par Me Serge H. Moïse.
Nous sommes tous, chacun en ce qui le concerne, responsables de la situation déchirante d’Haïti. L’on voudra bien faire le distinguo entre les responsables et les fautifs apatrides et abjects, qu’à cela ne tienne. Encore faut-il avoir le courage de reconnaître que le sort d’un pays repose entre les mains de ses ressortissants, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières. Haïti c’est nous, en quelque lieu que nous ayons choisi de dresser nos tentes.
Toute dérobade, tout faux-fuyant nous condamnent à perpétuer cette déchéance sans espoir d’un quelconque renouveau.
Depuis 216 ans, nous inventons, générations après générations, les ruses et fourberies de toutes sortes, sapant irrémédiablement toute velléité de ce vivre ensemble indispensable au bon développement de ce pays qui fut jadis la Perle des Antilles et qui est désignée aujourd’hui comme étant : la poubelle au coin des Amériques.
À quoi faut-il attribuer cette douloureuse descente aux enfers?
Les analyses, les unes plus savantes que les autres, ne manquent pas. Ce qui a toujours fait défaut chez nos intellos, c’est cette capacité, disons cette volonté de plancher sur des propositions de solutions de nos innombrables problèmes.
Un problème sans solution est un problème mal posé, disait le grand Albert Einstein. Il y a donc lieu de présumer que nos nantis du savoir qui maîtrisent à n’en pas douter les technologies modernes dans toutes leurs formes ou presque, accusent un déficit certain, celui de la nature spécifique de nos problèmes tant structurels que conjoncturels.
Les prismes à travers lesquels ces derniers tentent d’apprivoiser le mal-développement du pays ne tiennent pas suffisamment compte de nos créneaux culturels, de leurs potentialités et de leurs lacunes. Cette méfiance endémique qui constitue un des traits dominants de notre culture s’est depuis belle lurette révélée un facteur de paralysie et de stagnation pour la société tout entière et à tous les niveaux.
Pourtant personne n’en parle, comme si par la force des choses, cette déplorable méfiance finirait par disparaître d’elle-même au fil du temps. Force est de reconnaître que tel n’est point le cas et que faire semblant de l’ignorer correspond à singer l’autruche !
Comment demander à quelqu’un à qui on a appris à méconnaître sinon à mépriser sa langue maternelle, son identité et ses véritables valeurs culturelles, d’avoir de l’estime pour lui-même, de s’aimer pour ce qu’il est et d’être en mesure d’aimer ses semblables ?
La question s’adresse aux psycho-sociologues, aux psycho-linguistes, à tous les spécialistes du développement humain et de la bonne gouvernance. L’intelligentsia haïtienne peut facilement réunir un tel aréopage avec pour mission d’appréhender, une fois pour toutes, notre réalité de peuple du quart-monde, d’en rechercher les causes lointaines et rapprochées, de manière rationnelle et pragmatique afin d’étudier les pistes de solution susceptibles de nous permettre de rejoindre le concert des nations dites civilisées.
Il est clair pour tout le monde qu’il est impérieux que nous mettions un terme à nos luttes intestines, fratricides et sans grandeur. Nous avons connu plusieurs occupations et/ou embargos à cause de nos propres incuries, nous avons expérimenté tant de calamités que les faibles d’esprit font référence à une espèce de malédiction ! Pourtant, la vie continue, toujours pareille, comme si nous n’avions tiré aucune leçon des conséquences de nos inconséquences…
Toute émotion mise de côté, il paraît que nous avons fait choix de créer une société purement virtuelle. Nous faisons semblant d’avoir un pouvoir judiciaire alors qu’en réalité, il n’en est rien. Nous le savons depuis toujours et n’avons jamais rien fait pour changer cette lamentable situation.
Nous faisons semblant d’avoir un pouvoir législatif, aberration sur toute la ligne, exception faite de quelques rares cas, nos « honorables législateurs » se sont toujours comportés en de vulgaires colporteurs, s’occupant de tout, sauf de ce pourquoi ils ont été soi-disant élus, n’hésitant pas à s’impliquer sans vergogne, dans les combines les plus louches.
Nous en sommes à notre vingt troisième texte constitutionnel qui connaîtra, à n’en point douter, le même sort que les autres car les mesures d’accompagnement pour les faire respecter n’ont jamais été envisagées. Et comme si le simple bon sens n’avait plus sa place dans les affaires publiques du pays, la configuration du gouvernement est devenue l’objet de compromissions malsaines et contre-productives, sans offusquer le moindrement notre conscience, si tant est qu’on puisse encore parler de conscience nationale.
Après la chute de la dictature trentenaire caractérisée, disent certains, par la paix des cimetières et la fuite des cerveaux, nous avions décidé de rompre à tout jamais avec l’obédience aux caprices du prince. Pour ce faire, au lieu d’essayer d’innover à notre manière, nous avons choisi encore une fois de singer les autres, sans tenir compte de nos spécificités propres et nous avons institué la « primature » avec tout ce que cela comporte d’incuries et de dépenses farfelues pour un budget exsangue, subventionné par la communauté internationale à raison de 60%.
Le parlement qui doit contrôler les actes du gouvernement et le sanctionner le cas échéant, ne saurait être représenté au sein du cabinet ministériel sans être en situation de conflit d’intérêt. Or, c’est ce qui se négocie depuis un certain temps, le Parlement se retrouve donc juge et partie, créant ainsi une dichotomie, avec pour conséquence de privilégier les intérêts de clans au détriment de ceux de la nation.
La constitution est pourtant claire là-dessus en son article 137 qui stipule ce qui suit :
« Le président de la république choisit son premier ministre parmi les membres du parti ayant la majorité au Parlement. À défaut de cette majorité, le président choisit son premier ministre en consultation avec le président du Sénat et celui de la Chambre des Députés. Dans les deux cas, le choix doit être ratifié par le parlement ».
La loi mère fait état de consultation et non de négociation, encore moins de compromission.
Ce genre d’aberration juridique et/ou politique subsiste et perdure depuis 1987 et personne ne pipe mot. Le pouvoir judiciaire réduit à une peau de chagrin ne peut pas jouer le rôle qui lui est dévolu et à ce chapitre, le silence est plutôt opaque.
Point n’est besoin de nous étendre davantage pour constater que nous sommes les premiers artisans de nos malheurs en nous faisant les complices aplaventristes des nouveaux colons prédateurs. La nation est en péril et il nous incombe à tous et à chacun d’entre nous, s’il est vrai que nous aspirons à une certaine rédemption, de reconnaître en toute probité, notre laxisme, nos dérives par commission ou par omission et nous dire simplement mais sincèrement : Mea culpa ! Mea maxima culpa !
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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