L’événement se passe lors de la campagne électorale de 1973 au comité de planification de la campagne du Parti québécois. Guy Joron, le responsable de la campagne publicitaire, présente une carte de rappel à distribuer dans tous les foyers à la veille de l’élection du 29 octobre. Pour la première fois, la carte fait une distinction entre l’élection et le référendum. Comme il est écrit sur cette carte: une chose à la fois. Ainsi les électeurs auront à voter pour un bon gouvernement et plus tard en référendum, pour le projet de pays.
Aujourd’hui, cet épisode peut paraître insignifiant tant est convenu ce déroulement en deux temps faisant du référendum l’alpha et l’oméga du processus d’accès à l’indépendance. C’est cependant oublier que le programme du Parti québécois lors des campagnes de 1970 et 1973 prévoyait: «mettre immédiatement en branle le processus d’accession à la souveraineté dès que celle-ci aura été proclamée en principe par l’Assemblée nationale…». Après la campagne de 73, cette distinction entre élection et référendum s’est installée progressivement, bien promue par Claude Morin qui s’est plus tard avéré être un indicateur du fédéral.
Cette histoire de carte de rappel, c’est Gilbert Paquette qui la raconte dans son livre «Le sens du pays» publié en septembre dernier, un document au titre judicieux. C’est pas moins de 50 années d’histoire politique de la démarche du Québec vers l’indépendance qui nous sont décrites et analysées par une personne impliquée personnellement dans le cercle restreint des stratèges pendant la majorité du temps. Les 35 premières années au PQ puis, à partir de 2008,dans la concertation des multiples organismes de la société civile qui ont travaillé et travaillent encore à créer les conditions de réalisation de l’indépendance.
Ce livre est un voyage dans le temps. Ceux et celles qui ont l’âge de se souvenir de ces événements auront l’impression de rentrer dans les arcanes du pouvoir et de suivre le débat à chaud. Plus d’une fois, ils auront peut-être en tête cette expression: «Ah oui, c’est comme ça que ça s’est passé?». Ils pourront aussi découvrir que ce qui paraissait aller de soi faisait au contraire l’objet d’âpres débats dans les milieux concernés.
La distinction opérée entre élection et référendum allait s’avérer déterminante pour la suite des choses. C’est autour d’elle qu’allait se cristalliser le débat. Les tenants de la distinction focalisant sur la recherche du pouvoir et un discours (selon leurs dires) rassurants sur l’indépendance au point de ne plus en parler. C’est ainsi qu’ils sont passés de la souveraineté-association à la souveraineté-partenariat, aux conditions gagnantes et… que sais-je encore.
Cette attitude pour le moins timide vis-à-vis l’indépendance allait contribuer grandement à les rendre défensifs par rapport à leurs adversaires fédéralistes. Pierre Bourgeault qui était tout sauf carriériste avait rapidement mis le doigt sur le bobo: «Non seulement nous ne battions pas sur le bon terrain mais le bon terrain était entièrement occupé par l’adversaire.» Même lors du référendum de 80, on constatait le même problème, les péquistes mettant l’accent sur l’association et les fédéralistes sur la souveraineté. Dans cette logique de pelletage par en avant, les péquistes avaient même ajouté la possibilité d’un deuxième référendum.
Gouvernance provincialiste
Gilbert Paquette utilise un terme qui n’a rien de très original mais qui a l’avantage de bien imager ce qu’il veut dire. C’est celui de gouvernement provincialiste en opposition évidemment à un gouvernement indépendantiste. Le mot le dit, un gouvernement provincialiste est un gouvernement qui présente des propositions qui se réalisent dans le cadre du régime constitutionnel actuel compte tenu des pouvoirs dévolus à une province. Pour gagner le pouvoir, le parti se présente avec des propositions réalisables dans ce cadre quitte à démontrer que ce qu’il préconise comme changements se fait très bien dans le cadre du fédéralisme. C’est très bien pour un parti fédéraliste mais c’est un peu beaucoup contre-productif pour un parti se disant indépendantiste.
Pour illustrer son propos, Gilbert Paquette présente un tableau fort révélateur. Il montre que sur les 20 années que le PQ a passé au pouvoir au cours des 50 dernières années, seulement deux ont servi à présenter la souveraineté (les années avant les deux référendums). Les 18 autres années, il les a passé à faire de la gouvernance provincialiste. On l’oublie souvent mais le PQ s’est fait élire trois fois de façon majoritaire (sièges et vote populaire) et deux de ces trois fois, il promettait un référendum sur la souveraineté. C’est une chose que Martine Ouellette répète souvent. On croit qu’en présentant un programme indépendantiste assumé, on fera peur aux électeurs. L’histoire semble bien démontrer le contraire. La peur engendre la peur.
Ce cul de sac de la stratégie référendaire constitue le principal constat du livre de M. Paquette. Son deuxième constat met l’accent sur le fait que le PQ n’a plus le monopole de l’indépendance depuis déjà une quinzaine d’années avec l’apparition de Québec Solidaire et d’Option Nationale par la suite suivie de leur fusion.C’est une chose maintenant convenue. Ce qu’on connaît moins par contre, c’est le travail de multiples organisations civiles depuis 10 à 15 ans (Conseil de la souveraineté, MNQ, SSJB, IPSOS Québec, MQF, OuiQuébec entre autres) Le livre de M. Paquette a le mérite de nous faire découvrir l’implication de ces milliers de personnes et ses propositions s’inspirent essentiellement du travail de ces organisations.
Une démarche constituante
Les constats de M. Paquette l’amènent à présenter un processus d’accession à l’indépendance, une feuille de route constituée d’une démarche constituante devant être approuvée par l’ensemble des partis indépendantistes qui l’appliqueraient une fois obtenue une majorité parlementaire. Que les choses soient claires, cette feuille de route est concentrée sur le processus de réalisation de l’indépendance et comprend des objectifs qui feraient consensus parmi les partis impliqués (par exemple l’urgence climatique). Hors de cette feuille de route, chacun de ces partis défend ses propositions. On évite ainsi de s’enfarger dans les fleurs du tapis avec un débat gauche-droite qui masque l’essentiel. Mettre au monde un pays est en soi tout un programme de gouvernement.
La démarche constituante visera à adopter une constitution pour le Québec. On corrigera ainsi une grande anomalie: le fait que le peuple québécois, comme les colonies du siècle dernier, n’a jamais été consulté démocratiquement sur une constitution. Depuis le rapatriement unilatéral de la constitution en 1982, ce fait est l’objet d’un constat unanime de tous les partis politiques au Québec, indépendantistes ou non. Il en est de même avec le droit à l’autodétermination du Québec.
Cette constitution sera rédigée par une assemblée constituante itinérante un peu comme la commission Bélanger-Campeau. Cette assemblée fera le tour du Québec pour une vaste consultation. Comme cette assemblée demandera du temps avant de finaliser ses travaux, les partis de la coalition indépendantiste adopteront dès leur entrée au pouvoir une constitution initiale qui soustraira le Québec de la constitution canadienne de 1982 et viendra combler le vide juridique. Ils feront également une déclaration unilatérale d’indépendance. La cour internationale de justice a reconnu la validité juridique d’une telle déclaration dans le cas du Kosovo.
Cette constitution initiale et la déclaration unilatérale d’indépendance visent à éviter le piège de la gouvernance provincialiste. Comme le disait Robert Laplante au début des années 2000: «c’est l’élection qui donne la légitimité d’agir». Suite aux travaux de l’assemblée constituante, un référendum porterait sur sa proposition de constitution. Ainsi, plutôt de commencer le processus, le référendum viendrait le coiffer, la population ayant à s’exprimer sur un projet de pays bien défini.
La feuille de route présentée par Gilbert Paquette est convaincante. Elle émerge progressivement et logiquement de sa présentation de l’histoire politique du dernier demi-siècle. Elle devient ainsi, non pas une proposition comme une autre mais le résultat de la marche des Québécois(es) vers leur indépendance au cours des 50 dernières années. «Sur les épaules de René Lévesque et de Jacques Parizeau» comme aime à le dire André Binette.
Compte tenu de l’urgence linguistique et d’un parti au pouvoir dont le nationalisme s’épuise au rythme des rebuffades du fédéral pour être remplacé par une agitation affairiste néo-libérale digne du PLQ, la question de l’indépendance se pose dans toute son acuité. À cela s’ajoute un invariant solide comme le roc au cours des dernières décennies: l’appui des Québécois(e)s à l’indépendance à hauteur de 35 à 40%.
Il faut bien le voir, les Québécois(e)s sont en manque d’un projet politique mobilisant. Résultat: ils désertent le débat politique. À preuve, le principal parti au Québec est celui des abstentionnistes. Aux dernières élections, ce «parti» a atteint 33,5% comparativement à 24% pour la CAQ. Au référendum de 1995, le taux de participation avait atteint 93,52%… L’indépendance n’a pas un problème d’appui populaire, elle a un problème de leadership politique et les propositions de Gilbert Paquette sont un contribution importante pour le résoudre. Plus que jamais, la célèbre formule de Gaston Miron est d’actualité: «L’indépendance est là qui nous attend».
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