La chose nous est apparue comme dans un rêve, sinon un cauchemar : la grande ingénierie du Covid n’a été, derrière l’écran de fumée de la pandémie, qu’une gigantesque expérimentation par nos ingénieurs sociaux du pouvoir profond néolibéral à la fois médicale, politique et médiatique. Elle a permis aux régimes occidentaux décriés de retrouver un pouvoir largement perdu sur la population, elle a permis au pouvoir médical de retrouver un pouvoir largement perdu sur la population, et elle a permis au pouvoir médiatique de retrouver un pouvoir largement perdu sur la population.
Heureusement, ces trois résurgences du passé ne dureront pas. Il est un pouvoir, cependant, qui semble avoir été durement touché, mais qui ne l’est pas : le pouvoir financier derrière le pouvoir économique. Celui-là s’est servi de toute l’opération de neutralisation des défenses de la population pour expérimenter le télétravail, qui n’a rien de dangereux en soi. Mais c’est ce qu’il annonce qui est dangereux : la numérisation maximale du travail, et ses conséquences dans des domaines que l’on n’imaginait pas, ou que l’on croyait protégés, sanctuarisés.
Et ce domaine, c’est l’éducation.
L’expérience pendant trois mois du télétravail pour les 12 millions d’élèves et étudiants a été le grand brouillon de ce qui se profile, à savoir le nettoyage par le vide de la profession de prof. Les 1 022 849 employés de l’éducation nationale n’ont qu’à bien se tenir : le test Covid dans l’Éducation nationale n’a pas été fait au hasard, il a pour objectif de généraliser – en douceur, comme pour toute opération brutale ou de destruction – la virtualisation du rapport prof/élève.
Dans le domaine administratif, on appelle ça la dématérialisation, ou la démat. C’est un des grands projets de la team Macron et ce n’est pas qu’un projet puisque dans le bâtiment, la construction, la démat est une réalité depuis 2018. Théoriquement, tout est fait pour simplifier la paperasse et les rapports entre les acteurs du marché, mais en réalité il s’agit d’une procédure néolibérale pour construire plus vite, moins cher… et forcément moins beau et moins durable. Le néolibéralisme, en la matière, se fiche de l’esthétique, du rapport à la ville, du vivre-ensemble bref, de la viabilité d’une construction. Il faut qu’il y ait le moins possible de règles et de lois, tant pis si les constructions en souffrent, notamment pour ce qui concerne les qualités technique, acoustique et/ou thermique.
Aujourd’hui, avec le recul que nous offre la fin de cette période étrange (de la mi-mars à la mi-juin 2020), il semble de plus en plus évident que tout n’a été qu’un test général, un brouillon national qui a évalué pour un futur proche toutes les possibilités de dématérialiser les rapports sociaux, qu’ils soient ceux de l’entreprise ou de l’École.
Les néolibéraux qui détruisent actuellement ce qu’ils considèrent comme la France d’hier pour construire la prétendue France de demain ont un objectif en vue : réduire drastiquement le nombre d’agents de l’Éducation, car le mammouth est d’abord le premier budget de la Nation, avec ses 52 milliards par an, et le premier employeur avec un million d’emplois « équivalent temps plein » (ETP). Le site gouvernemental nous apprend que la dépense moyenne par élève ou étudiant tourne autour de 8700 euros par an (6800 en pré-élémentaire et 15 000 pour un étudiant en prépa aux grandes écoles).
Ce méga poste en termes de budget et d’effectifs est selon nous la prochaine cible de l’oiseau de proie néolibéral. Les tests ont été globalement concluants, même si 5 % des élèves selon la presse ont disparu des radars pendant ces trois mois étranges : tout le monde n’a pas la chance d’avoir un ordinateur connecté à la maison et des parents compréhensifs. Beaucoup de mômes pauvres qui étaient déjà en retard scolaire ont lâché.
