L’Inde se perd le long des nouvelles Routes de la Soie
Par Tom Luongo − Le 18 juillet 2020 − Source Gold Goats’N Guns
La situation change rapidement en Asie, et l’Inde se trouvera rapidement dans une position difficile.
Pendant des années, elle a hésité et joué avec le développement de l’Asie centrale. Depuis l’ascension de Narendra Modi en tant que leader de l’Inde, il a courtisé l’Occident et l’Est pour mettre l’Inde dans une meilleure position.
Modi a réorienté l’Inde vers une position pro-occidentale immédiatement après sa prise de pouvoir. Il a traîné les pieds sur les grands projets d’infrastructure en Asie centrale, poursuivant le rêve indien de déjouer la Chine pour devenir la puissance centrale du Heartland.
Donc, ne croyez pas que je sois choqué de voir que quelques jours seulement après l’annonce que le méga-accord de plus de 400 milliards de dollars entre la Chine et l’Iran soit sur le point d’être signé, l’Iran donne congé à l’Inde, suite à ses manœuvres dilatoires concernant un important projet d’infrastructure.
Quatre ans après que l'Inde et l'Iran ont signé un accord pour la construction d'une ligne de chemin de fer du port de Chabahar à Zahedan, le long de la frontière avec l'Afghanistan, le gouvernement iranien a décidé de procéder seul à la construction, invoquant des retards du côté indien dans le financement et le démarrage du projet.
L’Inde a joué au chat et à la souris avec l’Iran depuis deux ans maintenant sur des projets majeurs, comme cette ligne ferroviaire, depuis que le président Trump s’est retiré unilatéralement du JCPOA et a commencé sa campagne de pression maximale sur l’Iran.
La responsabilité pour cela revient à Modi qui a éloigné l’Inde de l’Iran alors que la pression s’intensifiait contre son pays qui était l’un des rares prêts à faire fi des sanctions américaines en 2012/13 lorsque le président Obama les a imposées pour la première fois à l’Iran.
À l’époque, l’Inde et l’Iran échangeaient du pétrole contre des marchandises et / ou de la monnaie locale. L’Inde est toujours un gros importateur d’énergie et elle a délibérément tendu ses relations avec son voisin riche en énergie.
Revenons en novembre 2017, lorsque Gazprom a annoncé les travaux préliminaires sur le tracé d’une nouvelle version du pipeline IPI – Iran, Pakistan, Inde – longtemps retardé. Depuis cette annonce, très peu de travail a été fait.
Le pipeline IPI, comme d’autres grands pipelines russes, tels que South Stream, Nordstream 2 et Turkstream, a été combattu de manière agressive par les États-Unis depuis vingt ans.
Ces derniers ont fait pression pour que le pipeline TAPI descende du Turkménistan vers l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. Et, en effet, la compagnie nationale turkmène de gaz a posé les 300 premiers kilomètres du projet jusqu’à la frontière afghane mais elle ne peut pas obtenir de financement pour aller plus loin.
Poussé par les États-Unis à lancer le projet, qui était censé être terminé cette année, le Turkménistan est maintenant embourbé dans le gâchis d’un projet inachevé et non rentable, car les États-Unis n’ont jamais réussi à tenir leurs promesses de contrôler le terrain nécessaire en Afghanistan, ni conclure un accord avec les talibans pour assurer la sécurité du pipeline.
Toute l’affaire est un fiasco, alors que le pipeline IPI reste bloqué, exactement comme Washington le veut.
Alors, maintenant que la Chine s’engage pour assurer l’avenir de l’Iran, cimentant son partenariat stratégique avec ce pays et la Russie, il est clair que l’Iran est à bout de patience avec les finasseries de Modi.
L’Inde, en particulier sous Modi, a résisté au programme chinois des nouvelles Routes de la Soie – One Belt, One Road (OBOR). C’est l’un des rares pays à ne pas avoir envoyé de chef d’État au premier sommet de l’OBOR en 2018. Même les États-Unis ont envoyé un sous-secrétaire de troisième rang pour surveiller les choses.
Mais on ne s’attendait pas à autre chose de la part de l’Inde. Elle se sent en droit d’être la principale plaque tournante de toutes les futures routes commerciales de la région et cette prétention est alimentée par les promesses américaines de récompenses futures.
Avant leur opposition à l’OBOR, ce qui se comprend étant donné les relations tendues entre l’Inde et la Chine, l’Inde avait déjà refusé de devenir un partenaire important dans le North South Transport Corridor (NSTC) qui relie Saint-Petersbourg, ainsi que d’autres villes à l’est de la Russie, au terminus du port iranien de Bandar Abbas ainsi qu’à Chabahar.
De là, les marchandises pouvaient traverser la mer d’Oman jusqu’à Mumbai. Le but du NTSC est de créer une route terrestre qui réduit considérablement le temps d’acheminement des marchandises de Russie vers, et depuis l’Asie du Sud et la région du Pacifique.
C’est une partie importante de l‘OBOR qui fait de l’Iran, et non de l’Inde, la composante géographique principale de la connectivité et du développement économique eurasien.
Ce chemin de fer de Chabahar à Zahedan était, en partie, une concession à l’Inde pour brancher l’Afghanistan au NTSC et satisfaire ainsi le besoin de celle-là de conserver un semblant de contrôle sur la situation dans son ensemble.
L’Inde et l’Iran travaillent conjointement sur le port de Chabahar lui-même, améliorant sa capacité. C’était une percée majeure pour les puissances asiatiques que l’Inde a maintenant, effectivement, rejetée parce que Trump lui a dit de le faire.
Il devrait être clair maintenant que, bien qu’il achète toujours du matériel militaire russe, Modi a choisi Trump plutôt que ses voisins à l’ouest et à l’est. Avec son agression au Cachemire l’année dernière, et sa mauvaise volonté dans la réalisation de la liaison ferroviaire, il retarde l’intégration de l’Asie centrale depuis des années, y compris sa salve d’ouverture désastreuse dans la guerre des globalistes contre l’argent liquide.
Modi a été un bon petit fantassin pour l’Occident.
Bien sûr, il rue dans les brancards de temps en temps, mais finalement, il fait ce que les États-Unis veulent qu’il fasse.
Le problème pour lui, et pour l’Inde, est que Trump a maintenant fait monter les enchères avec la Chine et l’Europe, dans l’espoir de maintenir à flot le système du pétrodollar, il essaie également de retirer physiquement les États-Unis de la région, ne laissant que les armes financières derrière lui.
Trump veut quitter l’Afghanistan. Les États-Unis seront forcés de quitter l’Irak et la Syrie. L’Iran résistera à tout ce qu’Israël pourra tenter contre lui. Trump a déjà prouvé qu’il était prêt à financer des mercenaires comme les Saoudiens et les Kurdes, mais qu’il ne voulait pas impliquer les États-Unis dans une véritable guerre létale.
Et à cause de cela, la politique étrangère de l’Inde devra finalement se réconcilier avec ses voisins plutôt que persister dans ses chimères de remplacer la Chine en tant que puissance montante en Asie.
En termes simples, regardez le Heartland maintenant. L’influence occidentale s’effondre. Non seulement Trump veut quitter l’Afghanistan, mais le Pakistan ne reviendra pas de sitôt dans l’orbite de l’Arabie Saoudite ou des États-Unis.
La Chine vient de donner onze milliards de dollars supplémentaires au Pakistan, tandis que son accord gargantuesque avec l’Iran réduit pratiquement à rien les futures exportations de pétrole saoudien vers la Chine. Et si les Saoudiens veulent faire des affaires avec la Chine, ce sera aux conditions de celle-ci.
Et une de ces conditions sera l’usage du yuan, pas du dollar.
C’est pourquoi j’ai dit la semaine dernière que Trump avait récolté la tempête de sa politique étrangère douteuse envers le Moyen-Orient et l’Asie :
« Article après article, j’ai patiemment expliqué comment et pourquoi Trump et les États-Unis n’avaient pas de véritable influence sur l’Iran à moins de bombarder le pays jusqu’à le faire revenir à l’âge de pierre. Cela ne se produira jamais sous le contrôle de Trump car les dirigeants iraniens ne feraient jamais rien de suicidaire au point de provoquer cette réponse.
Même l’attaque contre les bases américaines en Irak en janvier, en réponse à l’assassinat mal calculé par Trump, du général Qassem Soleimani a été mesurée, précis et, officiellement, sans pertes américaines. S’il y a eu un moment pour que les Iraniens commettent une erreur stratégique provoquant la colère de Trump, c’était bien là.
Et une fois que le bluff de Trump a été déjoué là-bas, c’était fini avec la Dominance énergétique et toute la stratégie d’isolement de l’Iran. »
Modi est un autre Erdogan, un cafard politique qui pense que la géographie lui donne plus de poids qu’elle n’en a réellement. Il continue de surjouer sa main et maintenant l’Iran l’a coupée pour avoir été un partenaire peu fiable.
Le chemin de fer vers l’Afghanistan est construit avec de l’argent chinois par l’intermédiaire de l’AIIB – Asia Infrastructure Investment Bank. L’AIIB a été créée pour concurrencer la Banque asiatique de développement (BAD), dirigée par les États-Unis, et elle vient de gagner un beau scalp.
La Chine et la Russie auront accès non seulement aux ports de Bandar Abbas et Chabahar, mais également à Gwadar près de la frontière irano-pakistanaise au Baloutchistan, que la Chine a transformé en un point focal pour l’OBOR.
Pendant que Modi était occupé à ses petits jeux, l’Inde aura perdu beaucoup de terrain. C’est peut-être la raison pour laquelle, malgré de violents affrontements le long de la frontière contestée avec la Chine, la paix est rapidement revenue.
L’Inde n’a pas les moyens de se passer de la Chine, compte tenu de l’ampleur de ses relations commerciales. Je suis sûr que Trump dit à Modi que les États-Unis remplaceront les produits chinois, mais la promesse va être difficile à vendre, avec la Chine devenue désormais un partenaire majeur avec son voisinage au nord et à l’ouest.
Les nouvelles Routes de la Soie arrivent. L’Inde me semble perdue.
Tom Luongo
Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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