ri­sé la spé­cu­la­tion, l’a­gio­tage et par­ti­cu­liè­re­ment la concur­rence. C’est donc encore un méfait de la science ! […]

Au point de vue moral, je ne vois pas que la science nous soit très pro­fi­table ! Au contraire : en péné­trant l’in­di­vi­du de son ratio­na­lisme outran­cier, elle a incon­tes­ta­ble­ment tué chez lui tout idéal. »

(Plus d’un siècle plus tard, nous pour­rions lon­gue­ment pro­lon­ger son ques­tion­ne­ment cri­tique en nous deman­dant : à qui devons-nous la bombe nucléaire, le nucléaire en géné­ral, toutes les armes modernes hau­te­ment des­truc­trices, le fla­sh­ball, le LBD, le che­va­let de pom­page de pétrole, le smart­phone, l’ordinateur, la voi­ture, le bag­ger 293, les drones de sur­veillance, la recon­nais­sance faciale ou encore la télé­vi­sion ? Tou­jours au même cou­pable : la science !)

***

La science, en effet, n’a jamais été neutre. Ain­si que Guillaume Car­ni­no le rap­pelle dans son excellent livre L’In­ven­tion de la science. La nou­velle reli­gion de l’âge indus­triel, l’emploi de l’expression « la science », au sin­gu­lier — l’idée de « la science », sin­gu­lière — se déve­loppe au XIXe siècle, au moment où l’État et le capi­ta­lisme créent l’institution scien­ti­fique, le com­plexe indus­triel scien­ti­fique qui existe encore aujourd’hui. On par­lait aupa­ra­vant de sciences au plu­riel, et plus cou­ram­ment encore, peut-être, de « phi­lo­so­phies natu­relles ». La science, au sin­gu­lier, à l’instar du com­plexe indus­triel scien­ti­fique, est indis­so­ciable de l’État et du pou­voir. Guillaume Car­ni­no com­mente[4]:

« La notion de science au sin­gu­lier émerge à la même période [au cours du XIXème siècle]. Il exis­tait aupa­ra­vant des phi­lo­sophes natu­rels, des gens qui œuvraient dans les sciences, alors même qu’ils étaient “plu­ri­dis­ci­pli­naires”, selon nos cri­tères contem­po­rains : Des­cartes ou Leib­niz sont connus pour leurs apports mathé­ma­tiques, phy­siques, aus­si bien que phi­lo­so­phiques, théo­lo­giques, etc. Au moment même où les dis­ci­plines se seg­mentent et se cloi­sonnent, l’idée d’une science au sin­gu­lier appa­raît. On va alors retrou­ver ses racines chez des fon­da­teurs comme Bacon, Gali­lée ou New­ton (que l’on réin­vente au pas­sage), alors même que leurs pro­jets n’étaient pas posés en ces termes.

Mais le retour­ne­ment le plus inté­res­sant reste celui qui abou­tit à l’idée de science pure. Cette idée émerge à l’époque où les scien­ti­fiques sont jus­te­ment, à l’issue de la seconde révo­lu­tion indus­trielle, les plus impli­qués dans les déve­lop­pe­ments tech­nos­cien­ti­fiques modernes. Au moment où sciences, tech­niques et grand capi­tal tra­vaillent presque tou­jours main dans la main, l’idée d’une science pure appa­raît. Sa fonc­tion d’idéologie mys­ti­fi­ca­trice est évi­dente, et une telle idée n’avait guère de sens pour un Gali­lée qui dédiait les satel­lites de Jupi­ter à Cosi­mo de Médi­cis. Elle devient par contre néces­saire au moment où la science est cen­sée déte­nir le Vrai, ce qui lui per­met de conce­voir, arti­cu­ler, grais­ser et répa­rer – mais sur­tout légi­ti­mer – les méca­nismes et rouages du pou­voir poli­tique, indus­triel et finan­cier dans les socié­tés contem­po­raines. […]

La science au sin­gu­lier, la science contem­po­raine, la science impé­ria­liste, naît et pro­li­fère grâce au capi­ta­lisme indus­triel et à l’État moderne. On peut gager qu’elle les ser­vi­ra encore long­temps. »

