C’est un fait sans précédent : le ministre de la Justice est poursuivi, alors qu’il est encore en fonction, devant la Cour de Justice de la République, pour une « prise illégale d’intérêt » ; ce qui recouvre, en fait, le reproche d’avoir utilisé ses fonctions pour régler des comptes de l’avocat qu’il était jusque-là avec certains magistrats.
Le président de la République et le premier ministre n’avaient, manifestement, pas pris la mesure du haut le cœur de la magistrature – toutes tendances confondues, ce qui n’est pas si fréquent ! –, devant un tel cynique dévoiement de ses pouvoirs, avec la crainte – qui ne pouvait apparaître que trop fondée, eu égard à la hargne et au mépris que cet « auxiliaire de justice » avait montré tout au long de sa carrière professionnelle, médiatique et théâtrale –, que ce ne fût là que le début d’une entreprise visant à démoraliser et terroriser l’ensemble du corps judiciaire pour mieux le soumettre.
La justice spécialisée des membres du gouvernement dira si le prévenu Dupond-Moretti Éric s’est rendu ou non juridiquement coupable des faits qui lui sont reprochés ; il est certain, en tout cas, que sur le terrain de la simple éthique, la cause semble d’ores et déjà entendue, et, à cet égard, la mesure d’exception adoptée en catastrophe pour tenter de former un « cordon sanitaire » autour de l’actuel titulaire des sceaux, avec le décret qui transfère une partie de ses pouvoirs au premier ministre – ce qui ne s’est jamais vu, alors que de nombreux autres avocats ont précédé leur confrère, Place Vendôme –, a les allures d’un aveu de la peur qu’il inspire d’un abus de sa fonction…
D’autres en auraient déjà tiré la conclusion naturelle.
Car, il reste que, nonobstant la présomption d’innocence, cette situation inédite soulève une sérieuse question institutionnelle : celui qui est supposé être le gardien de la loi en France – et, à ce titre, le chef de ceux qui en requièrent l’application auprès des juges –, se retrouve maintenant en porte-à-faux, accusé d’avoir lui-même bafoué cette loi et contraint d’en répondre devant ses juges… Singulier « conflit d’intérêts » ! Dans certaines démocraties, sans doute plus soucieuses du respect pour les fonctions d’État, la question n’aurait même pas lieu d’être posée : une démission immédiate fût intervenue.
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