Par Andrew Korybko − Le 11 novembre 2020 − Source Oriental Review
La fin de la guerre du Nagorno-Karabakh a été amenée par la reddition soudaine de l’Arménie, facilitée par la Russie, qui a fait suite à sa défaite complète sur le champ de bataille. Le moment est idéal pour s’intéresser à la raison pour laquelle tant de personnes dans la communauté des médias alternatifs se sont complètement trompés, pour clarifier l’image de la situation telle qu’elle est maintenant que le conflit est terminé, et prévoir ce qui pourrait suivre sur la scène du Sud-Caucase.
La glorieuse victoire de l’Azerbaïdjan
La guerre du Nagorno-Karbakh a finalement pris fin, l’Arménie ayant subitement reconnu sa défaite — avec l’appui des Russes — par suite de son échec total sur le champ de bataille. L’accord qui a été conclu entre les dirigeants azerbaïdjanais, russe et arménien est consultable sur le site officiel du ministère des affaires étrangères d’Azerbaïdjan. Il prévoit le déploiement de soldats de la paix russes sur la ligne de contact au Nagorno-Karabakh et dans le couloir de Lachin, en parallèle avec le retrait des soldats arméniens du territoire universellement reconnu comme appartenant à l’Azerbaïdjan, occupé illégalement depuis presque trois décennies. Les soldats de la paix russes resteront en place cinq années durant, et pourraient voir leur mission étendue à cinq années de plus selon l’approbation conjointe de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Cependant, chacune des deux parties peut déclarer son intention de mettre fin à l’accord six mois avant son expiration (et c’est sans doute ce qui se produira). Bien que l’accord en soi ne le mentionne pas, Aliyev, le président de l’Azerbaïdjan, a également affirmé que des soldats de la paix turcs mèneront des activités conjointes avec la Russie.
En outre, l’accord permet le retour de tous les réfugiés et de toutes les personnes déplacées intérieurement sur les territoires précédemment occupés, ainsi qu’un échange de prisonniers, de dépouilles, et d’autres procédures humanitaires du même registre. On peut donc affirmer que l’accord va inévitablement déboucher sur la mise en œuvre des quatre résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU sur cette situation (les résolutions 822, 853, 874 et 884), mais chose intéressante, l’accord va même un peu plus loin. Le dernier des neuf points de l’accord traite de la création d’un couloir entre la région occidentale de l’Azerbaïdjan et sa république autonome de Nakhchivan, traversant le Sud de l’Arménie. Le contrôle des moyens de transports sera réalisé par des garde-frontières russes, ce qui révèle le rôle central que joue la grande puissance eurasiatique dans cet accord visionnaire. À dire vrai, cet accord constitue une victoire éblouissante pour l’Azerbaïdjan, une victoire qui n’aurait pas pu se produire sans une unité parfaite entre son président, ses forces armées, et son peuple. Ils ont tenu bon pendant presque 30 années, concentrés sur la libération de leurs territoires occupés, et ont fini par parvenir à réaliser cette tâche légendaire.
Des antécédents bien visibles d’acuité analytique
L’auteur s’était vivement intéressé à leur ultime contre-offensive victorieuse depuis que celle-ci avait commencé, à la fin septembre 2020 : il a publié 36 articles d’analyse sur les aspects, de l’historique du conflit à la dernière dynamique militaire, et même sur les facteurs stratégiques en jeu. Avec humilité, et remerciant Dieu pour la profondeur de vision qu’il lui a accordée, l’auteur a produit des analyses extrêmement justes, allant jusqu’à prédire la mission de maintien de la paix conjointe russo-turque dès la mi-octobre, à un moment où la plupart des observateurs mondiaux étaient convaincus que ces deux pays étaient destinés à entrer en conflit l’un contre l’autre. Afin d’éclairer le lecteur, il repartage la séquence chronologique de son travail, afin que chacun puisse suivre l’évolution de ses pensées sur cette période, et puisse améliorer ses propres analyses s’il le désire. Son suivi clair et son acuité analytique sont également à mettre en contraste avec les commentaires publiés par d’autres auteurs dans la communauté des médias alternatifs, dont nombre n’a non seulement rien compris aux événements, mais se sont également totalement discrédités après avoir soutenu une propagande qui s’est révélée entre-temps totalement démystifiée par les faits.
Qu’est-ce qui s’est mal passé ?