Et de la même façon que le Covid (ou son ingénierie) a permis de faire basculer un maximum de travailleurs (surtout les cadres) dans le monde du télétravail, c’est-à-dire celui de l’entreprise sans entreprise (ni murs ni collectif), ceci afin de réduire les coûts fixes (immobilisations) et une éventuelle résistance horizontale (syndicat, grève, fronde), nous sommes entrés ni vu ni connu dans une ère que Macron appelle « la France d’après », mais qui n’est que le néolibéralisme d’après.
Curieusement, il y a deux ans, Airbus voulait déjà
détruire 3000 emplois malgré des profits record…
Déjà, des grandes entreprises, pourtant aidées, ont profité du Covid pour dégraisser à mort, et ce n’est que le début. Airbus détruit 5000 emplois en France, EDF annonce un plan d’économies de 2 à 3 milliards, et on a bien compris ce qu’il fallait comprendre avec ce management à l’américaine : on diminue la charge sociale des salaires, et on augmente les dividendes des actionnaires. L’État français possède 83 % du capital d’EDF et 11 % de celui d’Airbus.
On passe d’une économie de l’emploi et de la production à une économie financière qui se fout des conséquences sociales du chômage de masse et qui gagne encore plus d’argent. Au politique de gérer le merdier avec les aides sociales, les discours lénifiants, le revenu universel (qui arrange évidemment les dégraisseurs) et la répression policière (voir le tabassage des Gilets jaunes).
C’est simple, mais efficace. Le basculement du capitalisme productif vers un capitalisme financier s’opère sous nos yeux. Dans quelques années tout au plus, nous en sommes certains, avec l’introduction du numérique ou des tablettes dans les classes, de plus en plus de classes physiques vont disparaître à l’image des bureaux d’entreprises, surtout celles qui travaillent dans le secteur des services (le tertiaire concentre désormais 75 % des emplois), qui sont propices à la dématérialisation des rapports. Et ne parlons pas des entreprises internet, qui sont déjà par définition 100 % dans le virtuel, voilà pourquoi Macron les cajole, et Xavier Niel avec.
L’éducation est un secteur d’activité virtualisable, qui passe par la parole, l’écrit, l’image ou le son : elle n’a donc pas besoin de supports physiques (un bureau, une chaise, un tableau) ou d’une proximité physique entre les apprenants et les sachants. Cela permettra, une fois les plateformes mises en place, à l’image des plateformes numériques de l’uberisation, de donner un cours à 500 ou 1000 élèves en même temps avec des protocoles bien rodés, avec tout de même quelques profs qui surveillent les retours, les questions, les problèmes.
Il y aura distanciation sociale totale sans l’aide d’un virus, ou alors avec un virus annuellement reconduit (Covid-20, Covid-21, Covid-n+1), et un bénéfice pour le secteur privé de réparation de l’enseignement, comme aujourd’hui des centaines de milliers de parents qui se tournent, paniqués par le niveau scolaire dans le public, vers les officines privées pour sauver le niveau de leurs enfants.
L’école est comme l’hôpital : si on la laisse crever, c’est pour la remplacer par quelque chose de plus rentable, de moins fricovore. Si dans le New York des années 70 les autorités ont laissé pourrir des quartiers entiers, c’était pour offrir aux agents immobiliers la chance de reprendre des pans entiers de la ville pour une bouchée de pain, les reconstruire et les revendre x fois plus chers.
Regardez Paris aujourd’hui, comme le disait Soral en 2006, c’est du pain béni pour les spéculateurs immobiliers. Et qui est le vrai maître de la Ville Lumière ? Certainement pas l’écran de fumée Anne Hidalgo, mais plutôt Jean-Louis Missika, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Du gros argent, quoi. Au fait, les travaux du parvis de Notre-Dame brûlée vive, ça en est où ?
L’enseignement va se dématérialiser, les effectifs de l’EN vont fondre, des dizaines de milliers de profs vont disparaître. Ils sont 870 000 aujourd’hui qui coûtent 50 milliards au pays. On vous laisse imaginer la salivation des rapaces néolibéraux autour de ce butin gigantesque : ici dégraissages massifs de viande humaine, là explosion de profits et dividendes à prévoir.
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