Rédigé le 4 décembre 2018, en pleine émeute parisienne par David L’Epée, cet appel doit être relu à la lumière des deux dernières années
« Ce qui tombe, il faut encore le pousser ! Tout ce qui est d’aujourd’hui tombe et se décompose : qui voudrait le retenir ? Mais moi – moi je veux encore le pousser ! » (Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
Les jours que nous vivons sont des jours fatidiques. Les choix qui seront faits par les uns et par les autres dans le courant de cette semaine seront déterminants pour la survie ou la chute du gouvernement, et peut-être même du régime. Dès lors soyons tout de suite très clairs : ce n’est pas sur la survie du gouvernement, ce n’est pas sur la survie du régime que nous devons parier, mais sur sa chute. Si l’initiative des Gilets jaunes – dont personne, pas même ses acteurs eux-mêmes, n’aurait pu soupçonner, il y a encore à peine quinze jours, la dimension historique qu’elle prendrait – est née comme une contestation de la taxation abusive en général et de la taxe sur l’essence en particulier, elle est aujourd’hui bien plus que cela. Loin de la petite jacquerie poujadiste à laquelle certains ont voulu le réduire dans les premiers jours, elle est devenue à présent un vaste mouvement populaire qui, sans rien renier de ses objectifs de départ, a libéré la parole et les revendications de toute une France muette jusqu’alors, France métropolitaine et périphérique, France des campagnes et des banlieues, France des provinces et jusqu’en outre-mer.
A la révolte contre les taxes se sont ajoutées nombre de doléances dans tous les domaines : dans le domaine social tout d’abord, mais aussi sur des questions de souveraineté, de justice, de sécurité, de démocratie, d’identité, de culture. C’est grâce à cette extension du domaine de la lutte qu’une simple contestation parcellaire (que ses adversaires auraient bien voulu étiqueter comme émanant du « lobby des petits automobilistes précarisés ») s’est transformée très rapidement en mouvement révolutionnaire d’envergure nationale.
Nous sommes entrés en révolution
Car il y a un moment où il faut mettre un nom sur ce qui arrive : la contestation est devenue rébellion, la rébellion est devenue révolte, et la révolte est en train de prendre le visage d’une révolution. C’est une excellente chose, c’est même la meilleure chose qui pouvait arriver. Pourquoi ? Parce que la négociation avec ce gouvernement est devenue impossible, parce que Macron s’entête dans sa posture d’inflexibilité et parce que même s’il est probable qu’il lâche bientôt du lest, qu’il revienne en arrière sur tel ou tel point, qu’il tente de jouer ses dernières cartes en donnant quelques gages à ses interlocuteurs et en tenant un discours de conciliation, il est désormais trop tard. Ce radoucissement de façade ne devra tromper personne. A l’instant où je signe ce texte, j’apprends d’ailleurs qu’on vient d’annoncer un gel de la hausse du prix du carburant pour six mois… Aucun d’entre vous, j’en suis sûr, ne tombera dans ce piège grossier : il vous aura suffi de remarquer que l’échéance de cette date correspond à la période suivant directement les prochaines élections européennes pour que vous ayez compris l’objectif de cette basse manœuvre de clientélisme !
Tous ceux qui ont participé aux manifestations de samedi dernier ont compris, en discutant avec les Français présents, en écoutant les slogans, en lisant les banderoles, que ce n’est pas une réduction de quelques centimes sur le prix de l’essence qui donnera satisfaction aux Gilets jaunes mais bel et bien la démission de Macron. Et par démission qu’on ne pense pas qu’il suffise au système de faire sauter le fusible Macron pour le remplacer par un président par intérim en attendant la prochaine échéance électorale, non, assez de ces rénovations cosmétiques ! Il ne s’agit pas de faire en sorte que « tout change pour que rien ne change », il ne s’agit pas d’un énième remaniement ministériel ou d’un nouveau jeu des chaises musicales, il s’agit de faire tomber ce gouvernement dans son intégralité, tant pour ce qui est de ses membres que pour ce qui est de ses institutions. Des voix plus résolues, et de plus en plus nombreuses, ont même commencé depuis quelques jours à aller plus loin encore et à articuler un objectif beaucoup plus résolu : il faut donner le coup de grâce à la Vème République.
A l’heure actuelle, alors que rien n’est encore joué, quelles sont les implications concrètes du fait que nous ne nous considérions plus en situation de révolte mais en situation de révolution ? J’en vois principalement trois :
1 – Le temps des négociations est passé
Il ne faut pas accorder plus d’importance qu’ils n’en méritent aux « porte-parole » des Gilets jaunes qui s’expriment sur les plateaux de télévision et prétendent pouvoir sortir de la crise en menant des négociations avec le gouvernement. Dites-vous que ce n’est pas pour rien qu’on leur offre si complaisamment des tribunes et que les médias qui leur tendent leurs micros sont les mêmes qui cherchent à décrédibiliser le mouvement depuis le début et à faire bloc derrière le régime. Peut-être se trouve-t-il parmi eux quelques rares individus sérieux et dignes de confiance (vous êtes tous assez avertis et assez lucides pour vous faire votre propre opinion en les écoutant et en examinant leur pedigree) mais beaucoup ne sont que des marionnettes dont certains sont carrément recrutés dans le parti présidentiel.
Macron se crée les interlocuteurs qui l’arrangent en faisant enfiler un gilet jaune à certains de ses partisans qui joueront le rôle du contradicteur de façade – comme dans un dialogue socratique où le disciple un peu rebelle et contestataire finit toujours par se ranger aux raisons du maître. Mais si nous devons nous méfier de ces « porte-parole » adoubés par le pouvoir, ce n’est pas tant pour leur probable duplicité que pour une raison plus fondamentale encore : ils cherchent à négocier avec le pouvoir que nous voulons renverser, ils agissent dans une perspective de « dialogue social » alors que nous sommes en insurrection.
2 – Le temps des « gentils » et des « méchants » manifestants est passé
Les manifestations des Gilets jaunes sont de plus en plus violentes (à l’image de leur répression policière) et charrient immanquablement leur lot de destructions matérielles, de pillages et de vandalismes divers. C’est un phénomène aussi regrettable qu’inévitable et il est malheureusement impossible, dans ces moments-là, de trier le bon grain de l’ivraie. Le désordre entraîné par l’insurrection en cours attire forcément des éléments indésirables, des individus ne partageant pas les objectifs des Gilets jaunes, s’en désintéressant même complètement, et ne désirant rien d’autre que profiter de l’occasion pour se confronter à la police, piller les commerces et saccager des biens publics. Il n’est pas inutile d’essayer, lorsque les manifestants sont bien organisés, d’isoler ces parasites et de les empêcher de nuire, mais c’est rarement possible et lors d’une émeute les Gilets jaunes ont évidemment d’autres priorités. Saluons à ce propos le symbole admirable représenté samedi par ces manifestants faisant bloc autour de la flamme du soldat disparu en entonnant la Marseillaise pour parer à toute tentative de vandalisme.
Nous avons toujours été de ceux qui, tout comme Marx en son temps, reprochaient à une certaine gauche sa complaisance envers un lumpenprolétariat nihiliste dénué de toute conscience collective et uniquement préoccupé de rapines. Nous n’avons pas changé d’avis sur la question, mais ce qui a changé c’est que nous ne parlons plus d’une manifestation mais d’une révolution. La racaille est présente dans les émeutes, elle contribue à sa manière à déstabiliser l’ordre policier qui s’est mis en place, il faut faire avec faute de pouvoir faire sans. Elle représente la part inévitable de violence gratuite qui a été celle de toutes les révolutions jusqu’alors : elle est condamnable mais elle ne doit pas être considérée autrement que comme un dégât collatéral, elle ne remet aucunement en cause la légitimité du mouvement général.
Oui, des vitrines de commerçants innocents ont été brisées et des voitures de citoyens qui n’y pouvaient rien ont été incendiées. Non, cela ne doit pas être cautionné. Mais non, il n’est plus l’heure de distribuer les bons et les mauvais points pour quémander la miséricorde d’un pouvoir dont nous n’attendons plus rien. Il n’est plus l’heure de pointer du doigt les voyous et les mauvais éléments en tirant la manche du président ou du préfet de police dans l’espoir de leur faire croire que nous sommes, nous, des gens honorables et des interlocuteurs respectueux : nous ne le sommes pas. Le ménage se fera plus tard ; pour le moment toute division, tout règlement de compte sera exploité par le gouvernement comme une faiblesse. Les tags qui ont profané l’Arc de Triomphe sont inexcusables comme était sans doute inexcusable, en 1871, la destruction de la colonne Vendôme par les communards. Et pourtant, qui remettrait en cause, sous ce seul prétexte de destruction matérielle, la légitimité de la révolution populaire qui fut celle de la Commune de Paris ?
3 – Le temps de la gauche et de la droite est passé
Il faut maintenant enterrer une bonne fois pour toutes, définitivement et résolument, les vieux hochets démodés de la gauche et de la droite. Les politiques, les journalistes et la majorité des intellectuels s’y accrochent encore mais le peuple en a bel et bien fait son deuil. « Ni droite ni gauche » est une des inscriptions qu’on a pu le voir le plus souvent tracée sur les gilets jaunes des manifestants. Si un certain nombre d’entre eux sont issus de partis (très majoritairement de partis dits populistes), beaucoup d’autres ne sont encartés nulle part et échappent aux radars de la politique politicienne. Les hommes politiques voient dans ce phénomène le handicap du mouvement, nous y voyons sa force. Si le dialogue avec certains politiques n’est pas interdit, il faut continuer d’éviter toute récupération, parce que celle-ci exclurait de fait tous ceux qui se sentiraient étrangers ou hostiles au parti qui parviendrait à s’approprier ce mouvement populaire. En disant cela je pense évidemment en priorité à la France insoumise et au Rassemblement national : si l’un de ces deux partis parvenait à récupérer le mouvement, ce dernier se mettrait à fondre comme neige au soleil sous l’effet des divisions internes.
Pour la première fois, le territoire français est recouvert de manifestations dans lesquelles se mélangent sans complexe une multitude de sensibilités politiques. Pour la première fois, patriotes et communistes tiennent le pavé ensemble et se côtoient dans la rue non plus comme adversaires mais comme compagnons d’armes. Cette jonction historique est celle que nous appelons de nos vœux depuis longtemps, celle vers laquelle ont convergé toutes nos énergies depuis que nous avons compris que cette synthèse était la seule susceptible de régénérer le pays. Ce populisme intégral, c’est celui que nous prônons infatigablement depuis des années et il est en train de prendre forme, c’est en train d’arriver ! Le pouvoir s’en rend compte et fait tout pour recréer artificiellement les divisions qui jusque-là lui avaient tant servi pour maintenir son hégémonie. Aussi il cherche à stigmatiser les auteurs de violences comme étant d’« ultra-droite » tout en laissant complaisamment se diffuser des photos montrant des tags clairement identifiables comme étant la signature de la gauche radicale. Il aurait d’ailleurs pu faire exactement l’inverse, l’effet escompté étant le même. Le résultat visé ? Les Français de gauche sont tentés de quitter le mouvement de peur d’une récupération « fasciste », les Français de droite tombent dans le panneau en se posant comme victimes des médias et en relayant les photos de tags anarchistes… et Macron se frotte les mains. Il faut cesser immédiatement toutes ses simagrées et laisser les journalistes s’époumoner et parler à des murs, il importe à tout prix de ne pas se laisser piéger par cette stratégie de division. Les Gilets jaunes ne sont ni de gauche ni de droite, ils sont tout cela à la fois et plus encore, ils doivent rester unis pour remporter la victoire.
La menace imminente du pacte sur les migrations
Outre toutes les revendications évoquées plus haut, une crainte revient de plus en plus souvent, obsédante, dans les témoignages des Gilets jaunes : la crainte que Macron, lors de son voyage au Maroc lundi prochain (le 10 décembre), signe le pacte mondial sur les migrations qui aboutirait peu ou prou, sans entrer ici dans les détails, à un suicide de la nation française. Cette crainte est tout à fait fondée : Macron signera, il s’y est engagé auprès de l’ONU. Il n’existe que deux possibilités d’éviter cette catastrophe : 1) renverser le gouvernement avant lundi prochain, ou 2) le renverser plus tard dans le courant du mois de décembre et rompre ensuite le pacte au nom de l’autorité souveraine d’un nouveau gouvernement né de la prise de pouvoir. Si la révolution triomphe, le pouvoir actuel ne pourra prétendre imposer à la France nouvelle les obligations qu’il a contractées à ses dépens, et les Gilets jaunes, devenus maîtres du pays, lui rendront sa souveraineté pleine et entière. Ne serait-ce que pour cette raison, la révolution en cours n’est pas un caprice, elle est une nécessité vitale pour le peuple français.
L’armée interviendra-t-elle samedi prochain ? La police, dépassée, sera-t-elle remplacée par des troupes de mercenaires ou des brigades envoyées par d’autres pays européens ? Les soldats retourneront-ils leurs armes et se joindront-ils au peuple ? Les officiers appelleront-ils à la désobéissance ? L’armée finira-t-elle par appuyer l’insurrection ? L’Élysée sera-t-elle prise et tombera-t-elle aux mains des Gilets jaunes ? Il est impossible de le dire actuellement mais il faut se parer à toute éventualité et préparer déjà la transition. Les premières mesures, préalablement à la reprise des affaires courantes, pourraient être les suivantes : proclamation d’un gouvernement provisoire, convocation démocratique d’une assemblée constituante, regroupement et examen des cahiers de doléances, instauration du référendum d’initiative populaire, rédaction et adoption d’une nouvelle Constitution, nationalisation de la Banque de France, sortie de l’Union européenne, rétablissement intégral de la souveraineté nationale et populaire.
Les jours que nous vivons sont des jours fatidiques. C’est maintenant ou jamais : le gouvernement doit tomber avant Noël.
Vivent les Gilets jaunes ! Vive la Révolution ! Vive la France !
David L’Epée
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