L’incroyable lettre du prêtre qui a péri dans l’explosion de Madrid

L’incroyable lettre du prêtre qui a péri dans l’explosion de Madrid

Le 20 janvier dernier, au centre de la ville de Madrid, un bâtiment de la paroisse Virgen de Paloma explosait en raison d’une fuite de gaz. Cet accident aura provoqué la mort de trois personnes, dont Rubén Pérez de Ayala, un jeune prêtre qui, quelque temps avant cet évènement, avait écrit cette lettre touchante.

* * *

Six mois après avoir été ordonné, mon évêque m’envoyait m’occuper d’une paroisse où j’allais devoir prendre la place d’un curé qui était là depuis plus de trente ans. À mon arrivée, j’ai vite été confronté à la non-acceptation des habitants du lieu. Gagner leur confiance et commencer mon ministère n’a pas été facile bien qu’au final, et grâce à l’aide inestimable d’un petit garçon nommé Gabriel, mon temps dans cette paroisse aura porté beaucoup de fruits… 

C’est l’histoire de Gabriel que je veux raconter ici. 

La deuxième semaine après mon arrivée là-bas, j’ai rencontré un jeune couple avec leur petit garçon très spécial (il était trisomique). Ils m’ont demandé de l’accepter comme enfant de chœur. J’ai pensé refuser, non pas parce que c’était un enfant avec des capacités différentes, mais à cause de toutes les difficultés avec lesquelles j’avais commencé mon ministère à cet endroit. À dire vrai, j’ai tout simplement flanché quand, au lieu de répondre verbalement à ma question à savoir s’il voulait être mon enfant de chœur, il s’est précipité pour me serrer dans ses bras. Sans un mot, il avait trouvé un moyen efficace de me convaincre…

Je lui ai dit de venir quinze minutes avant la messe le dimanche suivant et il était là, à l’heure et pimpant, avec sa soutane rouge et sa roquette (son habit d’enfant de chœur) que sa grand-mère avait faite à la main pour l’occasion.

Je dois ajouter que sa présence comme enfant de chœur m’avait amené plus de paroissiens qu’à l’habitude parce que sa famille élargie voulait le voir faire ses débuts comme servant de messe. Je devais préparer tout le nécessaire pour la messe. Je n’avais ni sacristain ni sonneur de cloche, ce qui voulait dire que je devais courir sans cesse d’un endroit à l’autre. Ce n’est que quelques instants avant le début de la messe que j’ai réalisé que Gabriel ne savait pas du tout quoi faire pour aider à la liturgie. Sans trop réfléchir et sous le stress du moment, il m’est venu à l’esprit de lui dire :

« Gabriel, tu dois faire tout ce que je fais, d’accord… ? »

Il faut savoir qu’un enfant comme Gabriel est ce qu’il y a de plus obéissant au monde. J’en ai rapidement constaté les conséquences comiques. 

Au début de la célébration, au moment où le prêtre embrasse l’autel, le petit est resté collé à l’autel pendant un long moment. Plus tard, à l’homélie, alors que mon jeune cœur sacerdotal était tout heureux de voir que les paroissiens souriaient pendant que je leur parlais, j’ai vite compris qu’ils ne me regardaient pas moi, mais souriaient plutôt de voir Gabriel imiter mes moindres gestes. Bref, autant de doux souvenirs de cette première messe avec mon nouveau garçon de chœur.

Après la messe, j’ai enfin pu prendre le temps de lui expliquer ce qu’il devait faire et ce qu’il ne fallait pas faire comme enfant de chœur. Entre autres, je lui ai dit que l’autel ne pouvait être embrassé que par moi. Je lui ai expliqué comment le prêtre s’unit au Christ dans ce baiser. Il m’a regardé de ses grands yeux interrogateurs sans bien comprendre l’explication que je lui donnais… Et, plein de spontanéité, il m’a supplié : « S’il te plait, je veux l’embrasser moi aussi… » Je lui ai expliqué de nouveau pourquoi il ne pouvait pas… Finalement, je lui ai dit que je le ferais pour nous deux. Tout laissait croire qu’il avait compris.

Cependant, le dimanche suivant, au moment d’embrasser l’autel, j’ai aperçu Gabriel qui collait sa joue sur l’autel avec un sourire qui illuminait tout son petit visage. J’ai même dû lui dire d’arrêter de faire ça, sans quoi il ne l’aurait jamais retirée.

À la fin de la messe, je lui ai rappelé :

« Gabriel, je t’avais dit que je l’embrasserais pour nous deux. »

Il m’a répondu : « Père, je ne l’ai pas embrassé. C’est Lui qui m’a embrassé… »

« Sérieusement, lui ai-je dit, Gabriel, ne joue pas avec moi… » 

Il a répondu : « Vraiment, il m’a couvert de bisous !! »

Sa manière de me le dire m’a rempli d’une sainte envie ; après avoir fermé l’église et dit au revoir à mes paroissiens, je me suis approché de l’autel et j’ai posé ma joue dessus en demandant : « Seigneur… embrasse-moi, comme Gabriel. »

Cet enfant m’avait rappelé que l’œuvre pastorale n’était pas la mienne et que gagner le cœur de ces personnes ne pouvait être que le fruit d’une douce intimité avec l’unique vrai prêtre, le Christ.

Depuis ce dimanche mémorable, mon baiser à l’autel est double, car après l’avoir embrassé, j’y pose désormais ma joue pour recevoir Son baiser. Merci Gabriel !

Rapprocher les autres du mystère du Salut nous appelle à vivre notre propre rencontre personnelle avec Lui. Comme moi qui, avec mon servant de messe préféré Gabriel comme maitre, ai appris qu’avant d’embrasser l’autel du Christ… je dois être embrassé par Lui !

« Seigneur Jésus, fais-nous ressentir tes baisers chaque jour pour que nos cœurs soient rassasiés d’amour, car Tu remplis tout… »

Traduit de l’espagnol par Julien Malenfant


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