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Quelques conseils de lec­ture sur ce sujet de la cri­tique de la science (si l’on devait n’en rete­nir qu’un, ou en conseiller un par lequel com­men­cer, ce serait L’In­ven­tion de la science de Guillaume Car­ni­no) :

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Dans un texte inti­tu­lé « État, pou­voir et science », publié dans un livre col­lec­tif, Sciences, tech­no­lo­gies et socié­té de A à Z, l’historien qué­bé­cois Sté­phane Cas­ton­guay réca­pi­tule briè­ve­ment le lien entre la science et le pou­voir :

« L’avènement du labo­ra­toire indus­triel fait ensuite du savoir un puis­sant outil de domi­na­tion éco­no­mique, puis mili­taire, comme en témoigne le suc­cès de l’industrie chi­mique alle­mande à la fin du XIXe siècle. Suc­cès que les États-Unis ont tôt fait d’imiter, une fois mises en place les grandes uni­ver­si­tés de recherche et les grandes cor­po­ra­tions qui se dotent paral­lè­le­ment de mar­chés en constante expan­sion, de dépar­te­ments de recherche et de déve­lop­pe­ment. Les liens se soli­di­fient ensuite entre ces uni­ver­si­tés de recherche et les agences tech­nos­cien­ti­fiques qu’établissent les gou­ver­ne­ments à la char­nière du XIXe et du XXe siècle (voir Uni­ver­si­té et Inven­tion et inno­va­tion).

La mobi­li­sa­tion de la science, qui sert la guerre com­mer­ciale que se livrent les puis­sances occi­den­tales et les entre­prises trans­na­tio­nales à cette époque, est trans­po­sée de nou­veau sur le ter­rain mili­taire après le déclen­che­ment de la Pre­mière Guerre mon­diale. Des pays comme la Grande-Bre­tagne, les États-Unis, l’Australie et le Cana­da mettent en place des conseils natio­naux de la recherche pour inté­grer l’entreprise scien­ti­fique à l’effort de guerre totale. Devant les suc­cès obte­nus par les chi­mistes durant la Grande Guerre, ces pays sont sui­vis par les autres nations indus­trielles durant l’entre-deux-guerres et fondent en par­tie l’effort de remi­li­ta­ri­sa­tion sur la recherche scien­ti­fique. D’ailleurs, durant la Seconde Guerre mon­diale, ce sont les sciences phy­siques qui deviennent le moteur de l’innovation et de la stra­té­gie mili­taires (voir Guerre, science et tech­no­lo­gie). Pen­dant les Trente Glo­rieuses, en même temps que l’État se fait de plus en plus inter­ven­tion­niste, la science connaît elle aus­si une période faste dans les uni­ver­si­tés, les ins­ti­tuts pri­vés de recherche et les labo­ra­toires gou­ver­ne­men­taux et indus­triels. De grands pro­grammes de recherche, pour conqué­rir l’espace ou vaincre le can­cer, jouxtent la mobi­li­sa­tion tech­nos­cien­ti­fique en contexte de Guerre froide, pour situer la science au cœur d’une admi­nis­tra­tion publique et mili­taire en pleine expan­sion (voir Poli­tique des sciences et des tech­no­lo­gies et Ter­ri­toires et sciences). »

Le socio­logue états-unien Stan­ley Aro­no­witz le résume ain­si : « Le capi­ta­lisme, tel que nous le connais­sons, n’existerait pas sans la science. Et la science, telle que nous la connais­sons, a été for­mée et défor­mée par le capi­ta­lisme durant tout son déve­lop­pe­ment[5]. »

L’emploi du qua­li­fi­ca­tif « neutre », pour carac­té­ri­ser la science, la tech­no­lo­gie, ou autre, est tou­jours une trom­pe­rie, un arti­fice rhé­to­rique, une pré­ten­tion à la divi­ni­té, l’intouchabilité. Les affaires humaines ne sont jamais « neutres ».

***

En ce qui la concerne, la « méthode scien­ti­fique », si elle par­vient bel et bien à des résul­tats, si ses effets sont réels — en témoigne le monde moderne —, n’est pas neutre non plus. Stan­ley Aro­no­witz encore :

« Qu’est-ce qu’une expé­rience de labo­ra­toire ? Au départ, il s’agit d’isoler, d’abstraire, dans la mul­ti­pli­ci­té des objets et des rela­tions qui consti­tuent le monde, une part à étu­dier. Pour conduire une expé­rience de labo­ra­toire, la pre­mière chose à faire est d’expurger le monde. D’expurger l’émotion. D’expurger l’éthique. D’expurger la nature, en quelque sorte. D’expurger le cos­mos. De créer une situa­tion de pure abs­trac­tion. À par­tir de quoi, nous pen­sons pou­voir extra­po­ler des pro­po­si­tions qui cor­res­pondent au monde et à ses phé­no­mènes. Du moins, les scien­ti­fiques le croient-ils. Et ces pro­po­si­tions cor­res­pondent au monde, tant que nous igno­rons le véri­table monde phy­sique et ses contin­gences[6]. »

Dans un livre encore à paraître aux édi­tions La Len­teur, inti­tu­lé La Réap­pro­pria­tion contre le Pro­grès, Ber­trand Louart[7] note que « la prin­ci­pale limite » de la science, « consiste dans le fait que si les sciences cherchent la véri­té du monde maté­riel, force est de consta­ter que, de par leur méthode, elles négligent le contexte vivant et humain dans lequel ce monde maté­riel est néces­sai­re­ment inclus. »

Et ajoute :

« Or l’existence même de la domi­na­tion consti­tue une fraude et un men­songe sur la condi­tion humaine ; on ne peut “cher­cher la véri­té” dans quelque domaine que ce soit, sans dénon­cer d’abord cette impos­ture. La connais­sance du monde ne peut s’élaborer sans tenir compte du contexte, des condi­tions sociales de sa pro­duc­tion, de sa trans­mis­sion et de son usage. La recherche de la véri­té sur le monde ne peut donc se faire que dans la pers­pec­tive poli­tique de l’émancipation vis-à-vis de toutes les formes de domi­na­tion, d’exploitation, d’aliénation et d’oppression. »

***

Le fait que l’on n’ait d’autre choix que de s’en remettre aux opi­nions de scien­ti­fiques, d’experts et de spé­cia­listes concer­nant les déve­lop­pe­ments de la civi­li­sa­tion indus­trielle illustre la dépos­ses­sion géné­rale, l’impuissance poli­tique dans laquelle nous sommes plon­gés. S’il y a des experts et des spé­cia­listes, c’est parce que nous n’avons pas de pou­voir déci­sion­naire sur le cours des choses. Les experts, spé­cia­listes, scien­ti­fiques, sont des éma­na­tions de la struc­ture hié­rar­chique de la civi­li­sa­tion. Et plus il y a d’experts et de spé­cia­listes « qui dénient aux indi­vi­dus la capa­ci­té de juger et les sou­mettent à un pou­voir “éclai­ré” se récla­mant de l’intérêt supé­rieur d’une cause qui dépasse leur enten­de­ment » (André Gorz), et plus nous sommes dépos­sé­dés.

***

C’est aus­si à la science que nous devons la « nou­velle Pan­gée », ce phé­no­mène de rap­pro­che­ment spa­tio­tem­po­rel de toutes les régions du globe au tra­vers des tech­no­lo­gies et des infra­struc­tures de trans­ports de masse à grande vitesse qui le qua­drillent — routes et auto­routes ter­restres, routes aériennes, routes mari­times, voies fer­rées —, char­riant virus, bac­té­ries et autres agents patho­gènes.

Il est d’ailleurs pos­sible, comme le note Etienne Decro­ly, direc­teur de recherche au CNRS, que le SARS-CoV‑2 soit lui-même un pro­duit de la science et de ses labo­ra­toires :

« On ne peut éli­mi­ner cette hypo­thèse, dans la mesure où le SARS-CoV qui a émer­gé en 2003 est sor­ti au moins quatre fois de labo­ra­toires lors d’expérimentations. Par ailleurs, il faut savoir que les coro­na­vi­rus étaient lar­ge­ment étu­diés dans les labo­ra­toires proches de la zone d’émergence du SARS-CoV‑2 qui dési­raient entre autres com­prendre les méca­nismes de fran­chis­se­ment de la bar­rière d’espèce. Tou­te­fois, pour l’instant, les ana­lyses fon­dées sur la phy­lo­gé­nie des génomes com­plets de virus ne per­mettent pas de conclure défi­ni­ti­ve­ment quant à l’origine évo­lu­tive du SARS-CoV‑2[8]. »

Le vac­cin, mer­veilleuse inven­tion sui­vant celle de la mala­die, est un autre pro­duit phare de la glo­rieuse science et du génie civi­li­sé. Le vac­cin per­met aux « res­sources humaines » de pros­pé­rer mal­gré les condi­tions ter­ri­ble­ment pro­pices à l’émergence et la pro­pa­ga­tion de mala­dies infec­tieuses que leur fait le Pro­grès, à les dépos­sé­der de tout pou­voir sur le dérou­le­ment de leurs propres exis­tences, et donc de tout contrôle sur la nature et l’horizon dudit Pro­grès, à les agglu­ti­ner dans des espaces tou­jours plus res­treints, dans des com­plexes tou­jours plus popu­leux — villes, métro­poles, méga­lo­poles, méga­poles —, à concen­trer pareille­ment, à leur côté, plé­thore d’autres ani­maux éga­le­ment domes­tiques — chiens, chats, etc. —, à les faire cir­cu­ler tou­jours plus rapi­de­ment et mas­si­ve­ment de long en large à tra­vers le globe, de même que tran­site le bétail des ani­maux dits d’élevage — res­sources non humaines culti­vées dans d’autres com­plexes pré­vus à cet effet —, à per­tur­ber tou­jours plus en pro­fon­deur tou­jours plus de milieux natu­rels, de biomes, afin d’y exploi­ter ou d’en extir­per de tou­jours plus nom­breuses res­sources, libé­rant au pas­sage toutes sortes d’agents patho­gènes pos­si­ble­ment infec­tieux, etc.

Les apo­lo­gistes de la science et de la vac­ci­na­tion ont bien rai­son. Si l’on sou­haite que ce mer­veilleux état de choses per­dure, si l’on sou­haite per­pé­tuer la magni­fique aven­ture humaine que consti­tue la civi­li­sa­tion indus­trielle, il se pour­rait que la vac­ci­na­tion soit essen­tielle. Sans vac­ci­na­tion, les « res­sources humaines » ris­que­raient de se dégra­der sous le coup de diverses mala­dies infec­tieuses (de même que sans vac­ci­na­tion, ou a mini­ma sans médi­ca­ments phar­ma­co-indus­triels — anti­bio­tiques, etc. —, les autres ani­maux d’élevage, porcs, pou­lets, etc., ne sur­vi­vraient pas à leur agglu­ti­na­tion), ce qui mena­ce­rait d’enrayer tout le fonc­tion­ne­ment de la méga­ma­chine.

***

La science louan­gée par Gre­ta Thun­berg aus­si bien que par Emma­nuel Macron ou Étienne Klein (direc­teur de recherches au CEA et un des plus média­tiques défen­seurs de la Science) est un ins­tru­ment du pou­voir, repo­sant tout entier sur les hié­rar­chies sociales qui struc­turent la civi­li­sa­tion indus­trielle. C’est pour­quoi les ins­ti­tu­tions et les scien­ti­fiques de pre­mier plan pré­co­nisent des solu­tions aux pro­blèmes domi­nants qui obéissent aux logiques domi­nantes, capi­ta­listes et indus­tria­listes. Il ne s’agit jamais de dés­in­dus­tria­li­ser le monde, de le démar­chan­di­ser, de défaire la civi­li­sa­tion indus­trielle — ce qui signe­rait la fin du com­plexe indus­trielle scien­ti­fique —, il s’agit de déve­lop­per de nou­velles indus­tries de sto­ckage et cap­ture du car­bone, de pro­duc­tion d’énergie dite « renou­ve­lable », « verte », « neutre en car­bone » (cen­trales solaires, parcs éoliens, fusion nucléaire, etc.).

Le constat du phi­lo­sophe Edmund Hus­serl n’a rien per­du de sa jus­tesse : « Dans la détresse de notre vie […], cette science n’a rien à nous dire. Les ques­tions qu’elle exclut par prin­cipe sont pré­ci­sé­ment les ques­tions qui sont les plus brû­lantes à notre époque mal­heu­reuse pour une huma­ni­té aban­don­née aux bou­le­ver­se­ments du des­tin : ce sont les ques­tions qui portent sur le sens ou l’ab­sence de sens de toute cette exis­tence humaine[9]. »

***

Face à la catas­trophe qu’elle a assez lar­ge­ment par­ti­ci­pé à géné­rer, qu’elle conti­nue d’alimenter, et qu’elle conti­nue­ra d’alimenter, « la science » ne nous sera d’aucune aide.

N’écoutez pas la Science et ses apo­lo­gistes — ce qui, bien enten­du, ne signi­fie pas : « arrê­tez de prendre du doli­prane ».

Écou­tez ceux qui voyaient venir la catas­trophe en cours, et qui, bien sou­vent, nous met­taient en garde face au rôle de la science dans son déve­lop­pe­ment.

Nous n’avons jamais eu besoin de la science pour vivre, et vivre bien. Depuis son avè­ne­ment, au XIXe siècle, l’emprise de la machine n’a eu de cesse de croître et de nous enfer­mer plus soli­de­ment dans la civi­li­sa­tion indus­trielle. En paral­lèle, la dévas­ta­tion de la pla­nète par la civi­li­sa­tion a été démul­ti­pliée — pas juste cor­ré­la­tion : cau­sa­li­té. La science est le sup­port fon­da­men­tal du monde-machine.

Dans les labo­ra­toires de R&D, les ins­tru­ments de la domes­ti­ca­tion, de l’oppression, de la répres­sion et de la sur­veillance de demain[10], pire encore que celles d’aujourd’hui, sont en ges­ta­tion ; aux côtés de ceux qui per­met­tront une exploi­ta­tion et une dévas­ta­tion tou­jours plus pous­sées du monde natu­rel.

Nico­las Casaux


  1. Roger Gode­ment, Ana­lyse mathé­ma­tique, 1997. Voir : http://rogergodement.com/gallery/extraits%20de%20la%20préface%20&%20postface%20intégrale%20issues%20de%20analyse%20mathématique%20(1997).pdf
  2. Pour lire le texte com­plet de son inter­ven­tion, c’est par ici : https://sniadecki.wordpress.com/2012/05/20/grothendieck-recherche/
  3. https://sniadecki.wordpress.com/2012/05/16/grothendieck-scientisme/
  4. https://www.partage-le.com/2019/11/26/la-science-instrument-de-letat-et-du-capitalisme-industriel-par-guillaume-carnino/
  5. Der­rick Jen­sen, Truths Among Us : Conver­sa­tions on Buil­ding a New Culture
  6. Ibi­dem.
  7. Dont le site est une très riche mine d’informations concer­nant la science et sa cri­tique : http://sniadecki.wordpress.com
  8. https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-question-de-lorigine-du-sars-cov-2-se-pose-serieusement
  9. Edmund Hus­serl, La Crise des sciences euro­péennes et la Phé­no­mé­no­lo­gie trans­cen­dan­tale. Les sec­ta­teurs de Jan­co­vi­ci l’illustrent tris­te­ment, qua­si­ment inca­pables de rai­son­ner en termes de sens, de sen­sible, d’éthique, seule­ment en termes de chiffres, don­nées, sta­tis­tiques (taux de CO2, tonnes d’uranium, moyenne des tem­pé­ra­tures, GW de puis­sance élec­trique, pour­cen­tage d’efficacité éner­gé­tique, etc.).
  10. Un petit exemple par­mi beau­coup : https://www.franceculture.fr/sciences/soldat-augmente-le-feu-vert-du-ministere-des-armees

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« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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