Alexandre Poulin se définit comme un millénial. Il a grandi dans ce climat de défaite et de démission qui a suivi l’échec référendaire de 1995. Une défaite qu’on s’est aussitôt empressé d’embellir, dit l’auteur de cet essai stimulant, en la qualifiant de « grand exercice démocratique », expression attribuée à Lucien Bouchard, comme pour minimiser l’ampleur de la déroute.
L’heure était aux restrictions de toutes sortes. Comment concilier alors désir de liberté et austérité budgétaire ? Bouchard a succédé à Jacques Parizeau, puis a dû céder sa place à Bernard Landry. Mais les traces de la défaite étaient encore vives, et Jean Charest est apparu en sauveur de notre système de santé. Les soins de santé allaient devenir notre seul projet collectif, conclut l’auteur qui entre à cette époque de plain-pied dans son adolescence. Charest, chantre du statu quo, nous emberlificotera en nous parlant de « réingénierie de l’État ».
Mais cette pause allait déboucher sur un moment d’espoir. Avec le printemps érable de 2012, la génération de Poulin allait sortir de son mutisme, entraînant avec elle une bonne partie du Québec. Et c’est dans ce cadre qu’Alexandre Poulin prend la parole, à travers cet essai, pour épousseter, pourrais-je dire, certaines notions qui gravitent autour de la question nationale et de la culture québécoise.
l’idée de nation
« Est-il vraiment possible de redessiner les contours d’une communauté de culture de manière abstraite sans que subsistent plusieurs éléments du passé ? » se demande l’auteur. Rappelant que « le Canada et le Québec sont deux communautés politiques qui se sont construites de façon parallèle », il examine la notion de nation québécoise à la lumière des observations du sociologue Fernand Dumont, pour conclure : « Le projet de parachèvement de la communauté politique québécoise au moyen de la souveraineté politique ne naît pas de rien : il est inhérent au destin de la nation française en Amérique et il incombe aux francophones de le mener à bien. Il s’agit d’abord et avant tout d’un instinct de survie. Dans ce contexte, l’indépendance est un devoir et le nationalisme un moyen qu’il faut sans cesse justifier. »
Réfutant les thèses de Gérard Bouchard selon lesquelles il serait nécessaire de nier nos origines canadiennes-françaises pour accéder au statut de nation québécoise, Poulin se demande : comment créer une nation « si ce n’est par une histoire commune, de communs malheurs et de communs bonheurs ? […] La nation est dénaturée dès lors que la mémoire se fragilise. »
L’auteur s’en prend ensuite au provincialisme dont souffre le Québec, cette idée que nous ne sommes qu’une toute petite nation qui ne doit déranger personne, une minorité sans droit de rêves de grandeur. Ce statut a ses « avantages ». La déresponsabilisation est la voie de la facilité, contrairement à ce qu’exige l’exercice de la pleine maîtrise de nos responsabilités et de nos libertés. Ce courant, présent dans les débats actuels, en raison de notre fatigue politique et culturelle, a toutefois sa contrepartie dans une surévaluation de nos forces. Ainsi, dans le texte collectif « Manifeste pour un élan global », l’auteur note une nette enflure verbale.
Alors que le Québec n’est même pas assis à la table des nations, c’est-à-dire qu’il n’est pas un pays, les auteurs de ce manifeste voient le Québec comme un chef de file non pas au Canada mais dans le monde ! Ce n’est pas la Révolution française qui diffusera les lumières mais bien notre Révolution tranquille ! Notre mission n’est plus catholique mais écologique et nous allons sauver la Planète. « Être petit, mais l’être en grand. » Une ambivalence propre à notre statut colonial passé, selon Albert Memmi.
Inachevé : ce qui n’a pas encore été mené à terme. Cet ouvrage nous invite à rouvrir le livre du passé, pour assumer notre héritage canadien-français. Pour mieux achever notre projet de pays.
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