On doit se poser des questions sur la vitalité future de notre centre-ville comme sur nos habitudes de vie. C’est sûr que le télétravail est confortable. Ne nous le cachons pas. Soyons honnêtes avec nous-mêmes. Beaucoup moins de contraintes. Un sentiment de liberté, de confort. Mais est-ce réaliste de s’imaginer passer notre vie professionnelle devant un écran ? Est-ce souhaitable ? Quelques semaines, certainement. Quelques mois, peut-être. Mais des années ?
Pourtant, selon le discours ambiant, le télétravail est devenu la nouvelle norme. Un nouveau paradigme. Des gouvernements et des entreprises vont même jusqu’à prendre des décisions permanentes pour économiser sur le coût des loyers. « J’ai sondé mes employés et ils préfèrent rester à la maison », entend-on souvent. Vraiment ? Leur réponse sera-t-elle la même à la fin novembre ? En février ? Et l’an prochain ? Et quels seront les impacts sur le dynamisme de nos entreprises ? Sur le bien-être de nos employés ?
Nous sommes en train de remettre en question un mode d’organisation du travail, qui certes n’était pas parfait, mais cette remise en question fondamentale se fait aujourd’hui à toute vitesse, sans recul, sans réflexion, sans vision à long terme.
En allant ainsi trop vite et attirés par des économies immédiates, ne passe-t-on pas à côté de l’essentiel ? Qu’en est-il en effet de la culture d’entreprise, de la formation et de l’intégration des nouveaux employés ? Du plaisir d’interagir et de collaborer ? De la créativité ? De toutes ces petites choses qui se règlent, de ces projets qui voient le jour au hasard d’une conversation non planifiée ?
Nous devrions davantage être en train de nous demander comment donner envie à nos employés de revenir au bureau une fois la pandémie derrière nous plutôt que de conclure à une « nouvelle normalité » dont nous n’avons même pas commencé à entrevoir les répercussions réelles.
Alors que tous se demandent comment sauver notre centre-ville…
Il y a, au-delà de cette réalité professionnelle qui nous touche, notre environnement urbain actuel et futur. Nous le savons, un centre-ville, c’est vivant. Ce sont des travailleurs, des résidents, des restaurants, des commerces, des spectacles, des musées, des rues animées, des places publiques, de petits endroits où on se retrouve, où on échange, où on partage.
Voulons-nous vraiment laisser tous ces petits moments de côté ? Voulons-nous vraiment limiter nos interactions avec nos collègues de travail à un écran ?
Bien sûr que lorsque les autorités de la santé publique nous incitent à limiter nos échanges, nous devons les écouter. Mais demain ? Quand tout cela sera derrière nous ? Devrons-nous conserver ces habitudes confortables et abandonner une partie de ce qui est l’essence même de la vie, mais que banalement nous sous-estimons ? Devrons-nous faire une croix sur ces contacts humains qui vont au-delà de notre vie professionnelle et qui donnent un peu de relief à nos quotidiens ?
À ces questions, j’ai, pour ma part, répondu. Quand tout cela sera derrière nous, je veux sortir de chez moi le matin. Me plonger dans un environnement différent. Rencontrer et revoir du monde, des personnes qui ne pensent pas comme moi et dont je peux apprendre. Comment garder nos horizons et nos esprits ouverts, si nous acceptons de limiter notre vie professionnelle à quatre murs et un écran ?
D’ici là, avant que la pandémie ne soit terminée, nous pouvons et nous devons contribuer à changer le discours ambiant qui louange le télétravail éternel. Nous devons être conscients du risque que ce repli représente pour l’économie, pour la vitalité du centre-ville, pour la culture. Nous devons être conscients du risque que ce repli représente pour notre bien-être à tous. L’humain est une espèce sociale et nous nous épanouissons au contact les uns des autres.
Mais au-delà du discours, ildoit y avoir la conviction profonde de la force d’un centre-ville. Oui, les gouvernements investiront dans la relance, mais le privé peut également faire partie de la solution. En tant qu’employeurs, en tant que décideurs, nousavons le choix de continuer à croire et à développer Montréal. Nous devons, par nos investissements et nos décisions, planifier dès maintenant les lendemains de cette crise. Sinon, les impacts négatifs n’en seront que plus longs et néfastes.
Et en tant que citoyens, dès aujourd’hui, nous pouvons faire de petits gestes concrets qui peuvent aussi contribuer à renverser la vapeur.
Je nous invite ainsi, et avant d’y retourner travailler, à revisiter notre centre-ville. À nous déplacer dans nos petits commerces en ville plutôt que de commander en ligne. À passer cueillir notre repas sur place, dans nos restaurants qu’on souhaite tant voir survivre, plutôt que de faire appel aux plateformes de livraison de repas à domicile. À marcher dans nos rues et à offrir nos temps libres à nos espaces publics. Bref, à le faire vivre, ce centre-ville que nous regardons de loin s’éteindre, croyant que nous n’y pouvons rien.
Laurence Vincent
Laurence Vincent : Coprésidente de Prével et autrice du livre «Bâtir Montréal à la table 45»
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca