Il a été pendant des années le visage du procureur en France. Éric de Montgolfier appelle aujourd’hui ses collègues magistrats à protester contre l’actuel garde des Sceaux.
Il est une des grandes voix de la magistrature. Un de ses vieux sages. Éric de Montgolfier, 74 ans, aujourd’hui à la retraite, a traversé de nombreuses tempêtes judiciaires durant ses quarante années d’exercice. Jeune magistrat à la Chancellerie pendant huit ans, notamment sous Olivier Guichard, il a bien connu les rouages du ministère installé place Vendôme. Puis procureur à Valenciennes, Éric de Montgolfier a ferraillé contre Bernard Tapie, alors au sommet de sa gloire, dans l’affaire du match truqué VA-OM et tenu tête aux réseaux Mitterrand.
En poste à Nice, il a ensuite croisé le fer avec les réseaux francs-maçons au sein même de son tribunal. Une carrière d’incorruptible, de procureur courage, qui lui a d’ailleurs valu de nombreuses brimades de la part d’une institution qui prône l’indépendance mais où les hommes libres sont souvent catalogués « forte tête ». Nommé procureur général à Bourges en fin de carrière, Éric de Montgolfier aurait sans nul doute eu un parcours plus « prestigieux » si comme tant d’autres « hauts magistrats », il avait su se montrer plus docile dans le bureau de tel ou tel garde des Sceaux ou de tel ou tel directeur de cabinet. Mais chez lui, la « dignité » aura toujours été préférable au reste. Alors que la magistrature traverse une crise sans précédent contre son propre ministre et à la veille d’une mobilisation de protestation devant tous les tribunaux, à l’appel de plusieurs syndicats, Éric de Montgolfier lance une forme d’appel à ses pairs : « Levez-vous. »
Êtes-vous contre la nomination d’une avocate à la tête de l’Ecole nationale de la magistrature ?
Éric de Montgolfier : Ce n’est même pas la question ! Je n’avais jusqu’à ces jours-ci jamais entendu parler de Mme Roret. En d’autres temps, j’aurais applaudi la nomination d’un Jacques Isorni, le grand avocat de l’après-guerre. Mais qu’Éric Dupond-Moretti ose dire aujourd’hui qu’il nomme une avocate à la tête de l’ENM pour lutter contre le « corporatisme » des magistrats, c’est quand même le monde à l’envers ! Une vaste blague quand on connaît le corporatisme des avocats ! À Valenciennes, quand j’avais requis des poursuites pour recel d’abus de biens sociaux visant l’un d’eux, par rétorsion, ils avaient « boudé » mon pot de départ ! A Nice, je me souviens d’un bâtonnier qui dans mon bureau s’était félicité de la garde à vue de l’un de ses collègues et qui le lendemain avait pris la tête d’une manifestation de soutien ! Aujourd’hui, le ministre de la Justice se moque de nous. Mais avec Éric Dupond-Moretti, il y a plus grave encore que ces attaques contre le corporatisme des magistrats, ce sont ses conflits d’intérêt.
C’est-à-dire ?
J’ai longtemps cru que la politique était une forme d’honnêteté. Je crois aujourd’hui que la politique est une forme de mensonge. Éric Dupond-Moretti en a pris toute la mesure. Comment peut-il s’en prendre au Parquet national financier dans un dossier où il était lui-même partie prenante avant d’être nommé ministre ? Si quelqu’un devait s’abstenir de toute intervention, je dis bien de toute, c’est lui. Or en attaquant le PNF, jusqu’au micro de l’Assemblée nationale, en lançant des poursuites disciplinaires folles contre trois magistrats de ce parquet, désignés nommément dans un communiqué, Éric Dupond-Moretti franchit toutes les limites. J’y vois le signe d’une République bien étriquée.
Avez-vous été surpris par sa nomination au ministère de la Justice ?
Éric Dupond-Moretti, je l’ai aperçu à Valenciennes, dans le dossier OM/VA il défendait un joueur, Jacques Glassmann. Puis à quand j’étais procureur de Nice, il venait souvent en ville où il a ses habitudes depuis longtemps. Sa nomination est l’aboutissement d’un long processus. Tout un système a progressivement emmené à Dupond-Moretti. Il faut bien constater que l’actuel président de la République n’a pas un attachement très développé à la justice. On l’a vu recevoir directement et sans se cacher des candidats au poste de procureur, comme si les magistrats étaient des fonctionnaires comme les autres et que le président voulait montrer qu’il en était le chef. Quelle hérésie de confondre garant de l’indépendance et chef. Un des dangers pour la démocratie aujourd’hui, c’est le comportement des politiques.
Vous semblez bien sombre sur les possibilités d’indépendance…
Je crois davantage à l’indépendance individuelle des magistrats qu’à la volonté de l’actuel garde des Sceaux d’assurer leur indépendance. J’ai en tête une phrase d’Henry Chéron, un avocat qui a été sous la IIIe République, fin 1930, un éphémère ministre de la Justice. Dans une circulaire adressée aux parquets, il avait écrit que le procureur « se décide en fonction de sa seule conscience ». C’est magnifique. J’ai toujours considéré que c’était notre devoir. Mais il est difficile de n’agir qu’en fonction de sa seule conscience, sans se soucier de sa carrière, de son avancement et de ses rubans… Il n’existe pas de système assez fort pour empêcher un lâche de se coucher. J’ai malheureusement vu beaucoup de magistrats se coucher. C’est désespérant. Notre premier devoir, notre unique devoir, devrait être ce que l’on doit à la Nation et à la Justice.
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