Par Leonid Savin − Le 18 janvier 2021 − Source Oriental Review
Le gouvernement indien a dévoilé sa propre stratégie pour l’Arctique. Un site web spécifique du gouvernement indique que « l’importance de l’Arctique pour l’Inde croît constamment, ceci étant dû en premier lieu aux problèmes associés au changement climatique, au réchauffement global. L’Inde s’est vu accorder un statut d’observateur au Conseil de l’Arctique en 2018, devenant ainsi l’un des treize pays du monde à être dans ce cas. Le fait que ce statut a été reconduit en 2018 reflète la contribution de l’Inde aux études et recherches concernant l’Arctique. L’Inde cherche à jouer un rôle constructif dans l’Arctique en s’appuyant sur vastes potentiels et expertises scientifiques dans l’exploration himalayenne et polaire. L’Inde aimerait aussi jouer un rôle pour s’assurer qu’à mesure que l’Arctique devient plus accessible, ses ressources soient utilisées de façon durable et en accord avec les meilleures pratiques développées par des entités telles que le Conseil Arctique. Le projet de loi définissant la politique indienne dans l’Arctique, reflète ces buts tout en indiquant le chemin à suivre, qui se concentre sur le développement de capacités pour accroître notre engagement dans la région ».
Dans le document, on peut trouver des gaffes assez amusantes qui ressemblent à des revendications (affirmations) politiques. Par exemple, il indique que « l’implication de l’Inde dans l’Arctique remonte à Février 1920 quand elle a signé le Traité concernant le Spitzberg à Paris. Son expérience dans le domaine des recherches polaires a commencé en 1981, quand la première expédition spécifique dans l’Antarctique fut entreprise. L’Inde commença sa première expédition dans l’arctique en 2007. Le but de l’expédition était de commencer des mesures élémentaires dans les domaines des sciences biologiques, de l’océanologie, des sciences atmosphériques et de la glaciologie ».
Cependant, l’Inde a émergé en tant qu’état indépendant qu’en 1947. De ce fait, en 1920, l’Inde ne pouvait rien signer. Bien que le Traité concernant le Spitzberg ait inclus les dominions britanniques, le roi britannique agissait en leur nom, en tant qu’empereur de l’Inde et le document fut en fait signé par le Comte de Derby, Edward Stanley, qui était à l’époque ambassadeur auprès de la France et représentait en même temps l’Inde.
En fait, l’Inde britannique était représentée par les Britanniques eux-mêmes, tout comme le dominion de Nouvelle-Zélande, le commonwealth d’Australie et l’Union d’Afrique du Sud.
Bien sûr, l’immense distance séparant l’Inde des territoires et eaux polaires autorise à poser la question, que va chercher l’Inde, à part comparer des recherches scientifiques avec celles menées dans son Himalaya ?
En ce moment, les questions liées à l’Arctique sont traitées par le Centre National pour la recherche polaire et océanique, le Ministère des sciences de la terre, et le Ministère des Affaires Étrangères représente l’Inde dans le Conseil pour l’Arctique. Un nombre d’autres ministères et d’agences sont impliqués dans les activités liées à l’Arctique et le gouvernement indien prévoir de continuer à les engager sur ce thème dans le futur.
Dans le paragraphe sur les objectifs scientifiques de la stratégie, on note que l’Inde est intéressée à renforcer la base de recherches existant à Himadri en Norvège, ainsi qu’à utiliser les systèmes d’observation existant au Spitzberg. Le troisième point sur les ressources énergétiques affirme ouvertement qu’elle est intéressée à l’exploitation d’hydrocarbures qui n’ont pas encore été développés. Depuis que l’Inde a investi quinze milliards de dollars en Russie dans des projets liés au gaz et au pétrole, elle voit des opportunités similaires en Arctique. En outre, un intérêt existe pour les réserves de différents minéraux, le cuivre, le phosphore, les métaux rares et le platine.
Il affirme aussi qu’ « au fur et à mesure que de nouvelles opportunités s’ouvrent dans l’Arctique, l’Inde accroîtra ses ressources humaines.La participation de l’Inde sur un accroissement correspondant de son potentiel interne, depuis la science et les services secrets, jusqu’à la navigation et la coopération économique. »
Les conclusions indiquent que l’activité de l’Inde dans l’Arctique est devenue multidimensionnelle. En un peu plus de dix ans, elle est passée d’une humble station au Spitzberg à une échelle permettant de couvrir un large champ d’activités. En outre, étant donné la synergie entre les recherches liées à l’Himalaya et à l’Arctique, et le potentiel impact des changements dans l’Arctique sur le régime des moussons indien, la part des intérêts de l’Inde dans l’Arctique est significative. L’Inde considère l’Arctique comme un bien commun de l’humanité. L’Inde est bien positionnée pour mettre à profit l’expérience accumulée au sein de ses vastes ressources humaines afin d’aider à explorer l’Arctique et conserver son unique biodiversité.
L’Inde croit que toute activité humaine dans cette région fragile doit être durable, responsable et transparente, en accord avec les lois internationales , y compris la Convention des Nations Unies sur les lois de la mer. De ce fait, l’Inde attend avec impatience à étendre son engagement auprès de cette région vitale et des instances qui la gouvernent, en tant que partenaire responsable.
Cette politique est mise en œuvre de façon systématique dans le cadre d’un mécanisme spécifiquement créé, qui prend en compte les priorités, les délais pour résoudre les problèmes et l’utilisation des ressources. Le projet inclura toutes les parties prenantes, y compris le monde académique, la communauté de la recherche, le monde des affaires et de l’industrie.
Malgré le fait que le document soit déjà prêt, les auteurs sont invités à envoyer leurs commentaires avant le 26 janvier 2021.
Maintenant, analysons à partir de la géopolitique arctique, des intérêts de l’Inde et de ses partenaires. La route maritime du Nord est contrôlée par la Russie et la Chine en est le partenaire principal et le bénéficiaire jusqu’à ce jour. La route de Shanghai à Rotterdam en passant par l’Arctique est plus courte que celle passant par l’Océan Indien. Pour l’Inde, cette route est plus longue que la route traditionnelle passant par le Sud. En conséquence, la vitesse du transport et l’ouverture d’un nouveau passage maritime ne sont pas des priorités pour l’Inde.
Aussi, l’Inde, à la différence de la Chine, laquelle se considère comme une puissance subarctique n’a pas ses propres brise-glaces, alors il ne peut être question d’une participation complète au développement de l’Arctique. En passant, la Chine a publié sa stratégie arctique en 2018, soit trois années avant l’Inde.
En ce qui concerne les ressources humaines, il serait plus correct de parler d’une migration de main d’œuvre depuis l’Inde vers les pays arctiques. Les états du Moyen-Orient débordent de main d’œuvre originaire de l’Inde. Beaucoup de personnes d’origine indienne vivent dans la Communauté Européenne, les USA, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Étant donnée la situation démographique de l’Inde, où il n’y a pas de contrôle des naissances, comme en Chine, cette potentielle ressource humaine peut en fait constituer des flots de migration organisée dans le futur.
La stratégie indienne de l’Arctique est parue à la veille du changement de la présidence du Conseil de l’Arctique. En Mai 2021 celle-ci sera transférée à la Russie pour deux ans. Probablement, il y avait l’intention d’utiliser les liens historiques entre les deux pays pour que la Russie fasse pression (du lobbying) en faveur des nouveaux intérêts de l’Inde.
Cependant, il faut se poser la question, les intérêts de qui, à part les siens, l’Inde cherche-t-elle à promouvoir? Le plus grand partenaire de l’Inde est les USA. L’Inde est membre du groupe quadripartite de dialogue sur la sécurité (USA, Japon, Australie et Inde) et aussi l’opposant principal de la Chine dans l’Asie du Sud. La Chine est aussi considérée comme compétiteur et même comme adversaire par les trois autres pays,spécialement par les USA. De plus, le groupe Quadripartite de Dialogue sur la Sécurité a souvent été désigné comme un OTAN asiatique et un contrepoids à l’OCS.
Mais dans l’Arctique, pour les USA et ses partenaires sur la sécurité, la Russie constitue la menace principale. À cet égard, un récent rapport du Centre d’Étude Stratégique International de Washington est indicatif quand il déclare que « l’approche compensatoire américaine basée sur la coalition travaillera en priorité à atténuer les actions russes, avec l’aide de ses alliés de la région arctique ou proche d’elle… Dans ce cadre, les USA et leurs alliés devraient donner la priorité aux initiatives multilatérales visant à améliorer l’infrastructure des communications et les capacités de recherche et de sauvetage, ou encore fournir tout au long de l’année un accès et une surveillance de l’espace, ce qui ne constitue pas une menace directe pour la Russie, mais qui améliore pour les USA la capacité d’agir dans le région. » En d’autres termes, pour ne pas agir grossièrement, ce qui pourrait provoquer une réaction correspondante de la Russie, on propose de lancer des partenaires de confiance des USA dans l’Arctique, lesquels partenaires feront le travail nécessaire.
D’une façon générale, les USA veulent maintenir l’accès à la région, améliorer l’architecture de l’espionnage, de la surveillance et de la reconnaissance, se concentrer sur la sécurité nucléaire. Tout cela peut être fait par l’Inde, étant donné les accords avec les États Unis dans les domaines de l’armée et de l’espionnage. En outre, dans la stratégie arctique de l’Inde, il y a des notes, réminiscences des prétentions US au sujet du besoin de liberté de navigation, ce qui n’exclut pas l’accord préliminaire de New Delhi avec Washington.
En même temps, il faudrait noter que les États-Unis ne sont pas seulement inquiets des intérêts légitimes russes, mais aussi des actions possibles de la Chine dans l’Arctique. De ce fait, inciter l’Inde , qui est l’opposant régional de la Chine, à prendre les mesures appropriées, entre bien dans la stratégie américaine de
tenir tête à la Chine.
Leonid Savin
Traduit par Michel Léouan, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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