par Jean Goychman.
Il y a soixante ans, Dwight Eisenhower quittait, après deux mandats, la Maison Blanche.
Le discours qu’il a prononcé le 17 janvier 1961, connu sous le nom de « discours sur le complexe militaro-industriel » serait-il toujours d’actualité ?
En voici les principaux termes :
« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques.
Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble ».
Ainsi, ce que nous appelons communément aujourd’hui « l’État profond » qu’Eisenhower désignait par « complexe militaro-industriel » était déjà à l’œuvre et il est très significatif qu’il ait attendu la fin de son mandat pour le dénoncer. Il avait très certainement pris conscience du pouvoir littéralement exorbitant que cette entité avait conquis au fil du temps et tenait à en avertir le peuple américain du danger que cela pouvait présenter pour la démocratie.
Plus troublant encore, le discours prononcé par JFK le 12 novembre 1963, dix jours avant son assassinat, dans lequel il dénonçait :
« Le bureau présidentiel a été utilisé pour mettre sur pied un complot d’anéantissement de la liberté du peuple américain, et avant de quitter ce bureau, je dois informer les citoyens de cet état critique ».
Il développait ensuite sa pensée sur ce sujet capital que nous nommons aujourd’hui la « transparence » :
« La question de la survie de notre société fait apparaître deux nécessités, qui concernent à la fois le président et la presse, deux gageures qui peuvent sembler contradictoires mais qui peuvent être conjuguées et remplies si nous nous groupons face à ce péril national. Je me réfère ici à l’importance d’informer largement le public et à la nécessité de refuser la politique officielle du secret.
Le simple mot de secret est inacceptable dans une société libre et ouverte. Et nous sommes en tant que peuple intrinsèquement et historiquement opposés aux sociétés secrètes, aux serments secrets, aux réunions secrètes. Nous avons décidé il y a longtemps que les dangers de la dissimulation excessive et injustifiée de faits pertinents dépassent de loin les dangers que l’on cite pour les justifier. Même aujourd’hui il est peu justifié de résister à la menace d’une société fermée (totalitaire ?) tout en imitant ses restrictions arbitraires. Même aujourd’hui, il est peu justifié d’assurer la survie de notre nation si nos traditions ne survivent pas avec elle. Et il y a un danger très grave qu’un besoin annoncé de sécurité accrue soit l’opportunité que saisiront ceux soucieux d’étendre sa portée aux limites extrêmes de la dissimulation et de la censure officielle. Voilà ce que je n’ai pas l’intention de laisser faire dans la mesure où j’en ai le contrôle. Et aucun officiel de mon administration, quelque soit son rang, civil ou militaire, ne devrait interpréter mes paroles ici ce soir comme une justification pour censurer la presse, étouffer la dissidence, cacher nos erreurs ou taire au public et à la presse les faits qu’ils méritent de savoir ».
Vous conviendrez du coté « prophétique » de ces dernières paroles. Ce que nous venons de vivre ces derniers mois aux États Unis présente une certaine similitude avec la situation redoutée par Kennedy. Les acteurs ont changé, mais le procédé employé reste le même. Les progrès technologiques en ont décuplé les effets, notamment sur le plan de la communication.
Les grandes peurs médiatisées à outrance conduisent les peuples à accepter de renoncer progressivement à leur liberté dans tous les domaines afin, pensent-ils, de bénéficier d’une plus grande protection.
Ce qui s’est progressivement mis en place ces dernières décennies est un glissement continu, donc difficilement perceptible, d’un pouvoir conservant son apparence extérieure inchangée, vers un pouvoir invisible et tentaculaire dont les limites semblent constamment repoussées. Le danger de ce pouvoir invisible est qu’il échappe à tout contrôle et cette absence de contre-pouvoir risque de détruire l’essence même de la démocratie, ouvrant la porte à d’autres systèmes que nous pensions avoir banni définitivement de notre civilisation occidentale.
Source: Lire l'article complet de Réseau International