Alors que les mesures se multiplient à travers la France pour lutter contre la propagation du Covid-19, Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’INSERM et directeur de l’Institut de recherche pour la valorisation des données de santé (IRSAN), appelle à cesser la communication « anxiogène » face à un « virus qui ne circule pas ». Entretien.
Plus de 6000 nouveaux cas et 34 décès ces dernières 24 heures. En ce 15 septembre, le rituel des bilans chiffrés sur le Covid-19 bat à nouveau son plein.
Depuis plusieurs semaines, les autorités mettent en garde les Français face à « une reprise » de l’épidémie. Port du masque obligatoire en entreprise ainsi qu’à l’école et dans de nombreuses villes, abaissement du nombre de personnes dans les rassemblements publics ou encore bars et restaurants obligés de tirer le rideau avant l’heure, les mesures prises aux niveaux national et local se multiplient.
« Siffler la fin de la récréation » ou « changer de cap » ?
Le 9 septembre, Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, annonçait que le gouvernement allait « être obligé de prendre un certain nombre de décisions difficiles », « dans les huit à dix jours maximum ». C’est peu dire que Jean Castex était attendu au tournant au moment de se présenter devant les caméras le 11 septembre, à l’issue d’un Conseil de défense spécial Covid-19. Le Premier ministre n’a cependant fait aucune annonce fracassante, laissant aux autorités locales le soin de prendre les mesures adéquates.
Cela a notamment été le cas pour Fabienne Buccio, préfet de Gironde, et son homologue des Bouches-du-Rhône, Christophe Mirmand, qui ont annoncé le 14 septembre une série d’annonces quasi similaires, restrictives, mais sans commune mesure avec ce qui a pu être observé au printemps lors du confinement général. Le 13 septembre, des médecins et professeurs – dont le généticien Axel Kahn – ont appelé à « siffler la fin de la récréation » en demandant aux Français d’« éviter les rassemblements privés ». « Nous sommes à une nouvelle étape de l’épidémie : celle de sa diffusion […]. Il reste probablement peu de temps pour agir collectivement », ont averti six médecins et professeurs dans une tribune publiée dans Le Journal du dimanche.
Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’INSERM, l’un des signataires d’une tribune dans « Le Parisien » intitulée « #Covid_19 : Nous ne voulons plus être gouvernés par la peur », dénonce des discours anxiogènes autour de l’épidémie de Covid-19 pic.twitter.com/JXd413Ymd8
— Alex Le Cat (@LecatAlex) September 11, 2020
Son de cloche totalement différent du côté de Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’INSERM et directeur de l’Institut de recherche pour la valorisation des données de santé (IRSAN). Avec 34 de ses collègues scientifiques, universitaires et professionnels de santé, il a cosigné une autre tribune, parue le 10 septembre dans Le Parisien.
Ils critiquent la politique et la communication gouvernementales à propos de l’épidémie : « Nous, scientifiques et universitaires de toutes disciplines, et professionnels de santé, exerçant notre libre arbitre et notre liberté d’expression, disons que nous ne voulons plus être gouvernés par et dans la peur. La société française est actuellement en tension, beaucoup de citoyens s’affolent ou au contraire se moquent des consignes, et nombre de décideurs paniquent. »
Laurent Toubiana explique au micro de Sputnik France pourquoi « il est urgent de changer de cap » :
Sputnik France : Comment expliquez-vous le décalage entre un Conseil scientifique qui laissait entendre que le gouvernement allait prendre des mesures « difficiles » et le peu d’annonces fait par Jean Castex ?
Laurent Toubiana : Tout d’abord, je tiens à préciser que je suis un scientifique et que je me situe dans mon domaine de compétence quand je prends la parole. Mon but est d’objectiver les informations diffusées pour les ramener à une sorte de rationalité.
Monsieur Delfraissy parle au nom du Conseil scientifique. Je m’aperçois, et c’est assez déroutant, que le gouvernement l’a désavoué avec les annonces faites le 11 septembre. Cela acte le fait que le Conseil scientifique est en quelque sorte mis sur la touche par le gouvernement. Ce dernier reprend la main et revient à une certaine forme de rationalité. C’est une très bonne nouvelle.
