Un demi-prix Pulitzer pour le Wall Street Journal
Par Ron Unz, le 23 août 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Pendant quarante ans, j’ai lu intégralement et attentivement la version papier du New York Times chaque matin, désireux de découvrir ce qui s’était passé depuis la veille. Mais au cours des derniers mois, mon assiduité a commencé à diminuer, et souvent, je ne fais que jeter un œil sur la moitié des articles ou un peu plus, ainsi que sur les titres.
Je n’ai jamais pensé beaucoup de bien de Donald Trump, mais je suis incapable de trouver la motivation pour lire un autre article dénonçant dès le titre les « mensonges » de notre Grand Satan ou de sa coterie de démons inférieurs. Les vilénies sans fin de son allié luciférien Vladimir Poutine sont devenues ennuyeuses à mourir. La malfaisance diabolique de la Chine, que Trump aurait si récemment courtisée, suscite peu d’intérêt. Plus près de chez moi, mes yeux tombent sur une autre chronique de conseils sur la « distanciation sociale » à propos du Covid-19, ou sur des explications supplémentaires sur la façon dont des « manifestants pacifiques » ont récemment incendié un bâtiment gouvernemental à Portland, dans l’Oregon, ou détruit le quartier commerçant le plus riche du centre-ville de Chicago.
La section économique nous informe que la pire pandémie en un siècle, le pire taux de chômage depuis la Grande Dépression et la pire émeute nationale en deux générations ont produit des gains sans précédent dans le cours des actions à Wall Street, mais les rédacteurs du personnel ont apparemment oublié le mot « bulle ». Souvent, la section des arts semble être devenue noire de façon monochromatique. Mon rituel quotidien du matin prend donc aujourd’hui beaucoup moins de temps que par le passé.
Je ne peux pas retracer exactement la trajectoire de cette forte baisse récente dans mon intérêt. Mais j’ai certainement remarqué le changement peu de temps après qu’une foule sur Twitter ait forcé le New York Times à renvoyer sommairement son rédacteur en chef très réputé pour manque de « vigilance » [après la publication de l’appel d’un sénateur à utiliser l’armée contre les manifestants], lui qui était largement considéré comme l’un des principaux candidats à la direction du journal, suggérant peut-être que les journalistes ont changé leur couverture et le style d’écriture pour éviter un sort similaire. J’avais toujours lu mes journaux du matin dans un café local, mais l’épidémie de coronavirus a mis fin à cette possibilité, perturbant ainsi ma routine. Et mes années de dénonciation de la malhonnêteté de « Notre Pravda américaine » dans mes propres articles ont peut-être enfin commencé à s’inscrire dans mon esprit [Le Saker francophone a traduit maints de ces articles en français dans deux volumes, accessibles en pdf ici et ici].
Voir American Pravda : Juifs et Nazis
Il y a des exceptions occasionnelles à ce modèle. Plus tôt ce mois-ci, le Times a soigneusement compilé nos chiffres de mortalité nationaux et a déterminé que notre « surmortalité » de début mars à fin juillet avaient déjà dépassé 200 000, ce qui indique que le décompte américain de notre épidémie de Covid-19 était considérablement plus élevé que ce qu’on supposait généralement, et pourrait même atteindre le demi-million d’ici la fin de l’année. Mais les exemples de reportages aussi solides semblent rares de nos jours.
Le déclin évident du Times m’apparaît particulièrement chaque matin lorsque je le compare à son rival, le Wall Street Journal, que je lis immédiatement après. Après l’acquisition du WSJ par Rupert Murdoch en 2007, la plupart des observateurs lui ont prédit un triste sort aux mains du propriétaire dont le premier empire médiatique de Fleet Street s’était construit sur de jeunes femmes nues en première page de son tabloïd Sun. Mais Murdoch a totalement déconcerté ces sceptiques, fournissant à sa nouvelle acquisition phare un énorme soutien financier et lui accordant une politique éditoriale totalement libre, l’élevant ainsi du statut de publication axée sur les affaires à un rival du New York Times, à un moment où tant d’autres journaux étaient sur le point de voir leurs recettes fondre à cause d’une perte massive de publicité. En l’espace de quelques années, même des haineux invétérés de Murdoch comme The Nation ont reconnu cette surprenante réalité.
