Leurs rêvent seront nos cauchemars.
Une vidéo Le Biais Vert pour la série Coup de Gueule avec Mr Mondialisation
Introduction
Le mois dernier, la fusée Starship de Elon Musk explosait au terme d’un vol d’essai, tel Icare se carbonisant les ailes dans sa quête solaire orgueilleuse. Au même moment, au large des côtes mexicaines, des scientifiques de Sea Shepherd annonçait avoir potentiellement identifié une nouvelle espèce de baleine. Un hasard de l’actualité assez ironique qui nous rappelle à quel point cette planète a plus à nous offrir que Mars, ce vieux caillou glacé qu’une poignée de riches investisseurs en mal d’émotions fortes s’imaginent déjà coloniser quand cette bonne vieille Terre sera devenue inhabitable.
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Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, des profils différents et quelques points communs quand même. D’abord, ce sont des hommes et ils sont immensément riches. Leurs sociétés pèsent des centaines de milliards et sont remarquables pour la fulgurance avec laquelle elles se sont développées. Bezos, le patron d’Amazon a pratiquement vu sa fortune doubler avec la crise du Covid-19 et celle de Musk est passé de 2 milliards de dollars en 2012 à 144 milliards en 2020. D’ailleurs, de manière générale, la fortune des milliardaires américains a grossi de 1 000 milliards de dollars depuis le début de la crise sanitaire tandis qu’au mois d’octobre dernier, 11 millions d’Américains étaient considérés comme chômeurs, soit près du double des estimations de février. Comme nous le rappelle la récente étude de la London School of Economics, le ruissellement des richesses est bel et bien un mythe.
Des prophètes du progrès plutôt conservateurs…
On peut dire ensuite que ces enfants du monde promis par la Silicon Valley sont devenus des icônes extrêmement influentes et avec une certaine idée de l’avenir. On les présente souvent comme des rêveurs progressistes, des petits génies touchés par la grâce qui feront jaillir de leurs esprits rebelles et avant-gardistes les solutions techniques à tous les maux du siècle. Mais à y regarder de plus près, ces grands défenseurs du progrès renvoient ironiquement à des imaginaires plutôt conservateurs. Au sens de conserver l’ordre social établi et d’étendre leur domination dans une forme d’impérialisme moderne et pacifié.
Prenons Elon Musk et son projet Starlink, qui consiste entre autres à créer un maillage de 42 000 satellites en orbite basse autour de la Terre pour imposer l’Internet haut débit jusque dans le fin fond de l’Amazonie. Au-delà du fait qu’il s’agirait d’un énième coup d’accélérateur à une économie mondiale dont les événements récents nous ont encore montré à quel point son rythme est étroitement lié à celui de la destruction du vivant – sans parler de la pollution lumineuse qui nous prive de l’observation du ciel et des risques de débris spatiaux qui sont loin d’être anecdotiques – Elon Musk estime que son idée à lui sera un bienfait pour tout le monde, comme si tout le monde devait se calquer sur l’idée que lui se fait du monde. Un monde partout connecté au capitalisme.
De la même manière, est-ce par amour de la recherche scientifique qu’il souhaite coloniser Mars ou plutôt, littéralement, pour coloniser Mars ? Elon Musk ne se préoccupe pas des mondes auxquels nous pourrions rêver, ce sont ses rêves à lui qui comptent et il est tellement généreux qu’il souhaite en faire profiter tout le monde. Il n’y a rien d’aussi peu progressiste que cette façon de considérer le monde, et maintenant l’espace, comme un terrain de jeu où peuvent s’épanouir les projets mégalos des grands industriels. On est sur du capitalisme 100% pur jus. Alors que certains craignent un effondrement de ce modèle dans les années à venir, pour l’instant, il a plutôt tendance à redoubler d’efforts pour se réinventer et se défendre.
S’étendre toujours plus, avoir toujours plus d’emprise. Et d’ailleurs, à côté de Starlink, ses projets de conquête spatiale et sa volonté d’inonder le monde d’ondes, Elon Musk s’intéresse aussi à l’intime avec Neuralink cette fois, une startup qui « vise à développer des composants électroniques pouvant être intégrés dans le cerveau, par exemple pour augmenter la mémoire ou piloter des terminaux ». De l’infiniment grand à l’infiniment petit, la machine doit s’implanter partout. Pendant ce temps-là, Google tente de repousser les limites de la mort avec l’entreprise Calico. Nul besoin de préciser que s’il est un jour possible de vivre 200 ans ou plus, tout le monde n’en profitera pas. Et justement, on parlait de conservatisme au sens de conserver l’ordre social, dominants/dominés, mais ce type de technologies pourrait aussi l’exacerber. Le milliardaire de demain sera-t-il un milliardaire augmenté, tendant vers l’immortalité ? Le petit consommateur de demain sera-t-il encore plus surveillé et contrôlé ? L’ouvrier de demain se confondra-t-il davantage dans son outil de travail ?
Hégémonie globale, emprise totale
Quand des multimilliardaires rêvent d’immortalité avec le plus grand des sérieux, il n’est pas disproportionné de se poser certaines questions. Si certains y voient une avant-garde, nous on y voit surtout la prolongation de vieux délires de savants-fous animés par une culture du contrôle qui cherchent à dompter une nature hostile. Ces gens n’ont jamais fait évoluer leurs pulsions de domestication du monde et ils considèrent les fatalités physiques de la vie comme un challenge à relever. On croirait qu’ils sont restés calés dans Minecraft. Pierre Fournier disait : « on a trop dit que le robot inquiète, c’est une illusion intellectuelle. Il inquiète l’homme qui réfléchit, il plaît aux autres. Ils ont peur de tout ce qui, sans eux, simplement, existe. Tout ce qui est vivant les menace. Tout ce qui se fabrique les rassure ».
Et ça nous amène à parler politique. Car s’il est évident que ces nouveaux empires économiques et leurs patrons gagnent en puissance, ils gagnent aussi en pouvoir. Facebook est aujourd’hui un réseau qui relie près d’un tiers de l’humanité, c’est colossal. S’il venait à disparaître du jour au lendemain, on peut difficilement en évaluer les conséquences. Cela met en évidence l’importance de l’emprise et du pouvoir que cet empire a sur le monde. Facebook a du pouvoir, et même un pouvoir politique quand on voit ce qu’il pèse et la quantité d’informations qu’il détient. Et on a vu avec le scandale de Cambridge Analytica que ça pouvait poser de gros soucis. Mark Zuckerberg fait de la politique, consciemment ou non, il parle comme un politicien… son discours ressemble même parfois à l’expression d’une mission prophétique. Sauf qu’il n’a pas été élu et qu’il n’est pas contrôlé comme l’est normalement un état. Est-il vraiment certain que l’influence médiatique de FB et sa vision occidentale de la communication doivent absolument s’appliquer à tout le monde ? Ses ambitions vont au-delà de faire du profit et de maintenir son business, il a aussi une certaine idée de ce que le monde doit être.
En s’imposant dans nos vies, les géants de la tech tendent à se rendre indispensables. Ils nous dépossèdent, nous rendent dépendant d’eux. C’est un frein à l’émancipation des populations et une intrusion dans notre espace, notre temps, notre liberté. Peut-on encore parler de libre arbitre quand des algorithmes peuvent anticiper nos désirs et cibler nos idées politiques ? Et au fond, pourquoi pas ? Si c’est pour notre bien, pourquoi se casser la tête quand des spécialistes peuvent s’occuper de tout ? C’est là que l’on peut parler d’enjeux démocratiques. Quand des technocrates entrent en conflit avec les besoins d’une société. Quand les décisions importantes concernant notre avenir sont prises par quelques spécialistes ou techniciens. Des individus éclairés qui savent mieux que nous ce qui est bon pour tous et dont certains vont vraiment très loin dans le délire.
Nous assistons littéralement à une nouvelle révolution industrielle. Et les géants de la tech ont le culot de la faire passer pour une avant-garde voire même, pour la solution aux problèmes auxquels ils ont généreusement contribué.
C’est ainsi que l’un des plus grands pollueurs de planète, le Kimbo Slice de l’empreinte carbone, le Roundup du commerce local, Jeffrey Bezos a lancé sa fondation pour le climat dans laquelle il a investi 10 milliards de dollars (ce qui n’est jamais qu’un dix-neuvième de sa fortune personnelle), faisant de lui un interlocuteur de premier plan auprès de certains chefs d’État dans la lutte contre le réchauffement climatique. Quand Emmanuel Macron le reçoit à l’Élysée pour parler climat en février dernier, ce n’est pas pour lui tirer les oreilles. Pas question de mettre en cause les premiers responsables du désastre écologique, on imagine difficilement le patron d’Amazon travailler à son propre démantèlement pour faire ensuite la promotion d’autres modèles économiques, basés sur le local, les besoins essentiels, l’autonomie et la sobriété. L’un des premiers investissements de cette fondation : 100 millions de dollars pour envoyer – je vous le donne en mille – un satellite dans l’espace. Un satellite pour mesurer les émissions de méthane. Comme si on était encore à l’heure du diagnostic… Ce genre de fondation n’a pas pour vocation de soulager le monde de l’activité industrielle mais bien d’investir dans de nouveaux eldorados technologiques, des technologies soi-disant neutres en carbone. Mais beaucoup moins neutres en extraction de ressource, en destruction d’écosystèmes, en esclavage moderne et en néocolonialisme.
On pense aux méga-entrepôts d’Amazon qui s’installent n’importe où et artificialisent des zones rurales, notamment en France. On pense aux méga-usines Tesla qui prolifèrent aussi dans le monde et qui font beaucoup parler d’elles. On pense évidemment aux conditions de travail des employés de ces entreprises, les chaînes de productions infernales d’Apple qui ne sont plus un secret pour personne… les mines d’extraction de métaux rares nécessaires à la fabrication de ces produits. Les géants de l’informatique savent vraiment de quoi ils parlent en matière de système d’exploitation. Le progrès technique est loin d’être synonyme de progrès humain, social ou éthique. On ne vous a pas parlé, par exemple, du sexisme particulièrement ancré à la Silicon Valley, nombreux sont les articles qui en témoignent. En fait, leur monde à eux, c’est l’ancien monde avec les dernières mises à jour. Il est vital de s’emparer de ces sujets et de s’en inquiéter. D’autant plus alors que nous vivons une période de crise importante et que le spectre des dérèglements écologiques nous guette, parfois nous touche déjà.
Conclusion
Ce que nous cherchons à montrer ici, c’est que la croissance d’un empire comme Amazon ou les rêves d’un homme richissime et puissant comme Elon Musk nous concernent. On ne peut pas attendre que l’histoire nous le montre dans cent ans. De quel monde voulons-nous ? Pouvons-nous confier notre vie privée la plus intime à Mark Zuckerberg ? Nos besoins ou désirs matériels à Jeff Bezos ? Nos horizons philosophiques à Elon Musk ? Notre avenir à des parvenus qui jouent à Dieu et auront encore le culot de nous faire croire après que c’est nous qui l’avons demandé ?
Face à la déliquescence du monde vivant, n’a-t-on pas plus besoin de sobriété que d’ambitions mégalomanes, de techniques autoritaires qui poussent au développement industriel et donc à la destruction des équilibres biologiques ? N’a-t-on pas besoin littéralement d’écologie, dans un sens philosophique et pragmatique, de sociétés plus autonomes, qui ne sont pas administrées par une Mégamachine ? D’organisation autour du commun, du tout plutôt que de la partie, qui ne se fondent pas sur les pulsions de quelques-uns ? On a tous des rêves, sauf que les nôtres sont plus gentils que les leurs. C’est pas nous les utopistes. Ce sont ces Icare pétris d’orgueil, égarés dans la démesure, ivres de pouvoir et d’hubris qui inquiètent plus qu’ils ne font rêver. Leurs rêves seront nos cauchemars. Aujourd’hui, on voit que pour une partie de notre génération, tout ça n’est plus d’actualité et que les projets soi-disant futuristes et révolutionnaires d’Elon Musk renvoient plutôt à l’époque où son imaginaire et ses fantasmes d’ados se sont créés : dans les films de science-fiction des années 80.
En 2021, une bonne partie de la jeunesse se préoccupe surtout de vivre dans un monde habitable, de pouvoir s’exprimer, se faire entendre, de ne pas être confrontée aux violences policières, d’avoir les moyens de s’assurer un avenir et des conditions de vie décentes.
Merci de nous avoir suivi, si le sujet vous intéresse il est possible d’aller beaucoup plus loin, notamment dans la description où vous trouverez des personnes très calées qui ont écrit et pensé la technologie, la technique, le big data et GAFAM, tout ça en lien avec les enjeux sociétaux et politiques. On vous laisse vous régaler. N’hésitez pas à partager cette vidéo, à vous abonner à notre chaîne et à nous faire un don mensuel Tipeee.
sources, articles, vidéos et références pour aller plus loin
Sea Shepherd :
En quête d’autonomie (Demos Kratos) :
2020, année des milliardaires :
Starlink, internet haut débit et débris spatiaux :
Neuralink :
Cyberpunk :
Travail, ton univers impitoyable (Cash Investigation) :
Documentaire Arte sur le transhumanisme et la Silicon Valley :
Terres rares et néocolonialisme :
Totalitarisme numérique Chine :
Amis ingénieurs, changez de métier :
Stiegler : technique et mal :
Emprise de la machine et décroissance :
Bezos asso climat :
Bezos ambitions :
Hypocrisie Bezos :
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La face cachée des métaux rares :
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source : https://docs.google.com
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