À présent que sa crédibilité et sa légitimité à s’exprimer sur ce sujet sont établis, l’auteur va à présent s’engager dans une rétrospection afin d’éclairer tout un chacun quant aux raisons pour lesquels tant d’observateurs se sont trompés à ce point sur ce conflit. Il est important de comprendre que les médias ont joué un rôle extrêmement important dans la tromperie d’un très grand nombre de personnes. Les gens ne sont pas parvenus à faire le tri entre les divers produits d’information disponibles librement, tels que journalisme, enquêtes, analyses, éditoriaux, activisme, propagande, et même des fake news, sur lesquels l’auteur s’est exprimé dans un article expliquant comment « la lecture des médias, et non l’intimidation et la censure, est la meilleure manière de lutter contre la propagande« . Une meilleure compréhension des médias aurait pu permettre à tout un tas de gens de comprendre qu’ils étaient trompés par certaines sources supposément « crédibles » ; si tel avait été le cas, on aurait assisté à beaucoup moins d’attentes erronées quant à la trajectoire de ce conflit. Chose toute aussi importante, les « vœux pieux », la « pensée de groupe » et le « politiquement correct » contribuent à tromper les foules.
Les soutiens de l’Arménie « appelaient de leurs vœux pieux » une perpétuation sans fin de l’occupation illégale du territoire d’Azerbaïdjan, ce qui les a portés à croire des informations, qui ont été démystifiées depuis, qui allaient dans le sens de leur « biais de confirmation ». Mais de nombreux analystes se sont également laissés prendre à la dynamique de la « pensée de groupe » après s’être auto-convaincus que la Russie et la Turquie étaient en « concurrence » l’une contre l’autre dans le Sud-Caucase ; résultat : ils ont fermé les yeux sur la réalité de la coordination entre ces deux pays durant le conflit, qui a fini par déboucher sur leur mission conjointe de maintien de la paix, comme annoncé par le président Aliyev. D’autres encore étaient conscients de la vérité, mais n’ont pas osé exposer publiquement leur compréhension, du fait des fortes pressions exercées sur eux par leurs pairs dans une application du concept totalitaire du soi-disant « politiquement correct ». Ces trois facteurs conjugués ont amené à des affirmations tout à fait ridicules quant à la phase la plus récente de la guerre du Nagorno-Karabakh. La plupart de ces erreurs ont été « innocentes », mais certaines ont pu être commises à dessein pour tromper des tiers.
Les conséquences immédiates
Le monde se réveille rapidement à cette nouvelle réalité : le partenariat stratégique russo-turc est l’une des forces les plus importantes dans ce qu’on appelle le « moyen-orient étendu », de l’Azerbaïdjan à la Syrie, et même jusque la Libye. Il fut un temps où ceux qui, comme l’auteur, analysaient ce fait géopolitique en émergence étaient considérés comme des « théoriciens du complot », voire pire, par leurs pairs. Mais désormais, les seuls « théoriciens du complot » sont ceux qui réfutent la signification transrégionale de leurs relations bilatérales. La communauté des médias alternatifs est désormais fortement discréditée, et va devoir travailler d’arrache-pied pour rétablir la confiance qu’elle a perdue auprès de ses lecteurs, après les avoir trompés, à dessein ou sans intention de le faire, quant à ce conflit. Il en va de même des médias dominants ainsi que des think-tanks, dont on peut dire, rétrospectivement, que certains ont pu fonctionner comme des lobbyistes non-déclarés de la jadis puissante diaspora arménienne qui s’est désormais vue repoussée, en résultat de ces développements : elle s’est avérée incapable de manipuler les autres parties à intervenir dans le conflit pour sauver son projet colonial.
Leurs propos alarmistes et émotionnels, selon lesquels l’Azerbaïdjan se préparait à commettre un « génocide » de manière imminente contre les Arméniens, s’est révélé n’être rien d’autre qu’un récit manipulateur de guerre de l’information, utilisé pour provoquer une guerre plus importante. On peut penser que cela marquera l’histoire comme une manipulation tout aussi infâme que celle de Bush Jr avançant les « armes de destruction massives » pour des raisons similaires, mais qui avait malheureusement fonctionné à l’époque. Les Arméniens sont furieux de s’être faits tromper par leurs « intellectuels » (tant au pays qu’à l’étranger), ainsi que par Pashinyan, qui s’est retrouvé à capituler soudainement, après avoir affirmé et réaffirmé presque quotidiennement n’avoir subi aucune perte, et que « la victoire totale était à portée de main ». Tellement furieux qu’ils ont même envahi le parlement national la nuit de l’annonce de la reddition de leur pays ; c’est chose très ironique, car cela présage de l’idée qu’un mouvement de protestation patriotique pourrait déboucher sur un renversement de l’homme même qui a été mis au pouvoir par une révolution de couleur pro-occidentales instrumentée par Soros.
Que va-t-il se passer ensuite?
On ne sait pas si Pashinyan va démissionner (et peut-être s’enfuir à l’étranger), se faire renverser (et de là risquer un sort aussi sombre que celui de Ceausescu), ou réussir tant bien que mal à rester au pouvoir (quoique comme homme de paille), mais il est évident que son capital politique n’est plus en rien comparable à ce qu’il fut. Il est personnellement responsable d’avoir potentiellement envoyé des milliers d’hommes arméniens dans la boucherie d’Azerbaïdjan au cours des quelques dernières semaines, pour ce qui s’est avéré justifié par aucune bonne raison, si bien que son peuple lui en veut considérablement. En outre, son gouvernement est responsable d’avoir commis des crimes de guerre contre le peuple azerbaïdjanais, et pourrait devoir rendre des comptes à la Haie, surtout si son peuple et/ou son armée le renversent (l’armée pourrait être tentée de ce faire pour se voir elle-même moins punie, voire bénéficier de l’immunité, si elle le destitue). L’Azerbaïdjan va sans doute également s’employer à toucher des réparations de la part de l’Arménie pour ses années d’occupation illégale. Quant à la Russie, elle pourrait arrêter de discuter des signalements de « mercenaires » au Nagorno-Karabakh, car il semble que cela n’était finalement qu’un mensonge arménien.
La reddition de l’Arménie, facilitée par la Russie, pourrait également rapidement amener à un rapprochement avec la Turquie voisine, qui une fois en tandem avec le couloir occidental Azerbaïdjan-Nakhchivan pourrait débloquer le potentiel du Sud-Caucase de constituer l’un des carrefours de connectivité les plus importants du monde en matière géostratégique. L’Azerbaïdjan bénéficie déjà à la fois du « Couloir du milieu« qui permet le commerce Est-Ouest entre la Chine et l’Europe au travers de l’Asie centrale, la mer Caspienne, le Sud Caucase et la Turquie, ainsi que du Couloir de transport Nord-Sud reliant la Russie à l’Inde en passant par l’Azerbaïdjan et l’Iran ; mais désormais, l’Arménie pourrait de manière exaltante se voir intégrée dans l’équation, pour tirer parti de la capacité de « liaison terrestre« de ce pays sans accès à la mer (pour emprunter l’expression que le Laos emploie pour désigner sa propre position, similaire). Mais pour qu’un avenir aussi prometteur se profile, les Arméniens doivent dénoncer leur idéologie fasciste de « Grande Arménie », comme l’Allemagne nazie dénonça son expansionnisme génocidaire après la guerre, faire amende honorable de leurs crimes, et rejoindre avec sincérité un processus de réconciliation avec leurs voisins.
Conclusions
La fin subite de la guerre du Nagorno-Karabakh est un moment de bilan pour chacun. L’Azerbaïdjan a montré à lui seul à la communauté internationale qu’une nation unifiée peut tout à fait réussir à mettre en œuvre de manière unilatérale les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, qui avaient jusque-là été ignorées pour des raisons de « commodité politique ». Cela démontre puissamment que la loi internationale est encore en vie et bien portante dans le monde, malgré ce qu’en disent ses critiques. En outre, la réponse mature de la Russie aux développements rapides, tout en gardant sa neutralité, et ce malgré des pressions intenses de la part de la diaspora arménienne et ses intermédiaires, qui appelaient à une intervention de Moscou en soutien à Erevan, ainsi que le rôle central de Moscou pour amener l’Arménie à se rendre de facto démontrent la réussite de son positionnement d’« équilibrage« (parfois beaucoup moins bien mis en œuvre). Le statut de faiseur de paix, et de Grande puissance mondiale de la Russie s’en trouve encore renforcé. Néanmoins, il faut s’attendre à voir certains ultra-nationalistes s’en prendre – à tort – à la Russie pour la perte soi-disant « inattendue » de l’Arménie, dans une tentative de faire dévier les accusations formulées contre leur propre camp.
Outre des Arméniens ultra-nationalistes, d’autres pourraient s’accrocher à cette « théorie du complot », voire au sein des communautés des médias et analystes alternatifs, dont le travail s’est vu totalement discrédité, de leur propre faute, après qu’ils ont succombé aux « vœux pieux », à la « pensée de groupe », au « politiquement correct » et/ou aient œuvré volontairement ou non comme des soutiens non-déclarés de la diaspora arménienne jadis puissante. Ces voix habituellement amicales pour la Russie pourraient recourir désormais à la russophobie politique, par désespoir de sauver leur propre réputation, au lieu de reconnaître et d’acter leurs erreurs analytiques et/ou de présenter leurs excuses pour avoir trompé ceux qui leur faisaient confiance. En tous cas, leur possible ingérence de guerre de l’information n’aura pas d’impact significatif quant à l’avenir radieux qui s’annonce pour le Sud-Caucase. Cette région géostratégique peut désormais accomplir sa destinée, qui est de servir de nœud central pour relier le commerce des axes Nord-Sud et Est-Ouest à travers l’Eurasie, ce qui apportera d’immenses avantages à leurs nombreux habitants et accélérera également fortement la reconstruction au Nagorno-Karabakh.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Note du Saker Francophone On est aussi frappé par la pertinence et la profondeur de ce partenariat stratégique russo-turc que par l'absolue absence et silence étasuniens/occidentaux dans la résolution de ce conflit.
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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