par Alexandre Lemoine.
Fin 2020, littéralement au dernier moment, la Royaume-Uni et l’UE ont réussi à éviter un Brexit dur. Les deux camps ont signé un accord de libre-échange, qualifié par les responsables européens et britanniques de possibilité de « minimiser les dégâts ». Néanmoins, « des mois, voire des années » de négociations tendues attendent Londres et Bruxelles sur la plupart des questions relatives aux relations internationales. Les vieux amis parviendront-ils à éviter de devenir des concurrents fervents ?
En février 2020, quand l’accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE est entré en vigueur, Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni, et Josep Borrell, Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, ont exprimé dans un communiqué conjoint leur espoir de poursuivre le « partenariat » avec le Royaume-Uni même après le divorce formel. « L’Union européenne et le Royaume-Uni sont intimement liés par une histoire, une géographie, une culture et des valeurs communes, des principes partagés et une forte croyance dans un système multilatéral régi par des règles de droit ». C’est pourquoi, d’après ces hauts responsables européens, il doit être également question d’une « coopération en matière de sécurité et de défense ».
Le premier ministre britannique Boris Johnson, de son côté, parlait également à l’époque de la nécessité de préserver et même de développer les relations dans le domaine de la politique étrangère et de la défense. Il parlait de la « préservation de l’intégrité de l’alliance occidentale et des relations avec l’Europe », pointait l’unité des positions du Royaume-Uni et de l’UE « sur la grande majorité des questions ».
Néanmoins, l’accord très difficilement signé le 24 décembre porte, selon les médias britanniques, seulement sur les thèmes les plus urgents, avant tout commerciaux. « À l’insistance du Royaume-Uni » les questions militaires et la politique étrangère n’y sont pas du tout mentionnées. Cela pourrait témoigner non seulement d’un manque de temps pendant les négociations tendues, mais également de la volonté de mettre sur pause la révision des priorités dans les relations avec l’Europe.
Le 28 décembre 2020, les pays de l’UE ont approuvé la signature d’un accord sur la protection réciproque des investissements avec la Chine, ce qui pourrait être interprété comme une volonté de revoir sérieusement les relations transatlantiques. Et, en conséquence, réduire davantage l’importance de Londres pour l’UE en tant que principal médiateur de longue date dans les relations avec Washington. Cependant, Londres ne cherchera-t-il pas à compenser les pertes provoquées par la sortie de l’UE par le développement des relations avec des pays tiers même au détriment des intérêts de l’UE ?
Cette politique britannique irrite la France et l’Allemagne. Paris cherche depuis plusieurs années à renforcer l’intégration politique européenne, à apporter à l’UE une autonomie stratégique, voire même à limiter d’une certaine manière le rôle de l’OTAN en Europe. De préférence sous la supervision française. Ces dernières années, Angela Merkel misait également sur le renforcement du rôle leader de l’Allemagne en UE et sur le continent européen dans l’ensemble.
En l’absence d’un contrôle total sur tous les États membres de l’UE, Berlin et Paris agissent en tandem. En 2020, les deux puissances de l’UE ont résolument proposé un plan de sauvetage de la Communauté. Elles ont même mis au point un programme d’émission d’une dette commune de l’UE. Cependant, en 2021, le tandem sera mis à l’épreuve par la nouvelle administration américaine, ainsi que par les élections allemandes et le départ pratiquement prédéterminé d’Angela Merkel de son poste.
Dans la lutte pour des relations « particulières » avec les États-Unis, les intérêts de Londres sont ouvertement confrontés aux français et allemands. Dans le sens stratégique, les capacités militaires pourraient jouer au profit de la France aux yeux de l’Amérique. Et la puissance économique au profit de l’Allemagne. Alors que, du moins nominalement, le Royaume-Uni dispose des deux. Outre l’arsenal nucléaire, les Britanniques possèdent le plus grand budget militaire dans le cadre de l’OTAN après les États-Unis. Et l’économie britannique est cinquième au classement mondial, d’après le Fonds monétaire international (FMI).
D’un point de vue subjectif, à présent la France a plus de chances de prendre la tête dans les relations avec Washington. Antony Blinken, promu au poste de secrétaire d’État par Joe Biden, a fait ses études à Paris. Et il a participé au même programme de « jeunes leaders » du Fonds franco-américain qu’Emmanuel Macron quelques années plus tard. Antony Blinken connaît également le conseiller diplomatique du président Macron, Emmanuel Bonne, suite au travail conjoint à l’ONU.
Le développement actif des relations du Royaume-Uni avec la Turquie ressemble clairement à une démarche envers l’UE. Avant la séparation formelle avec la Communauté Londres plus que quiconque en UE faisait déjà preuve de « compréhension » à la fois des changements politiques en Turquie que de « l’insistance » grandissante d’Ankara au Moyen-Orient et en Méditerranée. Fin 2020, sur fond de différends flagrants entre Paris et Ankara, le Royaume-Uni a signé avec la Turquie un accord commercial global.
À l’heure actuelle, le Royaume-Uni est coincé entre deux pôles – l’Amérique et l’Europe. Voire dans le triangle États-Unis-Europe-Chine. Théoriquement, « tous les chemins sont ouverts » pour Londres à présent. Alors que l’UE devra encore comprendre quel modèle des relations avec le Royaume-Uni correspond aux intérêts à long terme de la Communauté. Il se pourrait que dans le dialogue bilatéral à terme se retrouve gagnant celui qui abandonnera plus vite les illusions concernant les relations d’antan.
source : http://www.observateurcontinental.fr/
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