René Boulanger est, entre autres, l’auteur de « La bataille de la mémoire » aux Éditions du Québécois
Quand on observe les réactions d’étonnement de la part des tenants du racisme systémique face à la non-adhésion des nationalistes québécois à ce fameux concept, on se rend compte que la faiblesse de l’étude du français conduit à de fabuleuses dérives linguistiques. Même si Mathieu Bock-Côté, avec perspicacité, condamne que l’on plaque dans le contexte québécois des analyses basées sur des réalités qui nous sont tout à fait étrangères, il reste qu’un malentendu de base au niveau de la langue a permis de donner du crédit à une n ième campagne de culpabilisation du peuple québécois.
Le mot « systémique », qui est un anglicisme s’étant introduit dans le vocabulaire savant au tournant des années 70, « dixit le Petit Robert », n’a pas vraiment réussi à s’implanter de façon naturelle dans le langage courant. La langue française, contrairement à l’anglaise, n’étire pas à l’infini les multiples variables de signification que la langue anglaise peut permettre selon le contexte.
Spontanément, ceux qui fréquentent assidûment la langue française, vont s’appuyer sur le sens mieux ancré étymologiquement d’un mot. Ainsi, il est normal pour un esprit formé à la française que le mot « systémique » renvoie d’abord à l’idée politique d’un système érigé, d’un système mis en place, organisé par un pouvoir, imposé d’autorité. Alors que dans la conception anglo-saxonne, le mot « systémique » acquiert une autonomie qui lui permet de s’agglomérer plusieurs sens.
De là, les multiples discours et explications qui accompagnent le mot, détours bien nécessaires sinon en lui-même ce syntagme ne veut rien dire à part ce qu’on veut bien lui mettre. Utilisé dans les sciences naturelles pour expliquer l’effet d’un insecticide qui se diffuse entièrement dans le système cellulaire d’une plante, le concept a migré dans les sciences sociales pour rendre compte d’un effet système induit par un agent extérieur. Bref, tout le contraire d’une conception qui met le système à l’origine d’un phénomène. Comparée à l’analyse historique cette méthode d’analyse rencontre vite ses limites, surtout si on l’insère dans l’idéologie du « privilège blanc. »
Or, si cette fluidité du sens est relativement permise en anglais, en français, même si elle est acceptée par les dictionnaires récents, l’expression « racisme systémique » produit dans le langage populaire le même effet qu’un couac dans une exécution musicale.
Autrement dit, dans le français courant, l’expression « racisme systémique » renvoie à la volonté politique d’un pouvoir et non aux petits et grands travers de chacun. Il faut une politique d’État pour établir un « racisme systémique » comme le comprennent la majorité des Québécois. La politique israélienne vis-à-vis les Palestiniens, celle de l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, celle de la ségrégation aux États-Unis renvoient naturellement à ce concept.
Ce qui n’empêche qu’en bon français, au lieu d’utiliser le terme racisme systémique, il faudrait dire « système raciste ». Ça les Québécois connaissent. Depuis la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques, les Québécois ont subi plusieurs variantes de politiques d’État de cette nature, qui assez curieusement ne sont pas prises en compte par les idéologues du « racisme systémique ».
Ces politiques étaient tournées principalement contre deux entités nationales bien différentes mais soumises aux mêmes forces destructrices. Il s’agit d’abord des nations autochtones arrachées de l’histoire par le conquérant britannique et soumises à la loi des Indiens qui leur enlève droits politiques, territoriaux et droits citoyens jusqu’à leur livrer une guerre culturelle de nature génocidaire.
Dans le cas des Québécois, le régime britannique a utilisé tous les artifices administratifs visant à déposséder les descendants des colons français, à les exclure des cercles du pouvoir, à vouloir les assimiler de force. La révolte des Patriotes leur a fait adopter une politique plus sophistiquée que celle de la répression pure. Il s’agissait d’une politique de minorisation mise en place suite au célèbre rapport du commissaire britannique Lord Durham. Si on ne peut assimiler les Canadiens français, il suffira de les réduire par l’immigration britannique, les noyer sous des flots incessants de fidèles citoyens britanniques, bref les minoriser.
Cette nouvelle politique n’a pas empêché le maintien de l’ancienne, celle de la guerre culturelle sur des territoires où les Français étaient moins nombreux. Guerre conduite par les nombreuses légions du mouvement « Orangiste », mouvement très proche du Ku Klux Klan. Interdiction de l’enseignement en français au Manitoba, en Alberta, en Saskatchewan, au Nouveau-Brunswick et finalement en Ontario lors de la mise en vigueur du règlement 17. Cela s’est traduit par une répression où les écoles françaises étaient fermées de force et les enseignantes arrêtées en pleine classe devant leurs élèves.
Au Québec, là où les Français arrivaient à se maintenir, l’écrasement économique engendré par la Conquête britannique provoqua la prolétarisation de la grande masse de la population et la paupérisation générale, surtout de la paysannerie. Dans son livre « Canada français », l’historien Stanley Bréhaut-Ryerson démontre que dans la ville de Trois-Rivières en l’année 1937, la mortalité infantile était si élevée (plus de 297 pour 1000) qu’elle dépassait celle de la ville de Bombay aux Indes.
Conséquence de cette détresse économique plus de 780,000 Québécois prirent le chemin de l’exil vers les États-Unis entre les années 1880 et 1929. (En 1929, la grande crise économique obligea les États-Unis à fermer leurs frontières.) Pendant ce temps à Montréal, le patronat anglophone qui dominait la ville réservait les meilleurs emplois pour les ressortissants britanniques. La concurrence était insoutenable pour les Canadiens français, car pendant qu’ils étaient condamnés à l’exil, l’on a vu arriver entre 1900 et 1910, un million d’immigrants venant des îles britanniques et par ce fait accomplir la politique de Lord Durham. Le même nombre que la population entière du Québec.
Devant ce choc démographique, il fut facile pour le gouvernement fédéral d’instaurer l’anglais comme seule langue de l’administration. Mais elle le fut également pour les affaires, pour l’industrie, le commerce. Non seulement les coloniaux occupaient tous les postes lucratifs mais ils exigeaient l’anglais à l’embauche pour les emplois subalternes là où le cheap-labor québécois était requis.
Cette situation d’ostracisme national et d’oppression linguistique ne trouva à se résorber qu’au tournant des années 60 après des années de reconstruction de la part de l’État québécois. La nationalisation de l’électricité et la Révolution tranquille ne mettaient pas fin à la domination coloniale, mais elles laissaient entrevoir le début d’une reconquête de la part des « Nègres blancs d’Amérique » si justement nommés par l’écrivain Pierre Vallières, présumé chef du Front de libération du Québec.
En 1965, la commission Laurendeau-Dunton mise sur pied par les fédéraux pour étudier notre condition, révéla qu’au sein de la population québécoise, les Canadiens français, mis à part les Indiens, formaient l’ethnie la plus pauvre après une trentaine d’autres ethnies dont les Italiens et autres. L’unilingue anglophone trônait au sommet. Voilà pour le racisme historique, le racisme colonial. C’est celui que nous connaissons le mieux, celui que nous avons compris, étudié et combattu.
Et malgré la loi 101, proclamée en 1977, ce racisme anti-québécois persiste encore. On dirait bien que ne le voient uniquement ceux qui en subissent encore les effets. Aussi bien s’il faut désormais combattre chaque geste laissant supposer un certain racisme, les exemples apparemment ne manquent pas de la perpétuation du vieux racisme anti-français.
Laissez-moi vous dire que vous reconnaitrez un résistant québécois, à l’humiliation voire la douleur qu’il ressent lorsque l’on s’adresse à lui en anglais chez lui, dans sa ville. L’anglais lui est une langue d’oppression. Ce qu’on appelle les microagressions ne sont que des bobos comparés aux multiples blessures et outrages subis au long des 280 ans de la domination coloniale britannique et anglo-canadienne.
En conséquence, si les anti-racistes réels ou supposés ne rejoignent pas la lutte de libération nationale et n’associent pas leur lutte à celle principale et fondamentale des peuples québécois, acadien, franco-canadien et autochtones, permettons-nous de leur dire que leur voix n’est pas crédible.
La situation québécoise a connu une bien meilleure compréhension lorsque les révolutionnaires noirs des Black Panthers ont accueilli avec bienveillance Pierre Vallières lors de son exil aux États-Unis. Ils se sont reconnus dans son combat. Ils ont compris du premier coup le sens de « Nègres blancs d’Amérique ».
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