par Roland Lombardi.
La France et Israël trouvent dans les combats qu’elles mènent contre le nationalisme arabe, de nombreuses analogies. C’est ainsi que la France, elle aussi très isolée sur le plan international, trouve dans l’État hébreu, un fidèle soutien, notamment à l’ONU mais aussi un véritable frère d’armes sur le terrain. Allié privilégié dans l’affaire de Suez, Israël s’est aussi impliqué directement dans le conflit algérien. Tout en s’occupant de la protection et de l’encadrement de l’importante communauté juive d’Algérie, Israël, travaillant de concert avec les services spéciaux français, va fournir à son allié, d’importants renseignements concernant le FLN, quand ses propres agents ne combattront pas, les armes à la main, directement les nationalistes algériens.
L’idylle entre la France et Israël au début des années 1950
Dès le début des années 1950, Israël et la France s’engagent dans une coopération étroite qui évolue rapidement vers une véritable alliance politico-militaire.
Militairement, les livraisons d’armes lourdes et en tout genre (avions, chars AMX 13, hélicoptères, canons…) vers l’État hébreu s’intensifient et c’est auprès de la France que l’État hébreu acquiert toute l’ossature de son armement.
La coopération se consolide et se concrétise aussi sur le terrain : les recherches communes dans le nucléaire militaire se développent. Un comité conjoint de planification stratégique est mis en place pour la protection des intérêts communs en Méditerranée et en Mer rouge ; les officiers supérieurs israéliens suivent des cours à l’École de guerre et des formations dans les centres d’entraînement, les parachutistes de Tsahal profitent de l’expérience acquise en Indochine par les paras français. Des manœuvres navales conjointes sont organisées, des programmes aériens communs sont élaborés et surtout, les services de renseignements travaillent en étroite collaboration notamment en Algérie, comme nous le verrons plus loin…
Ainsi grâce à cette alliance, Israël réussit à se désenclaver militairement et diplomatiquement tout en commençant à se doter d’un arsenal impressionnant pour l’époque.
La France, quant à elle, tout en participant à une entreprise que beaucoup jugent alors morale, trouve un nouveau débouché pour son marché d’exportation d’armes et surtout, maintient l’équilibre des forces face aux nationalistes arabes du Caire…
De plus, l’insurrection algérienne accélère ce rapprochement avec les Israéliens.
Car, à partir de 1954, la France est confrontée au FLN, mouvement d’indépendance algérien très fortement soutenu par Nasser et la Ligue arabe. Suivant l’adage « l’ennemi de mon ami est mon ennemi », la France et Israël coopèrent face au leader égyptien et à son influence dans le monde arabe et aussi, bien sûr, en Algérie. De la crise de Suez, où des intérêts stratégiques croisés poussent les deux États à agir de concert contre Nasser en 1956, en passant par l’échange d’informations importantes sur les activités clandestines des indépendantistes algériens, l’entraide entre la France et Israël atteint des niveaux sans précédent dans les annales des relations internationales.
Le Mossad contre le FLN !
Des réunions régulières ont donc lieu entre les responsables des services de renseignements des deux nations qui permettent d’échanger des informations cruciales et sensibles, notamment au sujet du soutien que l’Égypte apporte aux nationalistes algériens.
Outre ces échanges de renseignements, est aussi mise en place une coopération étroite sur des projets très secrets concernant l’exécution en commun d’actions subversives, consistant à organiser, par exemple, des actes de sabotage et d’autres opérations spéciales non conventionnelles.
Comme on le voit, alliés dans leurs politiques étrangères, la France et l’État hébreu collaborent énormément dans le domaine du renseignement. Israël jouant directement un rôle important dans la lutte contre le FLN algérien, à l’étranger certes (implication évoquée des services israéliens dans les épisodes de l’Athos et même dans l’enlèvement de Ben Bella) mais aussi, chose méconnue jusqu’ici, sur le sol même de la colonie française.
Tous les témoignages évoquent par ailleurs une parfaite et une réelle harmonie entre le Mossad israélien et le SDECE, les services secrets français, mais aussi avec les services du contre-terrorisme des Renseignements généraux et de la Sécurité intérieure français. Et même si, par exemple, la consultation des archives des Renseignements généraux des départements d’Algérie de l’époque, nous apprend que les ressortissants israéliens sont nombreux et bien sûr très surveillés par les autorités françaises, ces agents paraissent bénéficier d’une totale liberté de mouvements. Ainsi, très présents en Algérie pendant le conflit, ils recueillent de nombreuses et d’importantes informations sur les activités des nationalistes algériens. Informations dont ils font bien sûr profiter pleinement les autorités françaises et qu’ils récoltent notamment grâce à l’importante communauté juive, dont, notons-le au passage, nombre de ses membres sont arabisants et parfois très proches de la communauté musulmane.
Henri Jacquin, un officier des renseignements français, affirme d’ailleurs que les informations recueillies par les services israéliens dans l’importante communauté juive d’Afrique du Nord et qui sont par la suite communiquées aux Français, sont souvent plus « fraîches » que celles des services français.
Les services israéliens s’illustrent aussi dans la formation et l’encadrement des milices juives d’autodéfense et font parfois même le coup de poing en participant directement à des opérations de contre-terrorisme.
C’est ce que révèle une information citée par deux éminents universitaires, le Français Benjamin Stora et l’Israélien Mikaël Laskier, parue dans le détail le 25 mars 2005, dans un article intitulé « Comment le Mossad a armé les juifs de Constantine en 1956 » du journal israélien Maariv.
L’ancien agent du Mossad, Avraham Barzilai, en poste en 1956 en Algérie, révèle dans le détail une opération des services israéliens consistant à entraîner et armer des groupes composés de jeunes juifs de Constantine pour faire la guerre au FLN et notamment une opération de représailles lancée sur ses ordres et menée par des hommes de sa cellule après un attentat à Constantine, le 12 mai 1956.
Rappelons au passage que la communauté juive d’Algérie, à l’époque la plus nombreuse communauté juive dans le monde arabo-musulman (130 000 personnes environ), est très ancienne et présente sur le territoire algérien, bien avant la conquête française. Devenus citoyens français à part entière depuis le décret Crémieux de 1870, les Juifs d’Algérie s’identifient de façon croissante à la métropole. Et ce malgré leur retour humiliant et forcé à la condition d’indigène durant la période de la Seconde Guerre mondiale et du régime de Vichy.
Lorsque la Guerre d’Algérie commence en 1954, les Juifs d’Algérie sont donc Français depuis quatre générations. Même si la plupart d’entre eux vote à gauche, la majorité choisit clairement l’Algérie française. D’ailleurs, ils en paient le prix le plus fort puisque de nombreuses personnalités de la communauté, du notable jusqu’au petit coiffeur, sont assassinées par le FLN comme la plus emblématique d’entre elles, Cheikh Raymond, né Raymond Leyris (beau-père d’Enrico Macias) qui est assassiné par le FLN d’une balle tirée dans la nuque, au cœur même du quartier juif constantinois. Musicien spécialiste de musique arabo-andalouse, joueur virtuose d’oud, il fédérait pourtant les communautés car il était un personnage aimé et respecté tant par les Juifs que par les Musulmans qui l’appelaient « Cheikh Raymond » en signe de respect.
Après les revirements du général de Gaulle dans sa politique algérienne, beaucoup approuvent les actions de l’Organisation armée secrète (OAS), organisation politico-militaire créée par des militaires et des Européens d’Algérie au début de l’année 1961 et qui s’oppose par le terrorisme et par la force à la « politique d’abandon » de l’Algérie par le pouvoir gaulliste.
Ainsi, « dans la rancœur et la colère contre la France, les juifs vont peu à peu grossir les rangs de l’OAS ».
C’est Jacques Soustelle qui résume le mieux ce phénomène. Acteur majeur de cette période, Soustelle est un universitaire et un ethnologue de renom, gaulliste de la première heure, gouverneur général de l’Algérie de 1955 à 1956, ministre du général de Gaulle, il démissionne d’ailleurs de son poste gouvernemental à cause de son désaccord avec le chef de l’État au sujet de l’Algérie. Il rejoint alors l’OAS et la clandestinité. Or, au sujet des Juifs d’Algérie, Soustelle fait remarquer que « la population juive (130 000 sur 1 million de non musulmans) a toujours été, en Algérie, orientée « à gauche ». Elle votait radical et surtout socialiste tant à Alger qu’à Oran. Or, l’antisémitisme frénétique de la clique panarabe du FLN, acoquinée avec les survivants de l’hitlérisme regroupés autour de Nasser, a obligé cette population israélite à organiser son auto-défense, un peu à la manière et selon l’inspiration de l’Irgoun Zvaï léoumi, et l’a amenée à fournir à l’OAS des cadres et des militants de valeur.
Israël, l’Algérie et de Gaulle…
Pour les Israéliens, comme pour les défenseurs de « l’Algérie française », le retour du général de Gaulle représente un espoir. N’oublions pas que de Gaulle est rappelé en 1958 à la suite de la crise politique découlant principalement des évènements en Algérie et surtout, grâce à un coup de force à Alger le 13 mai 1958. Dans un premier temps, il est un héros, l’homme fort tant attendu, le seul capable de garantir une issue heureuse à quatre années de conflit et ce, par le maintien de la présence française en Algérie et l’anéantissement du nationalisme algérien. Mais, à partir de 1959, de Gaulle choisit l’autodétermination pour l’Algérie. Pour les Européens d’Algérie et pour une grande partie de l’armée, qui a porté de Gaulle au pouvoir, c’est alors une véritable trahison. Commence une quasi guerre civile entre les pro-« Algérie française » et les autres, les « bradeurs ».
Pour les Israéliens, ces changements radicaux du chef de l’État français, n’augurent rien de bon. Les responsables israéliens sont tout à fait conscients que l’abandon de l’Algérie par la France signifierait alors un bouleversement radical de la politique française en Méditerranée, au Proche-Orient et surtout vis-à-vis de l’État hébreu. C’est d’ailleurs bien ce que souhaite Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, principal conseiller du général dans l’affaire algérienne, farouche opposant à « l’Algérie française » et réputé ne pas être un ami d’Israël. Pour lui, la fin de la guerre d’Algérie et le retrait de la France d’Afrique du Nord seraient le point de départ pour relancer la traditionnelle « politique arabe » de la France, au risque de sacrifier ses relations avec l’État hébreu.
Face aux attentats du FLN et de l’OAS, face à cette guerre franco-française dans la guerre, certains responsables politiques, conscients de l’irrévocabilité du choix du général de Gaulle et souhaitant éviter des drames aux Européens d’Algérie désormais appelés « Pieds noirs » et aux Musulmans francophiles une fois l’indépendance algérienne acquise, cherchent une autre voie, une solution autre que celle de l’Algérie française ou de l’Algérie algérienne. C’est l’option de la partition, ou encore de « l’israélisation », de la création d’un « Israël pied-noir » ou encore, comme le disait de Gaulle lui-même, d’un « Israël français ».
Cette nouvelle voie va être étudiée très sérieusement et théorisée notamment par Alain Peyrefitte, alors jeune secrétaire d’État à l’Information et surtout un des confidents du général de Gaulle. C’est à la demande de ce dernier, qu’il se penche sur le sujet et écrit, en 1961, un rapport qui devient un essai intitulé « Faut-il partager l’Algérie ? » Ce plan peut se résumer ainsi : seraient regroupés entre Alger et Oran tous les Français de souche, avec tous les Musulmans qui se sont engagés du côté français. Puis seraient transférés dans le reste de l’Algérie tous les Musulmans qui préfèrent vivre dans une Algérie dirigée par le FLN. La France garderait un libre accès au Sahara, qui deviendrait un territoire autonome par rapport aux deux premiers. Enfin, Alger pourrait être partagée, comme Berlin ou Jérusalem : la Casbah d’un côté, Bab-el-Oued de l’autre, une ligne de démarcation au milieu. Pour Israël, cette éventuelle solution peut paraître tout aussi séduisante.
En effet, surpris lui aussi, puis déçu et tout aussi inquiet du revirement du général de Gaulle dans l’affaire algérienne, l’État hébreu peut aussi voir dans une partition, la perspective d’une certaine continuité de la stratégie française au Maghreb.
Cette sorte de Rhodésie à la française présenterait l’avantage de maintenir une présence « européenne » en plein cœur d’un Maghreb hostile, obligeant la France à abandonner ses projets de nouvelle politique arabe. De fait, seraient perpétuées la traditionnelle alliance militaire et la fructueuse coopération avec l’État hébreu… tout en lui apportant, des fournitures en pétrole et en gaz non négligeables…
David Ben Gourion vient d’ailleurs, en personne, lors d’une de ses visites à Paris, conseiller et essayer d’influencer le général de Gaulle pour suivre l’option de la partition. C’est de Gaulle qui l’avoue personnellement à Alain Peyrefitte quand ce dernier vient lui faire l’exposé de son plan : « En somme, vous voulez faire un Israël français. C’est ce à quoi voulait me pousser Ben Gourion, quand il est venu me voir. Mais il m’avait bien averti : « ça ne marchera que si vous envoyez en masse d’autres colons français, s’ils s’installent définitivement, et s’ils s’engagent comme soldats pour combattre ! » Finalement, le général de Gaulle rejette ce plan et reste bel et bien décidé à se débarrasser du « fardeau » algérien. Quant à l’OAS, avec l’énergie et la violence du désespoir, elle fait tout pour s’y opposer…
Israël et l’OAS
Officiellement, les relations entre de Gaulle et Ben Gourion, qui s’estiment mutuellement, restent courtoises et amicales. Officieusement, la nouvelle direction prise par le Président français en Algérie contrarie profondément les dirigeants israéliens. L’OAS le sait très bien. C’est la raison pour laquelle, dans sa recherche éperdue de soutiens étrangers, l’organisation tente d’approcher les Israéliens. Ceci n’est pas étonnant quand on sait que certains chefs de l’organisation comme les Généraux Challe et surtout Jouhaud (qui a été un des principaux conseillers lors de la création de l’aviation militaire israélienne) avaient été très proches, dans le passé de par leurs hautes fonctions dans les états-majors, avec des militaires de l’État hébreu. D’autres, comme Jean-Jacques Susini, un des fondateurs de l’OAS qui peut être considéré comme l’idéologue de l’organisation, est un fervent admirateur de l’épopée sioniste. Ne rêve-t-il pas de faire de l’OAS une Haganah pied noire ?
Quoiqu’il en soit, les contacts sont nombreux entre les activistes de l’OAS et les Israéliens. Par exemple, le colonel Château-Jobert, un des responsables de l’OAS dans le Constantinois, va jusqu’à l’Ambassade d’Israël, à Paris, afin d’obtenir, sans succès, le renfort de volontaires israéliens ! Jean-Jacques Susini, dernier chef de l’OAS, nous confirme d’ailleurs ces démarches : « Nous cherchions des appuis extérieurs et n’importe quelle aide était la bienvenue. Oui bien sûr, certains de nos amis ont essayé d’approcher les Israéliens, mais en vain. Israël aurait pu faire beaucoup. Mais on peut les comprendre [les Israéliens]… Il est délicat, pour un État, même si on partage la même vision, de soutenir une organisation, disons, subversive…»
En effet, la réserve de l’État hébreu est compréhensible. Même si l’abandon de l’Algérie risque de lui coûter beaucoup, Israël ne peut se permettre de froisser davantage de Gaulle, déjà trop enclin à mettre un terme à l’idylle franco-israélienne, d’autant plus que d’importantes livraisons d’armes françaises pour l’État hébreu (notamment des Mirage III pour 1960-1961) sont encore en attente.
Même si l’OAS démontre sa détermination et son efficacité (surtout en Algérie) et qu’elle peut sembler atteindre ses buts jusqu’en janvier 1962, il est raisonnable de rester prudent, neutre et en retrait en attendant l’issue finale de cette guerre franco-française. Il ne faut surtout pas sous estimer de Gaulle et ses capacités à surmonter cette épreuve…
Certes, les Israéliens pouvaient être et le furent sûrement, sensibles au combat des Européens d’Algérie, qui leur rappelait sans nul doute leur propre lutte clandestine avant la création de leur État. Mais le pragmatisme a certainement prévalu devant l’importance des enjeux.
Néanmoins, il demeure des faits troublants, concernant notamment Jacques Soustelle. Comme nous venons de le voir plus haut, à la suite de son désaccord avec de Gaulle et son départ du gouvernement en février 1960, Jacques Soustelle est poursuivi pour atteinte à la sûreté et à l’autorité de l’État à cause de ses déclarations en faveur du maintien de l’Algérie au sein de la République française. L’ancien ministre rejoint alors l’OAS et fait à présent partie des instances dirigeantes. Un mandat d’arrêt est alors lancé contre lui, ce qui le pousse à partir à l’étranger (notamment en Italie) et à vivre dans la clandestinité jusqu’en 1968, date à laquelle il est gracié.
Comme le mentionne Bernard Ulmann, dans une biographie qu’il lui a consacrée, « le Mossad, la centrale de renseignements d’Israël, conservait des relations suivies avec certains activistes, à commencer par Jacques Soustelle, ex-« collègue », bien connu des services de Tel-Aviv pour ses sympathies pro-sionistes ». Par ailleurs, Itshak Shamir, l’ancien homme d’État israélien, qui était dans sa jeunesse un des chefs du Lehi, un groupuscule ultranationaliste et terroriste refusant d’interrompre la lutte à outrance contre les troupes britanniques durant les années 1940, déclare dans un entretien à Charles Enderlin, qu’il a rencontré Jacques Soustelle en 1966, lorsque ce dernier était encore en exil. Itshak Shamir, quant à lui, a été membre du Mossad de 1955 à 1965… Pour Jean-Jacques Susini, enfin, il ne fait aucun doute que « lors de son séjour en Italie, une partie de la sécurité et de la logistique de la clandestinité de Soustelle étaient assurée par les Israéliens ! »
Ces appuis extérieurs comme tous les appuis dont les membres de l’OAS ont pu bénéficier, à un moment ou à un autre, relevaient sûrement moins de gouvernements ou de services étatiques que de groupuscules, de particuliers, de sympathisants ou encore de simples relations personnelles ou d’amitié.
Il n’est alors pas étonnant qu’un tel ami de l’État hébreu, qui était pourtant devenu un ennemi déclaré du général de Gaulle, reçoive une aide bienveillante venant d’Israéliens. Agents officiels en mission ou anciennes relations personnelles agissant par amitié ou simplement par loyauté envers un homme qui a toujours défendu les intérêts israéliens en France et dans le monde, qui peut savoir ? Malheureusement, nous n’avons aucune trace disponible pour affirmer quelles étaient la véritable nature et l’origine de ce soutien.
Pourquoi une telle position israélienne concernant l’Algérie ?
Pour Israël, l’indépendance de l’Algérie allait signifier la fin d’une époque, puisque son alliance avec Paris ne se justifie, en premier lieu, que par l’existence d’ennemis communs. La fin de la Guerre d’Algérie et le rétablissement de relations diplomatiques de la France avec la majeure partie des pays arabes dès l’issue du conflit ont de quoi inquiéter l’État hébreu… En effet, pour Israël, la France et surtout son maintien en Afrique du nord, revêtaient une importance capitale.
Symboliquement d’abord. Car les symboles ont souvent plus d’importance qu’on ne le croit dans une guerre, surtout dans ce type de conflit. En effet, une victoire du FLN sur une puissance comme la France aurait été – et l’a été en définitive – perçue dans le monde arabe, et surtout par les Palestiniens, comme un exemple et un espoir dans la lutte contre le sionisme et Israël.
Diplomatiquement, la France, puissance européenne, restait une nation influente puisqu’elle était notamment un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. De plus, si l’Algérie restait française, se créait alors un deuxième point de fixation de colère dans le monde arabo-musulman, ce qui bien sûr, aurait « soulagé » et « dévié » quelque peu la pression arabe sur l’État hébreu. Encore une fois, si l’Algérie restait française, tout changement de politique en Méditerranée et au Levant de la part de la France, était tué dans l’œuf et il n’y aurait jamais eu de politique pro-arabe française, ou du moins dans le sens que vont l’initier, avec d’ailleurs les succès très mitigés que l’on sait, de Gaulle et surtout son ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, « l’homme qui faisait souffler un air glacial sur les relations franco-israéliennes »…
Grand producteur d’armes conventionnelles et premier fournisseur d’Israël en armement et matériel de très haute technologie, la France avait fait aussi de grandes avancées dans le domaine nucléaire (savoir qu’elle partageait avec Israël). De plus, sur le plan purement militaire et stratégique, la présence de cet important allié, de son armée et de ses services de renseignements expérimentés et aguerris en Algérie, offrait d’autres perspectives tout aussi intéressantes. Conformément, à sa politique dite de « deuxième » ceinture, Israël voyait d’un très bon œil cette alliance de revers et cette présence militaire européenne en plein cœur du Maghreb et surtout « derrière » l’hostile Égypte de Nasser.
Une Algérie française représentait aussi un atout géostratégique pour Israël par l’immense espace aérien de la colonie française. En effet, « coincé » géographiquement du fait de l’exiguïté de son territoire, l’État hébreu aurait sûrement profité, comme il le fera plus tard avec les espaces aériens américains et turcs (après des accords bilatéraux), d’une totale liberté de survol, par exemple, de l’espace saharien à des fins d’entraînement.
Enfin, économiquement, une Algérie française aurait été aussi, pour Israël, un tremplin économico-commercial, mais aussi diplomatique vers l’Afrique noire (chose dont l’État hébreu s’est finalement aisément passée puisque son implantation commerciale et économique, mais aussi diplomatique sur le continent africain a été un succès). Mais surtout, n’oublions pas que la France était sur le point de devenir une puissance pétrolière et gazière grâce au Sahara, cet immense espace stratégique offrait lui aussi des possibilités inestimables dans les domaines de la recherche nucléaire mais aussi spatiale. Tous ces avantages qui, du fait des liens très étroits entre les deux nations, auraient bien sûr inévitablement profité à l’État hébreu, lui qui est dépourvu de ressources naturelles.
L’État hébreu, qui avait compris que le sort de l’Algérie dépendait essentiellement de la volonté du général de Gaulle, avait cru voir en lui, du moins au début et comme beaucoup de Français, le seul homme d’État français capable, de par sa stature et son prestige, d’imposer au monde un choix honni par l’opinion internationale mais qui aurait surtout été plus en adéquation avec ses propres intérêts…
Il n’en fut rien. Israël a donc cru, un moment, à un futur français pour l’Algérie auquel la grande majorité des Français ne voulait plus croire !
Enfin, les choix inattendus et décevants pour l’État hébreu du général de Gaulle obligèrent Israël à revoir sa stratégie, son positionnement et à s’adapter rapidement à cette nouvelle donne du « jeu » de la France en Méditerranée, tout en recherchant le plus vite possible un nouvel allié puissant…
D’abord, à l’instar des prises de contact réussies avec la Tunisie et le Maroc indépendants, les Israéliens tentent d’approcher certains modérés du GPRA et du FLN afin de normaliser de futures et éventuelles relations entre Israël et l’Algérie indépendante. En vain.
Parallèlement, Israël essaie de faire bonne figure auprès du général de Gaulle, pourtant enclin, comme on l’a vu, à mettre fin à la symbiose des relations franco-israéliennes. Selon Yuval Neeman, ancien ministre israélien et ancien président de l’Agence spatiale israélienne, les services spéciaux israéliens ont eu vent, en 1961, d’un des nombreux projets d’assassinat du général par l’OAS. L’attaché militaire en poste à Paris, Uzi Narkiss avertit alors discrètement Alain de Boissieu, gendre et aide de camp de de Gaulle. Le complot est déjoué et ses auteurs arrêtés.
Des accords commerciaux sont même signés jusqu’en 1964 mais le coeur n’y est plus. Pour Yehuda Lancry, ancien ambassadeur israélien à Paris : « Israël a longtemps considéré la France comme un sein maternel, omniprésent et inépuisable. Mais cet État nourrisson a été brutalement sevré par de Gaulle ».
L’officialisation de la rupture se fait en mai-juin 1967, peu avant la Guerre des Six Jours, lorsque de Gaulle menace d’embargo Israël si l’État hébreu déclenche le premier les hostilités (ce qui s’est produit). Le divorce est prononcé enfin, quand, le 27 novembre 1967, lors d’une conférence de presse, le général évoque alors « un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir » et présente les Juifs comme « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».
Dans l’intervalle et dès, 1962, le revirement français pousse Israël à rechercher au plus vite, par exemple, l’appui des États-Unis. Il peut compter pour cela sur les juifs américains et sur le nouveau regard de Washington à propos du rôle que peut jouer finalement l’État hébreu dans la région.
Les vtats-Unis deviennent alors pour Israël, « la France des années 1950 en mieux » et sont désormais le meilleur soutien économique, le principal fournisseur d’armes et le seul ami et allié politique important de l’État hébreu.
Quant à la France et à l’État hébreu, la fin de la Guerre d’Algérie peut être considérée comme la grande ligne de partage du temps dans leurs relations. Car entre les deux nations, rien ne sera alors plus jamais comme avant…
source : http://casbah-tribune.com
Source: Lire l'article complet de Réseau International