Sur le terrain médical, que pensez-vous de l’explosion du nombre de cas de Covid-19 à laquelle on assiste ?
Je remarque que vous utilisez le terme d’« explosion », qui est anxiogène, qui laisse penser à quelque chose d’énorme. Maintenant, regardons la réalité des faits. Nous avons procédé à un nombre colossal de tests, plus de huit millions à ce jour. C’est un échantillon conséquent de la population et il est multicentrique, car en provenance de toute la France.
On retrouve des traces du virus dans environ 3 % des résultats. Ces gens ne sont pas forcément malades, mais présentent des traces du virus. Nous parlons de seulement environ 3%. Cela signifie qu’environ 97 % des gens testés ne sont pas positifs.
Alors, que disent de tels résultats ?
Que contrairement à ce que l’on entend, le virus ne circule pas. D’autant plus qu’à environ 3 % de résultats, on se situe dans la marge d’erreur. Quand nous sommes à 97 % de cas négatifs, nous pouvons parler d’excellent score. C’est ce qu’il faudrait dire en réalité. Mais ce n’est pas le cas et c’est étrange. On nous dit non seulement que le virus se propage énormément, mais en plus, on met un nombre croissant de départements en zone rouge au motif d’une circulation du virus totalement fantasmée.
Les chiffres d’hospitalisation et de décès sont sans commune mesure avec ce que l’on pouvait observer en avril dernier…
Nous pouvons discuter des vrais chiffres de ce que l’on appelle une épidémie. C’est un phénomène grave. Et la gravité se mesure par le nombre de malades sérieux qui sont à l’hôpital, ainsi que par le nombre de décès. Or, les chiffres sont actuellement infiniment faibles à l’échelle de la France.
Sur une telle base, il est impossible de décider quoi que ce soit. Pourtant, des décisions sont prises, comme celle de mettre en rouge un grand nombre de départements, ce qui fait très peur et a des conséquences économiques non négligeables, notamment pour les cinémas, théâtres, bars ou restaurants.
Vous dites que ces décisions ont une incidence sur la santé des gens…
Effectivement. Vous empêchez les gens de se réunir, vous leur faites porter un masque parfois dans des circonstances totalement injustifiées, pendant des heures, ce qui peut être très handicapant pour un certain nombre de personnes. C’est difficile à admettre.
De plus en plus de Français commencent à douter de la parole officielle en ce qui concerne le Covid-19. Qu’en pensez-vous ?
Cette communication anxiogène, qui ne trouve pas de justification dans l’expérience quotidienne des gens, finit par les faire douter de l’information et les dérive vers des champs de réflexion nauséabonds. Au bout d’un moment, les gens doutent et quand c’est le cas, ils sont prêts à croire n’importe quelle bêtise.
Rationalisons, disons réellement ce qu’il se passe et à partir de là, tout ira bien mieux. Le problème étant que nous sommes soumis, depuis maintenant des mois, à une « propagande » et je crains que remonter la pente soit extrêmement difficile.
C’est la raison pour laquelle vous et vos collègues avez décidé d’écrire cette tribune au Parisien ?
Oui. 35 chercheurs initiaux ont cosigné cette tribune, mais nous sommes aujourd’hui 140 à l’avoir signée. Tous des chercheurs triés sur le volet, car nous ne souhaitons pas que cela se transforme en pétition. Nous voulons que les signataires soient des gens issus du domaine de la recherche et des scientifiques sérieux. Je reçois tous les jours des centaines de mails de collègues qui me motivent à continuer le combat. Ils n’ont pas encore signé, car la procédure est très contrôlée.
Nous ne voulons pas que n’importe qui puisse récupérer ces idées dans le but de les instrumentaliser. C’est chronophage de faire un tel tri, mais le fait de pouvoir démontrer qu’un grand nombre de chercheurs et scientifiques nous rejoint est très important. Le but est que les gens ne se demandent plus qui croire. Cela apporte de la confusion de dire que les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux concernant le Covid-19.
Maintenant, les chercheurs sortent de leur réserve et disent massivement que la communication autour de l’épidémie est délirante.
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation