La reproduction de la vie quotidienne (par Fredy Perlman)

La reproduction de la vie quotidienne (par Fredy Perlman)

Le texte qui suit est une tra­duc­tion d’un essai publié en 1969 par Fre­dy Perl­man, inti­tu­lé The Repro­duc­tion of Dai­ly Life.


L’ac­ti­vi­té pra­tique et quo­ti­dienne des membres d’une tri­bu repro­duit, ou per­pé­tue, cette tri­bu. Cette repro­duc­tion est à la fois phy­sique et sociale. C’est-à-dire qu’au tra­vers de leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, ces hommes per­pé­tuent davan­tage que leur groupe d’êtres humains ; ils per­pé­tuent une tri­bu, une forme sociale par­ti­cu­lière, dans laquelle un groupe d’êtres humains accom­plit des acti­vi­tés spé­ci­fiques d’une manière spé­ci­fique. Les acti­vi­tés spé­ci­fiques réa­li­sées par les membres d’une tri­bu ne découlent pas des carac­té­ris­tiques « natu­relles » des hommes qui les accom­plissent, comme il est, par exemple, dans la « nature » de l’a­beille de pro­duire du miel. Le quo­ti­dien d’une tri­bu consti­tue une réponse sociale spé­ci­fique à des condi­tions maté­rielles et his­to­riques par­ti­cu­lières.

L’ac­ti­vi­té pra­tique et quo­ti­dienne des esclaves repro­duit l’es­cla­vage. C’est-à-dire qu’au tra­vers de leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, les esclaves font plus que se repro­duire eux-mêmes et leurs maîtres, phy­si­que­ment ; ils repro­duisent aus­si les ins­tru­ments avec les­quels leurs maîtres les répriment, ain­si que leurs propres habi­tudes de sou­mis­sion à l’au­to­ri­té du maître. Aux membres d’une socié­té escla­va­giste, la rela­tion maître-esclave appa­raît natu­relle et éter­nelle. En réa­li­té, les hommes ne naissent ni maîtres, ni esclaves. L’es­cla­vage est une forme sociale spé­ci­fique à laquelle les hommes ne se sou­mettent que dans des condi­tions maté­rielles et his­to­riques très par­ti­cu­lières.

L’ac­ti­vi­té pra­tique et quo­ti­dienne des tra­vailleurs sala­riés repro­duit le tra­vail sala­rié et le capi­tal. À l’instar des membres d’une tri­bu et des esclaves, au tra­vers de leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, les hommes « modernes » repro­duisent les habi­tants, les rela­tions sociales et les idées de leur socié­té ; ils repro­duisent la forme sociale de leur vie quo­ti­dienne. À l’instar du tri­ba­lisme et du sys­tème escla­va­giste, le sys­tème capi­ta­liste n’est ni une forme natu­relle, ni la forme ultime de la socié­té humaine. Comme les formes sociales anté­rieures, le capi­ta­lisme est une réponse spé­ci­fique à des condi­tions maté­rielles et his­to­riques par­ti­cu­lières.

Mais à la dif­fé­rence des formes anté­rieures de l’ac­ti­vi­té sociale, l’activité quo­ti­dienne de la socié­té capi­ta­liste trans­forme sys­té­ma­ti­que­ment les condi­tions maté­rielles aux­quelles le capi­ta­lisme répon­dait ini­tia­le­ment. Le capi­ta­lisme par­vient gra­duel­le­ment à contrô­ler les limi­ta­tions maté­rielles de l’activité humaine. Au-delà d’un cer­tain niveau d’industrialisation, l’ac­ti­vi­té pra­tique des hommes pro­duit ses propres condi­tions maté­rielles ain­si que sa forme sociale. Notre ana­lyse ne doit donc pas se limi­ter à étu­dier la manière dont l’ac­ti­vi­té pra­tique de la socié­té capi­ta­liste repro­duit la socié­té capi­ta­liste, elle doit aus­si exa­mi­ner com­ment cette acti­vi­té détruit les condi­tions maté­rielles aux­quelles répond le capi­ta­lisme.

La vie quotidienne dans la société capitaliste

La forme sociale du quo­ti­dien capi­ta­liste est une réponse à une situa­tion maté­rielle et his­to­rique par­ti­cu­lière. Ces condi­tions maté­rielles et his­to­riques expliquent l’o­ri­gine de la forme sociale capi­ta­liste, mais pas sa per­sis­tance après la dis­pa­ri­tion des­dites condi­tions. Le concept de « cultu­ral lag » [déca­lage ou retard cultu­rel] ne per­met pas d’expliquer la conti­nua­tion d’une forme sociale mal­gré la dis­pa­ri­tion des condi­tions aux­quelles elle répon­dait. Tout au plus per­met-il d’exprimer le fait que cette forme sociale se per­pé­tue. L’idée selon laquelle ce concept repré­sente une « force sociale » déter­mi­nant l’ac­ti­vi­té humaine n’est qu’une mys­ti­fi­ca­tion, dans la mesure où cela signi­fie­rait que les consé­quences des acti­vi­tés humaines consti­tuent une force externe hors de leur contrôle. Cette remarque ne concerne pas uni­que­ment le concept du « cultu­ral lag » ; beau­coup d’expressions uti­li­sées par Marx pour décrire les acti­vi­tés humaines ont été employées pour dési­gner des forces externes, voire « natu­relles », régis­sant l’ac­ti­vi­té humaine. Ain­si, dans la théo­rie de cer­tains « mar­xistes », les concepts de « lutte de classe », de « rap­ports de pro­duc­tion » et, tout par­ti­cu­liè­re­ment, de « dia­lec­tique », tiennent-ils la même place que tenaient ceux de « péché ori­gi­nel », de « pro­vi­dence » et de « main du des­tin » dans les théo­ries de mys­ti­fi­ca­teurs médié­vaux.

Au tra­vers de l’exécution de leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, les membres de la socié­té capi­ta­liste se livrent simul­ta­né­ment à deux pro­ces­sus : d’une part, ils repro­duisent la forme de leur acti­vi­té quo­ti­dienne, et d’autre part, ils éli­minent les condi­tions aux­quelles cette forme d’ac­ti­vi­té répon­dait ini­tia­le­ment. Mais ils ne le réa­lisent pas : leurs propres acti­vi­tés ne leur sont pas trans­pa­rentes. Ils vivent dans l’illusion selon laquelle ces acti­vi­tés consti­tue­raient une réponse à des condi­tions natu­relles situées hors de leur contrôle. Ils ne réa­lisent pas qu’ils sont eux-mêmes les pro­duc­teurs de ces condi­tions. Tel est le rôle de l’idéologie capi­ta­liste : pré­ser­ver la chape d’illusion qui empêche les gens de voir que leurs propres acti­vi­tés repro­duisent la forme de leur vie quo­ti­dienne. D’où l’objectif de la théo­rie cri­tique : démys­ti­fier les acti­vi­tés de la vie quo­ti­dienne, les rendre com­pré­hen­sibles, mettre au jour la manière dont la forme sociale capi­ta­liste se per­pé­tue au tra­vers des acti­vi­tés quo­ti­diennes des membres de la socié­té capi­ta­liste.

Sous le règne du capi­ta­lisme, le quo­ti­dien se com­pose d’ac­ti­vi­tés inter­dé­pen­dantes qui repro­duisent et élar­gissent la forme d’ac­ti­vi­té sociale capi­ta­liste. Vendre son temps de tra­vail en échange d’une cer­taine somme (appe­lée salaire) ; incor­po­rer son temps de tra­vail dans des mar­chan­dises (pro­duits ven­dables, tan­gibles ou intan­gibles) ; consom­mer des mar­chan­dises tan­gibles ou intan­gibles (pro­duits de consom­ma­tion ou spec­tacles) ; ces acti­vi­tés qui carac­té­risent le quo­ti­dien capi­ta­liste ne sont pas des mani­fes­ta­tions de la « nature humaine », et ne sont pas non plus impo­sées aux hommes par des forces situées hors de leur contrôle.

L’idée selon laquelle l’homme serait « par nature » un membre de tri­bu non-créa­tif et un homme d’af­faires inven­tif, un esclave sou­mis et un fier arti­san, un chas­seur indé­pen­dant et un sala­rié dépen­dant, signi­fie soit que la « nature humaine » est un concept insi­gni­fiant, soit que la « nature humaine » dépend de condi­tions maté­rielles et his­to­riques, et d’ailleurs qu’elle consti­tue une réponse à ces condi­tions.

Aliénation de l’activité vivante

Dans la socié­té capi­ta­liste, l’ac­ti­vi­té créa­trice prend la forme de la pro­duc­tion de mar­chan­dises, c’est-à-dire de biens com­mer­cia­li­sables ; les résul­tats de l’ac­ti­vi­té humaine prennent la forme des­dites mar­chan­dises. Le carac­tère ven­dable ou mar­chan­dable consti­tue la carac­té­ris­tique uni­ver­selle de toutes les acti­vi­tés et de tous les pro­duits. Les pro­duits de l’ac­ti­vi­té humaine néces­saires à la sur­vie prennent la forme de biens com­mer­cia­li­sables, les­quels ne sont acces­sibles qu’en échange d’argent, lequel ne s’obtient qu’en échange de mar­chan­dises. Dans la mesure où un grand nombre de per­sonnes estiment que ces conven­tions — qui sti­pulent que l’argent requiert des mar­chan­dises, et que la sur­vie requiert de l’argent — sont légi­times, elles se retrouvent enfer­mées dans un cercle vicieux. Et puisque ces per­sonnes ne pos­sèdent pas de mar­chan­dises, il le leur reste plus qu’à se vendre elles-mêmes ou à vendre une par­tie d’elles-mêmes comme mar­chan­dise. Telle est l’étrange « solu­tion » que les hommes s’imposent à eux-mêmes dans la socié­té capi­ta­liste. Ils n’échangent pas leurs corps ou des par­ties de leur corps contre de l’argent : ils échangent le conte­nu créa­tif de leurs vies, leur acti­vi­té quo­ti­dienne, contre de l’argent.

Dès lors que les hommes acceptent ce prin­cipe selon lequel l’argent peut s’échanger contre la vie, la vente de leur acti­vi­té vivante devient la condi­tion de leur sur­vie phy­sique et sociale. La créa­tion et la pro­duc­tion dési­gnent la vente de son acti­vi­té. L’ac­ti­vi­té d’un homme ne peut être consi­dé­rée comme « pro­duc­tive », « socia­le­ment utile », qu’à condi­tion qu’elle soit ven­due. Lhomme, lui-même, ne peut être consi­dé­ré comme un membre pro­duc­tif de cette socié­té que s’il vend les acti­vi­tés de sa vie quo­ti­dienne. À par­tir du moment où les hommes acceptent les termes de cet échange, leur acti­vi­té quo­ti­dienne revêt le carac­tère d’une pros­ti­tu­tion uni­ver­selle.

Le pou­voir créa­teur ou l’ac­ti­vi­té quo­ti­dienne ven­dus sont appe­lés tra­vail ; le tra­vail n’est donc qu’une forme his­to­rique spé­ci­fique de l’ac­ti­vi­té humaine ; une acti­vi­té abs­traite dotée d’une seule et unique pro­prié­té : son carac­tère mar­chan­dable. L’activité abs­traite que consti­tue le tra­vail peut être ven­due contre une somme d’argent don­née ; le tra­vail est donc acti­vi­té indif­fé­rente : indif­fé­rente à son conte­nu et indif­fé­rente au sujet qui l’exécute. Creu­ser, impri­mer, tailler sont des acti­vi­tés dif­fé­rentes, mais toutes trois sont du tra­vail dans la socié­té capi­ta­liste. L’ac­ti­vi­té vivante pre­nant la forme de tra­vail devient un moyen de « gagner de l’argent ». La vie devient un moyen de la sur­vie.

Cet iro­nique ren­ver­se­ment n’est pas l’apogée dra­ma­tique de quelque roman débor­dant d’imagination, c’est un fait réel de la vie quo­ti­dienne dans la socié­té capi­ta­liste. La sur­vie — c’est-à-dire l’au­to-pré­ser­va­tion et la repro­duc­tion — n’est pas au ser­vice de l’ac­ti­vi­té pra­tique et créa­trice. Au contraire : l’ac­ti­vi­té pra­tique et créa­trice condi­tion­née sous forme de tra­vail, d’acti­vi­té ven­due, est une pénible néces­si­té de la sur­vie ; le tra­vail est le moyen de l’au­to- pré­ser­va­tion et de la repro­duc­tion.

La vente de l’ac­ti­vi­té vivante induit un autre ren­ver­se­ment. À tra­vers la vente, le tra­vail d’un indi­vi­du devient la « pro­prié­té » d’un autre, est appro­prié par un autre, passe sous le contrôle d’un autre. En d’autres termes, l’activité d’une per­sonne devient l’activité d’un autre, celle de son pro­prié­taire ; cette acti­vi­té est donc étran­gère à la per­sonne qui la pra­tique. Ain­si, la vie même d’un indi­vi­du — ce qu’il accom­plit en ce monde, sa contri­bu­tion à la vie de l’humanité — est non seule­ment réduite au tra­vail, condi­tion pénible de la sur­vie, mais elle est éga­le­ment trans­for­mée en acti­vi­té alié­née, en acti­vi­té déter­mi­née par, et appar­te­nant à, celui qui l’achète. Dans la socié­té capi­ta­liste, les archi­tectes, les ouvriers et les ingé­nieurs ne créent rien ; leurs pro­jets, leurs cal­culs et leurs mou­ve­ments leur sont étran­gers ; leur acti­vi­té vivante, leurs accom­plis­se­ments, appar­tiennent à celui qui achète leur tra­vail, qui est donc celui qui crée.

Les socio­logues aca­dé­miques, selon les­quels la vente du tra­vail consti­tue un phé­no­mène natu­rel, consi­dèrent cette alié­na­tion du tra­vail comme un sen­ti­ment : l’activité du tra­vailleur lui « semble » étran­gère, elle « semble » contrô­lée par un autre. Cepen­dant, n’im­porte quel tra­vailleur pour­rait leur expli­quer que l’a­lié­na­tion n’est ni un sen­ti­ment ni une idée dans la tête du tra­vailleur, mais un fait réel de sa vie quo­ti­dienne. L’ac­ti­vi­té ven­due est de fait étran­gère au tra­vailleur ; son tra­vail est de fait contrô­lé par son ache­teur.

En échange de l’ac­ti­vi­té qu’il vend, le tra­vailleur reçoit de l’argent, moyen de sur­vie conven­tion­nel de la socié­té capi­ta­liste. Avec cet argent, il peut ache­ter toutes sortes de mar­chan­dises, d’ob­jets, mais il ne peut rache­ter sa propre acti­vi­té. Cet état de fait révèle une curieuse « lacune » du prin­cipe de l’argent comme « équi­valent uni­ver­sel ». Un indi­vi­du peut vendre des mar­chan­dises en échange d’argent, et ache­ter ces mêmes mar­chan­dises avec de l’argent. Il peut vendre son acti­vi­té en échange d’argent, mais il ne peut pas ache­ter son acti­vi­té vivante avec de l’argent.

Avec son salaire, le tra­vailleur achète des pro­duits de consom­ma­tion qui lui per­mettent de sur­vivre, de repro­duire sa force de tra­vail pour pou­voir conti­nuer à la vendre. Il achète aus­si des spec­tacles, objets de son admi­ra­tion pas­sive. Consom­mant et admi­rant pas­si­ve­ment les pro­duits de l’ac­ti­vi­té humaine, le tra­vailleur n’est pas un agent actif de la trans­for­ma­tion du monde, il n’existe qu’en tant que spec­ta­teur impuis­sant et dépos­sé­dé. Il peut bien appe­ler « bon­heur » cet état d’impuissante béa­ti­tude et, étant don­né que son tra­vail est pénible, aspi­rer à être « heu­reux », c’est-à-dire inac­tif, toute sa vie (comme un mort-vivant). Épui­sant son acti­vi­té vivante dans l’ad­mi­ra­tion pas­sive, ce sont les mar­chan­dises et le spec­tacle qui le consomment. Consom­mé par les choses, plus il a, moins il est. (Un indi­vi­du iso­lé peut bien dépas­ser cet état de mort-vivant, en réa­li­sant des acti­vi­tés créa­trices mar­gi­nales, mais la popu­la­tion tout entière ne le peut pas, sauf à abo­lir la forme capi­ta­liste de l’ac­ti­vi­té pra­tique, à abo­lir le tra­vail sala­rié, afin de désa­lié­ner l’ac­ti­vi­té créa­trice.)

Le fétichisme de la marchandise

En alié­nant leur acti­vi­té et en l’in­cor­po­rant dans des mar­chan­dises, dans des récep­tacles maté­riels de tra­vail humain, les hommes se repro­duisent et créent le Capi­tal. Du point de vue de l’i­déo­lo­gie capi­ta­liste, et notam­ment de l’é­co­no­mie conven­tion­nelle, cette affir­ma­tion est fausse : les mar­chan­dises « ne sont pas seule­ment les pro­duits du tra­vail » ; les mar­chan­dises sont pro­duites par les prin­ci­paux « fac­teurs de pro­duc­tion », à savoir la Sainte Tri­ni­té de la Terre, du Tra­vail et du Capi­tal — le Capi­tal étant, bien enten­du, le héros de la pièce.

Le rôle de cette pré­ten­due tri­ni­té n’est pas de four­nir une ana­lyse, ce n’est pas ce pour­quoi les Experts sont payés. Les Experts sont payés pour mys­ti­fier, pour recou­vrir d’une chape d’illusion la forme sociale que revêt l’ac­ti­vi­té pra­tique sous le capi­ta­lisme ; pour dis­si­mu­ler le fait que les pro­duc­teurs se repro­duisent eux-mêmes, repro­duisent leurs exploi­teurs, ain­si que les ins­tru­ments au moyen des­quels ils sont exploi­tés. La for­mule de la tri­ni­té ne convainc pas. Il est évident que la terre n’est pas davan­tage pro­duc­trice de mar­chan­dises que l’air, l’eau ou le soleil. Quant au Capi­tal, qui désigne à la fois la rela­tion sociale entre les tra­vailleurs et les capi­ta­listes, les ins­tru­ments de pro­duc­tion que pos­sède le capi­ta­liste, et l’é­qui­valent moné­taire de ses ins­tru­ments, il ne pro­duit rien d’autre que la bille­ve­sée des éco­no­mistes, condi­tion­née en publi­ca­tions aca­dé­miques. Les ins­tru­ments de pro­duc­tion, autre­ment dit le Capi­tal que pos­sède un capi­ta­liste, ne consti­tuent un « fac­teur de pro­duc­tion » pri­mor­dial qu’aux yeux de celui dont les œillères l’amènent à ne consi­dé­rer qu’une firme capi­ta­liste iso­lée ; une vision géné­rale de toute l’é­co­no­mie révèle que le Capi­tal d’un capi­ta­liste est le récep­tacle maté­riel du tra­vail alié­né à un autre capi­ta­liste. Aus­si peu convain­cante soit-elle, la for­mule de la tri­ni­té joue son rôle mys­ti­fi­ca­teur en chan­geant le sens de la ques­tion : au lieu de deman­der pour­quoi, sous le capi­ta­lisme, l’activité des humains prend la forme du tra­vail sala­rié, bon nombre d’analystes du quo­ti­dien capi­ta­liste sont chan­gés en mar­xistes uni­ver­si­taires pour les­quels la ques­tion devient : le tra­vail est-il ou non le seul « fac­teur de pro­duc­tion » ?

Ain­si, les Sciences éco­no­miques (et l’i­déo­lo­gie capi­ta­liste en géné­ral) consi­dèrent-elles la terre, l’argent, et les pro­duits du tra­vail comme des choses dis­po­sant du pou­voir de pro­duire, de créer de la valeur, de tra­vailler pour leurs pro­prié­taires, et donc de trans­for­mer le monde. Marx parle de féti­chisme pour dési­gner cette per­cep­tion conven­tion­nelle des choses dans la socié­té capi­ta­liste, éri­gée au rang de dogme par les éco­no­mistes. Pour les éco­no­mistes, les êtres vivants sont des choses (« fac­teurs de pro­duc­tion »), et les choses sont des êtres vivants (l’argent « tra­vaille », le Capi­tal « pro­duit »).

Le féti­chiste attri­bue le pro­duit de sa propre acti­vi­té à son fétiche. De la sorte, il cesse d’exer­cer son propre pou­voir (pou­voir de trans­for­mer la nature, pou­voir de déter­mi­ner la forme et le conte­nu de sa vie quo­ti­dienne), et n’emploie que les « pou­voirs » qu’il attri­bue à son fétiche (« pou­voir » d’acheter des mar­chan­dises). En d’autres termes, le féti­chiste se castre et attri­bue sa fer­ti­li­té à son fétiche.

Cepen­dant, le fétiche est une chose morte et non un être vivant, il est dépour­vu de fer­ti­li­té. Il n’est rien de plus que l’ob­jet pour lequel et au tra­vers duquel les rap­ports capi­ta­listes sont pré­ser­vés. Le mys­té­rieux pou­voir du Capi­tal, son « pou­voir » de pro­duire, sa fer­ti­li­té, ne réside pas en lui-même, mais dans le fait que les hommes aliènent leur acti­vi­té créa­trice, vendent leur tra­vail aux capi­ta­listes, maté­ria­lisent ou réi­fient leur tra­vail alié­né dans des mar­chan­dises. Pour le dire autre­ment, les êtres humains sont ache­tés avec les pro­duits de leur propre acti­vi­té, et pour­tant ils per­sistent à consi­dé­rer leur propre acti­vi­té comme celle du Capi­tal, et les pro­duits de cette acti­vi­té comme ceux du Capi­tal. En attri­buant au Capi­tal et non à leur propre acti­vi­té le pou­voir de créer, les hommes aban­donnent leur acti­vi­té vivante, leur vie quo­ti­dienne, au Capi­tal, c’est-à-dire qu’ils s’offrent quo­ti­dien­ne­ment à la per­son­ni­fi­ca­tion du Capi­tal, au capi­ta­liste.

En ven­dant leur tra­vail, en alié­nant leur acti­vi­té, les hommes repro­duisent quo­ti­dien­ne­ment les per­son­ni­fi­ca­tions des formes domi­nantes de l’ac­ti­vi­té sous le capi­ta­lisme : ils repro­duisent le tra­vailleur sala­rié et le capi­ta­liste, phy­si­que­ment et socia­le­ment ; ils repro­duisent les indi­vi­dus qui vendent leur force de tra­vail, et les indi­vi­dus qui détiennent les moyens de pro­duc­tion ; ils repro­duisent aus­si les acti­vi­tés spé­ci­fiques des­dits indi­vi­dus, la vente aus­si bien que la pro­prié­té.

Chaque fois que les hommes exé­cutent une acti­vi­té qu’ils n’ont pas eux-mêmes défi­nie et qu’ils ne contrôlent pas, chaque fois qu’ils achètent des mar­chan­dises qu’ils ont eux-mêmes pro­duites avec l’argent qu’ils ont reçu en échange de leur acti­vi­té alié­née, chaque fois qu’ils admirent pas­si­ve­ment les pro­duits de leur propre acti­vi­té comme s’ils étaient des objets étran­gers que l’argent leur a pro­cu­rés, les hommes entre­tiennent la vie du Capi­tal, et anni­hilent la leur.

Ce pro­ces­sus a pour but la repro­duc­tion de la rela­tion entre le tra­vailleur et le capi­ta­liste. Ce n’est cepen­dant pas l’objectif des agents indi­vi­duels impli­qués dans cette rela­tion, parce que leurs acti­vi­tés ne leur sont pas trans­pa­rentes. Hyp­no­ti­sés par le fétiche se tenant entre leurs actes et les résul­tats de ces actes, ils ne voient que des choses, que ces choses pour les­quelles les rela­tions capi­ta­listes sont éta­blies. En tant que pro­duc­teur, le tra­vailleur cherche à échan­ger son tra­vail quo­ti­dien contre de l’argent-salaire, qui est pré­ci­sé­ment la chose à tra­vers laquelle la rela­tion avec le capi­ta­liste est affir­mée, et à tra­vers laquelle le tra­vailleur sala­rié se repro­duit et repro­duit le capi­ta­liste. En tant que consom­ma­teur, le tra­vailleur échange son argent contre les pro­duits du tra­vail, qui sont pré­ci­sé­ment les choses que le capi­ta­liste doit vendre dans le but de réa­li­ser son Capi­tal.

La trans­for­ma­tion quo­ti­dienne de l’ac­ti­vi­té vivante en Capi­tal est média­ti­sée par ces choses, mais n’est pas réa­li­sée par les choses elles-mêmes. Le féti­chiste ne le per­çoit pas ; à ses yeux, tra­vail et terre, ins­tru­ments, argent, entre­pre­neurs et ban­quiers sont tous des « fac­teurs » de pro­duc­tion, des « agents ». Ima­gi­nons un chas­seur féti­chiste, por­tant une amu­lette, et tuant un daim avec une pierre. Pour notre chas­seur, dans la chasse du daim, l’a­mu­lette consti­tue un « fac­teur » essen­tiel, et peut-être même que c’est l’a­mu­lette qui a four­ni le daim comme objet à chas­ser. En bon féti­chiste, il dévoue­ra toute son atten­tion à l’a­mu­lette, la nour­ri­ra avec soin et admi­ra­tion. Pour amé­lio­rer les condi­tions maté­rielles de sa vie, il amé­lio­re­ra la manière dont il porte son fétiche, et pas celle dont il lance sa pierre. S’il est immo­bi­li­sé, il ira même jus­qu’à envoyer son amu­lette « chas­ser » à sa place. Ses propres acti­vi­tés quo­ti­diennes ne lui sont pas trans­pa­rentes. Quand il mange à sa faim, il ne réus­sit pas à voir que sa nour­ri­ture lui est four­nie non pas par l’ac­tion de l’a­mu­lette, mais par la sienne propre. Quand il est affa­mé, sans nour­ri­ture, il ne réa­lise pas que sa faim n’est pas la consé­quence du cour­roux de son amu­lette, mais celle du fait qu’il voue un culte à l’amulette au lieu de chas­ser.

Le féti­chisme de la mar­chan­dise et de l’argent, cette mys­ti­fi­ca­tion des acti­vi­tés quo­ti­diennes d’un indi­vi­du, cette reli­gion de la vie quo­ti­dienne attri­buant des acti­vi­tés vivantes à des choses inani­mées, n’est pas un caprice men­tal né dans l’i­ma­gi­na­tion des hommes. Il émane de la sin­gu­la­ri­té des rap­ports sociaux capi­ta­listes. Dans le capi­ta­lisme, les hommes entrent effec­ti­ve­ment en rela­tion les uns avec les autres aux tra­vers de choses. Le fétiche est d’ailleurs l’objet de leur action col­lec­tive, à tra­vers laquelle ils repro­duisent leur acti­vi­té. Mais le fétiche ne réa­lise pas l’ac­ti­vi­té ; le Capi­tal ne trans­forme pas les maté­riaux bruts, pas plus qu’il ne pro­duit de mar­chan­dises. Si l’ac­ti­vi­té vivante ne trans­for­mait pas les matières pre­mières, celles-ci res­te­raient ce qu’elles sont, inchan­gées, inertes ou mortes. Si les hommes n’é­taient pas dis­po­sés à conti­nuer à vendre leur acti­vi­té, le Capi­tal ces­se­rait d’exis­ter, son impuis­sance serait mise au jour, il n’aurait plus comme seul pou­voir que celui de remé­mo­rer aux gens cette forme dévoyée de la vie quo­ti­dienne qui était carac­té­ri­sée par une pros­ti­tu­tion quo­ti­dienne et uni­ver­selle.

Le tra­vailleur aliène sa vie dans le but de la pré­ser­ver. S’il ne ven­dait pas son acti­vi­té vivante, il n’obtiendrait pas de salaire et ne pour­rait pas sur­vivre. Cepen­dant, ce n’est pas le salaire qui fait de l’a­lié­na­tion la condi­tion de la sur­vie. Si, col­lec­ti­ve­ment, les hommes n’é­taient pas dis­po­sés à vendre leurs vies, s’ils étaient dis­po­sés à prendre en main leurs propres acti­vi­tés, la pros­ti­tu­tion uni­ver­selle ne serait plus une condi­tion de la sur­vie. Autre­ment dit, c’est la dis­po­si­tion des hommes à conti­nuer à vendre leur tra­vail, et non les choses pour les­quelles ils le vendent, qui fait de l’a­lié­na­tion de l’activité vivante une néces­si­té de la pré­ser­va­tion de la vie.

L’ac­ti­vi­té vivante ven­due par le tra­vailleur est ache­tée par le capi­ta­liste. Et c’est cette acti­vi­té vivante qui insuffle la vie au Capi­tal, qui le rend « pro­duc­tif ». Le capi­ta­liste, « pro­prié­taire » de matières pre­mières et d’ins­tru­ments de pro­duc­tion, consi­dère les objets natu­rels et les pro­duits du tra­vail d’autres hommes comme sa « pro­prié­té pri­vée ». Mais ce ne sont pas les mys­té­rieux pou­voirs du Capi­tal qui créent la « pro­prié­té pri­vée » : l’activité vivante crée la « pro­prié­té », et la forme que revêt cette acti­vi­té la rend « pri­vée ».

La transformation de l’activité vivante en capital

La trans­for­ma­tion de l’ac­ti­vi­té vivante en Capi­tal est réa­li­sée au tra­vers des choses, mais cette trans­for­ma­tion n’est pas accom­plie par les choses. Les choses, pro­duits de l’ac­ti­vi­té humaine, passent pour des agents actifs parce que les acti­vi­tés et rap­ports humains sont éta­blis pour et au tra­vers des choses, et parce que les acti­vi­tés des humains ne leurs sont pas trans­pa­rentes ; ain­si sont-ils ame­nés à confondre l’ob­jet média­ti­sant avec la cause.

Dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion capi­ta­liste, le tra­vailleur incor­pore son éner­gie vivante alié­née dans un objet inerte au moyen d’instruments de pro­duc­tion qui sont eux-mêmes maté­ria­li­sa­tion de l’activité d’autres hommes. Les appa­reils indus­triels com­plexes incor­porent l’ac­ti­vi­té intel­lec­tuelle et manuelle d’in­nom­brables géné­ra­tions d’in­ven­teurs et de pro­duc­teurs ori­gi­naires des quatre coins du globe, et de diverses formes de socié­té. Ces ins­tru­ments ne sont en eux-mêmes que des objets inertes, des incor­po­ra­tions maté­rielles de l’ac­ti­vi­té humaine, dépour­vues de vie propre. Dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion, le seul agent actif est le tra­vailleur vivant, qui uti­lise les pro­duits du tra­vail d’autres hommes et, pour ain­si dire, leur insuffle la vie, mais cette vie est la sienne. Le tra­vailleur n’est pas en mesure de res­sus­ci­ter les indi­vi­dus ayant incor­po­ré leur acti­vi­té vivante dans son ins­tru­ment de tra­vail. Cet ins­tru­ment peut le rendre capable d’accomplir davan­tage dans un temps don­né et, ain­si, d’accroître sa pro­duc­ti­vi­té. Cepen­dant, seul le tra­vail vivant doté de la capa­ci­té de pro­duire peut être pro­duc­tif.

Quand, par exemple, un tra­vailleur indus­triel fait fonc­tion­ner un tour élec­trique, il uti­lise les pro­duits du tra­vail de géné­ra­tions de phy­si­ciens, d’in­ven­teurs, d’in­gé­nieurs, d’élec­tri­ciens et de fabri­cants de tours, ce qui le rend auto­ma­ti­que­ment plus pro­duc­tif qu’un arti­san fabri­quant le même objet avec ses mains. Mais le « Capi­tal » dont dis­pose le tra­vailleur indus­triel n’est aucu­ne­ment plus « pro­duc­tif » que le « Capi­tal » dont dis­pose l’ar­ti­san. Si des géné­ra­tions d’activité intel­lec­tuelle et manuelle n’é­taient pas incor­po­rées dans le tour élec­trique, si le tra­vailleur indus­triel avait à inven­ter le tour, l’élec­tri­ci­té, puis le tour élec­trique, il n’aurait pas assez d’une vie pour par­ve­nir à tour­ner un seul objet sur un tour élec­trique. Aucune quan­ti­té de Capi­tal ne pour­rait accroître sa pro­duc­ti­vi­té afin qu’elle dépasse celle de l’ar­ti­san fabri­quant l’ob­jet à la main.

La notion de « pro­duc­ti­vi­té du Capi­tal », et par­ti­cu­liè­re­ment sa mesure détaillée, sont des inven­tions de la « science » éco­no­mique, véri­table reli­gion de la vie capi­ta­liste épui­sant l’éner­gie des gens dans l’a­do­ra­tion, l’ad­mi­ra­tion et la flat­te­rie du prin­ci­pal fétiche de la socié­té capi­ta­liste. Les col­lègues médié­vaux de ses « scien­ti­fiques » mesu­raient en détails les dimen­sions des anges du Para­dis, sans jamais se deman­der ce qu’étaient les anges et le Para­dis, dont les exis­tences étaient tenues pour acquises.

Le résul­tat de l’ac­ti­vi­té ven­due du tra­vailleur est un pro­duit qui ne lui appar­tient pas, dans lequel est incor­po­ré son tra­vail, soit un moment de sa vie. Ce pro­duit est donc un récep­tacle conte­nant son acti­vi­té vivante, mais ne lui appar­te­nant pas, lui étant aus­si étran­ger que son propre tra­vail. Il n’a pas déci­dé de fabri­quer ce pro­duit, qui ne lui revient pas une fois fini ; s’il le veut, il doit l’a­che­ter. Ce qu’il a fabri­qué n’est pas qu’un pro­duit doté de cer­taines pro­prié­tés utiles. Pour cela, nul besoin de vendre son tra­vail à un capi­ta­liste en échange de son salaire, il lui suf­fi­rait de se pro­cu­rer les maté­riaux et outils néces­saires à la réa­li­sa­tion de son objec­tif, et dans les limites de son savoir et de son habi­le­té. Bien évi­dem­ment, un indi­vi­du ne peut faire cela que mar­gi­na­le­ment. L’appropriation et l’utilisation par chaque indi­vi­du des maté­riaux et outils à sa dis­po­si­tion impliquent le ren­ver­se­ment de la forme capi­ta­liste de l’ac­ti­vi­té humaine.

Ce que le tra­vailleur fabrique, dans la socié­té capi­ta­liste, c’est un pro­duit doté d’une pro­prié­té très spé­ci­fique : son carac­tère mar­chan­dable. Ce que pro­duit son acti­vi­té alié­née, c’est une mar­chan­dise.

La pro­duc­tion capi­ta­liste étant pro­duc­tion mar­chande, il est faux d’af­fir­mer que son pro­ces­sus vise à satis­faire les besoins humains. Cette affir­ma­tion est à la fois ratio­na­li­sa­tion et apo­lo­gie. La « satis­fac­tion des besoins humains » n’est ni le but du capi­ta­liste, ni celui du tra­vailleur enga­gé dans la pro­duc­tion, ni le résul­tat du pro­ces­sus de pro­duc­tion. Le tra­vailleur vend son tra­vail dans le but de rece­voir un salaire ; le conte­nu spé­ci­fique du tra­vail lui est indif­fé­rent. Sans salaire, il n’a­lié­ne­rait pas son tra­vail à un capi­ta­liste, peu importe com­bien de besoins humains les pro­duits de ce capi­ta­liste pour­raient satis­faire. Le capi­ta­liste achète le tra­vail et l’en­gage dans la pro­duc­tion dans le but de pro­duire des mar­chan­dises pou­vant être ven­dues. Il est indif­fé­rent aux pro­prié­tés spé­ci­fiques du pro­duit, tout comme il est indif­fé­rent aux besoins des gens. Tout ce qui l’in­té­resse, concer­nant le pro­duit, c’est com­bien il pour­ra en reti­rer. Tout ce qui l’in­té­resse, concer­nant les besoins des hommes, c’est com­bien ils ont « besoin » du pro­duit, et com­ment s’y prendre pour les ame­ner, au tra­vers de la coer­ci­tion et de la pro­pa­gande, à en avoir davan­tage « besoin ». L’objectif du capi­ta­liste est de satis­faire son besoin de repro­duire et d’é­lar­gir son Capi­tal, d’où la repro­duc­tion éten­due du tra­vail sala­rié et du Capi­tal (qui ne sont pas des « besoins humains »).

La mar­chan­dise que pro­duit le tra­vailleur est échan­gée par le capi­ta­liste contre une cer­taine quan­ti­té d’argent ; la mar­chan­dise est une valeur échan­gée contre une valeur équi­va­lente. C’est-à-dire que le tra­vail vivant, et pas­sé, maté­ria­li­sé dans le pro­duit, peut exis­ter sous deux formes dis­tinctes mais équi­va­lentes : sous la forme mar­chan­dise ou la forme mon­naie ; ou sous la forme de ce qu’elles ont en com­mun, à savoir la valeur. Cela ne signi­fie pas que la valeur soit du tra­vail, non, la valeur, c’est la forme sociale du tra­vail réi­fié (maté­ria­li­sé) dans la socié­té capi­ta­liste.

Dans la socié­té capi­ta­liste, les rela­tions sociales ne lient pas direc­te­ment les per­sonnes entre elles, mais s’établissent au tra­vers de la valeur. L’ac­ti­vi­té quo­ti­dienne n’est pas échan­gée direc­te­ment, elle est échan­gée sous forme de valeur. C’est pour­quoi, afin de suivre ce qu’il advient de l’ac­ti­vi­té humaine dans la socié­té capi­ta­liste, on ne peut se conten­ter d’observer direc­te­ment ladite acti­vi­té ; il nous faut suivre les méta­mor­phoses de la valeur.

Lorsque l’ac­ti­vi­té vivante des hommes prend la forme de tra­vail (acti­vi­té alié­née), elle acquiert son carac­tère mar­chan­dable, la forme de valeur. Ain­si le tra­vail peut-il être échan­gé contre une quan­ti­té « équi­va­lente » d’argent (salaire). L’a­lié­na­tion déli­bé­rée de l’ac­ti­vi­té vivante, per­çue comme néces­saire à la sur­vie des membres de la socié­té capi­ta­liste, repro­duit elle-même la forme capi­ta­liste dans laquelle l’a­lié­na­tion est néces­saire à la sur­vie. L’activité humaine deve­nant valeur, il en va de même de ses pro­duits : ils doivent être échan­geables contre de l’argent. Cela va de soi, étant don­né que si les pro­duits du tra­vail ne pre­naient pas la forme de valeur, mais par exemple celle d’ob­jets utiles et à la dis­po­si­tion de la socié­té, ces objets res­te­raient à l’u­sine ou seraient uti­li­sés libre­ment et à leur guise par les membres de la socié­té ; dans un cas comme dans l’autre, le salaire per­çu par les tra­vailleurs n’au­rait pas de valeur, et l’ac­ti­vi­té vivante ne pour­rait pas être ven­due en échange d’une somme « équi­va­lente » d’argent, ne pour­rait pas être alié­née. En consé­quence, dès lors que l’ac­ti­vi­té vivante prend la forme de valeur, les pro­duits de cette acti­vi­té prennent aus­si la forme de valeur, et la repro­duc­tion de la vie quo­ti­dienne se déploie au tra­vers des chan­ge­ments ou méta­mor­phoses de valeur.

Le capi­ta­liste vend les pro­duits du tra­vail sur un mar­ché, en échange d’une somme d’argent équi­va­lente, d’une valeur déter­mi­née. Le mon­tant spé­ci­fique de cette valeur sur un mar­ché par­ti­cu­lier consti­tue le prix des mar­chan­dises. Pour l’é­co­no­miste conven­tion­nel, le Prix consti­tue les clefs de saint Pierre ouvrant les portes du Para­dis. À l’instar du Capi­tal, le Prix évo­lue dans un monde mer­veilleux uni­que­ment consti­tué d’ob­jets, les­quels sont vivants, entre­tiennent entre eux des rap­ports humains, se trans­forment les uns les autres, com­mu­niquent entre eux, se marient et ont des enfants. Et c’est uni­que­ment par la Grâce de ces objets intel­li­gents, puis­sants et créa­teurs que les hommes pour­suivent le bon­heur dans la socié­té capi­ta­liste.

Dans la repré­sen­ta­tion ima­gée des cou­lisses du Para­dis fan­tas­mé par les éco­no­mistes, les anges font tout et les hommes ne font rien, sinon jouir des acti­vi­tés que ces êtres supé­rieurs réa­lisent pour eux : le Capi­tal pro­duit et l’argent tra­vaille. Mais d’autres êtres mys­té­rieux pos­sèdent des ver­tus simi­laires. Ain­si, Offre, quan­ti­té de choses à vendre, et Demande, quan­ti­té de choses à ache­ter, déter­minent ensemble Prix, quan­ti­té d’argent. Lorsqu’Offre et Demande se ren­contrent sur un point par­ti­cu­lier d’un dia­gramme, ils donnent nais­sance à Prix d’Équilibre, auquel cor­res­pond un état de béa­ti­tude uni­ver­selle. Les acti­vi­tés quo­ti­diennes étant réa­li­sées par les choses, les hommes, durant leurs « heures pro­duc­tives », sont réduits au rang de choses (« fac­teurs de pro­duc­tion »), et durant leurs « temps de loi­sir », au rôle de spec­ta­teurs pas­sifs de ces choses. Le talent de « l’É­co­no­miste scien­ti­fique » relève de son habi­le­té à attri­buer à des choses le résul­tat de l’ac­ti­vi­té quo­ti­dienne humaine, et de son inca­pa­ci­té de per­ce­voir l’ac­ti­vi­té vivante des hommes der­rière les frasques des choses. Pour l’é­co­no­miste, les choses au tra­vers des­quelles l’ac­ti­vi­té humaine est régu­lée, dans le cadre du capi­ta­lisme, sont à la fois mères et fils, causes et consé­quences de leur propre acti­vi­té.

Le mon­tant de la valeur, c’est-à-dire le prix d’une mar­chan­dise, la quan­ti­té d’argent contre laquelle elle est échan­gée, n’est pas déter­mi­né par des choses, mais par les acti­vi­tés quo­ti­diennes des hommes. L’offre et la demande, la concur­rence par­faite et impar­faite, ne sont rien d’autre que les formes sociales des pro­duits et des acti­vi­tés dans la socié­té capi­ta­liste ; elles n’ont pas de vie propre. De l’a­lié­na­tion de l’activité humaine, de la vente du temps de tra­vail en échange d’une quan­ti­té déter­mi­née d’argent, de son asso­cia­tion à une cer­taine valeur, découle le mon­tant de la valeur des pro­duits du tra­vail. La valeur des mar­chan­dises ven­dues doit être au moins égale à la valeur du temps de tra­vail, ce qui est va de soi, aus­si bien du point de vue de la firme capi­ta­liste que de celui de la socié­té prise comme un tout. En effet, si la valeur des mar­chan­dises ven­dues par un capi­ta­liste indi­vi­duel était infé­rieure à la valeur du tra­vail qu’il achète, s’il dépen­sait plus dans l’a­chat du tra­vail qu’il ne gagnait dans la vente des mar­chan­dises, il serait rapi­de­ment rui­né. De même, si, socia­le­ment, la valeur du pro­duit du tra­vail était infé­rieure à la valeur des mar­chan­dises ache­tées par les tra­vailleurs, la force de tra­vail ne pour­rait pas se repro­duire, sans même par­ler de la classe des capi­ta­listes. D’autre part, si la valeur des mar­chan­dises était sim­ple­ment égale à la valeur du temps de tra­vail néces­saire à leur fabri­ca­tion, les pro­duc­teurs de mar­chan­dises pour­raient à peine se repro­duire, et la socié­té ne serait pas une socié­té capi­ta­liste ; les acti­vi­tés de ces hommes pour­raient encore être celles d’une éco­no­mie mar­chande, mais qui ne serait pas capi­ta­liste.

Pour que le tra­vail crée du Capi­tal, la valeur des mar­chan­dises pro­duites doit être supé­rieure à la valeur du tra­vail. En d’autres termes, la force de tra­vail doit géné­rer une pro­duc­tion excé­den­taire, c’est-à-dire une quan­ti­té de biens qu’elle ne consomme pas. Cette pro­duc­tion excé­den­taire doit être trans­for­mée en plus-value, une forme de valeur qui ne revient pas aux tra­vailleurs sous forme de salaires, mais que s’ap­pro­prient les capi­ta­listes sous forme de pro­fits. D’ailleurs, la valeur des pro­duits du tra­vail doit être plus impor­tante encore, car le tra­vail vivant n’est pas le seul type de tra­vail maté­ria­li­sé dans ces pro­duits. Dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion, les tra­vailleurs dépensent leur propre éner­gie, mais uti­lisent aus­si du tra­vail incor­po­ré par d’autres tra­vailleurs dans les ins­tru­ments de pro­duc­tion dont ils se servent ; en outre, ils tra­vaillent et façonnent des maté­riaux dans les­quels du tra­vail a déjà été dépen­sé.

Il s’ensuit que les ordres de gran­deur de la valeur des pro­duits du tra­vail et des salaires sont de dif­fé­rentes magni­tudes, c’est-à-dire que la somme d’argent que per­çoit le capi­ta­liste en ven­dant les mar­chan­dises pro­duites par ses tra­vailleurs est très dif­fé­rente de la somme qu’il leur verse. Le fait qu’il doive payer les maté­riaux et l’usure des outils n’ex­plique pas cette dif­fé­rence. Si la valeur des mar­chan­dises ven­dues était égale à la valeur du tra­vail vivant et des ins­tru­ments de tra­vail, il n’y aurait tou­jours pas de place pour les capi­ta­listes. La dif­fé­rence d’ordre de gran­deur doit être suf­fi­sante pour entre­te­nir une classe de capi­ta­listes — non seule­ment les indi­vi­dus, mais aus­si l’ac­ti­vi­té spé­ci­fique dans laquelle ces indi­vi­dus sont enga­gés, celle qui consiste à ache­ter du tra­vail. La dif­fé­rence entre la valeur totale des pro­duits et la valeur du tra­vail dépen­sé dans leur pro­duc­tion est la plus-value, l’origine du Capi­tal.

Pour retrou­ver l’o­ri­gine de la plus-value, il est néces­saire d’exa­mi­ner pour­quoi la valeur du tra­vail est infé­rieure à la valeur des mar­chan­dises qu’il pro­duit. Au moyen de dif­fé­rents outils, l’ac­ti­vi­té alié­née des tra­vailleurs trans­forme des maté­riaux en une cer­taine quan­ti­té de mar­chan­dises. Mais une fois ces mar­chan­dises ven­dues, et les maté­riaux et ins­tru­ments payés, les tra­vailleurs ne reçoivent pas, en guise de salaire, la valeur res­tante de leur pro­duc­tion ; ils reçoivent moins. Chaque jour, les tra­vailleurs réa­lisent une cer­taine quan­ti­té de tra­vail non-payé, de tra­vail for­cé, pour lequel ils ne reçoivent aucun équi­valent.

L’exécution de ce tra­vail non-payé, de ce tra­vail for­cé, est une autre « condi­tion de sur­vie » dans la socié­té capi­ta­liste. À l’instar de l’a­lié­na­tion, cette condi­tion n’est pas impo­sée par la nature, mais par la pra­tique col­lec­tive des hommes, par leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes. Avant l’existence des syn­di­cats, le tra­vailleur accep­tait n’im­porte quel genre de tra­vail for­cé, étant don­né que refu­ser les termes de l’é­change l’aurait lais­sé sans salaire puisque d’autres les auraient accep­tés. Les tra­vailleurs entraient en concur­rence vis-à-vis des salaires offerts par les capi­ta­listes. Lorsqu’un tra­vailleur quit­tait son tra­vail en rai­son d’un salaire indé­cem­ment bas, un chô­meur ne tar­dait pas à le rem­pla­cer, un maigre salaire valant mieux que pas de salaire du tout. Cet état de concur­rence entre les tra­vailleurs était appe­lé « tra­vail libre » par les capi­ta­listes, qui étaient prêts à consen­tir à d’im­menses sacri­fices afin de garan­tir cette liber­té des tra­vailleurs qui leur garan­tis­sait une plus-value, et leur per­met­tait d’ac­cu­mu­ler du Capi­tal. Aucun tra­vailleur ne cher­chait à pro­duire plus de biens que ceux pour les­quels il était payé. Tous les tra­vailleurs cher­chaient à obte­nir un salaire aus­si éle­vé que pos­sible. Cepen­dant, l’exis­tence de tra­vailleurs sans aucun salaire, c’est-à-dire de chô­meurs, accep­tant un salaire infé­rieur à celui des tra­vailleurs déjà employés, per­met­tait au capi­ta­liste de payer de bas salaires. L’exis­tence de ces chô­meurs per­met­tait d’ailleurs au capi­ta­liste de payer le plus bas salaire pos­sible contre lequel les ouvriers accep­taient de tra­vailler. Ain­si l’ac­ti­vi­té col­lec­tive quo­ti­dienne des tra­vailleurs, qui cher­chaient tous indi­vi­duel­le­ment à obte­nir le meilleur salaire pos­sible, avait pour résul­tat de réduire les salaires de tous les tra­vailleurs. La com­pé­ti­tion de cha­cun contre tous les condam­nait tous au salaire le plus bas, tan­dis que le capi­ta­liste réa­li­sait une plus-value maxi­male.

La pra­tique quo­ti­dienne de tous contre­car­rait l’objectif de cha­cun. Mais les tra­vailleurs ne savaient pas que leur situa­tion était le résul­tat de leur com­por­te­ment quo­ti­dien, étant don­né que leurs acti­vi­tés ne leur étaient pas trans­pa­rentes. Il leur sem­blait que les bas salaires consti­tuaient un élé­ment natu­rel de leur vie, comme la mala­die et la mort ; que la baisse des salaires était une catas­trophe natu­relle, comme un hiver rigou­reux ou une inon­da­tion. Les cri­tiques des socia­listes et les ana­lyses de Marx, ain­si que le déve­lop­pe­ment indus­triel, lequel offrait davan­tage de temps à la réflexion, écar­tèrent un cer­tain nombre d’illusions et per­mirent aux tra­vailleurs, dans une cer­taine mesure, de com­prendre leurs propres acti­vi­tés. Cepen­dant, en Europe de l’Ouest et aux États-Unis, les tra­vailleurs ne se débar­ras­sèrent pas des formes capi­ta­listes de la vie quo­ti­dienne ; ils for­mèrent des syn­di­cats. Dans les condi­tions maté­rielles dif­fé­rentes de l’U­nion Sovié­tique et de l’Eu­rope de l’Est, les tra­vailleurs (et les pay­sans) rem­pla­cèrent la classe des capi­ta­listes par une bureau­cra­tie d’É­tat, laquelle achète le tra­vail alié­né et accu­mule le Capi­tal au nom de Marx.

Leur quo­ti­dien, avec les syn­di­cats, est assez simi­laire à ce qu’il était avant les syn­di­cats. C’est à peine s’il a chan­gé. La vie quo­ti­dienne conti­nue à se com­po­ser de tra­vail, c’est-à-dire d’activité alié­née, et de tra­vail non payé, c’est-à-dire de tra­vail for­cé. Le tra­vailleur syn­di­qué n’é­ta­blit pas per­son­nel­le­ment les termes de son alié­na­tion, les fonc­tion­naires du syn­di­cat s’en chargent pour lui. Les condi­tions de l’aliénation de l’activité vivante du tra­vailleur ne relèvent plus d’une situa­tion les contrai­gnant à accep­ter tout tra­vail dis­po­nible ; ces condi­tions relèvent désor­mais du besoin des bureau­crates syn­di­caux de conser­ver leur posi­tion de proxé­nète en charge des négo­cia­tions entre ven­deurs et ache­teurs de tra­vail.

Syn­di­cat ou non, la plus-value n’est ni pro­duit de la nature, ni du Capi­tal ; elle est tou­jours créée par l’ac­ti­vi­té quo­ti­dienne des hommes. Dans l’exécution de leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, les hommes consentent à alié­ner leurs acti­vi­tés, mais éga­le­ment à repro­duire les condi­tions qui les contraignent à alié­ner leurs acti­vi­tés, à repro­duire le Capi­tal, et donc le « pou­voir » du Capi­tal d’acheter leur tra­vail. Cet état de fait ne s’explique pas par leur incon­nais­sance d’une alter­na­tive. Une per­sonne han­di­ca­pée par une indi­ges­tion chro­nique cau­sée par une inges­tion exces­sive d’aliments gras ne conti­nue pas à en man­ger par incon­nais­sance d’une alter­na­tive. Soit elle pré­fère conti­nuer à en man­ger, quitte à en être malade, soit elle ignore que la consom­ma­tion quo­ti­dienne d’aliments gras est la cause de son han­di­cap. Et vu que son méde­cin, son prêtre, son ins­ti­tu­teur et son poli­ti­cien lui affirment, d’abord, que les ali­ments gras la main­tiennent en vie, et ensuite, qu’ils font déjà pour elle tout ce qu’elle ferait pour elle-même si elle était en bonne san­té, il n’est pas sur­pre­nant que son acti­vi­té ne lui soit pas trans­pa­rente et qu’elle ne fasse aucun effort pour la rendre trans­pa­rente.

La pro­duc­tion de plus-value est une condi­tion de sur­vie non pas de la popu­la­tion, mais du sys­tème capi­ta­liste. La plus-value est la par­tie de la valeur des mar­chan­dises pro­duites par le tra­vail qui ne leur revient pas. À l’instar du Capi­tal, elle peut prendre la forme de mar­chan­dises ou d’argent, ce qui ne change rien au fait qu’elle consti­tue l’expression du tra­vail incor­po­ré dans une quan­ti­té de pro­duits. Les pro­duits étant échan­geables contre une cer­taine quan­ti­té « équi­va­lente » d’argent, l’argent « figure » la même valeur que ces pro­duits, et peut à son tour être échan­gé contre une cer­taine quan­ti­té d’autres pro­duits de valeur « équi­va­lente ». L’en­semble de ces échanges, qui prennent place simul­ta­né­ment durant les acti­vi­tés quo­ti­diennes de la socié­té capi­ta­liste, consti­tue le pro­ces­sus de cir­cu­la­tion capi­ta­liste. Par le tru­che­ment de ce pro­ces­sus, la plus-value se méta­mor­phose en Capi­tal.

La par­tie de la valeur qui ne revient pas aux tra­vailleurs, la plus-value, per­met au capi­ta­liste d’exis­ter, et plus encore. Car le capi­ta­liste inves­tit une par­tie de cette plus-value afin d’a­che­ter de nou­veaux tra­vailleurs et de nou­veaux moyens de pro­duc­tion, d’élargir son empire. C’est ain­si que le capi­ta­liste accu­mule du nou­veau tra­vail, à la fois sous la forme du tra­vail vivant des tra­vailleurs qu’il embauche, et du tra­vail pas­sé (payé et non-payé) incor­po­ré dans les maté­riaux et les machines qu’il achète.

Dans son ensemble, la classe capi­ta­liste accu­mule le sur­tra­vail (le sur­plus de tra­vail, le tra­vail non-payé), de la socié­té, mais ce pro­ces­sus, pre­nant place à l’é­chelle sociale, ne peut être obser­vé au tra­vers des acti­vi­tés d’un seul capi­ta­liste. Rap­pe­lons que les ins­tru­ments de pro­duc­tion qu’un capi­ta­liste achète ont les mêmes carac­té­ris­tiques que les pro­duits qu’il vend. Lorsqu’un pre­mier capi­ta­liste vend des outils de pro­duc­tion d’une cer­taine valeur à un deuxième capi­ta­liste, seule une par­tie de cette valeur retourne aux tra­vailleurs sous forme de salaires. Le reste, la plus-value, per­met au pre­mier capi­ta­liste d’acheter de nou­veaux ins­tru­ments de pro­duc­tion et du nou­veau tra­vail. En ache­tant les outils de pro­duc­tion, le deuxième capi­ta­liste paie la quan­ti­té totale de tra­vail que les tra­vailleurs ont four­ni au pre­mier capi­ta­liste, c’est-à-dire qu’il paie pour la quan­ti­té de tra­vail rému­né­ré aus­si bien que pour celle qui ne l’est pas. Les outils obte­nus par le deuxième capi­ta­liste contiennent donc le tra­vail non-payé qui avait été réa­li­sé pour le compte du pre­mier. Le deuxième capi­ta­liste vend alors à son tour son pro­duit pour une valeur dont il ne retourne qu’une par­tie à ses propres tra­vailleurs : la dif­fé­rence lui per­met d’acheter de nou­veaux ins­tru­ments de pro­duc­tion et du tra­vail.

En rédui­sant ce pro­ces­sus à une unique période tem­po­relle, et en consi­dé­rant que tous les capi­ta­listes ne font qu’un, il appa­raît clai­re­ment que la valeur avec laquelle les capi­ta­listes achètent les nou­veaux ins­tru­ments et le nou­veau tra­vail est égale à la valeur des pro­duits qui ne sont pas reve­nus aux tra­vailleurs. L’accumulation de ce sur­tra­vail consti­tue le Capi­tal.

En consi­dé­rant la socié­té capi­ta­liste comme un tout, on constate que le Capi­tal total est égal à la somme de tra­vail non-payé réa­li­sé par des géné­ra­tions d’êtres humains dont l’existence se résu­mait à une alié­na­tion quo­ti­dienne de leur acti­vi­té vivante. En d’autres termes, le Capi­tal, au nom duquel les hommes vendent leur acti­vi­té quo­ti­dienne, est le pro­duit de l’ac­ti­vi­té ven­due des hommes, et il est repro­duit et aug­men­té chaque fois qu’un homme vend son tra­vail, chaque fois qu’un homme consent à vivre un jour de plus la forme capi­ta­liste du quo­ti­dien.

Stockage et accumulation de l’activité humaine

La trans­for­ma­tion du sur­tra­vail en Capi­tal consti­tue une forme his­to­rique spé­ci­fique d’un pro­ces­sus plus géné­ral, à savoir l’in­dus­tria­li­sa­tion, la trans­for­ma­tion per­ma­nente de l’en­vi­ron­ne­ment maté­riel de l’homme.

Cer­taines des carac­té­ris­tiques essen­tielles des impacts de l’activité humaine sous le capi­ta­lisme peuvent être appré­hen­dées au moyen d’une simple image. Dans quelque socié­té ima­gi­naire, les gens passent la plu­part de leur temps actif à pro­duire de la nour­ri­ture et d’autres néces­si­tés ; seule une par­tie de leur temps cor­res­pond à un « sur­plus de temps », dans le sens où il n’est pas consa­cré à la pro­duc­tion de néces­si­tés. Ce temps peut être dédié à la pro­duc­tion de nour­ri­ture pour des prêtres ou des guer­riers ne pro­dui­sant pas eux-mêmes, uti­li­sé pour pro­duire des objets qu’ils brû­le­ront lors d’évènements sacrés, ou des­ti­né à la réa­li­sa­tion de céré­mo­nies ou d’exer­cices gym­niques. Quoi qu’il en soit, de telles acti­vi­tés sont peu sus­cep­tibles de chan­ger les condi­tions maté­rielles de ces hommes d’une géné­ra­tion à l’autre. Cepen­dant, une géné­ra­tion advient qui décide d’emmagasiner le « sur­plus de temps », par exemple en l’employant à remon­ter des res­sorts, au lieu de le dépen­ser. La géné­ra­tion sui­vante est alors en mesure d’utiliser l’éner­gie sto­ckée dans les res­sorts remon­tés pour réa­li­ser des tâches néces­saires, ou pour remon­ter d’autres res­sorts. Dans un cas comme dans l’autre, le sur­tra­vail emma­ga­si­né par la géné­ra­tion pré­cé­dente four­nit davan­tage encore de « sur­plus de temps » à la sui­vante. Laquelle peut éga­le­ment sto­cker son propre sur­plus dans des res­sorts ou dans d’autres récep­tacles. En un laps de temps rela­ti­ve­ment court, le tra­vail accu­mu­lé dans les res­sorts dépas­se­ra le temps de tra­vail dont dis­pose la socié­té. En dépen­sant une quan­ti­té mini­male d’éner­gie, les hommes de cette socié­té ima­gi­naire pour­ront uti­li­ser les res­sorts afin de réa­li­ser la plu­part des tâches qui leurs sont néces­saires, et de remon­ter de nou­veaux res­sorts pour les futures géné­ra­tions. La plu­part des heures qu’ils consa­craient autre­fois à la pro­duc­tion de néces­si­tés sont désor­mais dédiées à la réa­li­sa­tion d’ac­ti­vi­tés non pas impo­sées par la néces­si­té mais conçues par l’i­ma­gi­na­tion.

De prime abord, il pour­rait sem­bler impro­bable que des gens vouent leur temps vivant à l’étrange tâche de remon­ter des res­sorts. Tout comme il pour­rait sem­bler impro­bable, dans l’éventualité où ils remon­te­raient ces res­sorts, qu’ils le fassent pour les géné­ra­tions futures, étant don­né que l’énergie accu­mu­lée dans ces res­sorts pour­raient, par exemple, ser­vir à réa­li­ser de magni­fiques spec­tacles lors de célé­bra­tions.

Mais si les gens de cette socié­té ne dis­po­saient pas de leur vie propre, si leur tra­vail ne leur appar­te­nait pas en propre, si leur acti­vi­té pra­tique consti­tuait du tra­vail for­cé, alors l’activité humaine pour­rait être assu­jet­tie au remon­tage de res­sorts, au sto­ckage de sur­plus de temps dans des récep­tacles maté­riels. Le rôle his­to­rique du Capi­ta­lisme, joué par des hommes ayant accep­té d’être dépos­sé­dés de leurs propres vies, a pré­ci­sé­ment consis­té à emma­ga­si­ner l’ac­ti­vi­té humaine dans des récep­tacles maté­riels au moyen du tra­vail for­cé.

Dès lors que des gens se sou­mettent au « pou­voir » de l’argent d’a­che­ter du tra­vail emma­ga­si­né aus­si bien que de l’ac­ti­vi­té vivante, dès lors qu’ils admettent le « droit » fic­tif des pro­prié­taires d’argent de contrô­ler et de dis­po­ser de l’ac­ti­vi­té vivante ou sto­ckée dont dis­pose la socié­té, ils trans­forment l’argent en Capi­tal, et les pro­prié­taires d’argent en Capi­ta­listes.

Cette double alié­na­tion, l’a­lié­na­tion de l’ac­ti­vi­té vivante sous forme de tra­vail sala­rié et l’a­lié­na­tion de l’ac­ti­vi­té des géné­ra­tions pas­sées sous forme de tra­vail accu­mu­lé (moyens de pro­duc­tion), ne consti­tue pas un évè­ne­ment ponc­tuel s’étant pro­duit à un moment don­né de l’his­toire. Les rap­ports entre tra­vailleurs et capi­ta­listes ne se sont pas défi­ni­ti­ve­ment impo­sés, un beau jour, à la socié­té. Jamais les hommes n’ont signé de contrat ou affir­mé ora­le­ment qu’ils renon­çaient à tout pou­voir sur leur propre acti­vi­té vivante ain­si que sur celle de toutes les géné­ra­tions futures du monde entier.

Le Capi­tal se donne l’apparence d’une force natu­relle, essaie de paraître aus­si immuable que la terre elle-même. Ses mou­ve­ments semblent aus­si irré­ver­sibles que vents et marées, ses crises aus­si iné­luc­tables que trem­ble­ments de terre et inon­da­tions. Les rares fois où il est admis que le pou­voir du Capi­tal est créa­tion humaine, c’est sou­vent pour lui confé­rer un nou­veau masque, encore plus impo­sant, celui d’une force sur­hu­maine créé par les hommes, sorte de Fran­ken­stein, dont le pou­voir ins­pire encore plus de ter­reur que n’im­porte quelle force natu­relle.

Cepen­dant, le Capi­tal n’est ni une force natu­relle, ni un monstre créé par les hommes quelque part dans le pas­sé et domi­nant, depuis lors, la des­ti­née humaine. Le pou­voir du Capi­tal ne réside pas dans l’argent, puisque l’argent est une conven­tion sociale dont le « pou­voir » cor­res­pond à ce que les hommes choi­sissent de lui confé­rer. Si les hommes refu­saient de vendre leur tra­vail, l’argent ne pour­rait plus rien, étant don­né que l’argent ne « tra­vaille » pas.

Le pou­voir du Capi­tal ne réside pas non plus dans les récep­tacles maté­riels dans les­quels le tra­vail des géné­ra­tions pas­sées a été accu­mu­lé, étant don­né que l’éner­gie poten­tielle ain­si emma­ga­si­née ne peut être libé­rée que par l’ac­ti­vi­té vivante des hommes, que ces récep­tacles soient ou non du Capi­tal, c’est-à-dire « pro­prié­té » alié­née. Sans acti­vi­té vivante, l’ensemble des objets qui consti­tuent le Capi­tal ne serait plus qu’une ribam­belle d’artefacts ana­logues, inertes et épar­pillés, et les « pro­prié­taires » du Capi­tal un lot dis­per­sé d’hommes excep­tion­nel­le­ment incom­pé­tents (de for­ma­tion), obsé­dés par des tas bouts de papier, ten­tant en vain de res­sus­ci­ter la mémoire de leur gran­deur pas­sée. Le seul « pou­voir » du Capi­tal réside dans les acti­vi­tés quo­ti­diennes des hommes vivants. Ce « pou­voir » consti­tue la dis­po­si­tion des hommes à vendre les acti­vi­tés quo­ti­diennes de leur vie contre de l’argent, et à renon­cer au contrôle des pro­duits de leur propre acti­vi­té et de celle des géné­ra­tions pas­sées.

Lorsqu’un indi­vi­du vend son tra­vail à un capi­ta­liste et accepte de ne rece­voir, en guise de salaire, de rétri­bu­tion pour son tra­vail, qu’une par­tie de sa propre pro­duc­tion, il crée les condi­tions néces­saires à la vente et à l’exploitation d’autres hommes. Per­sonne n’ac­cep­te­rait déli­bé­ré­ment de don­ner un bras ou un enfant contre de l’argent ; pour­tant, lorsqu’un homme vend déli­bé­ré­ment et consciem­ment son acti­vi­té vivante dans le but d’ac­qué­rir ce qui lui est néces­saire pour vivre, il repro­duit les cir­cons­tances qui font de la vente de sa vie une condi­tion de sa pré­ser­va­tion, et crée éga­le­ment les cir­cons­tances qui obligent d’autres hommes à vendre les leurs. Les géné­ra­tions à venir pour­raient, bien enten­du, refu­ser de vendre leur acti­vi­té vivante pour les mêmes rai­sons qu’au­jourd’­hui un indi­vi­du refu­se­rait de vendre son bras ; cepen­dant, chaque consen­te­ment à l’a­lié­na­tion et au tra­vail for­cé aug­mente le stock de tra­vail accu­mu­lé au moyen duquel le Capi­tal peut ache­ter l’ac­ti­vi­té vivante.

Afin de trans­for­mer le sur­tra­vail en Capi­tal, le capi­ta­liste doit trou­ver des moyens de l’accumuler dans des récep­tacles maté­riels, dans de nou­veaux moyens de pro­duc­tion. Il doit éga­le­ment ache­ter de nou­veaux tra­vailleurs afin d’utiliser ces nou­veaux moyens de pro­duc­tion. En d’autres termes, il doit agran­dir son entre­prise ou en créer une nou­velle dans une autre branche de pro­duc­tion. Cela pré­sup­pose ou néces­site l’exis­tence de maté­riaux pou­vant être trans­for­més en mar­chan­dises ven­dables, mais aus­si l’exis­tence d’acheteurs poten­tiels de ces nou­veaux pro­duits, ain­si que celle de per­sonnes assez pauvres pour accep­ter de vendre leur tra­vail. Ces pré­re­quis sont eux-mêmes créés par l’ac­ti­vi­té capi­ta­liste, laquelle, selon les capi­ta­listes, ne connait aucune limite, aucun obs­tacle. La démo­cra­tie du Capi­tal exige une liber­té abso­lue. L’im­pé­ria­lisme n’est pas seule­ment le « der­nier stade » du Capi­ta­lisme. C’est aus­si le pre­mier.

Toute chose pou­vant être trans­for­mée en mar­chan­dise com­mer­cia­li­sable est com­bus­tible pour le moteur du Capi­tal, qu’elle se trouve sur le ter­ri­toire du capi­ta­liste ou sur celui de son voi­sin, sur terre ou sous terre, flot­tant sur la mer ou ram­pant sur le plan­cher océa­nique, qu’on la trouve sur d’autres conti­nents ou d’autres pla­nètes. Toute l’exploration humaine de la nature, depuis l’al­chi­mie jus­qu’à la phy­sique, est mobi­li­sée dans la recherche de nou­veaux maté­riaux dans les­quels accu­mu­ler du tra­vail, dans la recherche de nou­veaux objets que des gens peuvent être ame­nés à ache­ter.

Les ache­teurs des nou­veaux et des anciens pro­duits sont créés par tous les moyens pos­sibles, tan­dis que de nou­veaux moyens sont constam­ment décou­verts. Par la force et par la fraude, des « mar­chés ouverts » et des « portes ouvertes » sont éta­blis. Les hommes qui ne dis­posent pas des moyens d’a­che­ter les pro­duits des capi­ta­listes sont embau­chés par les capi­ta­listes et payés pour pro­duire les biens qu’ils dési­rent ache­ter. Les arti­sans qui pro­duisent déjà ce que les capi­ta­listes ont à vendre sont pous­sés à la faillite ou ache­tés. Les lois ou tra­di­tions qui inter­disent l’emploi de cer­tains pro­duits sont détruites. Les hommes qui ne pos­sèdent pas les objets néces­saires à l’utilisation des pro­duits du capi­ta­liste sont ame­nés à les ache­ter. Une fois com­blés les besoins phy­siques ou bio­lo­giques des hommes, le capi­ta­liste peut « satis­faire » leurs « besoins spi­ri­tuels », ou enga­ger psy­cho­logues et psy­chiatres afin d’en créer de nou­veaux. Et une fois les hommes repus des pro­duits de consom­ma­tion des capi­ta­listes, une fois qu’ils se retrouvent dans l’incapacité d’utiliser de nou­veaux objets, il est encore pos­sible de leur apprendre à ache­ter des objets et des spec­tacles n’ayant aucune uti­li­té, qu’il s’agit sim­ple­ment d’observer et d’admirer.

Les capi­ta­listes trouvent des pauvres dans les socié­tés agraires et pré-agraires de tous les conti­nents. Lorsqu’ils ne sont pas suf­fi­sam­ment pauvres pour être dis­po­sés à vendre leur tra­vail au moment où les capi­ta­listes arrivent, ils sont appau­vris par les acti­vi­tés des capi­ta­listes eux-mêmes. Les terres des chas­seurs-cueilleurs deviennent pro­gres­si­ve­ment la « pro­prié­té pri­vée » de « pro­prié­taires » uti­li­sant la vio­lence de l’É­tat pour les concen­trer dans des « réserves » ne conte­nant pas assez de nour­ri­ture pour garan­tir leur sur­vie. Peu à peu, les pay­sans ne peuvent plus trou­ver d’ou­tils ailleurs que chez les mar­chands qui, géné­reu­se­ment, leur prêtent l’argent néces­saire pour qu’ils s’en pro­curent, et ce jus­qu’à ce que les « dettes » des pay­sans les contraignent à vendre la terre que ni leurs ancêtres ni eux-mêmes n’ont jamais ache­tée. Quant à l’ar­ti­san, le mar­chand devient pro­gres­si­ve­ment l’u­nique ache­teur de ses pro­duits, jus­qu’au jour où ce même mar­chand décide de pla­cer « ses arti­sans » sous un même toit et de leur four­nir des ins­tru­ments leur per­met­tant de pro­duire des choses plus pro­fi­tables. Chas­seurs, pay­sans, arti­sans indé­pen­dants et dépen­dants, hommes libres et esclaves, sont tous trans­for­més en tra­vailleurs sala­riés. Ceux qui, aupa­ra­vant, dis­po­saient de leurs propres vies dans des condi­tions maté­rielles rigou­reuses cessent d’en dis­po­ser dès lors qu’ils com­mencent à alté­rer leurs condi­tions maté­rielles. Ceux qui créaient autre­fois consciem­ment leurs propres et fru­gales exis­tences deviennent les vic­times incons­cientes de leur propre acti­vi­té, que cela leur per­mette ou non de dépas­ser la fru­ga­li­té de leurs vies pas­sées. Des hommes qui étaient beau­coup et qui avaient peu deviennent des hommes qui ont beau­coup mais qui sont peu.

La pro­duc­tion de nou­velles mar­chan­dises, « l’ouverture » de nou­veaux mar­chés et la créa­tion de nou­veaux tra­vailleurs ne sont pas trois acti­vi­tés sépa­rées, mais trois aspects de la même acti­vi­té. Une nou­velle force de tra­vail est créée pré­ci­sé­ment dans le but de pro­duire de nou­velles mar­chan­dises. Les salaires que per­çoivent les tra­vailleurs consti­tuent eux-mêmes le nou­veau mar­ché, tan­dis que leur tra­vail non-payé consti­tue la source d’une nou­velle expan­sion. Ni les fron­tières natu­relles ni les fron­tières cultu­relles ne freinent l’expansion du Capi­tal, la trans­for­ma­tion de l’ac­ti­vi­té quo­ti­dienne des hommes en tra­vail alié­né, la trans­for­ma­tion de leur sur­tra­vail en « pro­prié­té pri­vée » des capi­ta­listes. Le Capi­tal n’est pour­tant pas une force natu­relle, mais une série d’ac­ti­vi­tés exé­cu­tées chaque jour par les hommes, une forme de la vie quo­ti­dienne. La per­pé­tua­tion de son exis­tence et de son expan­sion ne requiert qu’une seule condi­tion essen­tielle : la dis­po­si­tion des hommes à conti­nuer d’aliéner leur acti­vi­té vivante et ain­si à repro­duire la forme capi­ta­liste de la vie quo­ti­dienne.

Fre­dy Perl­man


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

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