De superbes ressources en journalistes libérées du fardeau du « politiquement correct » extrême permettent un produit exceptionnel, et cela a certainement été démontré par les reportages d’investigation réguliers du Wall Street Journal en première page. Il y a quelques jours, notre désastre continu du Covid-19 en a provoqué un autre, auquel il ne manquait que quelques éléments cruciaux pour mériter un prix Pulitzer.
De nombreuses publications ont documenté les graves erreurs des États-Unis dans la lutte contre la maladie, mais ce reportage de 4 500 mots du WSJ s’est concentré sur la gravité de la mauvaise gestion de l’épidémie originelle par les autorités chinoises.
L’article a révélé que les hauts responsables de la santé publique du Centre chinois de contrôle des maladies n’ont pris connaissance de la situation que le 30 décembre, lorsqu’ils ont appris qu’au moins 25 cas suspects d’une maladie mystérieuse s’étaient déjà produits à Wuhan au cours de ce mois. Mais comme les journalistes l’ont noté, l’épidémie avait certainement commencé un peu plus tôt :
Même un CDC chinois en pleine capacité aurait probablement manqué les tout premiers cas de coronavirus, qui ont probablement commencé à se propager autour de Wuhan en octobre ou novembre, très probablement chez des personnes qui n’ont jamais montré de symptômes ou qui n’ont jamais vu de médecin, selon les chercheurs.
Toutes ces nouvelles informations semblent tout à fait cohérentes avec ce qui avait été découvert auparavant par les principaux médias américains. Mais les rédacteurs du Wall Street Journal semblent avoir manqué un fait supplémentaire qui aurait pu faire passer cette histoire importante du statut d’enquête banale à celui de révélation sensationnelle. Bien qu’ils aient documenté le fait que le gouvernement chinois n’a eu connaissance de l’épidémie de Wuhan qu’à la fin du mois de décembre, ils semblaient ignorer que plus d’un mois auparavant, des responsables des services de renseignement américains avaient distribué un rapport secret à nos alliés militaires décrivant l’épidémie « cataclysmique » alors en cours en Wuhan.
Il y a quelques mois, j’avais noté les implications claires de cet étrange décalage dans le calendrier :
Pour des raisons évidentes, l’administration Trump est devenue très désireuse de souligner les premiers faux pas et les retards dans la réaction chinoise à l’épidémie virale à Wuhan, et a vraisemblablement encouragé nos médias à orienter leur attention dans cette direction.
À titre d’exemple, l’Unité d’enquête de l’Associated Press a récemment publié une analyse assez détaillée de ces premiers événements, prétendument fondée sur des documents chinois confidentiels. Intitulé de manière provocante « La Chine n’a pas averti le public d’une pandémie probable pendant 6 jours clés », l’article a été largement diffusé, et a été publié sous une forme abrégée dans le NYT et ailleurs. Selon cette reconstruction, le gouvernement chinois a pris conscience pour la première fois de la gravité de cette crise de santé publique le 14 janvier, mais a retardé toute action majeure jusqu’au 20 janvier, période pendant laquelle le nombre d’infections s’est fortement multiplié.
Le mois dernier, une équipe de cinq journalistes du WSJ a produit une analyse très détaillée et approfondie de 4 400 mots de la même période, et le NYT a également publié une chronologie utile de ces premiers événements. Bien qu’il puisse y avoir des différences d’accent ou des désaccords mineurs, toutes ces sources médiatiques américaines conviennent que les autorités chinoises ont eu connaissance pour la première fois de la grave épidémie virale à Wuhan entre début janvier et la mi-janvier, le premier décès connu ayant eu lieu le 11 janvier, et ont finalement mis en œuvre de nouvelles mesures de santé publique importantes plus tard ce même mois. Personne n’a apparemment contesté ces faits basiques.
Mais au fur et à mesure que les conséquences horribles de notre propre inaction gouvernementale ultérieure devenaient évidentes, des éléments au sein de nos agences de renseignement ont cherché à démontrer que ce n’étaient pas les Américains qui s’étaient endormis aux commandes. Plus tôt ce mois-ci, un article d’ABC News a cité quatre sources gouvernementales distinctes pour révéler que dès la fin novembre, une unité spéciale de renseignement médical au sein de notre agence de renseignement de défense avait produit un rapport avertissant qu’une épidémie incontrôlable se produisait dans la région de Wuhan en Chine, et a largement diffusé ce document dans les plus hauts rangs de notre gouvernement, avertissant que des mesures devaient être prises pour protéger les forces américaines basées en Asie. Après la diffusion de cette histoire, un porte-parole du Pentagone a officiellement nié l’existence de ce rapport de novembre, tandis que divers autres hauts fonctionnaires du gouvernement et du renseignement ont refusé de commenter cette information. Mais quelques jours plus tard, la télévision israélienne a mentionné qu’en novembre, les services de renseignement américains avaient en effet partagé un tel rapport sur l’épidémie de Wuhan avec leurs alliés de l’OTAN et Israël, semblant ainsi confirmer indépendamment l’exactitude complète de l’histoire originale d’ABC News et de ses diverses sources gouvernementales.
Il apparaît donc que des éléments de la Defense Intelligence Agency étaient au courant de l’épidémie virale mortelle à Wuhan plus d’un mois avant tout responsable du gouvernement chinois lui-même. À moins que nos agences de renseignement n’aient mis au point la technologie de la précognition, je pense que la cause de cette connaissance anticipée soit la même que la raison pour laquelle les incendiaires ont la connaissance la plus précoce des futurs incendies.
Une maladie entièrement nouvelle qui se propage de manière silencieuse et asymptomatique peut facilement échapper à la détection initiale, et nous ne devrions pas être surpris que personne en Chine n’ait remarqué l’épidémie de Wuhan lorsqu’elle a commencé en octobre ou en novembre. Mais les agents de renseignement américains étaient parfaitement conscients de ce qui se passait depuis le tout début et ont commencé à informer tous nos alliés. Cela ressemble autant à une « arme du crime » que tout ce que nous pourrons jamais rencontrer dans les annales du monde trouble des opérations des services secrets.
De plus, j’ai également noté le schéma international très inhabituel que la maladie mortelle a immédiatement commencé à suivre :
Alors que le coronavirus commençait progressivement à se propager au-delà des frontières de la Chine, un autre développement s’est produit qui a considérablement multiplié mes soupçons. La plupart de ces premiers cas s’étaient produits exactement là où l’on pouvait s’y attendre, à savoir dans les pays d’Asie de l’Est frontaliers de la Chine. Mais à la fin du mois de février, l’Iran était devenu le deuxième épicentre de l’épidémie mondiale. Plus surprenant encore, ses élites politiques avaient été particulièrement touchées, avec 10% de l’ensemble du parlement iranien bientôt infecté et au moins une douzaine de ses fonctionnaires et politiciens mourant de la maladie, y compris certains de premier plan. En effet, les militants néo-conservateurs sur Twitter ont commencé à remarquer joyeusement que leur ennemis iraniens honnis tombaient maintenant comme des mouches.
Examinons les implications de ces faits. Dans le monde entier, les seules élites politiques qui ont subi des pertes humaines importantes à ce jour ont été celles de l’Iran, et elles sont mortes à un stade très précoce, avant même que des flambées importantes ne se produisent presque partout ailleurs dans le monde en dehors de la Chine. Ainsi, nous avons les Etats-Unis qui assassinent le haut commandant militaire de l’Iran le 2 janvier, puis quelques semaines plus tard, une grande partie des élites dirigeantes iraniennes est infectée par un nouveau virus mystérieux et mortel, dont beaucoup mourront rapidement en conséquence. Un individu rationnel pourrait-il considérer cela comme une simple coïncidence ?
Si les journalistes du WSJ avaient simplement pris note de ce qui avait été précédemment rapporté par ABC News et confirmé par la télévision israélienne, ils auraient sûrement mérités un prix Pulitzer. Mais mériter et recevoir sont deux choses bien distinctes, et ils auraient facilement pu être évincés pour avoir oser toucher à des questions de sécurité nationale aussi délicates. Après tout, notre propre site internet a été banni par Facebook et Google quelques jours à peine après que nous ayons soulevé ces mêmes questions.
Voir Coronavirus : la Chine et l’Iran dénoncent la probabilité d’une attaque biologique
De telles représailles aident à expliquer pourquoi nos médias dominants américains ont depuis longtemps conclu que la discrétion doit prendre le dessus sur le courage.
Pour soutenir ce travail censuré en permanence et ne manquer aucune publication, faites un don, partagez cet article et abonnez-vous à la Newsletter. Vous pouvez aussi nous suivre sur Facebook et Twitter.
Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples