L’article de Patrick Lagacé publié dans La Presse du 19 mars dernier à propos des conspirationnistes édentés mérite une réplique (1). L’idée voulant que les analphabètes québécois soient surreprésentés chez ceux qu’il nomme les conspirationnistes est tout à fait critiquable.
M. Lagacé cite deux articles scientifiques pour étayer son propos concernant le faible niveau d’éducation des gens qui adhèrent à des théories du complot. Il s’agit d’un processus de cherry picking très en vogue chez les idéologues qui s’ignorent, permettant à ces derniers de se confirmer la véracité de leur idée sans faire le travail de fond nécessaire à une bonne compréhension de la question.
Je partage néanmoins son avis sur cette proposition : « Moins on est instruit, plus on peut être manipulé, berné, enfirouapé par des sornettes qui « sonnent vrai », érigées en business par des manipulateurs qui savent écrire, eux, même qu’ils ont parfois un doctorat, quand ce n’est pas deux ». Seul bémol, cette déclaration s’applique plutôt bien à ceux qui, comme lui, appuient les mesures sanitaires et défendent bec et ongles les discours certifiés sur la COVID-19. Il faudrait rappeler à Patrick Lagacé que les experts en communication des médias et du gouvernement sont très souvent des individus bardés de diplômes qui savent écrire, et que des érudits tels Noam Chomsky, Edward Bernays ou Jacques Ellul ont théorisé la manière dont la propagande institutionnelle arrive à berner, enfirouaper et manipuler l’opinion publique. Un des procédés propagandistes est le matraquage de messages de peur distribués à grande échelle par des médias de masse convergents.
Vous me voyez venir?
Les Québécois bouffent de la COVID-19 soirs et matins. Peu importe le poste de télé ou de radio qu’ils allument, le même message leur est répété depuis un an à coups de slogans et de reportages alarmistes. Pour Patrick Lagacé, un bon citoyen éduqué devrait écouter ce message, le croire et s’y soumettre. Les autres sont des édentés qui ne savent pas écrire deux mots sans faire de fautes. Je ne crois pas un mot de l’hypocrite bienveillance de Patrick Lagacé qui se cache derrière son image de gauchiste pour tenter de nous faire réfléchir aux conséquences de la pauvreté et des inégalités dans notre société. Le ton qu’il utilise est celui d’un élitiste qui méprise le peuple, le ton de celui qui veut que la populace se taise devant le pouvoir et son armée d’experts bureaucrates, le ton de celui qui ne voit le monde qu’à travers son prisme idéologique.
Ce qui semble déranger M. Lagacé, c’est que le peuple se manifeste. C’est qu’il revendique ses droits à la démocratie, ses droits à penser par lui-même et à être entendu. Oui, ce peuple souffre. Il souffre de pauvreté, d’inégalités et d’indifférence aux yeux des décideurs. Il sent qu’il souffre parce qu’on lui ment, parce qu’on l’instrumentalise, parce qu’on le traite comme un numéro sans humanité. Contrairement à ce que pense M. Lagacé, beaucoup d’individus dans les manifestations contre les mesures sanitaires sont des femmes instruites, des personnes âgées, des mères de famille et des grands-parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Si seulement le prince aux belles dents avait daigné descendre dans la rue avec eux pour leur parler et essayer de les comprendre.
Il y a aussi dans les manifestations quelques docteurs qui constatent les dommages collatéraux des mesures sanitaires et qui évaluent que les décisions prises par le gouvernement depuis plusieurs mois sont incohérentes, exagérées, voire violentes. Ils voient bien que les chiffres qu’on nous balance à propos de l’épidémie de COVID-19 montrent un manque de rigueur scientifique (confondre des cas cliniques avec des personnes porteuses d’un virus et souvent asymptomatiques), un manque de perspective historique (comparaison avec d’autres épidémies comme la grippe de Hong-Kong ou la grippe asiatique qui ont fait à peu près autant de morts que la COVID-19 au prorata de la population mondiale), un manque de réflexion démographique (quels sont l’âge et la condition médicale des personnes décédées, quel est l’état de la surmortalité au Québec depuis mars 2020) et une absence de prise en compte de facteurs circonstanciels aggravant les effets de l’épidémie (problèmes d’effectifs majeurs dans les hôpitaux et lourdeur des mesures barrières; diminution conséquente des lits dans certains centres hospitaliers causant l’atteinte plus rapide de leur pleine capacité).
Nous pouvons certainement concéder à Patrick Lagacé que sa vision des conspirationnistes est juste en ce qui concerne quelques exceptions. Mais, en général, les personnes qu’il traite d’édentées non-instruites semblent en fait être celles qui font preuve de plus de pensée critique. Contrairement à l’image sectaire qu’on cherche à accoler aux dits conspirationnistes, ce sont eux qui réfléchissent, doutent et remettent le maître en question. Qui est le plus sectaire ici? Qui sont ceux qui font une oraison quotidienne et se présentent en sauveurs en tenant un discours rigide rejetant toute contradiction? Qui appellent à l’isolement des individus, à l’obéissance aux commandements et à la délation et la punition des impies? Patrick Lagacé a littéralement les yeux grand fermés, probablement aveuglé par son idéal étatique et technocratique. Les fidèles doivent écouter et obéir. Les pasteurs sermonnent et les rois règnent.
M. Lagacé aimerait voir les Québécois instruits et formés. Le mot « formé » prend ici tout son sens. Le citoyen rêvé par la classe politico-médiatique, c’est le citoyen à qui on fait prendre une forme, le citoyen qu’on fond dans le moule, celui qui marche en ligne avec la rectitude et ne déborde jamais en marge. Le philosophe Bertrand Russel disait dans son ouvrage intitulé The impact of science on society : « Là où les enfants vont à l’école et que les écoles sont contrôlées par le gouvernement, les autorités peuvent fermer les esprits à tout ce qui est contraire à l’orthodoxie (traduction libre) ». L’instruction prônée par M. Lagacé est ainsi davantage un outil d’endoctrinement qu’un moyen d’acquisition de culture.
Les bulles COVID, les plexiglass qui séparent chaque espace, les lignes de craie au sol dans les cours de récré et la muselière au bec ne pourraient être une illustration plus tangible de cette tendance sociale à la domestication. Que dire du passeport vaccinal dont on n’a sûrement pas fini d’entendre parler et qui ouvre potentiellement la porte à tous les abus en termes de surveillance, de liberté de choix et de protection de l’intégrité physique des citoyens? La recherche scientifique et les avancées technologiques ne sont pas apolitiques. Les édentés n’ont peut-être pas tous l’instruction, mais ils ont l’intelligence du bon sens pour le comprendre. Bertrand Russel et l’auteur à succès Aldous Huxley le disaient tous les deux. Si le totalitarisme vient à frapper l’Occident, ce sera par la voie de la science.
Patrick Lagacé se fait chantre de ce totalitarisme en bourgeonnement. Des essayistes comme Paul Nizan ou Czeslaw Milosz ont d’ailleurs bien décrit le processus par lequel les intellectuels sont souvent les chiens de garde du pouvoir. Manœuvrant dans le système avec une tête de caméléon, leur conformisme à l’orthodoxie du moment permet leur survie professionnelle et leur promotion sociale. Le narratif qu’ils soutiennent tend à légitimer les visées des hommes de pouvoir, conditionnant notre perception de la réalité jusqu’au simulacre. Dans notre simulacre de réalité fait d’épuration d’idées et de science consensuelle, Patrick Lagacé croit offrir une caution intellectuelle aux actions du gouvernement. Il n’est en fait que la marionnette d’un récit conventionnel. Sa pensée captive d’une idéologie étatiste et élitiste est l’expression de ce qu’il souhaite à tout citoyen québécois de devenir : un esprit éduqué, docile et bien formé.
Vincent Mathieu, Ph.D.
Cet article a été publié initialement sur le site Vigile.net.
Référence
(1) https://www.lapresse.ca/actualites/2021-03-19/les-edentes.php
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca