par Nasser Kandil.
Nul besoin d’une grande intelligence pour constater l’existence d’une campagne politique à l’intérieur du Liban dont le programme ainsi que les objectifs ont profité de l’explosion du port de Beyrouth [le 4 août 2020] et de l’ampleur de la catastrophe qu’elle a engendrée.
Une campagne qui a proposé tantôt la neutralité du pays, tantôt le désarmement de la Résistance, avant de considérer que la voie du salut passait par l’acceptation des conditions requises par l’Occident et les Pays arabes du Golfe, au premier rang desquelles : le désarmement de la Résistance libanaise sous-entendant la sécurité d’Israël ; la liquidation de la question palestinienne reposant sur la priorité de la « normalisation » avec cette même entité occupante ; l’oubli de toute solution garantissant le retour des réfugiés.
Et ce, en faisant mine d’ignorer ce que signifierait le renoncement aux armes de la Résistance comme source de force pour le Liban et le fait que la naturalisation des réfugiés deviendrait inévitable.
Ce programme associé à l’explosion du port de Beyrouth est différent de celui adopté suite à l’explosion ayant mené à l’assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri [le14 février 2005]. Lequel programme reposait sur la priorité du retrait de la Syrie du Liban, ce qui s’est concrétisé [le 16 avril 2005] conformément aux exigences de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU [adoptée le 2 septembre 2004 à l’initiative conjointe de la France et des États-Unis ; NdT]. Quant à la Résistance libanaise, il fallait lui laisser croire qu’elle n’était pas particulièrement visée en attendant la guerre israélienne qui se préparait [la guerre de 2006], ses instigateurs pariant qu’elle réglerait définitivement le problème de son désarmement. Deux objectifs qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui, le premier étant hors sujet, le second étant hors d’atteinte.
Mais cette canalisation de la colère suscitée par la « deuxième explosion » ayant détruit le port de Beyrouth vers la Résistance et ses armes n’est pas l’intitulé exclusif des interventions politiques, médiatiques ou cléricales internes. En effet, l’intervention occidentale initiée par le président français Emmanuel Macron, lequel a préconisé un gouvernement d’union nationale ouvert à la Résistance, s’est soldée par nombre de reculades destinées à laisser du temps aux pressions exercées sur cette même Résistance. Et ceci à l’ombre d’une campagne médiatique externe reproduisant la scène de la « première explosion » ayant assassiné le Premier ministre Hariri.
Ainsi, le magazine allemand « Der Spiegel », lequel a promu l’enquête falsifiée sur l’assassinat de feu Rafiq Hariri, avec l’évidente bénédiction des services du renseignement et des sources de scénarios préfabriqués, remplit aujourd’hui la même mission sous le même titre : nécessité d’une enquête internationale sur l’explosion du port de Beyrouth et accusation de la Résistance libanaise pour avoir prétendument importé la cargaison de nitrate d’ammonium.
Par conséquent, vu la présence d’un système médiatique libanais financé par les États arabes du Golfe, rien n’empêche la transformation d’un tel scénario en projet de fabrication d’une opinion publique, au service duquel seront créés de faux témoignages et de faux récits. L’expérience de l’enquête sur l’assassinat de Rafiq Hariri, avec son cortège de mensonges et de falsifications, est toujours d’actualité et il est indéniable qu’elle passait par les médias avant même que les enquêteurs [du Tribunal Spécial pour le Liban ou TSL] ne se prononcent sur l’affaire.
Quant à Israël, il ne nie pas avoir organisé pour l’occasion une guerre psychologique d’une grande ampleur. En effet, le quotidien « Israel Today » a déclaré, en substance, qu’une cellule d’opérations gérée par le renseignement israélien est chargée de diriger un réseau médiatique étendu à l’intérieur et à l’extérieur du pays, afin de saisir l’opportunité offerte par l’explosion du port de Beyrouth en menant une guerre psychologique, susceptible de créer un équilibre avec les retombées psychologiques des victoires de la Résistance dans la guerre qui les oppose.
À la lumière de toutes ces données internes et externes, les questions soulevées dès le premier jour se renforcent ; à savoir : l’explosion du port de Beyrouth est-elle le résultat d’une coïncidence qu’il suffit d’expliquer par la corruption et la négligence, ou bien est-elle un épisode reporté de la guerre de juillet 2006 ? Une guerre que l’entité occupante n’ose pas mener de front et, par conséquent, adopte des techniques et des méthodes avancées pour les guerres du renseignement, afin de réussir là où la première explosion de 2005 et la guerre de 2006 ont échoué.
Au-delà des tentatives de diabolisation et de condamnation de la Résistance urbi et orbi, cette dernière hypothèse est motivée par une simple question concernant le lien entre l’explosion du port de Beyrouth et la normalisation des relations entre les Émirats Arabes Unis et Israël [annoncée le 13 août par Donald Trump ; NdT].
Une normalisation qui tourne autour de la transformation du port de Haïfa en premier port de la Méditerranée, vu qu’il serait devenu la seule porte d’importations de l’Europe vers le Golfe et, éventuellement, un port de transit de la Chine vers l’Europe en association avec le port de Dubaï. Ce qui est impossible sans la suppression du port de Beyrouth de la carte économique pendant un temps suffisant pour justifier le recours à l’entrepôt commercial du Golfe, représenté par les Émirats, en tant que port alternatif ?
Nasser Kandil est un homme politique libanais, ancien député, et Rédacteur en chef du quotidien libanais « Al-Binaa »
source : https://www.al-binaa.com
traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source: Lire l'article complet de Réseau International