L’exil est rarement un simple voyage ou un déplacement, mais une aventure toujours divinement rocambolesque. Rencontre avec trois étudiants « étrangers » au Québec.
À 17 ans, Razafiarisoa Felana quitte Madagascar avec la soif de vivre quelque chose de grand.
Étant donné qu’elle vient d’une famille très modeste, quitter son pays est presque impensable. Toutefois, elle excelle dans ses cours, ce qui lui permet d’obtenir une bourse et de partir en Algérie. Au bout de deux ans et demi, elle doit rentrer chez elle, mais elle veut plus : « En même temps, faire quoi ? Je n’avais pas les moyens. Alors, c’est là que l’aventure avec Jésus a commencé. Après lui avoir dit : “Ah ! à l’aide”, j’ai commencé vraiment à voir sa main ouvrir des portes. »
Une nuit, elle rêve du Canada. Cette option ne lui avait jamais traversé l’esprit, à cause du cout de la vie. Grâce à la providence (beaucoup de providence !) et pas mal de zèle, elle se retrouve finalement au Québec : « Imagine, je suis venue au Canada avec 500 $, et toute ma famille s’était mobilisée. Quand j’étais dans l’avion, je tremblais et je ne savais même pas où j’allais. C’était vraiment un aller simple pour moi. Je n’avais pas les moyens de retourner, pas de quoi payer mes études ni même une chambre. »
Elle est hébergée par un « ami », mais le début est extrêmement difficile. Au bout de quelque temps, cet homme la met devant un choix : ou bien elle accepte qu’il laisse sa femme et vive avec elle, ou bien elle se retrouve à la rue. Elle résiste à ces avances et se retrouve donc sans logement, avec seulement 200 $ en poche.
« L’exil, pour moi, c’est quitter ton confort, quitter tout ce qui t’appartient. »
« C’est là que Dieu m’a fait faire des recherches pour trouver une école alimentaire dans les campagnes. C’est comme ça que j’ai connu l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. » Grâce à des « anges » sur sa route, elle reçoit une bourse qui couvre les droits de scolarité et trouve une chambre.
Mais son coup de pouce divin n’efface pas la peur qui la tiraille durant les heures de travail au noir qu’elle fait pour gagner sa vie : « Parfois même, c’était très dangereux parce que je me retrouvais seule dans un endroit avec beaucoup de gens sans papier. Je me suis fait arnaquer plusieurs fois. » C’est ainsi que se passent ses études et son stage. Puis, nouveau « coup de Dieu », l’entreprise la rappelle avant la fin de son année scolaire pour l’engager, ce qui lui permet d’obtenir ses papiers.
« Avec Jésus, je m’attends encore à beaucoup d’aventures. »
Un Dieu de relation au-delà d’un Dieu de religion
Aujourd’hui, quand elle relit son histoire, Felana ne peut que voir la main de Dieu, qui l’a sans cesse soutenue et portée plus loin. À l’écouter, on peut difficilement en douter. Elle a découvert dans son exil un Dieu de relation au-delà d’un Dieu de religion : « Je suis passionnée de Jésus depuis que je suis au Canada, donc c’est vraiment ma propre histoire qui m’a emmenée à devenir folle de lui, parce que je n’avais aucune issue. »
Il lui aura fallu aller à l’autre bout du monde pour Le rencontrer ainsi : « L’exil, pour moi, c’est quitter ton confort, quitter tout ce qui t’appartient. Moi, je n’avais pas le choix, même si c’est devenu mon choix. Pour que j’arrive là, je n’avais pas le choix de sortir. » Comme elle est loin de sa famille, elle a encore de la difficulté à trouver ses repères dans les grandes questions de son cœur : « C’est carrément un apprentissage avec le Saint-Esprit ! »
D’abord de confession luthérienne évangélique, elle fréquente maintenant l’église Nouvelle Vie à Longueuil. Elle s’implique aussi dans l’évangélisation : « Peu importe où tu vas, l’humain a toujours besoin de Jésus. Ici, on est très riche, mais il y a ce vide-là. Chez nous, on est très pauvre, mais il y a ce vide-là quand même. Donc, finalement, c’est vraiment Jésus la solution. »
L’aventure de Pascal
Pascal vient de Dapaong, un petit village dans le nord du Togo. Une expérience marquante dans sa petite enfance le mène à garder un lien avec le Christ.
Sa passion pour les études et pour la recherche en sciences lui ouvre les portes du monde : « Je ne sais pas si c’est un côté masculin, on va dire, de vouloir tout le temps s’aventurer, partir. On a juste envie comme un peu de l’exode, de se balader jusqu’à ce qu’on trouve un point d’accroche. C’était une curiosité et des essais-erreurs. »
Il quitte le Togo en 2012 et se rend au Burkina Faso. Là, il rencontre le courant de foi auquel il s’identifie le mieux aujourd’hui, soit l’Église mennonite. Après quatre ans, il termine sa maitrise et, à la suite de quelques péripéties, il part vers le Québec, un choix totalement nouveau. Il arrive à Montréal à 27 ans.
Trouvant domicile à la Maison Saint-Louis de la Bande FM, une fraternité étudiante œcuménique, il cherche dès son arrivée une église mennonite, et quelle n’est pas sa surprise de découvrir que celle-ci se trouve littéralement à quatre minutes à pied ! Une « grande bénédiction » !
Recherches terrestres
« Certains récits me parlent beaucoup. Par exemple l’appel que reçoit notre prédécesseur dans la foi, Abraham. Il est appelé à quitter la maison de son père et à aller là où Dieu lui indique la route. » Ce passage biblique réconforte beaucoup Pascal, lui rappelant qu’il n’est pas le premier « à poser ce pas dans le sens de l’aventure, dans le sens de s’éloigner de sa famille ».
Au doctorat depuis janvier 2017 en biologie moléculaire à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, il fait de la recherche et travaille sur la compréhension des réponses aux thérapies anticancéreuses du cancer de la peau : « Je me permets de croire que c’est une quête qui pourrait en être une autre. Tout est connecté, aussi bien dans ma quête de l’aventure où je fais de l’exploration, dans ma foi et dans ma passion pour la recherche. »
Cet article est tiré du numéro spécial Exil de la revue Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.
Une Terre promise ? « Au début, il y a quelque part un petit rêve américain de se dire : je veux avoir ce cheminement. Même dans le monde de la recherche, il y a certains grands points à atteindre pour avoir un cursus réussi. De loin, on voit que c’est intéressant, mais plus on s’en approche, plus on se demande si c’est vraiment ce que l’on voudrait. » Pascal « aimerait bien être utile dans cette terre d’accueil qu’est le Québec », mais il se sent « aussi appelé à être utile dans sa terre ». Ou peut-être ailleurs…
On est toujours l’étranger de quelqu’un…
Il est possible de se connecter avec des gens qui partageant la même quête de Dieu, même en venant de pays différents : « Ça donne peut-être une meilleure vue globale sur qui pourrait être Dieu. »
« Tu ne peux pas être compris chez toi et tu es éternellement étranger ici. »
Évidemment, les différences culturelles lui font parfois perdre ses repères : « Dans une quête de la spiritualité, on va avec qui nous sommes ; donc, il y a cette façon culturellement d’exprimer nos émotions, une joie, une gratitude, une détresse. Tout ça n’y est plus quand je me retrouve dans une communauté comme le Québec. Des fois, ça peut même ressembler à une sorte d’exil dans ta foi. C’est comme si tu pars et tu ne sais pas vraiment dans quelle direction tu es en train d’aller. Est-ce que je me rapproche du Christ ? Je me sens parfois comme un homme fractionné ou fracturé. »
« L’autre côté qui fait beaucoup plus mal, c’est le moment où tu atteins le niveau d’être incompris aussi chez toi. Là, tu te demandes : mais d’où suis-je ? Tu ne peux pas être compris chez toi et tu es éternellement étranger ici. »
Malgré tout, Pascal trouve belle cette quête profonde d’identité d’enfant de Dieu et s’y accroche comme une espérance : « Quand on remet tout ça ensemble avec le Christ qui vient pour nous sauver, ou en tout cas pour apporter une transformation dans notre vie, on est en permanence en train d’être créé. »
Le Christ de Joséphine
Quittant Aix-en-Provence avec son père, Joséphine arrive au Québec à 17 ans pour un bac en sciences de la communication à l’Université de Montréal. Son adolescence est signe de rupture familiale et d’une coupure avec la foi.
Ses premières années comme étudiante sont légères. Mais la dernière année, elle frappe un mur. Des crises d’angoisse commencent à l’assaillir et elle ressent la distance. Quelque chose lui fait « tellement mal » dans sa vie familiale et personnelle : « C’est sûr que Dieu était dans l’horizon, Dieu était quelque part, mais je ne voulais certainement pas. Pour moi, c’était soumission, c’était trop facile aussi, j’avais envie d’être hors normes. C’était trop simple de retourner là d’où je venais. »
« J’ai découvert que c’était surtout moi qui avais du mal à m’accueillir dans mon identité. »
Pendant trois ans, elle refuse de rentrer en France, mais ne trouve pas sa place ici : « Pourquoi est-ce que je ne me sentais pas si bien ici, alors qu’on me disait que c’était un peuple accueillant ? En fin de compte, je ne me sentais pas si bien accueillie que ça. Après, j’ai découvert que c’était surtout moi qui avais du mal à m’accueillir dans mon identité. »
En très grande quête existentielle, elle part au Chili durant trois mois : « Ç’a été une rencontre avec moi-même. J’ai pris l’avion pour la première fois toute seule le 25 décembre, j’ai refusé de fêter Noël avec ma famille, donc il y avait quand même une rébellion de ma part. » Sa quête se manifeste d’abord dans une recherche d’elle-même, rejetant la religion : « Toute mon audace et mon indépendance que je recherchais, je ne les retrouvais pas du tout dans la foi. »
De l’exutoire à l’ostensoir
Si le Québec était d’abord une fuite, ce fut finalement un lieu pour s’accueillir et rencontrer nul autre que le Bon Dieu dans l’ostensoir : « C’était un jour d’été, j’étais avec une amie sur un banc et on parlait de l’amour, de pourquoi ça faisait si mal et de cette recherche intérieure. On était sur la rue Mont-Royal et je lui ai dit : “Viens…”
« Je ne sais pas ce qui s’est passé. Et on est entrées dans le sanctuaire Saint-Sacrement. On est montées dans la crypte et j’ai vu les frères et les sœurs porter le Saint-Sacrement jusqu’à la toute petite chapelle en face. Comme c’était un jour d’été, il y avait plein de rayons de soleil qui entraient. Le Saint-Sacrement a été élevé et tout le monde s’est mis à genoux, et je suis tombée à genoux devant le Saint-Sacrement. Moi, j’ai été complètement bouleversée. Je pense que c’est l’humilité des personnes présentes aussi qui m’a touchée, et aussi l’humilité du Seigneur dans le Saint-Sacrement. C’était radical. » Dieu l’attendait là, dans ce lieu inconnu.
Elle commence à lire Une vie bouleversée de Etty Hillesum, une lecture qui lui « ressemble dans son parcours de solitude » : « Ma mère me l’avait offert et je m’étais dit que je ne le lirais jamais. Et finalement, je l’ai lu après le Saint-Sacrement. J’ai rencontré une femme audacieuse, qui avait soif aussi de vérité, mais en même temps, ça se voyait qu’elle avait aussi une grande liberté. » Cette quête philosophique, artistique même, la rejoint : « Je me suis vraiment identifiée à Etty. C’est elle qui a nommé Dieu pour moi en premier. »
« Comme je n’avais rien autour de moi, aucune famille, peu d’amis au début, je me sentais toute seule avec elle. Elle était vraiment devenue mon amie. Une amie du Ciel. »
Depuis, Joséphine retourne dès qu’elle le peut à la messe au Sanctuaire du Saint-Sacrement. Elle y a trouvé des amis terrestres.
La jeune femme part prochainement étudier aux Beaux-Arts en France, souhaitant répondre à son désir de créer : « Les liens de l’exil et de l’adoption font partie de ma démarche artistique parce qu’être loin, ça permet de se rencontrer. » Elle sait qu’elle reviendra au Québec, « son refuge, là où elle peut être avec son Dieu », mais elle va d’abord à la rencontre de sa famille, renouer avec ses racines.
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Source: Lire l'article complet de Le Verbe